5. La majoration des crédits des comptes d'affectation spéciale

Le second alinéa de l'article 25 de l'ordonnance comporte une disposition de nature à dispenser un montant considérable de dépenses de toute autorisation parlementaire.

Il s'agit de permettre au ministre des finances, par simple arrêté, de majorer les crédits de ces comptes à hauteur des suppléments de recettes qui pourraient être constatés.

Il suffit donc de minorer les évaluations de recettes de ces comptes pour conférer au ministre des finances la possibilité d'arbitrer, comme il le souhaite, leurs dépenses.

Si, " in fine ", la loi de règlement est appelée à constater les dépenses effectives - les arrêtés du ministre ne font même pas l'objet d'une demande formelle de ratification -, cette entorse au principe d'une autorisation préalable de la dépense par le Parlement est d'autant moins admissible qu'elle porte sur des sommes considérables. Ce phénomène se vérifie tout particulièrement avec le compte n° 902-24 retraçant le produit et l'affectation des cessions de titres publics, comme le montre le tableau suivant.

Comparaison des prévisions et des réalisations (comptes n° 902-24 et n° 904-09)

(en millions de francs et %)

1996

1997

1998

1999

Prévues

Effectives

Var

Prévues

Effectives

Var

Prévues

Effectives

Var

Prévues

Effectives

Var

Dépenses

16.517

18.923

+ 15 %

27.000

60.958

+ 126 %

28.000

53.548

+ 91 %

17.500

32.313

+ 85 %

Source : Cour des Comptes

Cette " commodité " heurte le principe essentiel en démocratie d'une autorisation préalable des crédits par le Parlement, et ôte à l'examen des comptes d'affectation spéciale beaucoup de sa crédibilité. Il convient de la supprimer.

6. Les reports de crédits

Les reports de crédits voient leur régime énoncé à l'article 17 de l'ordonnance organique. Ils sont une exception au principe de l'annualité budgétaire puisque, sans autorisation parlementaire nouvelle, des crédits qui devraient s'éteindre au terme d'un exercice, sont rendus disponibles au-delà.

Ils sont également la manifestation concrète que, au-delà des procédures formelles prévoyant l'annulation de crédits, des phénomènes de sous-consommation doivent être constatés en pratique. En ce sens, les reports de crédits peuvent être un moyen, marqué d'opacité, de pilotage budgétaire.

Ils sont enfin une exception au principe d'universalité budgétaire. Par définition, les crédits reportés d'un exercice à l'autre ne sont pas retracés dans la loi de finances de l'exercice nouveau. Sous cet angle, les reports de crédits nuisent incontestablement à l'appréciation des moyens demandés dans les lois de finances.

Les reports de crédits atteignent des niveaux élevés.

Budget de l'Etat : évolution de la balance des reports de crédits

(en millions de francs)

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

A. Reports de la gestion précédente

B. Reports à la gestion suivante

52.552

51.241

51.241

62.387

62.387

60.442

60.442

56.390

56.390

52.230

53.229

61.074

61.074

54.681

54.682

67.755

67.755

69.602

69.802

64.319

64.319

80.004

C. Balance des reports (A - B)

+ 1.311

- 11.146

+ 1.945

+ 4.052

+ 3.160

- 7.845

+ 6.393

- 13.073

- 2.047

+ 5.483

- 15.685

Source : commission des finances de l'Assemblée nationale

Les reports représentent environ 4 % des crédits ouverts. Ils sont cependant concentrés sur les titres V et VI, et concernent certains chapitres de façon structurelle.

Chapitres sur lesquels les reports représentent plus de 5 % des crédits ouverts
par voie législative (en 1998 et 1999)

(en millions de francs)


Fascicule


Chapitre


Reports sur 1996

% des lois de finances 1995


Reports sur 1997

% des lois de finances 1996


Reports sur 1998

% des lois de finances 1997


Reports sur 1999

% des lois de finances 1998

Agriculture et pêche

61-83

723,5

n.c.

1.289,9

n.c.

1.715,7

n.c.

1.637,6

216,2 %

Anciens combattants

57-91

13,1

92,9 %

25,7

79,4 %

25,2

183,3 %

36,7

220,1 %

Enseignement scolaire

56-01

56-37

66-33

70,4

46,2

34,4

16,6 %

11,6 %

19,5 %

127,1

21,8

54,0

39,1 %

5,8 %

35,1 %

79,7

63,6

61,4

28,4 %

21,0 %

47,7 %

111,9

47,6

47,6

35,2 %

14,7 %

49,8 %

Intérieur et décentralisation

57-09

57-40

57-50

57-60

65-51

67-51

67-52

67-53

11,4

196,7

458,4

92,1

5,4

312,0

1.375,3

674,1

142,5 %

24,8 %

75,8 %

43,4 %

3,8 %

71,8 %

39,5 %

28,5 %

3,4

332,2

266,0

49,1

40,3

411,9

2.262,2

814,6

197,2 %

40,5 %

50,9 %

63,7 %

23,0 %

89,4 %

74,9 %

33,2 %

1,8

421,3

272,7

78,1

87,4

510,1

2.959,6

869,2

n.c.

59,7 %

72,9 %

24,8 %

56,0 %

91,7 %

123,1 %

34,4 %

0,9

268,4

342,9

188,0

91,5

620,6

3.443,4

753,6

31,7 %

41,5 %

100,9 %

48,3 %

70,9 %

110,7 %

139,8 %

29,1 %

Outre-mer

57-91

58-01

65-01

67-51

68-01

68-90

2,7

0,0

0,0

19,7

8,6

0,0

32,4 %

0,0 %

n.c.

216,4 %

2,3 %

0,0 %

3,7

3,1

417,7

13,7

27,0

289,1

20,5 %

13,4 %

67,5 %

406,8 %

7,4 %

158,0 %

7,1

17,9

26,3

11,4

90,5

326,3

39,3 %

93,5 %

5,7 %

207,1 %

32,5 %

233,0 %

23,2

11,4

61,3

20,4

45,8

422,1

76,4 %

71,7 %

10,1 %

149,3 %

19,7 %

321,1 %

Recherche et technologie

56-06

57-02

0,0

6,4

0,1 %

98,5 %

0,0

5,1

0,0 %

102,6 %

5,0

3,0

55,1 %

493,5 %

6,8

6,9

96,5 %

114,9 %

Plan

66-01

1,0

18,0 %

0,4

6,7 %

0,4

10,4 %

0,4

9,8 %

Jeunesse et sports

57-01

66-50

21,0

83,4

42,8 %

168,6 %

19,4

71,6

51,0 %

132,1 %

42,0

50,4

119,0 %

213,3 %

34,8

45,7

81,8 %

61,9 %

Santé, solidarité et ville

56-10

57-93

66-50

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

n.d.

2,4

12,9

1,0

n.d.

n.d.

n.d.

1,1

17,7

1,0

14,8 %

29,4 %

25,0 %

1,4

68,8

1,0

28,0 %

74,7 %

16,7 %

Enseignement supérieur

56-10

66-73

137,8

83,8

12,7 %

8,3 %

120,8

26,8

11,3 %

3,2 %

474,8

193,4

36,7 %

21,3 %

611,4

121,0

65,6 %

13,7 %

Note : n.d. (non déterminé) indique que les modifications de la structure budgétaire ne permettent pas de procéder à des comparaisons sur une base rigoureuse.

n.c. (non calculé) indique les chapitres non dotés en loi de finances initiale ou en loi de finances rectificative.

Source : Cour des comptes citée par la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Cette caractéristique n'est pas étonnante compte tenu des dispositions de l'ordonnance, qui placent les dépenses en capital au coeur du régime des reports de crédits. Selon ses termes en effet, " les crédits de paiement disponibles sur opérations en capital sont reportés par arrêté du ministre des finances ". Mais d'autres crédits peuvent être reportés ; il en va ainsi de ceux qui correspondent aux chapitres énumérés dans un état annexé (l'état H) à la loi de finances ainsi que, dans la limite du dixième de la dotation du chapitre intéressé, de ceux correspondant à des dépenses engagées mais non encore ordonnancées.

L'importance relative de ces différentes catégories de reports est donnée dans le tableau ci-dessous.

Evolution des reports de crédits

(en millions de francs et en %)

1992/1993

1993/1994

1994/1995

1995/1996

1996/1997

1997/1998

1998/1999

I - Budgets civils

Crédits inscrits à l'état H :

- Reports anticipés

6.113,4

7.748,7

1.816,7

3.867,4

5.754,9

690,8

3.018,2

- Arrêté général

6.764,3

8.790,0

6.656,6

8.627,4

6.700,8

10.333,3

12.624,0

- Total

12.877,7

16.538,7

8.473,3

12.494,8

12.455,7

11.024,1

15.642,2

- 2,2 %

+ 28,4 %

- 48,8 %

+ 47,5 %

- 0,3 %

- 11,5 %

+ 41,9 %

Reports du 1/10 e :

- Reports anticipés

10,1

8,3

271,8

66,1

76,2

287,1

113,1

- Arrêté général

1.429,2

1.160,2

1.046,2

1.537,8

1.861,3

1.571,6

2.237,5

- Total

1.439,3

1.168,5

1.371,9

1.603,8

1.937,5

1.858,7

2.350,6

- 15,5 %

+ 18,8 %

- 12,8 %

+ 21,7 %

+ 20,8 %

+ 4,1 %

+ 26,5 %

Fonds de concours :

- Anticipés et arrêté général

2.291,3

2.463,2

2.366,0

3.160,8

3.387,2

2.634,7

3.766,8

- 11,9 %

+ 7,5 %

- 3,9 %

+ 33,6 %

+ 7,2 %

- 22,2 %

+ 43,0 %

Crédits d'investissement :

- Reports anticipés

4.313,9 (a)

8.582,1

2.206,8

3.056,9

4.688,2

5.422,1

5.418,6

- Arrêté général

17.936,3

16.834,5

21.285,9

22.183,8

28.637,1

25.907,0

29.786,7

- Total

22.250,2

25.416,6

23.492,8

25.240,7

33.325,2

31.329,1

35.203,3

-

- 6,0 %

+ 14,2 %

- 7,6 %

+ 7,4 %

+ 32,0 %

- 6,0 %

+ 12,4 %

Total des budgets civils

38.858,5

45.587,0

35.650,0

42.500,1

51.105,6

46.846,6

56.964,9

- 4,5 %

+ 17,3 %

- 21,8 %

+ 19,2 %

+ 20,2 %

- 8,3 %

+ 21,6 %

II - Défense

- Etat H

64,6

122,7

61,2

83,2

93,8

25,0

5,0

- Report du 1/10 e + FdC

398,5

606,1

872,8

1.445,4

949,3

873,5

1.077,0

- Crédits d'investissement

9.392,4

9.543,1

11.369,7

11.339,7

5.273,5

6.770,8

5.471,4

Total de la Défense

9.855,5

10.271,9

12.303,8

12.868,3

6.316,6

7.669,3

6.553,4

- 12,8 %

+ 4,2 %

+ 19,8 %

+ 4,6 %

- 50,9 %

+ 21,4 %

- 14,6 %

Total budget général

48.714,0

55.858,9

47.953,8

55.368,4

57.422,2

54.515,9

63.518,3

- 6,3 %

+ 14,7 %

- 14,2 %

+ 15,5 %

+ 3,7 %

- 5,1 %

+ 16,5 %

Reports/crédits ouverts bruts

2,9 %

3,1 %

2,6 %

3,0 %

2,9 %

2,8 %

3,1 %

Reports/crédits ouverts nets

3,3 %

3,6 %

3,0 %

3,4 %

3,4 %

3,2 %

3,7 %

(a) Dont 66,70 millions de francs de reports vers le budget annexe de l'Aviation civile

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Les crédits sur opérations en capital prédominent, suivis de ceux inscrits à l'état H. Les crédits reportés sur dépenses engagées sont beaucoup moins substantiels.

Les justifications apportées aux reports de crédits sont de deux ordres, les unes très techniques tiennent à la nature des crédits considérés ; les autres font valoir leur apport à une bonne gestion budgétaire.

Ces différents arguments doivent être pris en considération avec le plus grand soin si l'on souhaite mettre en place un régime intelligent de reports de crédits. Mais un choix de principes doit préalablement être arrêté, celui du maintien ou de l'abandon du caractère annuel des lois de finances. Votre commission considère que le choix à faire en matière de dépenses, n'est pas indépendant de celui concernant les recettes. Il paraît en effet difficile de faire prévaloir l'annualité de l'autorisation pour les recettes et de s'en écarter entièrement pour les dépenses.

La proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale semble affectée sur ces points de quelques ambiguïtés. En effet, elle commence par réaffirmer le principe de l'annualité budgétaire pour les recettes comme pour les dépenses. Mais elle organise, dans le même temps, un régime de report des crédits sans limitation. Ces deux énoncés peuvent paraître contradictoires et appellent donc des clarifications. Sur le fond, votre commission considère que l'ouverture d'une faculté illimitée de reports de crédits suppose un inventaire des pratiques. Elle remarque que la procédure budgétaire européenne permet de suivre l'exécution des crédits puisque les crédits nécessaires à l'apurement des " restes à liquider " figurent chaque année dans les budgets arrêtés par les institutions communautaires. Elle estime en toute hypothèse que les reports de crédits ne sauraient instituer une sorte de partie immergée, et donc cachée, de l'iceberg budgétaire , sauf à ce que l'examen des lois de finances par le Parlement n'en pâtisse sérieusement.

En tout état de cause, une information claire et exhaustive du Parlement sur les crédits disponibles avant vote des crédits demandés doit être associée au projet de loi de finances.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page