EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi du projet de loi relatif à l'accueil et
à l'habitat des gens du voyage, adopté en première lecture
par l'Assemblée nationale, le 5 novembre dernier.
Un trop grand nombre de communes sont confrontées à des
difficultés croissantes pour régler de manière
satisfaisante le stationnement sur leur territoire des divers véhicules
utilisés par les gens du voyage. Celles d'entre elles qui ont
aménagé des aires d'accueil peuvent légitimement
déplorer que leurs efforts ne permettent pas de mettre un terme au
stationnement " sauvage ". A l'inverse, les gens du voyage, dont les
comportements à l'égard du voyage sont très
diversifiés, ont souvent le sentiment que les aires d'accueil ne sont
pas bien adaptées à leurs véritables besoins. Il en
résulte trop souvent une confrontation des points de vue entre la
population locale et les gens du voyage, préjudiciable à la paix
publique.
Or, le droit positif apparaît insuffisant pour réaliser un
équilibre satisfaisant entre ces différents points de vue.
Le Sénat a cherché à apporter des réponses
équilibrées aux difficultés rencontrées par les
communes, en adoptant, le 6 novembre 1997, sur les conclusions de votre
commission des Lois, une proposition de loi relative aux conditions de
stationnement des gens du voyage. Recherchant une meilleure adéquation
des conditions d'accueil, ce texte prévoyait parallèlement un
renforcement des moyens de répression du stationnement illégal.
On ne peut donc que déplorer que le Gouvernement n'ait pas jugé
utile de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale,
empêchant ainsi nos collègues députés de se
prononcer sur le dispositif issu des travaux du Sénat.
Il aura fallu attendre deux ans - presque jour pour jour - avant que
l'Assemblée nationale ne puisse adopter un nouveau dispositif, laissant
dans l'intervalle sans réponse les difficultés
occasionnées par les déplacements des gens du voyage.
Le récent congrès de l'Association des Maires de France s'est une
nouvelle fois fait l'écho des légitimes préoccupations des
élus locaux.
Le présent projet de loi tend à favoriser l'aménagement,
sur quelques années d'un nombre d'aires suffisant pour faire face aux
besoins, en imposant notamment aux communes un délai pour
réaliser les investissements nécessaires et en permettant
à l'Etat de se substituer à elles en cas de carence.
Parallèlement, il prévoit plusieurs dispositions destinées
à soutenir financièrement les communes dans la réalisation
et la gestion des aires d'accueil. Il renforce, enfin, les moyens juridiques
permettant de lutter contre les occupations illicites.
Avant de présenter l'économie du projet de loi et les
propositions de votre commission des Lois, le présent rapport
s'attachera à rappeler le cadre juridique dans lequel s'insère la
question du stationnement des gens du voyage en soulignant les limites du
dispositif en vigueur et rappellera les principales dispositions
adoptées par le Sénat dans le cadre de la proposition de loi
relative aux conditions de stationnement des gens du voyage.
I. L'ACCUEIL DES GENS DU VOYAGE : UNE QUESTION PERSISTANTE DANS UN TROP GRAND NOMBRE DE COMMUNES
Dans son
rapport (n° 283, 1996-1997) sur la proposition de loi relative aux
conditions de stationnement des gens du voyage, auquel il ne peut que renvoyer,
votre rapporteur a exposé de manière détaillée les
difficultés rencontrées par les communes face au stationnement
des gens du voyage et les limites du dispositif actuellement en vigueur.
Dans le cadre du présent rapport, il se bornera, en conséquence,
à rappeler les éléments essentiels permettant de bien
comprendre la nature des problèmes rencontrées par les communes,
en faisant état des données les plus récentes qui ont pu
être recensées.
A. UNE POPULATION DIVERSE
1. Le dénombrement des gens du voyage
Le
dénombrement
des gens du voyage constitue une
entreprise
difficile
: d'une part, la très grande diversité de
cette population rend délicate toute classification ; d'autre part, il
n'existe pas de terme permettant de définir de manière
indiscutable des catégories de personnes pouvant être
regardées comme des itinérants. Ainsi, le terme
"
nomade
" utilisé par la loi du 16 juillet 1912 a
disparu de la législation avec la loi du 3 janvier 1969.
Des indications ressortent néanmoins des statistiques officielles,
malheureusement assez anciennes, notamment le recensement spécial
réalisé en septembre 1960 et en mars 1961 et diverses
enquêtes périodiques effectuées par le ministère de
l'intérieur.
Le recensement de 1960-1961, qui avait pour objet de faire constater le nombre
de gens du voyage itinérants aux fins d'évaluer les
équipements nécessaires à leur accueil sur des terrains de
stationnement, avait permis de dénombrer
79 452
personnes dont
26 628
itinérants
(se déplaçant de façon permanente),
21 690
semi-sédentaires (voyageant une partie de l'année et
stabilisés l'autre partie sur le même site) et
31 134
sédentaires (considérés comme fixés localement
et ayant en principe cessé de voyager).
Les enquêtes réalisées par la suite par le ministère
de l'intérieur ont permis de recenser le nombre de possesseurs d'un
document administratif institué par la loi du 3 janvier 1969.
L'évaluation globale est de
140
000
personnes
auquel il faut ajouter notamment les moins de 16 ans (non titulaires de titres
de circulation), qui constituent 45% de la population nomade (près de 63
000 mineurs). L'estimation totale s'élève ainsi à plus
de
300 000
personnes.
Parmi les différentes catégories, on peut estimer qu'il existe
environ
70 000
itinérants,
70 000
semi-sédentaires
et
100 000
sédentaires.
Afin de favoriser la concertation entre les pouvoirs publics et les gens du
voyage, un
décret du 27 août 1999
qui a remplacé un
décret du 24 mars 1992
a créé une
commission nationale consultative des gens du voyage
qui est
présidée par le Premier Ministre.
2. Le statut
La
définition d'un
statut
particulier pour les non
sédentaires a résulté en premier lieu de la
loi du
16 juillet 1912
qui, d'une part, obligeait les commerçants
ambulants à déclarer leur activité à la
préfecture (
article premier
) et, d'autre part, astreignait les
forains à détenir un carnet d'identité (
article 2
).
Quant aux nomades, ils étaient définis " en creux "
comme les individus qui "
quelle que soit leur nationalité,
circulent en France sans domicile fixe et ne sont ni commerçants
ambulants, ni forains, même s'ils ont des ressources ou prétendent
exercer une profession
" (
article 3
). Ils devaient pour se
déplacer être titulaires d'un carnet anthropométrique
individuel visé dans chaque commune où ils s'arrêtaient.
Le régime juridique actuellement en vigueur pour la circulation des gens
du voyage résulte de la
loi n° 69-3 du 3 janvier
1969
qui distingue
trois catégories
:
- les commerçants ambulants, catégorie elle-même
scindée en deux selon que les
commerçants ambulants
possèdent ou non un domicile fixe (pour ceux qui ont leur domicile en
France ou une résidence fixe depuis plus de
six mois
, l'exercice
d'une activité ambulante hors du territoire de la commune où est
située leur habitation est subordonné à une
déclaration)
;
- les " caravaniers "
,
c'est-à-dire ceux qui ne
pratiquent pas d'activité ambulante, qui sont dépourvus de
domicile ou résidence fixes depuis plus de
six mois
et qui
logent, de façon permanente, dans un véhicule, une remorque ou un
abri mobile (lorsque ces personnes justifient de ressources
régulières leur assurant des conditions normales d'existence,
notamment par l'exercice d'une activité salariée, il leur est
remis un
livret de circulation
qui doit être visé à
des intervalles qui ne peuvent être inférieurs à
trois
mois
, par l'autorité administrative) ;
- les
nomades au sens du statut de 1912
, c'est-à-dire ceux qui
sont réputés ne disposer que de ressources aléatoires (ils
doivent être munis d'un
carnet de circulation
qui doit être
visé tous les
trois mois
-de quantième en
quantième- par l'autorité administrative).
Les comportements à l'égard du voyage ne sont pas
homogènes
. On peut estimer à
140 000
personnes le
nombre de gens du voyage itinérants ou semi-sédentaires utilisant
plus de
35 000
caravanes.
Les
grands pèlerinages
entraînent des déplacements
d'une ampleur particulière qui soulèvent des problèmes
spécifiques. Cette diversité de situations et de comportements
par rapport au voyage explique en partie les problèmes de stationnement.
En outre, certaines communes sont confrontées aux problèmes
très graves posés par l'irruption
massive
et
inopinée
de plusieurs centaines de caravanes sur des
sites
naturels
, ce qui se traduit par dégradations diverses de grande
ampleur et par un bilan financier très lourd, ne serait ce que pour
l'élimination des déchets.