III. PRINCIPALES OBSERVATIONS

A. LA MODERNISATION DE LA GESTION DU MINISTÈRE N'AMÉLIORE NI SA TRANSPARENCE NI LA STRUCTURE DE SES COÛTS

1. Un ministère qui se prépare à l'application de la loi organique relative aux lois de finances

Le ministère de l'intérieur a suivi avec une grande attention l'élaboration de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001. Outre sa participation aux réunions interministérielles sur le sujet, il convient de rappeler que le ministre de l'intérieur, mais aussi la direction des affaires financières ainsi que le préfet de Rouen furent des interlocuteurs aux conseils précieux pour le Parlement au cours de la rédaction de notre nouvelle Constitution financière.

Cette participation n'est pas le fruit du hasard mais le résultat des deux expérimentations que réalise le ministère de l'intérieur et qui, sur bien des plans, préfiguraient le nouveau droit budgétaire français.

D'un point de vue comptable, le ministère a été désigné comme pilote pour mener le projet ACCORD, du nom de la nouvelle application de comptabilité en cours de développement dans les services de l'État. ACCORD renouvelle sur bien des points les systèmes comptables et rend notamment possible une ébauche de comptabilité analytique, ainsi qu'une comptabilité en droits constatés permettant de rattacher les charges et produits à l'exercice. Il paraît évident que cet outil sera au coeur de la nouvelle comptabilité publique qu'inaugure la loi organique du 1 er août 2001.

Parallèlement, le ministère mène depuis 2000 une expérience de globalisation des crédits des préfectures qui semble donner toute satisfaction 12( * ) , aux gestionnaires, aux personnels, aux services chargés du contrôle, mais aussi aux parlementaires qui y ont trouvé une source d'inspiration. Il y a là, de toute évidence, en miniature, un exemple de ce que pourrait être l'État si les ambitions manifestées lors de la réforme de l'ordonnance organique trouvent leur traduction concrète

Cependant, cela ne signifie pas que le ministère a fait tout le chemin nécessaire à sa préparation en vue de l'application de la nouvelle loi organique. Bien au contraire, il lui reste un travail très important à conduire, notamment s'agissant de la réflexion sur les indicateurs de performance, sur l'organisation des services, sur la connaissance des coûts. La Cour des comptes le relevait d'ailleurs s'agissant de la police nationale : « La mise en rapport entre les coûts calculés analytiquement et les résultats des politiques publiques de sécurité demandera encore des progrès considérables pour correspondre aux enjeux d'un droit budgétaire renouvelé » 13( * ) . Votre rapporteur spécial restera extrêmement attentif à la poursuite des progrès en la matière, tant la réforme de la procédure budgétaire conditionne celle de l'État.

2. Mais beaucoup de travail reste à faire sur la voie de la transparence

Malgré cette position privilégiée au regard de la nouvelle loi organique, malgré aussi des procédures de gestion performantes notamment pour la maîtrise des coûts de fonctionnement, le ministère de l'intérieur a encore beaucoup de progrès à réaliser pour parvenir à une transparence de sa gestion en accord avec les exigences de notre société. Si votre rapporteur spécial ne peut, une fois de plus, que constater avec plaisir que le ministère répond à son questionnaire, et que les services lui apportent avec disponibilité les éclaircissements qu'il demande, il ne peut cette année encore que formuler à nouveau plusieurs observations déjà faites par ses prédécesseurs.

La principale remarque porte sur le programme d'emploi des crédits (PEC). Ce document notifié aux services par le directeur du cabinet du ministre, voire le ministre lui-même, en début d'année, recense l'ensemble des moyens disponibles du ministère et les ventile par services : dotations ouvertes par la loi de finances initiale, reports de crédits, fonds de concours, produits des ventes des Domaines, transferts. De ce strict point de vue, il n'appelle aucune observation, et constitue même un outil efficace de pilotage de la gestion du ministère. Cependant, l'élaboration de ce PEC donne lieu à deux pratiques fortement contestables du point de vue de la transparence budgétaire et des droits de la représentation nationale. D'abord, le PEC conduit à demander en loi de finances initiale des dotations qui n'ont rien à voir avec les moyens réels des services. A cela le ministère ne peut rien et la réforme de la loi organique devra apporter des progrès en contraignant à une budgétisation initiale des ressources tirées des fonds de concours. Ensuite, la répartition entre articles d'un chapitre figurant au bleu ne recouvre qu'un caractère indicatif. Le ministère le reconnaît d'ailleurs avec une belle franchise à plusieurs reprises dans les réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial. L'exemple le plus symbolique réside dans l'absence de ventilation des moyens de fonctionnement de la police nationale. Sur ce point, le ministère porte seul la responsabilité de ce qui s'apparente à un obstacle au pouvoir de contrôle du Parlement. Enfin, cette pratique interdit de vérifier que les objectifs et priorités affichés par le ministère se traduisent concrètement dans la dotations budgétaires. Ainsi, à de multiples reprises, les réponses apportées au questionnaire apparaissent discordantes avec les dotations inscrites dans le bleu budgétaire 14( * ) . Là aussi, le ministère en est le seul responsable.

Parmi les autres sources d'obscurité persistent dans ce projet de budget, votre rapporteur spécial souhaite insister sur deux points :

• Le poids important des mises à disposition au profit d'autres entités que le ministère de l'intérieur, environ 10 % des effectifs de l'administration centrale, qui donnent une vision fausse des moyens effectifs du ministère ; si cette pratique peut se justifier pour certaines institutions nationales dépourvues d'emplois budgétaires, elle est extrêmement contestable pour une myriade de structures sociales et pour les services des rapatriés qui relève du ministère de la solidarité ; enfin, rien ne justifie l'absence de remboursement au ministère des rémunérations ainsi prises en charge ;

• La persistance de dettes du ministère qui n'apparaissent nulle part faute de comptabilité d'exercice : 3,96 millions d'euros à payer à l'Imprimerie nationale au 1 er septembre 2001 ; 1,83 millions d'euros pour le carburant des aéronefs de la sécurité civile à l'égard du ministère de la défense au 1 er janvier 2002 ; un contentieux avec France Télécom sur le réseau national d'alerte (au coût évalué à 530.000 euros par le ministère, et à 7,93 millions d'euros par France Télécom).
Enfin, la concentration des dépenses de pension dans le seul agrégat administration générale introduit un biais qu'il conviendra de résoudre dans le cadre de la prochaine loi organique, en tendant notamment vers leur ventilation au sein de chaque programme.

3. La structure des coûts du ministère illustre parfaitement les rigidités budgétaires de l'État

La structure des coûts du ministère illustre des tendances budgétaires contre lesquelles s'élève chaque année votre commission.

La première caractéristique de ce budget réside dans le poids extrêmement fort des dépenses de personnel. Alors qu'elles représentaient 80,7 % du total des moyens du ministère en 2001, elles en mobiliseront 81,7 % en 2002, pour s'élever à 7,48 milliards d'euros 15( * ) . Elle révèle une très grande rigidité des coûts du ministère, pour lequel chaque évolution de la valeur du point de la fonction publique se traduit par une hausse apparente de ses crédits sans conséquence sur l'efficacité de son action.

Corrélativement, on observe une chute des dépenses en capital. Les dépenses ordinaires représentent la quasi-totalité des moyens budgétaires affectés à la sécurité et à l'administration : 97,35 % contre 2,65 % pour les dépenses en capital. La baisse de la part des dépenses en capital s'accentue donc puisqu'elle était de 3,3 % en 2001 et de 3,5 % en 2000. Or les besoins d'investissement du ministère, eux, ne diminuent pas, comme en témoignent les urgences constatées en matière de sécurité civile, l'état (au regard des normes de sécurité notamment) des bâtiments de l'îlot Beauveau, la décrépitude de certains commissariats, les besoins des sous-préfectures, mais aussi les retards pris pour certaines applications informatiques et la livraison des hélicoptères de la sécurité civile.

Enfin, le poids des charges de pension ne fait que souligner que l'absence d'une réforme des retraites de la fonction publique constitue le principal risque budgétaire pour la France dans les années à venir, et qu'une plus grande transparence en la matière devient urgente. Votre rapporteur spécial se contentera de rapprocher les 122,5 millions d'euros supplémentaires accordés au ministère pour honorer ses charges de pensions et les 300 millions de crédits supplémentaires totaux, hors élections, obtenus en 2002. Là aussi, la création, par la nouvelle loi organique, d'un compte spécial propre aux charges de pension, introduit à l'initiative de votre commission, sera facteur de progrès. Il pourra aussi faciliter les comparaisons avec les autres régimes de retraite, notamment en ce qui concerne l'effort des cotisants.

B. LA SÉCURITÉ CIVILE RESTE ENCORE DANS L'ATTENTE DE SES RÉFORMES

Après un budget 2001 centré sur l'achat d'hélicoptères non livrés et des mesures catégorielles, le budget 2002 de la sécurité civile apparaît comme celui de l'immobilisme et de l'impréparation. Cela contraste fortement avec la succession des événements ayant, depuis deux ans, mis la sécurité civile sous les feux de l'actualité : tempêtes, inondations, naufrages de bateaux transportant des matières polluantes, évacuation d'urgence des populations à proximité de sites de stockage de munitions, explosion de l'usine de Toulouse s'ajoutent la litanie des surfaces boisées brûlées le plus souvent suite à des actes de malveillance. À côté de ces drames, bien souvent circonscrits par des actions courageuses de personnes n'hésitant pas à mettre leur vie en danger, et succombant parfois victimes du devoir, certains dossiers n'évoluent pas d'un pouce, comme celui des services d'incendie et de secours. Les missions interministérielles et les rapports se sont succédés, accumulant les constats de dysfonctionnements et les propositions pour y remédier.

Pour toute réponse, ne changeant rien à ses propos d'il y a un an, le ministre annonce le dépôt d'un projet de loi au début de l'année prochaine, le Premier ministre parlant quant à lui de la fin de cette année, mais l'un comme l'autre étant muets sur les perspectives de son examen par le Parlement.

Parallèlement à cet immobilisme en matière de réforme d'organisation et de mode de fonctionnement, qui sera un jour qualifié de coupable, les problèmes dénoncés depuis des années persistent.

Lors de la discussion budgétaire pour 2001, le gouvernement se glorifiait de la livraison des hélicoptères BK 117. Ils ont depuis changé de nom, mais aucun n'a été livré et ne le sera avant avril 2002.

En matière de déminage, les évacuations de 2001 ont révélé les carences budgétaires des années passées mais aussi les défauts d'organisation. Seul le dévouement exemplaire des personnels en charge du déminage permet à la France d'éviter des drames. Or, le projet de loi de finances n'apporte aucune réponse, « le niveau de crédits ne permettra pas de couvrir l'ensemble des besoins », de l'aveu même du ministère dans sa réponse à votre rapporteur spécial, alors que certains de ces besoins sont urgents, notamment en matière de stockage des munitions.

D'autres problèmes ponctuels demeurent, comme celui de l'accumulation des heures de récupération non prises par les pilotes, situation inacceptable et que viendra aggraver la discussion sur l'aménagement et la réduction du temps de travail. De même, l'âge de la flotte reste dans l'ensemble préoccupant.

C. LE BUDGET DE LA POLICE NATIONALE RÉVÈLE LE DÉCALAGE ENTRE LES DISCOURS DU MINISTRE ET LA RÉALITÉ

Tous les partis politiques, même ceux qui gèrent le pays depuis près de cinq ans, reconnaissant que le développement de la violence dans notre pays à atteint un niveau insupportable. Cette violence n'est pas une statistique que l'on commente comme semble le croire le ministre de l'intérieur. Elle est une réalité. Ainsi, la sécurité constitue aujourd'hui la première préoccupation de nos concitoyens. Le gouvernement répond qu'il la place au premier rang de ses priorités avec la lutte contre le chômage. Votre rapporteur spécial examinera les actions réalisées et les projets budgétaires pour 2002 en adoptant ce prisme : le gouvernement réussit-il là où il donne la priorité ?

1. Les malaises

a) L'insécurité croissante

Le constat de la croissance de l'insécurité n'est plus à faire 16( * ) . Les journaux en font leur une, tandis que la presse internationale s'empare aussi du sujet 17( * ) . Mais, plus grave, les citoyens vivent avec et ne le supportent plus. Ils n'acceptent pas non plus ces zones où les policiers n'entrent qu'en nombre important ou en voiture banalisée - qui ne le reste d'ailleurs pas longtemps - où les pompiers n'interviennent que protégés, et où même les médecins hésitent à aller.

Évolution des faits constatés (en millions)



Les caractéristiques de cette croissance de la délinquance, ininterrompue depuis 1997 sont connues. Elle est de plus le fait de jeunes délinquants ( la part des mineurs dans les vols est ainsi passée de 30 à 33 % depuis 1997), de plus en plus violents. Ils craignent de moins en moins tôt d'être interpellés. Ils risquent au plus un rappel à la loi qui leur paraîtra plus cocasse qu'il ne les fera réfléchir. Parallèlement à cette hausse de la délinquance, l'efficacité des services de police diminue comme le montre la baisse du taux d'élucidation passé de 29,5 % en 1997 à 26,8 % en 2000.

Le ministère met en avant pour expliquer ces statistiques l'existence de deux biais statistiques : le succès de la police de proximité, la plus grande présence policière se traduisant par davantage de dépôt de plaintes ; le développement des infractions liées à la téléphonie mobile. Aucun de ces arguments n'est réellement convaincant. S'agissant du premier, la progression équivalente des faits constatés dans les zones gendarmerie, non concernées par la réforme de la police, confirme que la tendance observée n'est pas simplement due aux effets de la statistique. S'agissant du second, votre rapporteur spécial n'insistera pas sur son caractère pour le moins étrange, qui semblerait laisser penser qu'à partir du moment où on offre des objets à voler il serait normal qu'ils le soient.

Au contraire, il apparaît de plus en plus évident que l'appareil statistique français sous-estime la réalité de la délinquance 18( * ) . L'étude du professeur Jean-Paul Grémy du CNRS pour l'IHESI indique par exemple que les chiffres de la délinquance constatée représenteraient pour 1997 et 1998 entre 43 et 61 % des cambriolages et tentatives de cambriolages, entre 74 et 100 % des vols et tentatives de vols de véhicules à moteur ; entre 28 % et 32 % des vols et tentatives de vols à la roulotte ; entre 31 et 37 % des vols sans violence.

Enfin il faut constater que la délinquance n'a jamais été aussi élevée alors que la croissance n'a jamais été aussi bonne, le chômage aussi bas et la protection sociale aussi développée. Ce simple rapprochement conduit à écarter toute explication de l'insécurité par le contexte économique.

b) La motivation des personnels

Dans ces conditions, il paraît important de se pencher sur la motivation et les conditions de travail des fonctionnaires de police. Ceux-ci accomplissent leur métier avec un remarquable sens du devoir et, le plus souvent, avec passion. Cependant, la police nationale voit se succéder les réformes d'importance, toujours annoncées avec force, rarement menée à terme, toutes sources de bouleversements et de changements, dont la reproduction génère plus de déceptions qu'elle ne fait avancer les choses.

Votre rapporteur spécial est convaincu de l'existence, et du développement, d'un profond malaise dans la police. Les manifestations du mois de novembre de fonctionnaires de police en sont une des expressions. Les policiers ne se sentent pas reconnus pour leur travail. Ils font face à des situations de plus difficiles et violentes. Toujours plus de policiers sont tués ou blessés en service. La loi sur la présomption d'innocence est venue alourdir les tâches, complexifier les rapports avec la justice, et réduire le service apporté aux citoyens. Enfin, les charges de service supplémentaires pleuvent sur les fonctionnaires, par exemple avec le passage à l'euro ou Vigipirate. Ils n'ont pas l'impression d'être la « priorité du gouvernement ».

Lors de déplacements aux côtés de policiers travaillant dans les banlieues, votre rapporteur spécial a pu constater de lui-même chacun de ces points. Il ne peut que saluer les fonctionnaires conservant l'envie d'effectuer avec conscience leur tâche dans un environnement particulièrement difficile, dans des locaux insalubres (commissariat de Bobigny) ou mal conçus (commissariat de Stains), constatant que, faute de réponses rapides et efficaces de la justice, leurs efforts sont réduits à néant.

Plus que jamais, il convient de s'interroger sur l'effet de notre procédure pénale sur le travail des policiers, obligés de boucler des procédures en une heure ou de multiplier les actes. De même, rarement l'incompréhension entre policiers et juges n'aura été aussi vive et le fossé les séparant aussi grand. Comment les policiers ne s'interrogeraient-ils pas quand ils constatent d'un côté les progrès de la délinquance, de l'autre les contraintes supplémentaires qui leur sont imposées en termes de procédure. Comment ne pas se sentir découragé quand l'interpellé est relâché presque immédiatement même en cas de récidive, ou quand la procédure est annulée pour une erreur matérielle commise après plusieurs heures de service.

2. Une priorité budgétaire ?

a) Juger comme telle la priorité du gouvernement
(1) Une priorité à relativiser dans les chiffres

La lecture attentive du projet de loi de finances pour 2002 conduit à relativiser les annonces du gouvernement faisant de la sécurité une priorité budgétaire. La lecture de la répartition des crédits entre les différents agrégats du ministère de l'intérieur, en en ôtant les dépenses d'élections, laisse dubitatif sur l'affirmation selon laquelle la police nationale est la priorité du gouvernement et du ministère. Ainsi, alors que la part des crédits de l'agrégat polie nationale diminue relativement au budget du ministère, passant de 55,1% à 55,02 %. Quand on enlève les effets de structure liés aux élections, cette part passe de 54,6 % en 2000, à 54 % en 2001, et 53,5 % en 2002.

Alors que la police rassemblait 78,5 % des effectifs du budget de l'intérieur en 2001, elle n'en occupera plus que 77,9 % en 2002. De même, la part des moyens de fonctionnement dans ceux de l'ensemble du ministère diminue, passant de 50,35 à 50 %.

Quant à la part du budget de la police dans la richesse nationale, elle sera passée de 0,34 % à 0,33 % entre 1997 et 2002.

Enfin, du strict point de vue des moyens supplémentaires effectivement octroyés, les 87 millions d'euros ne représentent que les deux tiers de ce que le ministère recevra en plus pour les dépenses de pension. En effet, quand on enlève le poids des mesures générales, la hausse des crédits de la police n'est que 138 millions d'euros. Et quand on y soustrait les économies réalisées par la police nationale elle-même, la hausse nette n'est alors plus que de 87 millions d'euros. La véritable marge de manoeuvre nouvelle du ministère s'élève donc à 87 millions d'euros. Il convient de rappeler qu'avaient été accordés en 2001 hors transferts 85,7 millions d'euros supplémentaires. Quant à l'effort en faveur du fonctionnement, il apparaît faible : + 0,7 %.

Il ne faut pas non plus oublier que le passage à l'euro et le plan Vigipirate seront facteurs de coûts. La direction générale de la police nationale évaluait le premier à environ 40 millions d'euros. Quant au second, il est délicat à chiffrer 19( * ) .

(2) Une priorité à examiner au regard de ses résultats

Il convient d'apprécier l'efficacité de ce l'affichage gouvernemental. Or on constate simultanément une hausse des crédits affectés à la police, certes inférieure aux annonces mais réelle, et donc prélevés sur les Français, et une baisse du service rendu. Le bilan est donc inversement proportionnel aux ambitions.

b) La police de proximité

La police de proximité se voulait une police plus visible, plus à l'écoute des citoyens, plus efficace. Est-ce vraiment le cas ?

Pour vérifier cela, votre rapporteur spécial avait demandé dans son questionnaire budgétaire la communication de plusieurs rapports réalisés par les inspections générales, et notamment les quatre études de l'inspection générale de la police nationale. Il les attend toujours 20( * ) . Or il semble d'après les extraits qui ont pu paraître dans la presse que le bilan n'est pas à la hauteur des espoirs. Il y a ainsi une contradiction entre la hausse de l'accueil du public et la hausse et la présence accrue de la police sur la voie publique. La polyvalence pose problème : un policier polyvalent saura-t-il par exemple assez bien mener une procédure de plus en plus complexe pour éviter l'annulation prononcée par un juge ? Les fonctionnaires perdent leurs repères, se sentent un peu isolés. Les moyens ne suivent pas toujours.

De ce point de vue, votre rapporteur spécial déplore avec force l'impossibilité qu'il y a pour la représentation nationale à pouvoir évaluer le coût réel de la police de proximité. La Cour des comptes le relève ainsi : aucun moyen de distinguer les coûts supplémentaires de la réforme et les éventuelles économies ; la réforme se fait sans que soit menée conjointement une responsabilisation budgétaire des services ; il n'y a pas de distinction entre besoins habituels non couverts et besoins nouveaux liés à la seule réforme ; pas de schéma directeur immobilier tirant les conséquences de la réforme 21( * ) . Ainsi, il est impossible d'évaluer l'état des « piliers de la réforme », l'emploi, les moyens de fonctionnement et l'informatique.

3. Le problème des effectifs

Les débats en matière de police se concentrent habituellement, outre la délinquance, sur la question des effectifs. La controverse est d'autant plus aisée qu'il est toujours légitime d'adopter tel ou tel concept : parle-t-on des emplois budgétaires, des emplois réels, des adjoints de sécurité, des surnombres, chaque point de vue se défend. Votre rapporteur spécial n'entrera donc pas dans une polémique stérile, préférant se contenter d'examiner l'évolution future des effectifs de police.

Or, de ce point de vue, force est de constater que l'aménagement et la réduction du temps de travail (les « 35 heures ») font peser un risque majeur sur la disponibilité des forces de police. Comment, comme l'affirme le ministre de l'intérieur, concilier les impératifs de respect de la loi, de maintien des capacités opérationnelles, de satisfaction des attentes des agents, de poursuite de l'extension de la police de proximité ? A vrai dire, nul ne peut apporter la réponse satisfaisante à cette question. De même que personne ne peut démentir que, pour éviter qu'une baisse de 10 % de la durée du travail ne se traduise par une baisse de 10 % de la présence policière sur le terrain (soit de l'ordre de 14 à 15.000 fonctionnaires de police), il faudra soit recruter bien au-delà des 3.000 créations de postes prévues pour 2002, soit acheter le temps de travail des policiers par le biais de repos et d'indemnités, soit utiliser les deux solutions. Votre rapporteur spécial rappellera aussi d'une part que le discours officiel du gouvernement est d'indiquer que le passage aux 35 heures se fera sans créations d'emplois dans la fonction publique, d'autre part que le basculement d'une circonscription de police dans le mécanisme de la police de proximité se traduit par une hausse de 10 % des besoins en hommes.

Ainsi, les 35 heures se traduiront nécessairement par une réduction de la capacité opérationnelle des forces de police et par l'accumulation des heures supplémentaires. Il ne peut en être autrement.

Par ailleurs, même si tous les fonctionnaires au temps de travail ainsi allégé étaient remplacés en 2002, il faudrait tenir compte des délais nécessaires à leur recrutement, entre l'ouverture d'un concours et le recrutement effectif, et à leur formation, un an pour un gardien de la paix par exemple.

De même, votre rapporteur spécial ne peut que relever l'incertitude entourant le discours du ministre : les policiers supplémentaires serviront-ils à la police de proximité ou bien à la compensation des 35 heures ? 3.000 créations d'emplois ne pourront en tout cas servir aux deux.

Enfin toujours du point de vue des effectifs, de nombreuses critiques formulées chaque année restent valables. La répartition des effectifs sur le territoire, par mission et par service continue à faire débat. Ainsi, la cour des comptes relève que seulement 39 % des effectifs de la direction des renseignements généraux travaillent sur les violences urbaines dans les 26 départements sensibles 22( * ) . Les adjoints de sécurité continuent à faire l'objet de débats : le fait qu'ils ne soient pas considérés comme emplois budgétaires est d'autant plus anormal que personne ne songe sérieusement faire fonctionner les services de police sans eux ; on ne sait pas combien d'adjoints de sécurité sont effectivement en poste ; il ne faut pas oublier que, de même qu'un apprenti demande du temps de la part des artisans pour être formé, ces adjoints mobilisent des ressources humaines pour compenser la faible durée de leur formation. De même, votre rapporteur ne peut que renouveler les observations sur la pratique des surnombres (passés de 234 en 1998 à 2.162 aujourd'hui) ou sur le maintien de personnes rémunérées sur crédits de fonctionnement 23( * ) . Le rapport entre emplois administratifs et personnels actifs se détériorera en 2002, quel que soit le mode de calcul employé, et reste bien en deçà des moyennes européennes. Enfin, l'accumulation des heures supplémentaires, non payées et donc récupérées en fin de carrière pose de vrais problèmes. Cela a trois conséquences : des départs anticipés de policiers en fin de carrière donc au traitement plus élevé que lors de la constitution des heures supplémentaires dues ; l'absence de remplacement des agents partis ainsi prématurément faute de support budgétaire pour le faire. ; une déconnexion croissante entre le travail fourni et la rémunération mensuelle, qui tend à décourager l'effort. Ainsi, au 31 décembre 2000, il y avait plus de 8,18 millions d'heures supplémentaires ni payées ni récupérées, soit un coût budgétaire d'environ 85 millions d'euros. Pour les agents du corps de maîtrise et d'application, les heures non prises étaient d'environ 108 heures par agent ; pour les officiers, elles passent à 114 heurs par agent. A la préfecture de police de Paris, elles atteignent 159 heures par agent de ces deux corps. Or le passage aux 35 heures se traduira justement par des heures supplémentaires et un compte épargne temps...

Ainsi, on peut affirmer quant au nombre d'emplois que les motifs de critiques restent nombreux.

4. Les points d'ombre persistants

a) Les obscurités budgétaires

Le budget de la police nationale pratique lui aussi l'obscurité budgétaire.

La Cour des comptes insiste sur l'absence de connaissance, par le ministère lui-même, de ses coûts 24( * ) : emplois budgétaires présentés par corps et grade sans indication de leur répartition par service ou de leur localisation ; dépenses de fonctionnement ventilées de manière organique indicative ; coût complet de certains services non communiqués au Parlement, comme celui de la préfecture de police de Paris ; absence de coïncidence entre les missions opérationnelles, les services chargés de les exercer et les budgets de fonctionnement.

S'agissant du budget de fonctionnement, l'absence de détail de la ventilation des différentes mesures rend impossible l'appréciation concrète des mesures nouvelles décidées en faveur des moyens de fonctionnement par service, mais aussi par type de dépenses. Par exemple, il serait intéressant de savoir combien de gilets pare-balles seront acquis - il ne faudrait d'ailleurs pas que les fonctionnaires les portant soient désignés comme des cibles. De même, il serait utile de savoir si le ministère compte acquérir des herses pour bloquer les passages de voitures et éviter ainsi des fuites de véhicules quel es policiers n'ont souvent pas les moyens - et parfois les consignes - de poursuivre, avec les conséquences que l'on peut imaginer sur leur état d'esprit. Dans sa réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial, le ministère indique : « quant à la répartition par article, elle sera établie en fonction des dialogues de gestion entamés avec les directions centrales et secrétariats généraux pour l'administration de la police durant le mois de novembre ; la direction de l'administration de la police nationale proposera alors un programme d'emploi des crédits au vu des spécificités particulières des grands services de police et des directives ministérielles ». D'après la note de présentation du budget du ministère, « outre la mise en oeuvre de la troisième phase de la police de proximité, [la hausse des crédits de fonctionnement] permettra également de consolider au niveau nécessaire les dotations de renouvellement des véhicules et les moyens de fonctionnement des services et de prendre en compte les dépenses nouvelles inéluctables résultant de la prise à bail de surfaces nouvelles (+ 3,8 millions d'euros) et de l'augmentation de la contribution de la France à l'organisation Europol qui progresse de 2,3 millions d'euros. » Votre rapporteur spécial ne peut que condamner fermement cette pratique qui prive la représentation nationale des informations lui permettant de vérifier les affirmations du ministre et d'exercer son vote de manière éclairée.

De même, votre rapporteur spécial ne peut pas savoir si la dotation demandée en informatique de police correspond effectivement aux besoins, ni la manière dont elle sera ventilée entre les articles. Il existe d'ailleurs une discordance entre la réponse au questionnaire sur les besoins en la matière et l'inscription budgétaire... L'examen détaillé des différents projets évoqués par le ministère fait aussi apparaître des besoins bien supérieurs aux crédits, dont votre rapporteur spécial n'a pas les moyens d'indiquer comment ils seront financés.

La mise en place du réseau Acropol semble quant à elle se dérouler dans des conditions difficiles, en tous cas plus délicates que prévues, notamment en raison de problèmes techniques. Malgré cela, le ministère conserve inchangé son objectif d'achèvement des travaux.

D'autres remarques traditionnelles restent d'actualité pour 2002. Ainsi de l'âge des véhicules, la réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial étant éclatante de franchise : « durant les dernières années, à partir de 1994, l'insuffisance répétée des crédits consacrés au renouvellement automobile a eu pour conséquence de retarder ce dernier, entraînant un vieillissement du parc. Ce vieillissement induit une augmentation du coût d'entretien et de réparation ainsi que du taux d'indisponibilité des véhicules ». En 2001, 30 % du parc ont dépassé leurs critères de réforme ; parmi eux, la moitié n'a pu être renouvelée. En matière de véhicules de maintien de l'ordre, le retard de renouvellement atteint 33,5 millions d'euros.

Enfin, plusieurs mouvements budgétaires restent à éclaircir comme les crédits destinés aux syndicats de police en 2002. Est-ce que la subvention aux autres syndicats du ministère est équivalente ? Qu'est ce qui justifie un traitement privilégié des syndicats de policiers par rapport à ceux des autres corps. Il y a là un champ d'investigation pour le contrôle.

b) Les silences

Le budget reste enfin muet sur des thèmes d'actualité d'importance, qui ne sont pas seulement évoqués dans les documents budgétaires ou dans les notes de présentation. Ainsi, on voit mal comment les contrats locaux de sécurité pourront continuer à se développer et, surtout, être respectés, entre les contraintes de la police de proximité et celles des 35 heures. De même, aucune indication n'est donnée sur la nécessaire coordination avec les services de la gendarmerie, qui font eux aussi l'objet de tensions vives, et des douanes.

Surtout, le silence le plus étonnant concerne le nouveau contexte. Si le projet de loi de finances pour 2002 a été préparé avant les événements de septembre 2001, il n'en reste pas moins que l'on ne peut plus raisonner dans le même cadre. Or à l'Assemblée nationale, lors de l'examen des crédits du ministère de l'intérieur, aucun amendement n'a été apporté pour tenir compte des conséquences de la situation terroriste actuelle. Il y a là au moins motif à étonnement.

*

« En conclusion, nous ne pouvons pas considérer qu'il s'agit d'un bon budget dans l'absolu » indiquait notre collègue député Tony Dreyfus, rapporteur spécial pour la sécurité de la commission de finances de l'Assemblée nationale, le 12 novembre 2001 25( * ) .

Priorité affichée du gouvernement, le budget de l'intérieur illustre parfaitement les erreurs de sa politique budgétaire :

• Des dépenses en capital qui s'effondrent ;

• Des frais de personnel qui explosent ;

• Des charges de pension qui obèrent toutes les marges de manoeuvre ;

• Une transparence budgétaire qui n'est qu'affichage ;

• Une absence d'anticipation des 35 heures, dont l'application se traduit par une hausse des dépenses publiques et un moindre service aux Français puisque malgré les créations de postes le nombre d'heures travaillées de policiers diminuera ; un décalage entre ce que l'État demande au privé pour les 35 heures - pas d'heures supplémentaires - et ce qu'il fait - acheter la réduction du temps de travail ;

• Une absence de réactivité puisque deux ans après les tempêtes, rien n'est encore fait sur la sécurité civile. L'urgence prévaut comme pour le déminage ;

• Une efficacité discutable des surcroîts d'argent public distribués puisque la délinquance augmente ;

• L'incidence sur le budget des efforts pour lutter contre le terrorisme avec la coordination internationale que cela induit n'apparaît pas.