III. PRINCIPALES OBSERVATIONS
A. LA MODERNISATION DE LA GESTION DU MINISTÈRE N'AMÉLIORE NI SA TRANSPARENCE NI LA STRUCTURE DE SES COÛTS
1. Un ministère qui se prépare à l'application de la loi organique relative aux lois de finances
Le
ministère de l'intérieur a suivi avec une grande attention
l'élaboration de la loi organique relative aux lois de finances du
1
er
août 2001. Outre sa participation aux réunions
interministérielles sur le sujet, il convient de rappeler que le
ministre de l'intérieur, mais aussi la direction des affaires
financières ainsi que le préfet de Rouen furent des
interlocuteurs aux conseils précieux pour le Parlement au cours de la
rédaction de notre nouvelle Constitution financière.
Cette participation n'est pas le fruit du hasard mais le résultat des
deux expérimentations que réalise le ministère de
l'intérieur et qui, sur bien des plans, préfiguraient le nouveau
droit budgétaire français.
D'un point de vue comptable, le ministère a été
désigné comme pilote pour mener le projet ACCORD, du nom de la
nouvelle application de comptabilité en cours de développement
dans les services de l'État. ACCORD renouvelle sur bien des points les
systèmes comptables et rend notamment possible une ébauche de
comptabilité analytique, ainsi qu'une comptabilité en droits
constatés permettant de rattacher les charges et produits à
l'exercice. Il paraît évident que cet outil sera au coeur de la
nouvelle comptabilité publique qu'inaugure la loi organique du
1
er
août 2001.
Parallèlement, le ministère mène depuis 2000 une
expérience de globalisation des crédits des préfectures
qui semble donner toute satisfaction
12(
*
)
, aux gestionnaires, aux personnels,
aux services chargés du contrôle, mais aussi aux parlementaires
qui y ont trouvé une source d'inspiration. Il y a là, de toute
évidence, en miniature, un exemple de ce que pourrait être
l'État si les ambitions manifestées lors de la réforme de
l'ordonnance organique trouvent leur traduction concrète
Cependant, cela ne signifie pas que le ministère a fait tout le chemin
nécessaire à sa préparation en vue de l'application de la
nouvelle loi organique. Bien au contraire, il lui reste un travail très
important à conduire, notamment s'agissant de la réflexion sur
les indicateurs de performance, sur l'organisation des services, sur la
connaissance des coûts. La Cour des comptes le relevait d'ailleurs
s'agissant de la police nationale : «
La mise en rapport
entre les coûts calculés analytiquement et les résultats
des politiques publiques de sécurité demandera encore des
progrès considérables pour correspondre aux enjeux d'un droit
budgétaire renouvelé
»
13(
*
)
. Votre rapporteur spécial
restera extrêmement attentif à la poursuite des progrès en
la matière, tant la réforme de la procédure
budgétaire conditionne celle de l'État.
2. Mais beaucoup de travail reste à faire sur la voie de la transparence
Malgré cette position privilégiée au
regard de
la nouvelle loi organique, malgré aussi des procédures de gestion
performantes notamment pour la maîtrise des coûts de
fonctionnement, le ministère de l'intérieur a encore beaucoup de
progrès à réaliser pour parvenir à une transparence
de sa gestion en accord avec les exigences de notre société. Si
votre rapporteur spécial ne peut, une fois de plus, que constater avec
plaisir que le ministère répond à son questionnaire, et
que les services lui apportent avec disponibilité les
éclaircissements qu'il demande, il ne peut cette année encore que
formuler à nouveau plusieurs observations déjà faites par
ses prédécesseurs.
La principale remarque porte sur le programme d'emploi des crédits
(PEC). Ce document notifié aux services par le directeur du cabinet du
ministre, voire le ministre lui-même, en début d'année,
recense l'ensemble des moyens disponibles du ministère et les ventile
par services : dotations ouvertes par la loi de finances initiale, reports
de crédits, fonds de concours, produits des ventes des Domaines,
transferts. De ce strict point de vue, il n'appelle aucune observation, et
constitue même un outil efficace de pilotage de la gestion du
ministère. Cependant, l'élaboration de ce PEC donne lieu à
deux pratiques fortement contestables du point de vue de la transparence
budgétaire et des droits de la représentation nationale. D'abord,
le PEC conduit à demander en loi de finances initiale des dotations qui
n'ont rien à voir avec les moyens réels des services. A cela le
ministère ne peut rien et la réforme de la loi organique devra
apporter des progrès en contraignant à une budgétisation
initiale des ressources tirées des fonds de concours. Ensuite, la
répartition entre articles d'un chapitre figurant au bleu ne recouvre
qu'un caractère indicatif. Le ministère le reconnaît
d'ailleurs avec une belle franchise à plusieurs reprises dans les
réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial. L'exemple
le plus symbolique réside dans l'absence de ventilation des moyens de
fonctionnement de la police nationale. Sur ce point, le ministère porte
seul la responsabilité de ce qui s'apparente à un obstacle au
pouvoir de contrôle du Parlement. Enfin, cette pratique interdit de
vérifier que les objectifs et priorités affichés par le
ministère se traduisent concrètement dans la dotations
budgétaires. Ainsi, à de multiples reprises, les réponses
apportées au questionnaire apparaissent discordantes avec les dotations
inscrites dans le bleu budgétaire
14(
*
)
. Là aussi, le ministère
en est le seul responsable.
Parmi les autres sources d'obscurité persistent dans ce projet de
budget, votre rapporteur spécial souhaite insister sur deux
points :
-
• Le poids important des mises à disposition au profit d'autres
entités que le ministère de l'intérieur, environ 10 % des
effectifs de l'administration centrale, qui donnent une vision fausse des
moyens effectifs du ministère ; si cette pratique peut se justifier
pour certaines institutions nationales dépourvues d'emplois
budgétaires, elle est extrêmement contestable pour une myriade de
structures sociales et pour les services des rapatriés qui relève
du ministère de la solidarité ; enfin, rien ne justifie
l'absence de remboursement au ministère des rémunérations
ainsi prises en charge ;
• La persistance de dettes du ministère qui n'apparaissent nulle part faute de comptabilité d'exercice : 3,96 millions d'euros à payer à l'Imprimerie nationale au 1 er septembre 2001 ; 1,83 millions d'euros pour le carburant des aéronefs de la sécurité civile à l'égard du ministère de la défense au 1 er janvier 2002 ; un contentieux avec France Télécom sur le réseau national d'alerte (au coût évalué à 530.000 euros par le ministère, et à 7,93 millions d'euros par France Télécom).
3. La structure des coûts du ministère illustre parfaitement les rigidités budgétaires de l'État
La
structure des coûts du ministère illustre des tendances
budgétaires contre lesquelles s'élève chaque année
votre commission.
La première caractéristique de ce budget réside dans le
poids extrêmement fort des dépenses de personnel. Alors qu'elles
représentaient 80,7 % du total des moyens du ministère en
2001, elles en mobiliseront 81,7 % en 2002, pour s'élever à
7,48 milliards d'euros
15(
*
)
. Elle
révèle une très grande rigidité des coûts du
ministère, pour lequel chaque évolution de la valeur du point de
la fonction publique se traduit par une hausse apparente de ses crédits
sans conséquence sur l'efficacité de son action.
Corrélativement, on observe une chute des dépenses en capital.
Les dépenses ordinaires représentent la quasi-totalité des
moyens budgétaires affectés à la sécurité et
à l'administration : 97,35 % contre 2,65 % pour les dépenses
en capital. La baisse de la part des dépenses en capital s'accentue donc
puisqu'elle était de 3,3 % en 2001 et de 3,5 % en 2000. Or les besoins
d'investissement du ministère, eux, ne diminuent pas, comme en
témoignent les urgences constatées en matière de
sécurité civile, l'état (au regard des normes de
sécurité notamment) des bâtiments de l'îlot Beauveau,
la décrépitude de certains commissariats, les besoins des
sous-préfectures, mais aussi les retards pris pour certaines
applications informatiques et la livraison des hélicoptères de la
sécurité civile.
Enfin, le poids des charges de pension ne fait que souligner que l'absence
d'une réforme des retraites de la fonction publique constitue le
principal risque budgétaire pour la France dans les années
à venir, et qu'une plus grande transparence en la matière devient
urgente. Votre rapporteur spécial se contentera de rapprocher les 122,5
millions d'euros supplémentaires accordés au ministère
pour honorer ses charges de pensions et les 300 millions de crédits
supplémentaires totaux, hors élections, obtenus en 2002.
Là aussi, la création, par la nouvelle loi organique, d'un compte
spécial propre aux charges de pension, introduit à l'initiative
de votre commission, sera facteur de progrès. Il pourra aussi faciliter
les comparaisons avec les autres régimes de retraite, notamment en ce
qui concerne l'effort des cotisants.
B. LA SÉCURITÉ CIVILE RESTE ENCORE DANS L'ATTENTE DE SES RÉFORMES
Après un budget 2001 centré sur l'achat
d'hélicoptères non livrés et des mesures
catégorielles, le budget 2002 de la sécurité civile
apparaît comme celui de l'immobilisme et de l'impréparation. Cela
contraste fortement avec la succession des événements ayant,
depuis deux ans, mis la sécurité civile sous les feux de
l'actualité : tempêtes, inondations, naufrages de bateaux
transportant des matières polluantes, évacuation d'urgence des
populations à proximité de sites de stockage de munitions,
explosion de l'usine de Toulouse s'ajoutent la litanie des surfaces
boisées brûlées le plus souvent suite à des actes de
malveillance. À côté de ces drames, bien souvent
circonscrits par des actions courageuses de personnes n'hésitant pas
à mettre leur vie en danger, et succombant parfois victimes du devoir,
certains dossiers n'évoluent pas d'un pouce, comme celui des services
d'incendie et de secours. Les missions interministérielles et les
rapports se sont succédés, accumulant les constats de
dysfonctionnements et les propositions pour y remédier.
Pour toute réponse, ne changeant rien à ses propos d'il y a un
an, le ministre annonce le dépôt d'un projet de loi au
début de l'année prochaine, le Premier ministre parlant quant
à lui de la fin de cette année, mais l'un comme l'autre
étant muets sur les perspectives de son examen par le Parlement.
Parallèlement à cet immobilisme en matière de
réforme d'organisation et de mode de fonctionnement, qui sera un jour
qualifié de coupable, les problèmes dénoncés depuis
des années persistent.
Lors de la discussion budgétaire pour 2001, le gouvernement se
glorifiait de la livraison des hélicoptères BK 117. Ils ont
depuis changé de nom, mais aucun n'a été livré et
ne le sera avant avril 2002.
En matière de déminage, les évacuations de 2001 ont
révélé les carences budgétaires des années
passées mais aussi les défauts d'organisation. Seul le
dévouement exemplaire des personnels en charge du déminage permet
à la France d'éviter des drames. Or, le projet de loi de finances
n'apporte aucune réponse, «
le niveau de crédits ne
permettra pas de couvrir l'ensemble des besoins
», de l'aveu
même du ministère dans sa réponse à votre rapporteur
spécial, alors que certains de ces besoins sont urgents, notamment en
matière de stockage des munitions.
D'autres problèmes ponctuels demeurent, comme celui de l'accumulation
des heures de récupération non prises par les pilotes, situation
inacceptable et que viendra aggraver la discussion sur l'aménagement et
la réduction du temps de travail. De même, l'âge de la
flotte reste dans l'ensemble préoccupant.
C. LE BUDGET DE LA POLICE NATIONALE RÉVÈLE LE DÉCALAGE ENTRE LES DISCOURS DU MINISTRE ET LA RÉALITÉ
Tous les partis politiques, même ceux qui gèrent le pays depuis près de cinq ans, reconnaissant que le développement de la violence dans notre pays à atteint un niveau insupportable. Cette violence n'est pas une statistique que l'on commente comme semble le croire le ministre de l'intérieur. Elle est une réalité. Ainsi, la sécurité constitue aujourd'hui la première préoccupation de nos concitoyens. Le gouvernement répond qu'il la place au premier rang de ses priorités avec la lutte contre le chômage. Votre rapporteur spécial examinera les actions réalisées et les projets budgétaires pour 2002 en adoptant ce prisme : le gouvernement réussit-il là où il donne la priorité ?
1. Les malaises
a) L'insécurité croissante
Le constat de la croissance de l'insécurité n'est plus à faire 16( * ) . Les journaux en font leur une, tandis que la presse internationale s'empare aussi du sujet 17( * ) . Mais, plus grave, les citoyens vivent avec et ne le supportent plus. Ils n'acceptent pas non plus ces zones où les policiers n'entrent qu'en nombre important ou en voiture banalisée - qui ne le reste d'ailleurs pas longtemps - où les pompiers n'interviennent que protégés, et où même les médecins hésitent à aller.
Évolution des faits constatés (en millions)
Les caractéristiques de cette croissance de la délinquance,
ininterrompue depuis 1997 sont connues. Elle est de plus le fait de jeunes
délinquants ( la part des mineurs dans les vols est ainsi passée
de 30 à 33 % depuis 1997), de plus en plus violents. Ils craignent de
moins en moins tôt d'être interpellés. Ils risquent au plus
un rappel à la loi qui leur paraîtra plus cocasse qu'il ne les
fera réfléchir. Parallèlement à cette hausse de la
délinquance, l'efficacité des services de police diminue comme le
montre la baisse du taux d'élucidation passé de 29,5 % en 1997
à 26,8 % en 2000.
Le ministère met en avant pour expliquer ces statistiques l'existence de
deux biais statistiques : le succès de la police de
proximité, la plus grande présence policière se traduisant
par davantage de dépôt de plaintes ; le développement
des infractions liées à la téléphonie mobile. Aucun
de ces arguments n'est réellement convaincant. S'agissant du premier, la
progression équivalente des faits constatés dans les zones
gendarmerie, non concernées par la réforme de la police, confirme
que la tendance observée n'est pas simplement due aux effets de la
statistique. S'agissant du second, votre rapporteur spécial n'insistera
pas sur son caractère pour le moins étrange, qui semblerait
laisser penser qu'à partir du moment où on offre des objets
à voler il serait normal qu'ils le soient.
Au contraire, il apparaît de plus en plus évident que l'appareil
statistique français sous-estime la réalité de la
délinquance
18(
*
)
.
L'étude du professeur Jean-Paul Grémy du CNRS pour l'IHESI
indique par exemple que les chiffres de la délinquance constatée
représenteraient pour 1997 et 1998 entre 43 et 61 % des cambriolages et
tentatives de cambriolages, entre 74 et 100 % des vols et tentatives de vols de
véhicules à moteur ; entre 28 % et 32 % des vols et
tentatives de vols à la roulotte ; entre 31 et 37 % des vols sans
violence.
Enfin il faut constater que la délinquance n'a jamais été
aussi élevée alors que la croissance n'a jamais été
aussi bonne, le chômage aussi bas et la protection sociale aussi
développée. Ce simple rapprochement conduit à
écarter toute explication de l'insécurité par le contexte
économique.
b) La motivation des personnels
Dans ces
conditions, il paraît important de se pencher sur la motivation et les
conditions de travail des fonctionnaires de police. Ceux-ci accomplissent leur
métier avec un remarquable sens du devoir et, le plus souvent, avec
passion. Cependant, la police nationale voit se succéder les
réformes d'importance, toujours annoncées avec force, rarement
menée à terme, toutes sources de bouleversements et de
changements, dont la reproduction génère plus de
déceptions qu'elle ne fait avancer les choses.
Votre rapporteur spécial est convaincu de l'existence, et du
développement, d'un profond malaise dans la police. Les manifestations
du mois de novembre de fonctionnaires de police en sont une des expressions.
Les policiers ne se sentent pas reconnus pour leur travail. Ils font face
à des situations de plus difficiles et violentes. Toujours plus de
policiers sont tués ou blessés en service. La loi sur la
présomption d'innocence est venue alourdir les tâches,
complexifier les rapports avec la justice, et réduire le service
apporté aux citoyens. Enfin, les charges de service
supplémentaires pleuvent sur les fonctionnaires, par exemple avec le
passage à l'euro ou Vigipirate. Ils n'ont pas l'impression d'être
la «
priorité du gouvernement
».
Lors de déplacements aux côtés de policiers travaillant
dans les banlieues, votre rapporteur spécial a pu constater de
lui-même chacun de ces points. Il ne peut que saluer les fonctionnaires
conservant l'envie d'effectuer avec conscience leur tâche dans un
environnement particulièrement difficile, dans des locaux insalubres
(commissariat de Bobigny) ou mal conçus (commissariat de Stains),
constatant que, faute de réponses rapides et efficaces de la justice,
leurs efforts sont réduits à néant.
Plus que jamais, il convient de s'interroger sur l'effet de notre
procédure pénale sur le travail des policiers, obligés de
boucler des procédures en une heure ou de multiplier les actes. De
même, rarement l'incompréhension entre policiers et juges n'aura
été aussi vive et le fossé les séparant aussi
grand. Comment les policiers ne s'interrogeraient-ils pas quand ils constatent
d'un côté les progrès de la délinquance, de l'autre
les contraintes supplémentaires qui leur sont imposées en termes
de procédure. Comment ne pas se sentir découragé quand
l'interpellé est relâché presque immédiatement
même en cas de récidive, ou quand la procédure est
annulée pour une erreur matérielle commise après plusieurs
heures de service.
2. Une priorité budgétaire ?
a) Juger comme telle la priorité du gouvernement
(1) Une priorité à relativiser dans les chiffres
La
lecture attentive du projet de loi de finances pour 2002 conduit à
relativiser les annonces du gouvernement faisant de la sécurité
une priorité budgétaire. La lecture de la répartition des
crédits entre les différents agrégats du ministère
de l'intérieur, en en ôtant les dépenses
d'élections, laisse dubitatif sur l'affirmation selon laquelle la police
nationale est la priorité du gouvernement et du ministère. Ainsi,
alors que la part des crédits de l'agrégat polie nationale
diminue relativement au budget du ministère, passant de 55,1% à
55,02 %. Quand on enlève les effets de structure liés aux
élections, cette part passe de 54,6 % en 2000, à 54 % en 2001, et
53,5 % en 2002.
Alors que la police rassemblait 78,5 % des effectifs du budget de
l'intérieur en 2001, elle n'en occupera plus que 77,9 % en 2002. De
même, la part des moyens de fonctionnement dans ceux de l'ensemble du
ministère diminue, passant de 50,35 à 50 %.
Quant à la part du budget de la police dans la richesse nationale, elle
sera passée de 0,34 % à 0,33 % entre 1997 et 2002.
Enfin, du strict point de vue des moyens supplémentaires effectivement
octroyés, les 87 millions d'euros ne représentent que les deux
tiers de ce que le ministère recevra en plus pour les dépenses de
pension. En effet, quand on enlève le poids des mesures
générales, la hausse des crédits de la police n'est que
138 millions d'euros. Et quand on y soustrait les économies
réalisées par la police nationale elle-même, la hausse
nette n'est alors plus que de 87 millions d'euros. La véritable marge de
manoeuvre nouvelle du ministère s'élève donc à 87
millions d'euros. Il convient de rappeler qu'avaient été
accordés en 2001 hors transferts 85,7 millions d'euros
supplémentaires. Quant à l'effort en faveur du fonctionnement, il
apparaît faible : + 0,7 %.
Il ne faut pas non plus oublier que le passage à l'euro et le plan
Vigipirate seront facteurs de coûts. La direction générale
de la police nationale évaluait le premier à environ 40 millions
d'euros. Quant au second, il est délicat à chiffrer
19(
*
)
.
(2) Une priorité à examiner au regard de ses résultats
Il convient d'apprécier l'efficacité de ce l'affichage gouvernemental. Or on constate simultanément une hausse des crédits affectés à la police, certes inférieure aux annonces mais réelle, et donc prélevés sur les Français, et une baisse du service rendu. Le bilan est donc inversement proportionnel aux ambitions.
b) La police de proximité
La
police de proximité se voulait une police plus visible, plus à
l'écoute des citoyens, plus efficace. Est-ce vraiment le cas ?
Pour vérifier cela, votre rapporteur spécial avait demandé
dans son questionnaire budgétaire la communication de plusieurs rapports
réalisés par les inspections générales, et
notamment les quatre études de l'inspection générale de la
police nationale. Il les attend toujours
20(
*
)
. Or il semble d'après les
extraits qui ont pu paraître dans la presse que le bilan n'est pas
à la hauteur des espoirs. Il y a ainsi une contradiction entre la hausse
de l'accueil du public et la hausse et la présence accrue de la police
sur la voie publique. La polyvalence pose problème : un policier
polyvalent saura-t-il par exemple assez bien mener une procédure de plus
en plus complexe pour éviter l'annulation prononcée par un
juge ? Les fonctionnaires perdent leurs repères, se sentent un peu
isolés. Les moyens ne suivent pas toujours.
De ce point de vue, votre rapporteur spécial déplore avec force
l'impossibilité qu'il y a pour la représentation nationale
à pouvoir évaluer le coût réel de la police de
proximité. La Cour des comptes le relève ainsi : aucun moyen
de distinguer les coûts supplémentaires de la réforme et
les éventuelles économies ; la réforme se fait sans
que soit menée conjointement une responsabilisation budgétaire
des services ; il n'y a pas de distinction entre besoins habituels non
couverts et besoins nouveaux liés à la seule
réforme ; pas de schéma directeur immobilier tirant les
conséquences de la réforme
21(
*
)
. Ainsi, il est impossible
d'évaluer l'état des « piliers de la
réforme », l'emploi, les moyens de fonctionnement et
l'informatique.
3. Le problème des effectifs
Les
débats en matière de police se concentrent habituellement, outre
la délinquance, sur la question des effectifs. La controverse est
d'autant plus aisée qu'il est toujours légitime d'adopter tel ou
tel concept : parle-t-on des emplois budgétaires, des emplois
réels, des adjoints de sécurité, des surnombres, chaque
point de vue se défend. Votre rapporteur spécial n'entrera donc
pas dans une polémique stérile, préférant se
contenter d'examiner l'évolution future des effectifs de police.
Or, de ce point de vue, force est de constater que l'aménagement et la
réduction du temps de travail (les « 35 heures »)
font peser un risque majeur sur la disponibilité des forces de police.
Comment, comme l'affirme le ministre de l'intérieur, concilier les
impératifs de respect de la loi, de maintien des capacités
opérationnelles, de satisfaction des attentes des agents, de poursuite
de l'extension de la police de proximité ? A vrai dire, nul ne peut
apporter la réponse satisfaisante à cette question. De même
que personne ne peut démentir que, pour éviter qu'une baisse de
10 % de la durée du travail ne se traduise par une baisse de 10 % de la
présence policière sur le terrain (soit de l'ordre de 14 à
15.000 fonctionnaires de police), il faudra soit recruter bien au-delà
des 3.000 créations de postes prévues pour 2002, soit acheter le
temps de travail des policiers par le biais de repos et d'indemnités,
soit utiliser les deux solutions. Votre rapporteur spécial rappellera
aussi d'une part que le discours officiel du gouvernement est d'indiquer que le
passage aux 35 heures se fera sans créations d'emplois dans la fonction
publique, d'autre part que le basculement d'une circonscription de police dans
le mécanisme de la police de proximité se traduit par une hausse
de 10 % des besoins en hommes.
Ainsi, les 35 heures se traduiront nécessairement par une
réduction de la capacité opérationnelle des forces de
police et par l'accumulation des heures supplémentaires. Il ne peut en
être autrement.
Par ailleurs, même si tous les fonctionnaires au temps de travail ainsi
allégé étaient remplacés en 2002, il faudrait tenir
compte des délais nécessaires à leur recrutement, entre
l'ouverture d'un concours et le recrutement effectif, et à leur
formation, un an pour un gardien de la paix par exemple.
De même, votre rapporteur spécial ne peut que relever
l'incertitude entourant le discours du ministre : les policiers
supplémentaires serviront-ils à la police de proximité ou
bien à la compensation des 35 heures ? 3.000 créations
d'emplois ne pourront en tout cas servir aux deux.
Enfin toujours du point de vue des effectifs, de nombreuses critiques
formulées chaque année restent valables. La répartition
des effectifs sur le territoire, par mission et par service continue à
faire débat. Ainsi, la cour des comptes relève que seulement 39 %
des effectifs de la direction des renseignements généraux
travaillent sur les violences urbaines dans les 26 départements
sensibles
22(
*
)
. Les adjoints de
sécurité continuent à faire l'objet de
débats : le fait qu'ils ne soient pas considérés
comme emplois budgétaires est d'autant plus anormal que personne ne
songe sérieusement faire fonctionner les services de police sans
eux ; on ne sait pas combien d'adjoints de sécurité sont
effectivement en poste ; il ne faut pas oublier que, de même qu'un
apprenti demande du temps de la part des artisans pour être formé,
ces adjoints mobilisent des ressources humaines pour compenser la faible
durée de leur formation. De même, votre rapporteur ne peut que
renouveler les observations sur la pratique des surnombres (passés de
234 en 1998 à 2.162 aujourd'hui) ou sur le maintien de personnes
rémunérées sur crédits de fonctionnement
23(
*
)
. Le rapport entre emplois
administratifs et personnels actifs se détériorera en 2002, quel
que soit le mode de calcul employé, et reste bien en deçà
des moyennes européennes. Enfin, l'accumulation des heures
supplémentaires, non payées et donc
récupérées en fin de carrière pose de vrais
problèmes. Cela a trois conséquences : des départs
anticipés de policiers en fin de carrière donc au traitement plus
élevé que lors de la constitution des heures
supplémentaires dues ; l'absence de remplacement des agents partis ainsi
prématurément faute de support budgétaire pour le
faire. ; une déconnexion croissante entre le travail fourni et la
rémunération mensuelle, qui tend à décourager
l'effort. Ainsi, au 31 décembre 2000, il y avait plus de 8,18 millions
d'heures supplémentaires ni payées ni
récupérées, soit un coût budgétaire d'environ
85 millions d'euros. Pour les agents du corps de maîtrise et
d'application, les heures non prises étaient d'environ 108 heures par
agent ; pour les officiers, elles passent à 114 heurs par agent. A
la préfecture de police de Paris, elles atteignent 159 heures par agent
de ces deux corps. Or le passage aux 35 heures se traduira justement par des
heures supplémentaires et un compte épargne temps...
Ainsi, on peut affirmer quant au nombre d'emplois que les motifs de critiques
restent nombreux.
4. Les points d'ombre persistants
a) Les obscurités budgétaires
Le
budget de la police nationale pratique lui aussi l'obscurité
budgétaire.
La Cour des comptes insiste sur l'absence de connaissance, par le
ministère lui-même, de ses coûts
24(
*
)
: emplois budgétaires
présentés par corps et grade sans indication de leur
répartition par service ou de leur localisation ; dépenses
de fonctionnement ventilées de manière organique
indicative ; coût complet de certains services non
communiqués au Parlement, comme celui de la préfecture de police
de Paris ; absence de coïncidence entre les missions
opérationnelles, les services chargés de les exercer et les
budgets de fonctionnement.
S'agissant du budget de fonctionnement, l'absence de détail de la
ventilation des différentes mesures rend impossible
l'appréciation concrète des mesures nouvelles
décidées en faveur des moyens de fonctionnement par service, mais
aussi par type de dépenses. Par exemple, il serait intéressant de
savoir combien de gilets pare-balles seront acquis - il ne faudrait d'ailleurs
pas que les fonctionnaires les portant soient désignés comme des
cibles. De même, il serait utile de savoir si le ministère compte
acquérir des herses pour bloquer les passages de voitures et
éviter ainsi des fuites de véhicules quel es policiers n'ont
souvent pas les moyens - et parfois les consignes - de poursuivre, avec les
conséquences que l'on peut imaginer sur leur état d'esprit. Dans
sa réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial, le
ministère indique : «
quant à la
répartition par article, elle sera établie en fonction des
dialogues de gestion entamés avec les directions centrales et
secrétariats généraux pour l'administration de la police
durant le mois de novembre ; la direction de l'administration de la police
nationale proposera alors un programme d'emploi des crédits au vu des
spécificités particulières des grands services de police
et des directives ministérielles
». D'après la note
de présentation du budget du ministère, «
outre la
mise en oeuvre de la troisième phase de la police de proximité,
[la hausse des crédits de fonctionnement]
permettra
également de consolider au niveau nécessaire les dotations de
renouvellement des véhicules et les moyens de fonctionnement des
services et de prendre en compte les dépenses nouvelles
inéluctables résultant de la prise à bail de surfaces
nouvelles (+ 3,8 millions d'euros) et de l'augmentation de la contribution de
la France à l'organisation Europol qui progresse de 2,3 millions
d'euros.
» Votre rapporteur spécial ne peut que condamner
fermement cette pratique qui prive la représentation nationale des
informations lui permettant de vérifier les affirmations du ministre et
d'exercer son vote de manière éclairée.
De même, votre rapporteur spécial ne peut pas savoir si la
dotation demandée en informatique de police correspond effectivement aux
besoins, ni la manière dont elle sera ventilée entre les
articles. Il existe d'ailleurs une discordance entre la réponse au
questionnaire sur les besoins en la matière et l'inscription
budgétaire... L'examen détaillé des différents
projets évoqués par le ministère fait aussi
apparaître des besoins bien supérieurs aux crédits, dont
votre rapporteur spécial n'a pas les moyens d'indiquer comment ils
seront financés.
La mise en place du réseau Acropol semble quant à elle se
dérouler dans des conditions difficiles, en tous cas plus
délicates que prévues, notamment en raison de problèmes
techniques. Malgré cela, le ministère conserve inchangé
son objectif d'achèvement des travaux.
D'autres remarques traditionnelles restent d'actualité pour 2002. Ainsi
de l'âge des véhicules, la réponse au questionnaire de
votre rapporteur spécial étant éclatante de
franchise : «
durant les dernières années,
à partir de 1994, l'insuffisance répétée des
crédits consacrés au renouvellement automobile a eu pour
conséquence de retarder ce dernier, entraînant un vieillissement
du parc. Ce vieillissement induit une augmentation du coût d'entretien et
de réparation ainsi que du taux d'indisponibilité des
véhicules
». En 2001, 30 % du parc ont
dépassé leurs critères de réforme ; parmi eux,
la moitié n'a pu être renouvelée. En matière de
véhicules de maintien de l'ordre, le retard de renouvellement atteint
33,5 millions d'euros.
Enfin, plusieurs mouvements budgétaires restent à
éclaircir comme les crédits destinés aux syndicats de
police en 2002. Est-ce que la subvention aux autres syndicats du
ministère est équivalente ? Qu'est ce qui justifie un
traitement privilégié des syndicats de policiers par rapport
à ceux des autres corps. Il y a là un champ d'investigation pour
le contrôle.
b) Les silences
Le
budget reste enfin muet sur des thèmes d'actualité d'importance,
qui ne sont pas seulement évoqués dans les documents
budgétaires ou dans les notes de présentation. Ainsi, on voit mal
comment les contrats locaux de sécurité pourront continuer
à se développer et, surtout, être respectés, entre
les contraintes de la police de proximité et celles des 35 heures. De
même, aucune indication n'est donnée sur la nécessaire
coordination avec les services de la gendarmerie, qui font eux aussi l'objet de
tensions vives, et des douanes.
Surtout, le silence le plus étonnant concerne le nouveau contexte. Si le
projet de loi de finances pour 2002 a été préparé
avant les événements de septembre 2001, il n'en reste pas moins
que l'on ne peut plus raisonner dans le même cadre. Or à
l'Assemblée nationale, lors de l'examen des crédits du
ministère de l'intérieur, aucun amendement n'a été
apporté pour tenir compte des conséquences de la situation
terroriste actuelle. Il y a là au moins motif à
étonnement.
*
«
En conclusion, nous ne pouvons pas
considérer
qu'il s'agit d'un bon budget dans l'absolu
» indiquait notre
collègue député Tony Dreyfus, rapporteur spécial
pour la sécurité de la commission de finances de
l'Assemblée nationale, le 12 novembre 2001
25(
*
)
.
Priorité affichée du gouvernement, le budget de
l'intérieur illustre parfaitement les erreurs de sa politique
budgétaire :
-
• Des dépenses en capital qui s'effondrent ;
• Des frais de personnel qui explosent ;
• Des charges de pension qui obèrent toutes les marges de manoeuvre ;
• Une transparence budgétaire qui n'est qu'affichage ;
• Une absence d'anticipation des 35 heures, dont l'application se traduit par une hausse des dépenses publiques et un moindre service aux Français puisque malgré les créations de postes le nombre d'heures travaillées de policiers diminuera ; un décalage entre ce que l'État demande au privé pour les 35 heures - pas d'heures supplémentaires - et ce qu'il fait - acheter la réduction du temps de travail ;
• Une absence de réactivité puisque deux ans après les tempêtes, rien n'est encore fait sur la sécurité civile. L'urgence prévaut comme pour le déminage ;
• Une efficacité discutable des surcroîts d'argent public distribués puisque la délinquance augmente ;
• L'incidence sur le budget des efforts pour lutter contre le terrorisme avec la coordination internationale que cela induit n'apparaît pas.