B. LA MONTÉE DE LA PROSTITUTION ET L'INTERNATIONALISATION DES RÉSEAUX DE PROXÉNÉTISME

La prostitution est beaucoup plus difficile à appréhender aujourd'hui qu'à l'époque des maisons closes. D'une part, dans un état abolitionniste, elle est considérée comme une activité légale et donc non contrôlée. En outre, les réseaux de proxénétisme sont, depuis une dizaine d'années, devenus transnationaux.

Face à ces évolutions la délégation réaffirme la nécessité de disposer d'une structure d'observation du phénomène prostitutionnel dans sa globalité, structure vers laquelle « remonteraient » les informations en provenance tant des services de police que des acteurs sociaux et qui permettrait ainsi de parvenir à l'approche à la fois quantitative et « qualitative » de la prostitution qui constitue le préalable indispensable d'une politique ambitieuse .

1. Les signes de la montée de la prostitution sur la voie publique

En 2000, l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) évaluait à près de 12.000 le nombre de personnes se prostituant dans la rue et à 3.000 celui des professionnelles exerçant dans les bars à hôtesses ou les salons de massage, enregistrant ainsi une relative stabilité des effectifs en France. D'après, l' OCRTEH, sur ce total de 15.000 personnes, 7.000, environ, se prostitueraient à Paris.

Il convient de noter que ces indications chiffrées correspondent à des estimations à partir des seuls contrôles effectués sur la voie publique. Certaines associations, comme le Bus des Femmes, évaluent plutôt à 4.000 le nombre de prostitué(e)s à Paris. En sens inverse, de nombreux élus et observateurs de terrain considèrent que la prostitution se développe de manière importante en France et en Europe.

D'après la mission d'information de l'Assemblée nationale (rapport n° 3459 de M. Alain Vidaliès du 12 décembre 2001), les effectifs de la prostitution se chiffrent à 200 à Montpellier, 250 à Strasbourg et 350 à Nice. Pour Marseille, « les données ont varié selon les interlocuteurs dans une fourchette de 380 à près de 450. Ces variations peuvent s'expliquer tant par le manque d'éléments statistiques recensés au plan national et la perception différente du phénomène selon le champ d'activité des responsables rencontrés que par la mobilité de la population concernée, qui passe rapidement d'une ville à l'autre, voire d'un pays à l'autre, notamment dans les zones frontalières ».

Votre rapporteur, sur la base des informations qui lui ont été fournies lors de ses auditions, souligne que la mobilité et le renouvellement permanent des jeunes femmes embrigadées dans les réseaux de proxénétisme conduisent à majorer très fortement les évaluations reposant sur les seuls contrôles effectués sur la voie publique.

2. Une certitude : la forte augmentation de la prostitution d'origine étrangère

En toute certitude, on constate, ces dernières années, une forte augmentation de la prostitution d'origine étrangère.

Selon l' OCRTEH, depuis 1999, les jeunes femmes étrangères offrant des services sexuels représentent plus de la moitié du nombre total de prostituées, alors que leur proportion était inférieure à 30 % il y a quelques années. Pour ce qui est de la prostitution de voie publique -la plus visible-, la part des étrangères dans les principales villes était en 2000 la suivante : 60,35 % à Paris, 63 % à Nice, 51 % à Strasbourg, 37 % à Marseille, 30 % à Toulouse. S'agissant des hommes, la tendance est encore plus marquée : à Paris, 78 % des prostitués étaient des étrangers.

On constate au fil de ces derniers mois une évolution des nationalités représentées. Leur répartition dans les différentes régions s'explique, bien évidemment, au départ par les voies que les prostituées empruntent pour accéder au territoire : ainsi, les femmes originaires du Maghreb représentent 54 % des prostituées étrangères à Marseille alors qu'à Strasbourg, 90,4 % d'entre elles sont originaires des pays de l'est et des Balkans. A Nice, la part des prostituées de ces mêmes régions atteint 78 %.

Cette augmentation est imputable, en partie, à l'arrivée massive, depuis la chute du mur de Berlin, de femmes originaires des pays de l'Est, notamment de Tchécoslovaquie, d'Albanie, d'Ukraine et de Russie.

Toutes les nationalités de l'est sont concernées, avec une évolution en fonction des événements politiques et de la situation économique des différents pays. Se sont jointes aux ressortissantes roumaines, hongroises, bulgares, tchèques, croates et serbes du début des années 90, de jeunes Russes, Ukrainiennes, Slovaques, Moldaves, Slovènes et Lettones. Depuis 1997, sont apparues des Albanaises du Kosovo, de Macédoine et d'Albanie. Sur ce dernier point, on a pu constater que la diminution des troupes internationales de maintien de la paix présentes dans ces régions a provoqué un afflux de jeunes femmes sur les trottoirs parisiens par exemple.

L'effondrement de l'empire soviétique et la décomposition de la Yougoslavie ont ainsi accéléré un phénomène dont la cause est connue : la misère. Généralement enlevées, abusées ou séduites, ces femmes sont parfois volontaires. Elles espèrent gagner suffisamment d'argent pour rentrer au pays et faire vivre leur famille. Les trois quarts ne se sont jamais prostituées auparavant.

Les chiffres du proxénétisme illustrent bien cette évolution, puisque 33 % des procédures judiciaires engagées en 1999 concernaient des prostituées des pays de l'Est.

Il existe également d'importantes filières africaines en provenance aussi bien du Maghreb (Algérie et Maroc, principalement) que d'Afrique noire francophone (Cameroun notamment) ou anglophone (Ghana, Nigeria). Les associations que la délégation avaient entendues à l'occasion du colloque du 15 novembre 2000 ont toutes souhaité attirer l'attention sur l'importance et la violence de ces filières, qui sont généralement « moins médiatisées » que les réseaux d'Europe de l'Est ; le proxénétisme africain, en progression sensible, représentant 5,5 % du total. On peut noter que ces communautés africaines sont très présentes (à Paris, 23 % du total des femmes prostituées et 38 % des prostituées de nationalité étrangère), avec une forte proportion des prostituées en provenance de la Sierra Leone et du Nigeria.

Ces femmes sont en général jeunes, sans qu'il soit toujours possible de déterminer si elles sont ou non mineures puisqu'elles se font souvent confisquer tous leurs papiers d'identité par leurs exploiteurs qui voient ainsi un moyen de les garder sous leur emprise.

La deuxième évolution significative concerne la structure même de la prostitution, avec la multiplication des réseaux de proxénétisme . Cette évolution est liée au développement de la prostitution étrangère, beaucoup plus organisée que la prostitution française. Ces réseaux, qui ont souvent une organisation de type mafieux, utilisent fréquemment la violence pour assurer une obéissance sans faille des prostituées (viols, menaces sur leur famille, confiscation des papiers d'identité). Certaines femmes sont même achetées et vendues plusieurs fois, avant leur arrivée sur le « marché » français, alimentant ainsi de véritables filières de traite d'êtres humains.

Quelques affaires récemment mises au jour par la police illustrent le caractère esclavagiste et international de ces organisations. Les services ont notamment travaillé au cours de l'année 2000 au démantèlement d'un réseau ayant contraint cinq jeunes Françaises à se prostituer dans des « eros centers » allemands, d'une filière de recrutement de prostituées brésiliennes devant exercer dans une boîte de nuit à Cayenne, d'une autre filière de prostituées originaires d'Amérique du sud et d'Europe de l'est exerçant dans un établissement en Guadeloupe.

D'après les indications fournies par l'OCRTEH, les réseaux localisés en Europe de l'Est représentent près de la moitié des mises en cause pour proxénétisme au cours de l'année 2001.

Les « recettes » générées par la prostitution en France, comparables à celles du trafic de stupéfiants, sont évaluées entre 2,3 et 3 millions d'euros, dont 70 % au profit des proxénètes. D'après l'OCRTEH, chaque prostituée travaillant au sein d'un réseau est supposée « rapporter » entre 450 et 760 € par jour, somme dont elle ne garderait environ que 45 € pour subvenir à ses besoins ; le proxénète, lui, en fonction du nombre de femmes « contrôlées », pourrait gagner jusqu'à 9.150 € par jour. Cependant, comme l'a souligné un représentant de l'Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE), il s'agit d'une activité « beaucoup moins dangereuse que le trafic de drogue, car il n'existe encore aucun cadre juridique international pour le combattre ».

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