B. DES RECRUTEMENTS TROP SOUVENT LOCAUX ?

Il a été fréquemment indiqué à votre rapporteur que l'un des maux dont souffrait le système universitaire était le « localisme » des recrutements , c'est-à-dire la préférence donnée par les universités aux candidats ayant soutenu leur thèse en leur sein. Ce risque est souvent inexistant à l'étranger ,dans la mesure où les universités s'interdisent de s'attacher, lors d'un premier recrutement, leurs propres étudiants. Il semble que l'institutionnalisation de cette pratique serait en France illégale, les concours de la fonction publique étant ouverts à tous.

Un message d'internaute : le recrutement local, une politique des laboratoires ?

« Les « recrutements locaux » inquiètent visiblement beaucoup d'enseignants-chercheurs, auxquels je m'associe. Ils présentent le double risque :

- de recruter un candidat qui n'est pas le meilleur sur des critères de « copinage » ;

- de scléroser l'université en fondant son renouvellement sur un clonage perpétuel de ce qui existe déjà sur place sans apport de sang neuf.

Pour les éviter, le problème majeur est qu'avec la meilleure volonté du monde, une commission de spécialistes ne peut même pas choisir un candidat non local quand le profil affiché pour le poste prolonge trop précisément les activités d'un laboratoire local : les étudiants issus de ce laboratoire seront forcément les mieux placés pour occuper un tel poste. Il faut donc travailler à contrôler les profils des postes en diminuant leur précision (aussi bien en termes de laboratoire d'affectation que de thématique de recherche).
[...] »

Il est certain que, puisque le recrutement local n'est pas interdit, les laboratoires et leurs universités ont intérêt à attendre que leurs meilleurs thésards soient en mesure d'être qualifiés pour les recruter sur les postes ainsi « mis en réserve ». Il a été indiqué à votre rapporteur que ce type de comportement était fréquent dans certaines grandes universités du centre de Paris. C'est un comportement certes illicite, mais tout à fait rationnel. De plus, l'absence de « post-docs » dans le système universitaire français supprime d'ailleurs une période de mobilité potentielle dans le cursus des chercheurs et universitaires en les fixant encore jeunes dans un emploi définitif.

Toutefois, l'université française apparaît excessivement « consanguine ».

Les réponses au sondage nuancent toutefois quelque peu le discours sur l'importance du « localisme » des recrutements.
En effet, sur 768 répondants, 53 % des maîtres de conférences indiquent avoir été recrutés dans l'université où ils avaient soutenu leur thèse, 47 % répondant le contraire. Ces réponses très partagées ne semblent donc pas confirmer un recrutement local massif. De surcroît, ce phénomène est encore moins prononcé en ce qui concerne les professeurs, puisque, parmi les 403 qui ont répondu, 62 % indiquent n'avoir pas été recrutés dans leur université d'origine.

Par ailleurs, plus de 67 % des universitaires sondés sont opposés à l'interdiction de recruter des candidats locaux pour pourvoir les postes de maîtres de conférences, suggestion pourtant souvent avancée sur le forum Internet pour mettre un terme au localisme des recrutements. Toutefois, 37 % des professeurs sont favorables à cette idée, contre moins de 28 % pour l'ensemble, tandis que 22 % seulement des maîtres de conférences y sont favorables. En revanche, l'idée de fixer un quota de postes pourvus par des candidats locaux rencontre beaucoup moins d'hostilité, puisque 46 % des répondants y sont favorables, et 45,5 % opposés. Les mesures radicales, comme une interdiction totale de recruter des candidats locaux, sont généralement écartées, tandis que les solutions de compromis rencontrent un écho plus favorable.

Du reste, le « localisme » s'entretient.
Ainsi, au sein de la section 63 du CNU (électronique), seuls 20 % des maîtres de conférences ont changé d'université ou de laboratoire, et trois professeurs sur 40. Cette très faible mobilité comporte un véritable risque de sclérose du système et des capacités d'innovations scientifiques de notre pays.

Votre rapporteur estime que le fait d'être un candidat local ne doit être ni un avantage ni une tare. Il faut donc mettre en place des mécanismes assurant cette neutralité. Le meilleur, mais il ne joue qu'à long terme, est certainement de laisser jouer la « sélection naturelle » entre universités. Si une université accepte de « mauvais » recrutements locaux, elle dévalorise son potentiel d'encadrement et se décrédibilisera progressivement. Pour ce prémunir contre ce risque, le choix des deux rapporteurs par le président de la commission de spécialistes est capital. Il faudrait à tout le moins que l'un d'eux, voire les deux, soit extérieur à l'université, alors que ce n'est aujourd'hui qu'une faculté pour l'un d'eux.

Un des enseignements du sondage : les « localo-confiants » et les « localo-défiants »

Le fait de procéder au tri croisé des réponses à un certain nombre de questions du sondage, met en évidence l' existence d'un clivage entre des universitaires opposés, voire suspicieux à l'égard des recrutements locaux - ce sont les « localo-défiants » -, et d'autres, qui sont moins réservés sur ce phénomène - ce sont les « localo-confiants » .

Or, les résultats du sondage montrent que, parmi les répondants, 63 % se rangent dans la catégorie des « localo-défiants », car ils sont favorables à l'interdiction, ou en tout cas, à la limitation, du recrutement par les universités de leurs propres docteurs, et 37 % dans la catégorie des « localo-confiants », car ils se déclarent opposés à de telles mesures.

Il convient dès lors d'observer les principales caractéristiques de ces deux « profils-types ».

Les « localo-défiants » sont plutôt professeurs (68 %) que maîtres de conférences (58 %). Ils exercent leur profession le plus souvent dans une école d'ingénieur (71 %). Logiquement, ils représentent 71 % des universitaires à n'avoir pas été recrutés comme maîtres de conférences dans l'université dans laquelle ils avaient soutenu leur thèse, et 70 % ne sont d'ailleurs pas satisfaits de la façon dont se déroule le recrutement des maîtres de conférences. 74 % sont favorables à l'institution d'un concours national sur épreuves, pour les recrutements. Ils sont également plus nombreux à souhaiter que les sections du CNU comprennent davantage de membres extérieurs au système universitaire, demandant à y voir siéger plus de chercheurs (71 %), de personnalités extérieures (71 %) ou d'universitaires étrangers (70 %), et sont relativement méfiants à l'égard des membres élus. De même, la composition actuelle des commissions de spécialistes ne leur donne pas satisfaction (67 %), souhaitant, dans ce cas-là aussi, y voir davantage de personnalités extérieures. De même, en ce qui concerne les promotions de classe, ils estiment, à 71 %, que l'instance nationale est la plus légitime pour en décider. 71 % d'entre eux ont déjà travaillé dans plusieurs universités, et 70 % dans une université étrangère. Ils représentent 74 % des universitaires intéressés par une mobilité définitive dans un organisme de recherche. Ils sont plus des deux tiers (69 %) à estimer que l'obligation constitutionnelle de rendre compte de son activité est insatisfaisante dans le système universitaire.

En revanche, les « localo-confiants » sont en général maîtres de conférences, à 42 %, contre 32 % de professeurs. Ils se rencontrent surtout chez les universitaires des disciplines littéraires et artistiques (48 %). Il y a parmi eux 45 % de présidents (ou anciens présidents) d'université et directeurs (ou anciens directeurs) d'IUT. 46 % d'entre eux ont été recrutés comme maîtres de conférences dans l'université dans laquelle ils avaient soutenu leur thèse (contre 29 % qui ne sont pas dans ce cas). 43 % se disent satisfaits des modalités actuelles de recrutement des maîtres de conférences, et 44 % considèrent que le système actuel de recrutement donne satisfaction. Ils sont favorables à ce que les sections du CNU comptent davantage de membres élus (44 %), et 42 % s'estiment satisfaits de l'actuelle composition des commissions de spécialistes. De surcroît, ils sont 56 % à juger que l'instance locale est la plus légitime pour examiner les candidatures à des promotions de classe. L'évaluation des enseignements par les étudiants rencontre l'opposition de 43 % de ces universitaires, de même que l'établissement d'un contrat pluriannuel conclu avec le président de l'université (44 %). Ils sont généralement moins mobiles, puisque 43 % n'ont jamais travaillé dans une autre université, encore moins (42 %) dans une université étrangère. 42 % estiment satisfaite l'obligation de rendre compte de ses activités à l'université.

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