b) Les 35 heures : " la pire mesure qu'on ait jamais eue "

Vos rapporteurs ont pu constater le même phénomène au cours de leurs déplacements dans les services déconcentrés en ce qui concerne leur adaptation au passage des entreprises aux 35 heures.

La réduction du temps de travail a considérablement accru les tâches administratives et de statistiques des services.

En outre, la loi sur la réduction négociée du temps de travail, dite " Aubry II ", apparaît extrêmement complexe aux services chargés de veiller à sa bonne application, d'autant plus que de nouveaux problèmes apparaissent au fur et à la mesure de sa mise en oeuvre. Ils sont également amenés à apporter leur expertise technique aux entreprises contraintes de réduire le temps de travail de leurs salariés, mais également, dans certains cas, à la justice, lorsqu'il s'agit de contribuer à la résolution des conflits collectifs engendrés par la loi.

Du reste, les décisions prises par les services peuvent être à l'origine d'une certaine insécurité juridique, notamment en matière d'exonérations de charges sociales. Ce volet de la loi occasionne des contentieux parfois importants avec les URSSAF, en ce qui concerne l'appréciation du délai du dépôt des dossiers qu'il convient de respecter afin de bénéficier des allégements de charges prévus par la loi.

La direction départementale de Paris a ainsi indiqué à vos rapporteurs que la loi Aubry I entraînait une modification de la fonction des agents afin de tenir compte du traitement des dossiers liés à la réduction du temps de travail, notamment en ce qui concerne le conventionnement et la tenue des statistiques hebdomadaires relevant de la compétence du service d'aide à la modernisation des entreprises. Quant au service des conventions et accords d'entreprises, il avait atteint à la mi-avril 2000 un volume d'enregistrement équivalent à celui d'une année ordinaire. Cette direction a également précisé que l'activité de l'inspection du travail s'était considérablement accrue suite au vote de la loi Aubry II, 60 % des questions auxquelles les agents de contrôle de ce service répondent actuellement concernant le temps de travail.

Par ailleurs, la direction départementale de Paris s'est vu contrainte de multiplier les modules d'information et de formation des agents de ses services, mais aussi de développer les interventions en entreprise, afin de " vendre " les 35 heures. Du reste, la loi Aubry II a " nécessité un effort sans précédent " pour s'en approprier les dispositions, d'autant plus que " les services de l'administration centrale alertés n'ont pas communiqué d'informations sur le dispositif dans les délais répondant aux besoins des services et des entreprises ".

Or, cette direction départementale estime, à bon droit, ne pas disposer d'effectifs suffisants pour faire face à cette charge de travail accrue, étant précisé que " l'activité du service de l'aide à la modernisation des entreprises restera soutenue ". Quant au service des conventions et accords collectifs, il remplit ses missions, mais " au détriment du travail de codification transmis à la direction régionale ".

La direction départementale du Nord-Valenciennes a créé un service d'appui technique afin de coordonner le travail des cinq sections d'inspection du travail intervenant à l'occasion de la mise en place de la réduction du temps de travail, et composé de trois agents : deux contrôleurs du travail et un agent de catégorie C. Or, ce service spécialisé a été créé à effectifs constants, et, surtout, au détriment d'autres activités de la direction départementale. Ainsi, le contrôleur, qui était précédemment chargé de la lutte contre le travail illégal n'a pas été remplacé. Quant aux deux autres postes, ils ont fait l'objet de permutations internes au détriment du service du contrôle de recherche d'emploi. En outre, il a été précisé à vos rapporteurs que " les services renseignements ont à répondre à des questions de plus en plus délicates par rapport à la mise en place des 35 heures ", d'autant plus qu'est " à observer un regain des conflits liés aux 35 heures " . Du reste, la direction régionale du Nord-Pas-de-Calais a conclu que " la mise en place des 35 heures tant dans les services que dans les entreprises privées, ne peut qu'alourdir la charge de travail des services déconcentrés ".

• La direction régionale de Midi-Pyrénées a précisé, en ce qui la concerne, que " la loi relative à la réduction du temps de travail a entraîné une très forte mobilisation des services régionaux qui ont dû faire face, à effectif constant, à de multiples tâches nouvelles et à une amplification de celles existantes ", et que l'accomplissement de ces missions " a imposé de différer l'accomplissement d'autres tâches ". En outre, " la complexité du dispositif statistique mis en place n'a pas, en particulier, facilité le travail ". Interrogée sur la façon dont elle envisageait son rythme d'activité futur, la direction départementale a indiqué que " l'extension du champ d'application de la réduction du temps de travail à l'ensemble des entreprises devrait provoquer l'arrivée d'un nombre massif d'accords que les services ne pourront absorber à effectif constant ".

• La direction régionale de Corse a estimé que " si la suppression du conventionnement pour l'accès aux exonérations de charges sociales [avec la loi Aubry II] va alléger la charge des services " emploi ", le contrôle même a posteriori des accords signés dans les petites entreprises sans de réelles structures syndicales va mobiliser fortement l'inspection du travail ". Dès lors, " le temps nécessaire sera pris sur d'autres tâches de contrôle ".

Et un chef de service d'une direction régionale de conclure : en matière de complexité d'application, la loi sur les 35 heures " est la pire mesure qu'on ait jamais eue "...

Il apparaît ainsi que la réduction du temps de travail a été imposée de façon autoritaire, non seulement aux entreprises, mais également aux services déconcentrés du ministère de l'emploi lui-même, qui sont obligés d'adapter leur fonctionnement à une décision venue de l'administration centrale qui, non contente d'exiger " du chiffre ", peut ensuite légitimement arguer de la charge de travail très lourde de ses services déconcentrés pour demander la création d'emplois nouveaux.

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