4. Le débat sur la légalisation : un débat biaisé
a) La décision de légaliser ne peut être prise au seul plan national
Ainsi
qu'on a trop tendance à l'oublier, la question de la légalisation
ne peut pas être réglée au seul plan national. Des
conventions internationales fixent la liste des produit stupéfiants et
psychotropes. La convention de l'ONU de 1988 exige clairement des parties
qu'elles fassent de la possession, de l'achat ou de la culture des drogues
soumises à un contrôle un délit lorsqu'elles sont acquises
à des fins de consommation personnelle.
Par ailleurs, toute dépénalisation ou légalisation de fait
doit être examinée en concertation avec nos partenaires
européens, car comme l'a souligné le professeur Bernard Roques,
il est très dangereux de laisser subsister de telles discordances au
sein de l'Union européenne, d'autant plus que tout changement affectant
la politique des drogues, leur trafic ou leurs modes de consommation a des
répercussions au-delà des frontières d'un pays.
Une
législation répressive dans une région a pour effet de
déplacer le trafic vers des régions de plus grande
tolérance.
En outre, comme l'a rappelé lors de son audition Mme Nicole Maestracci,
ancienne présidente de la MILDT : «
Le mot
« dépénalisation » induit souvent beaucoup de
confusion et d'ambiguïté. En Europe, le mot
dépénalisation est utilisé par beaucoup de pays pour
définir l'absence de peines de prison. Or tous les pays qui ont
supprimé la prison (le Portugal, l'Espagne ou l'Italie) ont prévu
des sanctions de type administratif qui sont un peu l'équivalent de nos
contraventions judiciaires, c'est-à-dire des amendes, des suspensions de
permis de conduire, etc. Autrement dit, nous sommes dans une situation
qui est, de fait, relativement similaire dans l'ensemble des
pays
».
b) Les dommages collatéraux du débat sur la légalisation : des vies gâchées
La
commission d'enquête a été particulièrement sensible
à l'observation faite par Maître Gérard Tcholakian, du
Conseil national des barreaux, selon lequel la profession d'avocat doit faire
le constat que «
malheureusement, lorsqu'on est usager, on a
souvent par nature tendance à basculer à un moment ou à un
autre dans la notion de cession.
» Or, ces jeunes
«
ne se rendent pas compte qu'ils entrent dans un processus,
à partir de l'usage, qui va faire d'eux de vrais délinquants. Bon
nombre de jeunes basculent dans le trafic parce qu'un jour quelqu'un va leur
demander de le dépanner, puis qu'ils effectueront un achat groupé
pour avoir de meilleurs prix...
».
Il ainsi dénoncé les intellectuels qui réclament un
droit à l'usage et oublient de soutenir ces jeunes lorsqu'ils
comparaissent devant un tribunal correctionnel
, sans prise en compte de
leur parcours personnel, «
parce qu'ils passent souvent en
comparution immédiate, avec des dossiers jugés à
l'abattage. Je voudrais donc que l'on pense à ces jeunes qui ne sont
pas, à leurs yeux, des trafiquants et qui le découvrent un beau
jour dans la réalité d'une interpellation et d'un renvoi devant
un tribunal correctionnel
.
Le discours sur la légalisation conduit certains jeunes à ne
plus avoir conscience du fait qu'il sont en train de franchir un pas. Dans ce
discours, on oublie aussi l'approvisionnement, (...) et le fait que se font
prendre dans les filets de jeunes lycéens qui finissent par passer
plusieurs mois en détention, le temps que l'on prenne la mesure de
l'affaire dans laquelle ils sont impliqués. Dans tout cela, il y a des
vies gâchées.
»
c) Le cannabis n'est pas un phénomène culturel
L'affirmation selon laquelle le cannabis serait un
phénomène culturel est à relativiser, ainsi que le
reconnaît d'ailleurs l'un de ses plus fervents zélateurs,
maître Francis Caballero, pour qui le cannabis est un
phénomène de société, mais n'est pas culturel.
En effet, si le chiffre de 10 millions de consommateurs est souvent
cité, il s'agit en fait d'expérimentateurs
,
c'est-à-dire de personnes ayant au moins une fois dans leur vie
fumé du cannabis. Mais beaucoup se sont arrêtés ou vont
avoir une consommation très occasionnelle. La consommation
régulière (10 usages par mois) concerne probablement 250.000
à 300.000 personnes, contre 40 millions de personnes pour l'alcool,
même si cette proportion est nettement plus élevée chez les
jeunes (6,3 % chez les 18-25 ans contre 1,4 % chez les 18-75
ans), ainsi que l'a indiqué à la commission M. Philippe-Jean
Parquet, président de l'OFDT.
Par ailleurs, l'enquête de l'OFDT sur la perception des drogues par les
Français, dont les résultats ont été connus en
février 2003, montre que
77 % des Français ne sont pas
favorables à la vente libre de cannabis
, ainsi que l'a
souligné M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de
la famille et des personnes handicapées. En revanche, parmi les 18-24
ans, 39 % y sont favorables, tout comme 55 % des
expérimentateurs mais également 14 % des abstinents. S'il
est vrai que la situation se dégrade sur ce point -il y a trois ans,
seuls 17 % étaient favorables à la vente libre, 24 %
des 18-24 ans, 45 % des expérimentateurs et 10 % des
abstinents-, M. Jean-Michel Costes, directeur de l'OFDT, a pour sa part
indiqué que sur les trois dernières années, la part des
Français souhaitant une autorisation sous condition du cannabis
était restée stable. Deux tiers des Français sont
opposés à cette solution et un tiers y est favorable.
Ainsi que l'a souligné lors de son audition Mme Nicole Maestracci,
ancienne présidente de la MILDT, le nombre de personnes
considérant le cannabis comme anodin a diminué depuis quatre ans
et on constate une meilleure conscience de la réalité des
risques.