III. LES OBSTACLES AU DÉPÔT DE BREVETS EN FRANCE

A. L'INSUFFISANTE SENSIBILISATION À LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE

Les personnes entendues par votre rapporteur ont toutes mis en avant l'absence de connaissance ou de compréhension des enjeux de la propriété industrielle comme étant une des principales causes de la faiblesse de la position française en matière de dépôts de brevets. La culture de la propriété industrielle, jugée faible, ne se diffuserait, en outre, que très progressivement. La situation des Etats-Unis, du Japon et de l'Allemagne est, à cet égard, radicalement différente. Dans l'échelle internationale de la sensibilisation à l'enjeu de la propriété industrielle, la France se situerait dans une position intermédiaire entre les pays à culture de propriété industrielle forte (les 3 Etats précités) et ceux -tels les pays d'Europe du Sud par exemple- où elle est faible.

Une des personnes 47 ( * ) entendues par votre rapporteur a parfaitement résumé la situation : « Le frein culturel est la principale racine du « mal français ». Pour les chercheurs, la reconnaissance passe par une publication. Pour les PME et les inventeurs, il existe une faible conscience de la propriété industrielle. Il n'y a pas de « réflexe brevet » ».

1. L'absence de « réflexe brevet » des entreprises

a) Une certaine méconnaissance de l'enjeu

En mettant à part les plus grandes entreprises françaises, déjà fortement utilisatrices de la propriété industrielle, les grands organismes de recherche, et les « jeunes pousses » ( « start up » ) en nouvelles technologies et en biotechnologies, déjà très sensibilisées au dépôt des brevets, on peut, en schématisant, dire que l'attitude des entreprises industrielles françaises vis-à-vis du brevet oscille entre l'indifférence et l'a priori.

La propriété industrielle est souvent méconnue. Certains vont jusqu'à dire que le brevet souffre d'une image désuète, les déposants étant assimilés, dans l'opinion publique, à des « savants Cosinus » sympathiques mais quelque peu décalés. Le brevet n'est pas reconnu pour ce qu'il est, un outil au service de l'innovation, vital dans l'économie de la connaissance.

Le brevet est victime d'a priori :

- considéré comme coûteux a priori car ses enjeux sont mal compris, ou comme une contrainte de la part des PME, qui le découvrent parfois au moment où elles sont accusées de contrefaçon par un concurrent ;

- nombre d'entreprises estiment même qu'il serait impuissant à empêcher la contrefaçon , alors que le brevet est la principale arme de lutte contre la contrefaçon ;

- certains chefs d'entreprise craignent que la publication de la demande de brevet n'entraîne une divulgation de l'invention et préfèrent se protéger par le seul secret des affaires, qui n'est pourtant efficace que pour certains types d'inventions (en particulier lorsqu'il n'est pas possible de déceler le procédé ou produit breveté) ;

- les entreprises portent parfois des jugements hâtifs sur le système de propriété industrielle, estimant que leurs concurrents obtiennent des brevets indûment ou pensant a priori que leur invention n'est pas brevetable, sans avoir recours à un conseil spécialisé pour un tel diagnostic, qu'il soit interne ou externe.

Un sondage du ministère de l'industrie, déjà cité par le rapport de M. Didier LOMBARD, donne une mesure de cette « méfiance » de l'entreprise française face au brevet , moins de la moitié des entreprises innovantes le jugeant efficace : « Selon une première enquête sur l'appropriation technologique réalisée par le SESSI 48 ( * ) en 1993, 48 % des firmes innovantes en produits jugeaient le dépôt de brevet fortement efficace pour empêcher ou dissuader leurs concurrents d'imiter leurs innovations et 39 % penchaient pour le secret. Le brevet recueillait encore moins de suffrages parmi les entreprises innovantes en procédés puisque 28 % seulement les jugeaient efficaces et 60 % optaient pour le secret. L'institution même du brevet soulevait un taux de mécontentement élevé : 57 % des entreprises innovantes déclaraient que le brevet n'empêche pas vraiment l'imitation et 38 % qu'il divulgue trop d'informations ».

De même, ce sondage montrait que très peu d'entreprises industrielles utilisaient le brevet comme source d'information , seulement 18 % d'entre elles (et 16 % des PME) déclarant consulter des bases de données de brevets. Et le rapport LOMBARD de conclure, fort judicieusement : « Il semble donc que les entreprises françaises surévaluent les prédations occasionnées par la divulgation d'informations résultant de la publication des demandes de brevets et, inversement, sous-utilisent l'information disponible dans les brevets, ce qui peut les conduire à engager des dépenses de R-D inutiles, réinventant ce qui existe déjà ou risquant des poursuites judiciaires en contrefaçon ».

Il arrive, en effet, que, mal utilisée, la propriété industrielle porte atteinte aux intérêts de l'entreprise : ainsi votre rapporteur a-t-il rencontré un dirigeant de PME qui, ayant déposé lui-même une première demande de brevet sans recours à un conseil extérieur, a, par une rédaction maladroite, révélé son savoir-faire à ses concurrents à cette occasion, perdant son avantage comparatif.

De l'avis unanime des personnes consultées par votre rapporteur, la propriété industrielle est un domaine technique, qui doit nécessairement être traité par des spécialistes, internes ou externes à l'entreprise. L'enjeu n'est donc pas de faire des dirigeants de PME des spécialistes du droit des brevets, mais de diffuser une « culture » de la propriété industrielle qui incite les PMI françaises -notamment- à avoir un « réflexe brevet ». Dans cette optique, l'existence d'interfaces entre dirigeants de l'entreprise et spécialistes en brevets est tout à fait essentielle, ce qui pose la question de l'organisation des entreprises françaises .

* 47 M. Frédéric WAGRET, Conseil en propriété industrielle, qui a largement inspiré les propos développés dans le paragraphe 1. Qu'il soit ici remercié de sa disponibilité et du temps consacré à l'information de votre rapporteur.

* 48 Service du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

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