C. LES ATTENTES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE ET L'IMPÉRATIF DE LA PRÉVENTION

1. Maintenir la tranquillité publique

Depuis plusieurs mois, les élus locaux et les riverains dans plusieurs grandes villes de France ont interpellé les pouvoirs publics pour leur demander de mettre fin au développement des réseaux de prostitution essentiellement en provenance d'Afrique et d'Europe centrale.

La politique abolitionniste interdisant d'appliquer à la prostitution des réglementations spécifiques, c'est par le biais de leur pouvoir de police que certains maires, confrontés aux plaintes de riverains, interviennent pour contrarier l'exercice de l'activité prostitutionnelle dans un but de tranquillité publique.

Ainsi, confrontées aux pétitions et autres manifestations d'exaspération de la population, des municipalités comme Strasbourg Lyon ou Orléans ont pris, à partir du printemps 2000 un certain nombre d'arrêtés relatifs au stationnement et à la circulation pour gêner la pratique de la prostitution et donner une base juridique à l'intervention des forces de police. Le stationnement et l'arrêt des véhicules ont par exemple été interdits à certains endroits entre 20 heures et 6 heures du matin pour mettre un terme aux nuisances sonores que subissaient les riverains et garantir la sûreté et les commodités de passage. Cette politique a donné des résultats perceptibles : la prostitution certes n'a pas disparu, mais elle a été repoussée à l'extérieur.

2. Prévenir le risque prostitutionnel chez les jeunes.

Une enquête menée par le Service insertion jeunes de l'A.N.R.S. (Association nationale de réadaptation sociale), menée d'avril 1995 à mars 1996 auprès de 80 jeunes âgés de 18 à 25 ans, a eu pour objet de repérer les situations qui préfigurent une évolution vers la prostitution. Plusieurs conclusions peuvent être retenues de cette enquête : les jeunes en danger de prostitution, sont en majorité des filles en situation d'errance et ne disposant d'aucun revenu. Le passage par les services éducatifs et le réseau d'insertion diminue le risque prostitutionnel.

a) Les tendances actuelles de la prostitution chez les jeunes

D'après cette enquête, la plupart des jeunes se prostituent de façon occasionnelle : dans l'urgence, en échange d'un hébergement, d'un repas, d'un réconfort contre l'isolement social, par recherche d'un « plus » (achats, sorties, loisirs, etc.) ou par dépendance (drogue). Cette forme de prostitution n'entraîne pas automatiquement l'entrée définitive dans la prostitution « professionnelle ». Difficilement repérable et mesurable (bars, discothèques, appartements, voitures, caves, parkings, etc.), mobile, elle se pratique en marge des réseaux de proxénétisme classique. Associée à un sentiment de honte, de faute, cette expérience douloureuse n'est généralement pas nommée d'emblée. Si elle l'est, cette identification n'est pas acceptée.

L'entrée dans la prostitution semble s'effectuer sans préméditation, par différents mécanismes progressifs dont les jeunes n'ont généralement pas conscience. Les auteurs de l'étude identifient trois phases d'entrée des jeunes dans la prostitution :

- des dysfonctionnements liés à l'histoire personnelle et sociale réactivées par un évènement déstabilisant ;

- la médiation d'une personne ou d'un groupe qui aboutit progressivement à l'entrée du jeune dans la prostitution, par persuasion, duperie, promesse, conformisme au groupe, curiosité, besoins de la satisfaction de besoins élémentaires ou d'une envie de loisirs ;

- et enfin, une phase semi-professionnelle marquée par une distanciation progressive des dispositifs d'aide sociale et d'insertion professionnelle, avec l'apparition d'une « identité » prostitutionnelle.

b) Les différences entre garçons et filles

La prostitution, chez les filles, motivée par la recherche d'argent, dévie sur des violences, sur fond de déception amoureuse et de promesses non tenues de vie meilleure. Les relations avec les clients restent souvent impersonnelles et effectuées dans l'anonymat, les lieux de pratique sont souvent dégradants.

L'entrée dans la prostitution féminine semble passer par des réseaux intermédiaires d'initiation : offres d'emploi déguisées, activités « artistiques » (photos), invitations à des soirées, propositions d'hébergement, etc. Changeant souvent de secteur pour ne pas se faire identifier comme « prostituées », habillées simplement, elles donnent à leurs clients l'illusion d'une relation nouvelle, que ne peuvent donner des prostituées « professionnelles ».

Selon les enquêtes, la prostitution masculine présente des caractéristiques différentes. C'est par réaction à un rejet familial et social parfois très précoce, empêchant la reconnaissance de leur identité (homosexualité par exemple), que les jeunes garçons s'orientent parfois vers la prostitution. La prostitution masculine semble véhiculer davantage de sentiment de rejet et d'exclusion face au droit à une existence autonome.

c) Les facteurs de risque prostitutionnel
(1) Les facteurs de base

D'après les sociologues, les histoires personnelles et familiales des jeunes en danger de prostitution montrent que plus de 53 % ont un parcours jalonné d'accidents biographiques destructeurs. On note, par ordre décroissant de fréquence : maltraitances physiques (45 %), violences morales ou verbales (35 %), viols et abus sexuels (29 %), tentatives de suicide (6,5 %), maladies graves (6,5 %), abandons à la naissance (3 %).

Les carences affectives ont aussi des effets destructeurs et engendrent une fragilité, une immaturité affective, une naïveté et une acceptation de la soumission qui fragilisent socialement.

L'isolement social, voulu ou subi, est un important facteur de risque prostitutionnel. Dans les deux cas, les personnes isolées peuvent basculer dans la prostitution ; soit qu'elles soient à la merci du premier venu susceptible d'exploiter la situation par l'apport d'un réconfort social, soit qu'elles soient incapables de rejeter quelqu'un dont le comportement apparaît inacceptable. Cette absence ou cette fragilité du lien social, accentuées par les situations d'errance sociale ou urbaine, cadrent avec la stratégie adoptée par les « rabatteurs » de la prostitution : l'isolement des personnes de leur milieu d'origine, le contrôle de leurs relations sociales, la confiscation de leurs papiers et le renforcement de leur dépendance.

La difficulté à concrétiser un projet professionnel, la fascination pour le mode de vie des grandes villes, les attentes exagérées en matière de consommation ajoutés à l'image du gain facile (sans agression ni vol) peuvent rapprocher du danger de prostitution. Il apparaît que plus de la moitié des jeunes concernés développent à propos de celle-ci de « fausses représentations » en sous-évaluant les risques, et en sur-évaluant les gains.

(2) Les facteurs facilitants

Recherchées ou subies, les ruptures familiales dont les causes sont des divorces, des séparations, des décès, des violences, l'absence des parents, semblent particulièrement aggraver le danger de prostitution, aussi bien par leur caractère déstabilisant pour les personnes fragiles psychologiquement que par l'illusion de liberté qu'elles procurent.

On a pu observer que la rencontre avec la prostitution pouvait se faire pendant ou après une période d'errance qui entraîne la perte des repères sociaux. Cette errance facilite surtout le danger de prostitution dans les cas de difficultés de logement, de recours à la mendicité ou lorsque la dernière solution d'hébergement a été obtenue par relation.

La précarité économique et l'absence d'alternative socioprofessionnelle. représentent un risque supplémentaire s'ils se cumulent avec des problèmes de fond.

La corrélation entre la drogue et le danger de prostitution ne semble pas tout à fait significative. Néanmoins, la dépendance aux drogues reste un facteur d'aggravation du danger prostitutionnel pour les jeunes usant de façon abusive d'antidépresseurs, de tranquillisants ou de drogues dites douces. C'est plus fondamentalement l'absence d'intégration sociale et les liens entretenus avec des groupes à risques, eux-mêmes touchés par les toxicomanies, qui constituent le facteur décisif de risque prostitutionnel chez les jeunes.

Comme l'indiquent les auteurs de l'enquête, « aujourd'hui, la distance s'est réduite entre les jeunes et la prostitution. Les médias, les images, les discours ont rendu la prostitution plus "normale". La représentation sociale de la prostitution s'est modifiée. Même si elle garde un caractère dégradant ou insécurisant, elle est devenue une alternative possible ».

Face à ces dangers, la délégation estime nécessaire de prendre des mesures dissuasives pour contrecarrer l'image de « gain facile » qui s'attache parfois à la prostitution, éviter aux jeunes en situation d'errance le risque d'une dérive prostitutionnelle et combattre les enchaînements néfastes entre la prostitution et la violence qui nuisent au respect de l'intégrité du corps humain et de la dignité des personnes.

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