B. LES INSUFFISANCES DU CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

1. Les dispositions prévues par l'article 28 de la loi du 31 mai 1990

Les conditions d'accueil spécifiques des gens du voyage sont régies par les dispositions de l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990, adoptée en lecture définitive par la seule Assemblée nationale.

Ce dispositif - qui est apparu circonstanciel et en partie inadapté -prévoit, pour la détermination de ces conditions d'accueil, l'élaboration d'un schéma départemental qui concerne à la fois le passage et le séjour, les conditions de scolarisation des enfants et celles d'exercice d'activités économiques par ces populations.

En outre, une obligation particulière est faite aux communes de plus de 5 000 habitants qui doivent prévoir les conditions de passage et de séjour des gens du voyage sur leur territoire, par la réservation de terrains aménagés à cet effet. Sous la condition de la réalisation de ces aires, le stationnement des gens du voyage peut être interdit sur le reste du territoire communal.

Le respect du droit de passage et de stationnement des gens du voyage était déjà assuré par la jurisprudence. Dans un arrêt Ville de Lille du 2 décembre 1983, le Conseil d'Etat avait ainsi considéré qu'un maire ne peut pas limiter " à 48 heures, sans possibilité de prolongation, autres que pour des raisons de santé exceptionnelles, le stationnement de ceux-ci sur le territoire de la commune " et interdire le stationnement " hors des emplacements fixés par les arrêtés contestés qui ne permettent l'accès que d'un très petit nombre de véhicules et sont dépourvus des aménagements indispensables, notamment sur le plan sanitaire ".

En outre, dans un arrêt du 25 mars 1988 (Ville de Lille c. comité de quartier rue de Bavai, rue de l'Est) le Conseil d'Etat avait favorisé la réalisation d'aires d'accueil, en considérant qu'un emplacement réservé pouvait être prévu dans le plan d'occupation des sols.

2. Une accélération récente de la procédure d'adoption des schémas départementaux

A la suite de la loi du 31 mai 1990, une circulaire interministérielle du 16 mars 1992 a donné des instructions aux préfets quant au contenu du schéma départemental, à son élaboration et à sa portée. Pour ce qui est de l 'élaboration du schéma, la circulaire fixe certains principes généraux, notamment : une élaboration conjointe par l'Etat et le département ; la participation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ; la participation d'un représentant du conseil régional et d'associations ; la conclusion du schéma par un arrêté conjoint du préfet et du président du conseil général ; la publication du schéma au recueil des actes administratifs de la préfecture, et du département, puis sa transmission aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale.

Pour ce qui est du contenu du schéma, la circulaire précise qu'il s'agit d'un " document constatant les besoins locaux d'accueil, prévoyant les structures nécessaires pouvant fonder les décisions des autorités responsables et leur servir de référence en vue d'une meilleure coordination des actions. ". Il doit notamment comprendre " une analyse des besoins de toute nature liés à l'accueil des gens du voyage dans le département, la présentation du dispositif de stationnement, d'accès aux services publics, notamment d'éducation et de formation ainsi que d'insertion économique. "

Une enquête a été menée auprès des préfets conformément à une circulaire du ministère de l'Intérieur du 21 août 1995 . A la date du 16 octobre 1995, quinze départements étaient dotés d'un schéma approuvé conjointement par le préfet et par le président du conseil général. Quatre départements étaient également pourvus d'un schéma mais signé par le seul préfet, le président du conseil général ayant décidé de ne pas endosser la responsabilité du document. Vingt et un départements, bien que non dotés d'un schéma, avaient néanmoins achevé les études préalables et arrêté un avant-projet. Les autres départements accusaient un retard dans l'élaboration des schémas.

Les données plus récentes mettent en évidence une accélération de la procédure d'adoption des schémas, plus de la moitié des départements de la France métropolitaine disposent désormais d'un schéma signé ( 19 par le préfet seul, 34 conjointement par le préfet et le président de conseil général). De 1995 à 1997, plus de 10 schémas ont été signés par an.

Ce constat confirme le bien fondé du choix du Sénat, en 1997, de ne pas remettre en cause les schémas existants en dépit du bilan mitigé qui pouvait être fait, à cette date.

3. Une mise en oeuvre limitée de l'obligation de créer des aires de stationnement

Dans le régime antérieur à la loi du 31 mai 1990, conformément à la jurisprudence administrative, chaque commune, quelle que soit sa taille et sa fréquentation par les gens du voyage, devait, faute de disposer d'une aire de stationnement aménagée, assurer le stationnement sur des terrains de passage officiellement désignés et bénéficiant d'un équipement minimum convenant à une halte d'une courte durée. Ce régime juridique est resté inchangé pour les communes de moins de 5 000 habitants.

Pour les communes de plus de 5 000 habitants, la loi du 31 mai 1990 fixe une obligation légale qui confirme et précise la jurisprudence administrative : les communes doivent prévoir les conditions d'accueil en ce qui concerne le passage (halte de courte durée) et le séjour ; l'accueil des gens du voyage doit être assuré par la réservation de terrains spécialement aménagés.

Diverses instructions ministérielles ou interministérielles ont été prises pour conseiller les maires dans le choix des emplacements et la réalisation des équipements, notamment des circulaires du 16 octobre 1991 et du 16 septembre 1992 . Une circulaire du 16 mars 1992 a, pour sa part, précisé que le plan d'occupation des sols doit organiser l'accueil des gens du voyage en respectant les diverses modalités d'accueil. L'établissement d'un règlement intérieur permet, par ailleurs, de fixer les obligations des gens du voyage, le montant des droits d'occupation et la durée du stationnement. La gestion de l'aire peut être assurée soit directement par la commune, soit par une association avec laquelle la commune a passé convention.

Pour le financement , une circulaire du 16 septembre 1992 précise que les apports financiers de l'Etat seront prioritairement affectés aux projets cohérents avec le schéma départemental : financement à hauteur de 35% des investissements par l'intermédiaire du chapitre 65-48 qui comprend des crédits déconcentrés en catégorie II et III du ministère de l'équipement.

Cet engagement financier de l'Etat s'est révélé trop faible.

Au total, le nombre d'aires d'accueil créées demeure insuffisant au regard des besoins, lesquels sont estimés à 30 000 places. Selon une enquête réalisée auprès de 98 départements mais dont les résultats ne sont pas exhaustifs, on estime à 12 000 le nombre d'emplacements réservés au stationnement des gens du voyage en 1998.

La moitié de ces 12 000 emplacements sont situés sur le territoire de communes de plus de 5 000 habitants.

Ces dernières, qui sont au nombre de 1 739, ont une obligation de créer des aires en vertu de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990. Seulement 450 d'entre elles avaient satisfait à cette obligation en 1997. Cependant, ces statistiques globales ne rendent pas compte de la grande diversité des réalités locales qui peut rendre plus efficace la création d'aires de stationnement sur le territoire de communes ayant une population inférieure à ce seuil.

Les aires de passage représentent, en 1998, environ 50% de ces aires.

Une enquête réalisée par le cabinet ARHOME en avril 1997 a pour sa part recensé seulement 4 085 emplacements répondant à un minimum de normes et pouvant être considérés comme aménagés et gérés.

4. Des moyens insuffisants pour faire cesser le stationnement illégal

En vertu des pouvoirs de police qu'il tient des articles L. 2212-2 (2°) et (3°) et L. 2213-2 (2°) du code général des collectivités territoriales, le maire peut réglementer les conditions de stationnement et de séjour des gens du voyage sur le territoire communal.

Néanmoins, dans les communes dotées d'une police d'Etat ( article L. 2214-4 ), le préfet est chargé de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que définies à l'article L. 2212-2 (2°) du code général des collectivités territoriales. De même, le préfet a la charge du bon ordre lorsque se produisent occasionnellement de grands rassemblements ( article L. 2214-4 ).

Comme l'a confirmé l'arrêt du Conseil d'Etat Ville de Lille du 2 décembre 1983, l'autorité de police générale peut réglementer les conditions de circulation et de séjour des nomades pour éviter qu'elles ne créent un danger pour la salubrité , la sécurité ou la tranquillité publique . Le maire a la faculté de limiter la durée du stationnement sur le territoire communal, aussi bien sur le terrain de passage que sur le reste du territoire communal si le stationnement y est toléré. Cette limitation est fonction des circonstances locales. Néanmoins, les mesures mises en oeuvre ne sauraient légalement comporter ni une interdiction totale de stationnement et de séjour, ni aboutir en fait à une impossibilité pour les nomades de stationner pendant le temps minimum qui leur est nécessaire. Conformément à la jurisprudence, une limitation inférieure à 48 heures ne peut être prononcée par le maire sauf cas d'absolue nécessité résultant de troubles graves à l'ordre public.

La jurisprudence antérieure à la loi du 31 mai 1990 autorisait, en revanche, les communes qui satisfaisaient à l'obligation d'accueil des gens du voyage par la mise à disposition d'un terrain aménagé à interdire le stationnement des nomades sur le reste du territoire communal.

La loi du 31 mai 1990 a confirmé cette faculté ainsi reconnue aux maires en l'étendant aux maires des communes qui participent, dans le cadre d'un programme intercommunal, à la réalisation d'aires d'accueil.

Enfin, il faut rappeler que le préfet -outre la situation particulière des villes à police d'Etat et le cas des voies à grande circulation- dispose de pouvoirs propres qu'il exerce pour l'ensemble du département.

Des dispositions spécifiques sont prévues par le code de l'urbanisme qui réglemente l'occupation de terrains, loués voire achetés, afin d'y implanter une caravane.

Son article R. 443-4 dispose, en effet, que " tout stationnement pendant plus de trois mois par an, consécutifs ou non, d'une caravane est subordonné à l'obtention par le propriétaire du terrain sur lequel elle est installée (...) d'une autorisation délivrée par l'autorité compétente ".

Toutefois, pour les caravanes qui constituent l'habitat permanent de leurs utilisateurs, l'autorisation n'est exigée que si le stationnement est continu . L'autorisation, délivrée par le maire ou par le préfet, selon que la commune est ou non dotée d'un plan d'occupation des sols approuvé, ne peut être accordée pour une durée supérieure à trois ans mais qui est renouvelable.

L'autorisation peut être subordonnée à des prescriptions spéciales, notamment si le mode d'occupation des sols est susceptible de porter atteinte à la salubrité , à la sécurité ou à la tranquillité publique ( article R. 443-10 ). En outre, lorsque sur un terrain, plus de six caravanes stationnent de façon habituelle, le propriétaire du terrain ou la personne en ayant la jouissance doit avoir obtenu l'autorisation de l'aménager conformément aux dispositions du code de l'urbanisme (article R. 443-7 ).

Lorsque les gens du voyage stationnent sur des terrains appartenant aux collectivités publiques, outre la mise en oeuvre du pouvoir de police municipale ci-dessus exposé, certaines dispositions du code de l'urbanisme permettent d'encadrer ce stationnement.

D'une part, le camping et le stationnement de caravanes sont interdits , de manière générale, dans certaines zones, telles que les rivages de la mer, les sites classés ou inscrits autour d'un monument historique, dans les zones de protection du patrimoine architectural ou urbain ou des monuments naturels et des sites ( article R. 443-9 ).

D'autre part, ils peuvent être interdits en dehors de terrains aménagés, après avis de la commission départementale d'action touristique, par arrêté du maire (ou du préfet dans les communes non dotées d'un plan d'occupation des sols approuvé). Cette interdiction n'est possible que pour des motifs limitativement énumérés par l'article R. 443-10 (atteinte à la réglementation de l'urbanisme notamment les dispositions du plan d'occupation des sols interdisant le stationnement des caravanes dans les zones concernées, l'atteinte à l'ordre public, aux paysages naturels et urbains, à la conservation des perspectives monumentales, à l'exercice d'activités forestières ou agricoles ou à la conservation des milieux naturels, de la faune ou de la flore).

L'inobservation des arrêtés de police en matière de stationnement des caravanes donne lieu à une sanction pénale de portée générale - contravention de première classe - prévue par l'article R.610-5 du Code pénal (amende de 30 à 250 francs ). Cette sanction peut sembler faiblement dissuasive sauf à se répéter.

La même sanction est encourue si la caravane est laissée en stationnement ininterrompu sur une dépendance du domaine public routier pendant une durée excédant sept jours , contrevenant ainsi aux dispositions de l'article R.37 du code de la route. L'occupation sans titre du domaine public routier constitue, en outre, car non conforme à la destination du domaine, une contravention de voirie sanctionnable par le juge pénal. De même, peuvent être mises en oeuvre les sanctions prévues par l'article R.233-1 du code de la route qui concerne le stationnement abusif, gênant ou dangereux au sens des articles R.37 et suivants du même code lequel sanctionne également l'entrave volontaire et caractérisée à la circulation publique qui constitue un délit ( article L. 7 ).

En revanche, les dispositions relatives à l'immobilisation et à la mise en fourrière des véhicules ne pourraient être appliquées à l'encontre d'une caravane servant à l'habitation, car une telle mesure serait contraire au principe d'inviolabilité du domicile.

Le non respect de la réglementation d'urbanisme fait également l'objet de sanctions pénales. L'article L. 480-4 du code de l'urbanisme prévoit que l'utilisation des sols en méconnaissance de cette réglementation peut être punie d'une amende (qui ne peut être inférieure à 8 000 francs ). En cas de récidive, outre cette peine d'amende, un emprisonnement de six mois peut être prononcé.

Même si la multiplication des procès verbaux peut inciter les contrevenants à quitter le territoire de la commune, il n'en est pas toujours ainsi. Aussi, existe-t-il certaines procédures judiciaires qui permettent d'ordonner le départ des gens du voyage occupant un terrain de manière illicite.

Le propriétaire du terrain occupé ou celui qui en a la jouissance, peut demander au juge l'expulsion de ceux qui y stationnent sans son autorisation. Le juge compétent est le juge judiciaire si le terrain appartient à une personne privée, s'il constitue une dépendance du domaine privé d'une collectivité publique ou s'il est situé sur le domaine public routier. En revanche, le tribunal administratif est compétent pour prononcer l'expulsion d'un occupant sans titre du domaine public non routier. En cas d'urgence, l'expulsion peut être recherchée par la procédure du référé devant la juridiction compétente au principal.

Conformément aux règles générales applicables à l'exécution des actes administratifs, l'autorité administrative ne peut, en revanche, assurer directement l'application de sa décision par la force, en dehors d'une décision de justice le prescrivant ou si l'urgence et la gravité du danger constaté le rendaient absolument indispensable. Le recours à l'exécution forcée en dehors de ces circonstances serait irrégulier et susceptible d'engager la responsabilité administrative .

Si des procédures juridictionnelles existent, leur mise en oeuvre requiert inévitablement des délais pendant lesquels la situation créée par un stationnement irrégulier de gens du voyage dans une commune ne peut que s'aggraver . Elles paraissent, en l'état, mal adaptées dans tous les cas où les contrevenants se déplacent d'un terrain à l'autre. En outre, lorsque les gens du voyage s'installent de façon irrégulière sur un terrain privé , le maire se trouve relativement démuni pour faire cesser cette situation alors même que la prolongation du stationnement non autorisé pourrait avoir des conséquences néfastes pour l'environnement local.

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