B. UN FACTEUR DE COMPÉTITIVITÉ POUR L'ÉCONOMIE FRANÇAISE

1. Une stimulation de l'innovation technologique

Parallèlement à l'ouverture à la concurrence, les progrès techniques se sont fortement accélérés depuis cinq ans. Ces deux phénomènes se combinent et s'amplifient mutuellement. C'est désormais une palette de technologies qui est proposée au consommateur, qui peut avoir, à bien des égards, l'impression d'un foisonnement un peu anarchique. Enumérer l'ensemble des possibilités de communication, qu'il s'agisse de haut ou de bas débit, de technologie fixe ou mobile, terrestre ou satellitaire, serait trop fastidieux. Mais chacun peut prendre conscience, au quotidien, de ce foisonnement d'innovations.

Toutes ne connaissent, d'ailleurs, pas le même destin.

Ainsi, par exemple, le « WAP » 29 ( * ) , préfiguration de service mobile à « haut débit », n'a-t-il pas connu le succès un temps escompté par les opérateurs, compte-tenu de ses faibles prouesses techniques et faute de service nouveau apporté au consommateur. A l'inverse, le rythme de développement très rapide des SMS (short message service, ou service de messages courts), à l'initiative des abonnés les plus jeunes, n'avait pas été anticipé.

Parmi les technologies en développement, beaucoup concernent le haut débit. On peut, par exemple, citer les techniques RLAN 30 ( * ) (réseaux locaux sans fil) et UMTS 31 ( * ) (téléphonie mobile de troisième génération permettant des échanges de données et d'images), sur lesquelles misent de nombreux équipementiers et opérateurs.

Le foisonnement technologique est tel que l'avenir de chaque technique est incertain. Ainsi, les doutes se sont-ils multipliés sur l'UMTS, certains pointant, outre l'incontestable retard de maturité de la technologie par rapport à l'absurde calendrier de déploiement fixé à Bruxelles, l'absence d'application suffisamment déterminante pour le consommateur pour en assurer le succès commercial.

Pourtant d'après certaines entreprises 32 ( * ) engagées dans l'aventure UMTS, cinq principaux apports sont à attendre de l'Internet mobile. Ils en assureraient l'avenir et le succès auprès des consommateurs. Il s'agit :

de la personnalisation : possibilité de constituer sur son terminal mobile un portail d'accès contenant des informations personnalisées (météo locale, circulation sur les trajets habituels...) ;

des transactions commerciales localisées : par exemple la réservation voire l'achat d'un billet dans le cinéma le plus proche à la prochaine séance encore des informations promotionnelles concernant les commerçants du quartier où est localisé l'abonné ;

de la messagerie texte/photo/vidéo : certains envisagent d'équiper les terminaux de petites caméras pour l'envoi d'images animées, là où aujourd'hui seuls la voix et les textes courts sont possibles (SMS) ;

des services basés sur la localisation : points circulation, guides à la navigation, localisation pour les services d'urgence, gestion de flottes commerciales...

des loisirs : jeux interactifs, échange de clips vidéo, etc...

Parallèlement au foisonnement des techniques et des services, le cycle d'adoption des technologies par le grand public ne cesse de se réduire. Ainsi, s'il a fallu quarante ans pour que 15 % de la population américaine soit raccordée au téléphone fixe, dix ans pour que la même proportion de la population accède à l'électricité, neuf ans pour le téléphone mobile et huit ans pour la télévision, ce délai n'a été, aux Etats-Unis, que de trois ans pour Internet.

2. Un développement de l'emploi et des investissements

a) Le mirage d'une nouvelle révolution industrielle

Le « boom » technologique des télécommunications et d'Internet, se diffusant très rapidement grâce à l'ouverture et l'harmonisation progressive des marchés, a coïncidé avec une phase de croissance économique exceptionnellement longue et vigoureuse , notamment aux Etats-Unis. Cela a conduit plusieurs économistes à parler de « nouvelle économie », estimant parfois que, sous l'effet des gains de productivités liés à la diffusion des nouvelles technologies, une nouvelle révolution industrielle était en cours, fondée sur l'économie de la connaissance, gage d'une croissance endogène et durable, au rebours des théories sur les cycles économiques.

Cette phase d'optimisme, qui a alimenté une faramineuse ascension des cours de bourse des valeurs technologiques, sans aucun rapport avec les fondamentaux économiques et les modèles financiers traditionnels, a gonflé une « bulle Internet » spéculative. Son éclatement, accéléré et amplifié par l'erreur historique de l'Europe sur le calendrier et le prix d'introduction de la téléphonie mobile de troisième génération, laisse place à un paysage sinistré.

Cet emballement et ce retournement, tous deux particulièrement brutaux, ne doivent pas masquer le réel potentiel économique des secteurs des télécommunications et de l'Internet.

Après l'euphorie de 2000, votre commission considère qu'un pessimisme outrancier n'est pas non plus de mise, sur un marché qui connaît chaque année, en termes d'usages finals, une croissance à deux chiffres.

b) La difficulté d'une évaluation réaliste de l'impact macroéconomique du secteur

Le secteur des télécommunications constitue l'un des grands moteurs actuels de la croissance. La libéralisation du secteur a sans aucun doute contribué à alimenter ce moteur. En effet, elle est intervenue dans un contexte où la plupart des grands opérateurs historiques avaient achevé leur plan d'équipement de base du territoire en téléphonie fixe et effectué la plupart des investissements correspondants.

La libéralisation a donc constitué un des relais de croissance, avec l'arrivée de nouveaux opérateurs et de fournisseurs de services de plus en plus nombreux. Le développement de nouveaux types d'infrastructures a renforcé ce mouvement, avec d'abord le déploiement de la téléphonie mobile, puis les réseaux au protocole Internet (IP), ainsi que l'intégration au sein des réseaux et des systèmes de fonctionnalités de plus en plus avancées, faisant appel aux applications logicielles.

En France par exemple, l'investissement a été porté jusqu'au milieu des années 1990 par les dépenses de l'opérateur historique, engagé dans un vaste programme de modernisation du réseau fixe. Au sortir de cette période, et après un creux au milieu des années 1990, l'investissement est reparti, tiré d'abord par les travaux de déploiement des réseaux cellulaires, puis relayé par la montée en charge des opérateurs alternatifs à la suite de l'ouverture complète du marché en 1998.

D'après certaines études 33 ( * ) , les investissements en France des opérateurs et fournisseurs de services ont augmenté de 50 % entre 1996 et fin 1999, pour atteindre le chiffre de 41 milliards de francs à cette date. En 1990, l'enveloppe d'investissements dans le secteur en France, portée entièrement par France Télécom, était de 33 milliards de francs.

Mais l'impact économique global de ce secteur reste difficile à mesurer, surtout depuis le retournement de la bulle financière sur les valeurs technologiques. Deux études ont été effectuées, à la demande du Gouvernement, sur l'appréciation macro-économique du développement des technologies de l'information, mais leurs conclusions, remises en 2000, dans un contexte d'euphorie boursière autour des valeurs technologiques, mériteraient d'être réévaluées à l'aune de la nouvelle conjoncture.

Ces résultats demeurent toutefois instructifs, même s'ils concernent un périmètre quelque peu élargi par rapport au seul secteur des télécommunications, puisqu'il s'étend à l'ensemble des technologies de l'information et de la communication.

Ainsi, l'étude du BIPE 34 ( * ) , par exemple, a-t-elle montré que les technologies de l'information et de la communication (TIC) tiennent en 2000 une place centrale dans l'économie, jouant, en tant que secteur d'activité, à armes égales avec de nombreux autres secteurs fréquemment considérés comme des poids lourds de l'économie (automobile, transports, etc...), mais insufflant, en outre, dans tous les domaines de l'économie, des gains de productivité et de l'innovation. Cette étude chiffrait à 660.000 le nombre d'emplois du secteur des TIC au sens large, dont plus de 100.000 emplois créés, depuis 1994, dont la moitié pour la seule année 1998. L'étude indiquait : « avec un taux de croissance de 9 % en 1998, l'emploi dans les TIC se montre ainsi particulièrement dynamique ».

Plus précisément, d'après une autre étude, effectuée par l'IDATE pour le compte du secrétariat d'Etat à l'industrie, l'évolution de l'emploi chez les opérateurs de télécommunications en France était la suivante :

EVOLUTION DE L'EMPLOI EN FRANCE
DANS LE SECTEUR DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

1997

1998

1999

2000

1997-2000

164 500

168 450

170 500

180 000 (estimation)

+15 500

Source : IDATE

Ces chiffres recouvrent à la fois les effectifs des opérateurs de réseaux mais également ceux des fournisseurs de services et des distributeurs.

La diffusion de ces technologies a, en outre, des effets induits positifs sur l'ensemble de l'économie (développement de nouvelles fonctionnalités, amélioration des services, personnalisation des offres, nouveaux débouchés) : l'étude estimait qu'un milliard de francs de demande supplémentaire en produits du secteur entraîne un accroissement du PIB de 2,2 milliards de francs. Ce potentiel d'entraînement économique était qualifié par l'étude du BIPE de « nouveau et significatif ».

Pour les auteurs, « un cercle vertueux semble donc s'engager entre l'innovation de services et l'industrialisation des services : de l'innovation découle une utilité accrue qui stimule la demande, de l'industrialisation découle l'innovation du fait des potentialités offertes par les technologies d'information et de communication. Les deux phénomènes, conjoints et solidaires, créent et de la richesse et de l'emploi ».

Une autre étude 35 ( * ) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, indique que la contribution du secteur des télécommunications à la balance commerciale de la France est très élevée : 34 milliards de francs en 2000, soit plus des deux tiers du solde positif extérieur des biens d'équipement.

Les exportations du secteur affichent 28,8 % de croissance annuelle moyenne entre 1994 et 1999, contre 7,7 % pour l'ensemble de l'industrie et 13,3 % pour la totalité des biens électriques et électroniques. Au cours de la même période, les importations ont augmenté à un rythme légèrement inférieur à celui des exportations : + 25,6 % par an. Cette étude montre que l'industrie française des télécommunications est compétitive sur la scène internationale et qu'elle gagne des parts de marché. Elle détient 6 % du marché mondial en 1998 et se situe derrière les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, la Suède et l'Allemagne.

Enfin, une étude du SESSI du ministère de l'économie et des finances indique que les investissements du secteur ont augmenté de 11 % par an depuis 1994, bien plus rapidement que dans le secteur des industries électriques et électroniques (+2,8 %). Ces investissements portent principalement sur la fabrication des terminaux mobiles, ainsi que sur les infrastructures pour réseaux mobiles et la transmission à haut débit par Internet.

D'après l'ART, les montants d'investissements réalisés en France (flux d'investissements bruts comptables) par les opérateurs titulaires de licences dans les services de télécommunications ont atteint, au cours de l'année 2000, 7,8 milliards d'€ (51,2 milliards de francs), en hausse de 32,2 % par rapport à 1999.

INVESTISSEMENTS (EN MILLIONS D'EUROS) EN FRANCE

1998

1999

2000

TOTAL

5 525

5 909

7 815

Part de France Télécom

56,6%

50,5%

42,5%

Part des opérateurs alternatifs

43,4%

49,5%

57,5%

Source : ART

c) La brutalité du retournement conjoncturel

Venant tempérer ces analyses positives, depuis l'éclatement de la bulle « Internet » et le retournement de la conjoncture, le nombre de pertes d'emplois du secteur des télécommunications au niveau mondial (et surtout aux Etats-Unis) est particulièrement impressionnant.

En totalisant les suppressions d'emploi et les non-renouvellements de postes, on arrive au chiffre de 436.000 suppressions d'emplois sur les 11 premiers mois de 2001 , d'après un baromètre tenu à jour par le journal Financial Times .

SUPPRESSIONS D'EMPLOIS DANS LE SECTEUR DES TÉLÉCOMMUNICATIONS SUR LES ONZE PREMIERS MOIS DE 2001

Sociétés

Suppressions d'emplois

Secteur

Nortel Networks

49 000

Équipement réseau

Lucent Technologies

44 910

Équipement réseau

Motorola

39 000

Équipement mobiles

China Unicom

34 478

Opérateur Telecom

Alcatel

33 000

Équipement réseau et mobiles

Ericsson

22 000

Équipement réseau

Solectron

20 700

Équipement réseau

Siemens

17 000

Équipement mobile et réseau

JDS Uniphase

16 000

Composants optiques de réseau

Corning

12 000

Composants fibre optique

Philips

11 570

Équipement mobile

ADC

9 500

Equipement large bande

Cisco Systems

8 500

Equipement de réseau

Matsushita

8 000

Équipement mobile

Worldcom Group

8 000

Opérateur alternatif de télécom

Marconi

7 000

Équipement de réseau

KPN

6 800

Opérateur télécom

Sprint

6 000

Opérateur télécom

Agere Systems

6 000

Composants réseaux

British Telecommunications

6 000

Opérateur télécom

3com

6 000

Composants réseau

Cable and Wireless

5 500

Opérateur réseau

NTL

5 000

Opérateur de câble

QWest

3 000

Opérateur télécom

France Telecom

3 000

Opérateur télécom

TOTAL

436 000

Industrie des télécoms

Source : Site Internet du Financial Times, novembre 2001

Toute la question est de savoir si ce rétrécissement de l'emploi annulera ou non les hausses intervenues depuis l'ouverture à la concurrence.

S'agissant de la santé financière des opérateurs sur le seul territoire français, l'ART indique que le nombre d'opérateurs autorisés en France est passé de 130 en 2000 à 110 en 2001. Dans un document confidentiel remis à votre rapporteur par une des personnalités auditionnées, il apparaît que la situation financière d'un nombre important d'entre eux est particulièrement délicate , sans parler des dépôts de bilan et redressements judiciaires déjà réalisés, dont la presse s'est largement fait l'écho (360 Networks, Atlantic Telecom, Facilicom International, Intercall, Kast Telecom, Landtel, Mangoosta, One Tel, RSL Com, Viatel, Western Telecom, Winstar communications, Dolphin Telecom...). Cette fragilisation favorise la restructuration du secteur : ainsi, l'opérateur LDCom a-t-il repris les opérateurs Fortel, Kaptech et Belgacom, tandis que 9 Telecom devrait prochainement changer d'actionnaire. Selon cette même source, en France, un opérateur sur trois rencontrerait actuellement des difficultés financières .

Cette analyse est confirmée par une récente livraison de La lettre des télécommunications , qui chiffre à 36 le nombre d'opérateurs français rencontrant de sérieuses difficultés financières.

Parallèlement, de nombreuses décisions d'investissement, tout particulièrement pour la technologie de la boucle locale radio, ont été reportées, voire annulées.

Même s'il est encore trop tôt pour trier un bilan définitif, il est vraisemblable que le « krach » des valeurs technologiques aura durablement affaibli, en France comme dans le reste du monde, un nombre important d'acteurs du secteur.

3. Une amélioration des services rendus aux entreprises

L'ouverture à la concurrence a permis d'améliorer les services rendus aux entreprises, consommatrices croissantes de services de télécommunications.

Dans sa réponse écrite au questionnaire de votre rapporteur, le mouvement des entreprises de France (MEDEF) met en lumière les effets positifs pour les entreprises de la réduction des coûts et de l'amélioration de l'offre de services de télécommunications : « Les services de télécommunications irriguent la compétitivité de tous les secteurs de l'économie, aussi bien par leurs coûts en réduction au sein des fonctions de production et de distribution que par leurs effets sur la productivité des entreprises ».

Dans cette optique, le mouvement patronal estime que la réglementation des télécommunications doit avoir pour but prioritaire de privilégier la compétitivité et l'efficacité des entreprises françaises tant au sein de l'Union Européenne que dans le processus de globalisation de l'économie.

« Depuis le début des années 1990, le MEDEF a soutenu la libéralisation du secteur des télécommunications en France, dans le cadre de la politique générale de l'Union Européenne, et il se félicite du rôle joué par une concurrence effective sur les prix et la qualité des services de certains segments de marché ».

Pour l'avenir, le MEDEF estime qu'une large diffusion des technologies de l'information et de la communication dans l'ensemble de la société et sur tout le territoire est l'un des grands enjeux de la décennie.

« Cette évolution se fonde d'ores et déjà sur la rapide appropriation des nouvelles technologies numériques, dans les usages conjugués de la voix, de l'Internet et de l'audiovisuel. Cette évolution ne peut que s'accélérer et devenir un facteur déterminant de la modernité des nations . Elle doit s'inscrire au plus tôt dans les programmes de l'éducation nationale pour ne pas créer un retard français en la matière ».

Outre les retombées économiques, l'ouverture à la concurrence des télécommunications a permis d'acclimater, en France, un nouveau mode de « régulation », avec la création de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART).

* 29 Wireless application protocol

* 30 Radio local area network.

* 31 Universal mobile telecommunication system.

* 32 C'est notamment l'analyse d'Ericsson.

* 33 Etude disponible sur le site internet de l'IDATE

* 34 Les technologies de l'information et des communications et l'emploi en France, juin 2000.

* 35 Les 4 pages du SESSI, Août 2001.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page