N° 164

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2001

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 janvier 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel du Règlement et d'administration générale (1) sur la jurisprudence « Perruche » ,

Par M. René GARREC,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. René Garrec, président ; M. Patrice Gélard, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, José Balarello, Robert Bret, Georges Othily, vice-présidents ; MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; M. Jean-Paul Amoudry, Mme Michèle André, M. Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Lucien Lanier, Jacques Larché, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.

Vie, médecine et biologie .

AVANT-PROPOS

_____

« Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme X avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues. »

L'arrêt Perruche, rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 17 novembre 2000, puis confirmé par des arrêts des 13 juillet 2001 et 28 novembre 2001, a suscité une intense émotion et des débats passionnés.

Un enfant né handicapé peut-il lui-même demander réparation d'une faute médicale ayant empêché sa mère de recourir à une interruption volontaire de grossesse, seul moyen d'éviter la naissance handicapée ? En répondant positivement à cette question, malgré les réquisitions contraires de son avocat général, la Cour de cassation a accueilli de manière spectaculaire l'action dite « de vie préjudiciable » 1 ( * ) aujourd'hui écartée presque partout dans le monde.

Depuis que cet arrêt a été rendu, les réactions se sont multipliées. La doctrine a livré de nombreux commentaires, contradictoires mais majoritairement défavorables, de cette jurisprudence.

Le 29 mai 2001, le comité consultatif national d'éthique a rendu un avis dans lequel il a notamment souligné que « la reconnaissance d'un droit de l'enfant à ne pas naître dans certaines conditions apparaîtrait hautement discutable sur le plan du droit, inutile pour assurer l'avenir matériel des personnes souffrant de handicaps congénitaux et redoutable sur le plan éthique. En effet, un tel droit risquerait de faire peser sur les parents, les professionnels du diagnostic prénatal et les obstétriciens, une pression normative d'essence eugénique ».

Plusieurs propositions de loi destinées à mettre fin à cette jurisprudence ont été déposées, notamment au Sénat 2 ( * ) .

Le 13 décembre 2001, l'Assemblée nationale a examiné, dans le cadre de son ordre du jour réservé, une proposition de loi présentée par M. Jean-François Mattei tendant notamment à compléter l'article 16 du code civil par les deux phrases suivantes :

« Nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance.

« Lorsqu'un handicap est la conséquence directe d'une faute, il est ouvert droit à réparation dans les termes de l'article 1382 du présent code ».

La discussion de cette proposition de loi n'a cependant pu être conduite à son terme. Au cours du débat, Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, a souligné qu'une évolution législative pourrait être envisagée dans le cadre du projet de loi relatif aux droits des malades en instance d'examen par le Sénat : « Donnons-nous donc le temps. Et si nous trouvons une proposition qui ne soit pas un leurre par rapport aux problèmes soulevés, nous pourrons dans quelques semaines l'introduire dans le projet de loi relatif aux droits des malades, qui sera voté avant la fin de la législature ».

Dans ce contexte, la commission des Lois du Sénat, saisie pour avis du projet de loi relatif aux droits des malades, saisie au fond des propositions de loi relatives à l'indemnisation du « préjudice d'être né », a souhaité procéder à des auditions publiques sur la jurisprudence Perruche et l'opportunité pour le législateur d'intervenir sur cette question.

Les auditions du mardi 18 décembre 2001 ont permis aux membres de la commission ainsi qu'à l'ensemble des sénateurs intéressés, d'entendre des professeurs de droit, l'avocat général de la Cour de cassation ayant requis dans l'affaire Perruche, des associations représentants les handicapés et leurs familles, enfin le président du comité consultatif national d'éthique.

Tous les intervenants ont constaté l'insuffisance des moyens consacrés par notre société à la prise en charge des personnes handicapées. Tous ont observé que les parents conduisant des actions judiciaires au nom de leurs enfants le faisaient pour assurer à ceux-ci des conditions d'existence les plus dignes possibles.

Tous ont par ailleurs considéré qu'une faute médicale justifiait une réparation de la part de l'auteur de cette faute.

La plupart des personnes entendues se sont prononcées pour une intervention du législateur, compte tenu des nombreuses interrogations soulevées par la jurisprudence de la Cour de cassation :

- Comment évaluer le préjudice d'un enfant né handicapé, dès lors que la naissance handicapée ne pouvait être évitée que par une interruption de la grossesse de la mère ?

- L'arrêt du 17 novembre 2000 et ceux qui l'ont suivi ne risquent-ils pas de créer des inégalités difficilement justifiables entre des personnes handicapées dont les besoins sont les mêmes ?

- La jurisprudence de la Cour de cassation ne risque-t-elle pas d'entraîner une modification profonde des rapports entre les médecins et les femmes enceintes, les premiers risquant désormais, dans un souci de protection juridique, d'insister fortement sur le moindre risque de handicap ?

- Revient-il à la justice de pallier les insuffisances de la solidarité nationale ?

Afin que le Sénat soit pleinement informé sur une question qui ne peut laisser quiconque indifférent, la commission des Lois livre dans le présent rapport le compte-rendu des auditions qu'elle a conduites, avec l'espoir qu'elles contribueront à faire progresser la réflexion sur l'opportunité et, le cas échéant, les modalités d'une intervention prochaine du législateur.

* 1 « Wrongful life action ».

* 2 Proposition de loi de M. Claude Huriet et plusieurs de ses collègues n° 442 (2000-2001) visant à interdire l'indemnisation du « préjudice d'être né » ; proposition de loi de M. Bernard Fournier et plusieurs de ses collègues n° 103 (2001-2002) tendant à interdire l'indemnisation d'un « préjudice de naissance » ; proposition de loi de M. Jacques Blanc n° 124 (2001-2002) relative à la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux. Ces propositions de loi sont reproduites en annexe du présent rapport.

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