1. Les lacunes du contrôle des établissements par les DDASS
Le
contrôle des établissements par les DDASS a fait l'objet de
nombreuses critiques, dont le rapport de M. Gérard Vincent et
Mme Nathalie Destais, inspecteurs généraux des affaires
sociales, s'est fait l'écho en 1997
36(
*
)
. Mais cette préoccupation
n'est pas nouvelle.
Le comité central d'enquête sur le coût et le rendement des
services publics soulignait : «
En réalité, ce
contrôle
[des établissements]
est insuffisant, moins par
manque de renseignements que du fait d'une mauvaise exploitation de ceux-ci et
d'une mauvaise structure des services.
»
On était alors
en 1964
.
Force est de constater, malgré des initiatives récentes
encourageantes, que la situation a peu évolué.
a) L'activité de contrôle, une mission devenue « secondaire » au fil du temps
Le
rapport précité de l'IGAS s'ouvre sur le constat d'une fonction
d'inspection peu développée et mal organisée au niveau des
DDASS :
« Les constats consignés dans le rapport
Catinchi de l'IGAS en date de janvier 1995 restent totalement
d'actualité. Ce rapport notait que la fonction de contrôle
était devenue subordonnée et résiduelle
(représentant moins de 20 % de l'activité des IASS
37(
*
)
), que très peu d'inspections
en dehors des strictes obligations réglementaires étaient
réalisées et qu'en outre les résultats de telles missions
étaient rarement formalisés et peu exploités. (...) Les
auteurs du présent rapport, deux ans plus tard, ne peuvent que confirmer
la place mineure tenue par la fonction inspection - contrôle -
évaluation dans le travail des DDASS et DRASS... sous réserve
toutefois de quelques initiatives prometteuses dans certaines
régions. »
Le temps consacré aux missions d'inspection par les inspecteurs des
affaires sanitaires et sociales et par les médecins-inspecteurs de la
santé publique s'est ainsi progressivement réduit ces
dernières années, du fait de la charge de travail des DDASS.
Selon le même rapport, la fonction de contrôle semble
particulièrement marginale concernant le secteur social et
médico-social :
« Il est enfin des secteurs
particulièrement oubliés du contrôle, au premier rang
desquels figure l'action sociale et médico-sociale :
établissements sociaux et médico-sociaux (très rares sont
les inspections sur site en dehors des plaintes) ; associations
gestionnaires de tels établissements, financées par l'État
ou l'assurance maladie ; associations responsables d'actions
subventionnées par l'État (rare vérification de
l'effectivité des actions subventionnées). »
Si elle ne cherche pas à généraliser les carences du
contrôle des établissements par les DDASS,
la commission
d'enquête ne peut que constater que de nombreuses remarques des personnes
auditionnées attestent de cette faible implication et semblent aller
dans le sens du constat dressé par l'IGAS
.
Ainsi, Mme Catherine Jacquet, elle-même inspectrice des affaires
sanitaires et sociales à la DDASS des Pyrénées-Orientales,
dressait un constat accablant :
« Lorsque j'ai rejoint ce
département, j'ai constaté que les établissements
d'enfants n'avaient jamais vu le moindre inspecteur. Mes
prédécesseurs ne s'étaient pas rendus dans ces structures.
J'ai, par conséquent, mis deux ans à dresser un schéma
pour 10 établissements seulement. »
De même, Mme Denise Deléglise,
chargée de mission au Centre d'échanges
de ressources en ingénierie sociale (CERIS) et animatrice de
l'association sociale SOLIDEL mettait en avant le peu d'empressement des
autorités de tutelle à rencontrer les
établissements :
« J'ai dirigé des
établissements en région parisienne et notamment un CAT innovant,
hors les murs, à l'époque où ce n'était pas
vraiment à la mode. Nous avons dû attendre deux ans et demi avant
que le responsable de la DDASS vienne sur le terrain voir ce qui se passait.
Nous n'avions aucun contact direct : les budgets étaient
discutés par téléphone ou par fax
. »
Au total, comme le souligne le rapport de l'IGAS, les DDASS semblent souffrir
d'une
« culture ambiguë »
vis-à-vis de
leur mission de contrôle et d'inspection. Il existe en effet une
difficulté certaine à concilier un rôle de contrôleur
avec un rôle de promoteur de politique, d'animateur de dispositif
partenarial ou de maître d'ouvrage de projet.
La commission d'enquête ne nie pas cette difficulté. Il
paraît donc nécessaire
d'améliorer l'organisation
interne des services déconcentrés, afin de permettre
l'identification des deux pôles d'animation et de contrôle et de
mettre fin à la confusion des rôles
. Une certaine
« séparation », qui n'exclut pas la mobilité
des inspecteurs entre ces deux fonctions, est sans doute nécessaire
à l'efficacité de l'exercice de la tutelle sur les
établissements.
b) Un contrôle « au long cours » longtemps cantonné à la procédure budgétaire
Qu'il
s'agisse des DDASS ou des services sociaux départementaux, les
contrôles se sont surtout concentrés sur les aspects financiers et
administratifs du fonctionnement des établissements, au détriment
du contrôle de la qualité du service offert aux personnes
accueillies.
M. Philippe Nogrix reconnaissait ce travers du contrôle des services
sociaux départementaux :
« Actuellement, si vous
interrogez les présidents de conseils généraux, ils vous
répondront à brûle-pourpoint que leur compétence
[en matière d'établissements sociaux et médico-sociaux]
consiste à définir les tarifs appliqués dans les
établissements. Quoi qu'il en soit, il est certain que le conseil
général privilégie la réforme de la tarification
sur le suivi de la qualité. »
Le même constat est dressé par l'IGAS dans son rapport
précité de 1997 :
« les contrôles
d'organismes portent davantage sur des aspects administratifs et financiers que
sur la qualité des prestations et des résultats, le service rendu
aux usagers ou leurs besoins. »
S'il est vrai que, jusqu'à la loi du 2 janvier 2002, la faiblesse du
contrôle des DDASS tenait en partie à l'insuffisance des pouvoirs
des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales, qui restaient en grande
partie cantonnés au domaine budgétaire, les bases juridiques d'un
contrôle plus étendu existaient d'ores et déjà et
n'étaient que rarement exploitées.
La commission d'enquête regrette vivement cette dérive du
contrôle des établissements qui a également pour effet
pervers de conduire les établissements eux-mêmes à
privilégier les aspects budgétaires et administratifs dans leurs
rapports avec les autorités de tutelle
. Elle estime que les
contrôles ne doivent pas porter sur la seule gestion mais sur l'ensemble
de la vie de l'institution. Il s'agit pour les autorités de
contrôle de connaître de façon approfondie les
établissements qui sont sous leur tutelle et d'établir un suivi
régulier afin de pouvoir agir rapidement en cas de dérive de
l'établissement.
c) Des contrôles ponctuels essentiellement réactionnels
Il
semble, par ailleurs, que les contrôles effectués par les DDASS en
vue de la lutte contre la maltraitance restent la plupart du temps des
contrôles « réactionnels »,
c'est-à-dire des contrôles effectués à la suite de
signalements.
Les rencontres de la commission d'enquête avec les représentants
des DDASS de différents départements ont en effet permis de
dégager une typologie des interventions des autorités de
contrôle dans le cadre de situations de maltraitance, que l'on peut
classer en trois grandes catégories.
les interventions faisant suite à une plainte précise
Il s'agit de contrôles effectués le plus souvent dans les
situations de crises les plus graves, à la suite d'actes de maltraitance
pouvant donner lieu à une incrimination pénale. La DDASS
intervient alors pour effectuer une enquête préliminaire, suivie
d'un rapport au procureur de la République.
S'agissant des entretiens réalisés lors de ces inspections, la
commission d'enquête tient à souligner que beaucoup d'intervenants
ont déploré
leur focalisation excessive sur le personnel des
établissements
. L'IGAS elle-même avoue d'ailleurs
s'intéresser davantage aux rencontres avec les professionnels qu'aux
entretiens avec les personnes handicapées accueillies :
« Lorsque nous effectuons des inspections courantes, il est
relativement rare que nous rencontrions les handicapés eux-mêmes.
(...) En règle générale, nous rencontrons davantage les
personnels que les handicapés. »
les inspections déclenchées à la suite d'un
« faisceau d'indices » sur le climat général
de l'établissement
Comme l'indique Mme Emmanuelle Salines, à propos de son
expérience à la DDASS de l'Essonne,
« il
était assez rare que nous ne recevions qu'une seule plainte par
établissement. Un établissement engendrant plusieurs plaintes
générait même plusieurs types de plaintes. Lorsque nous
nous rendions sur place, nous nous rendions très vite compte que les
dysfonctionnements concernaient tout à la fois le personnel, la relation
avec les familles ou encore l'hygiène. »
La principale difficulté de ces interventions réside dans le fait
qu'il n'existe pas de traitement rationalisé des plaintes mettant en
cause des établissements sociaux et médico-sociaux. La
remontée des signalements à la DGAS, organisée par la
circulaire précitée du 30 avril 2002, est certes utile mais le
souci qui l'anime est davantage statistique. Il faut d'ailleurs souligner que,
malgré son caractère peu contraignant, l'ensemble des
départements ne s'y soumettent pas encore : en 2002, seuls 73
départements ont adressé des fiches de signalement au
ministère.
Il paraîtrait donc opportun de promouvoir des procédures d'analyse
des plaintes, afin d'améliorer la sélection des
établissements contrôlés.
Lors de ses déplacements, la commission a pu être informée
d'expériences intéressantes menées à ce sujet au
niveau des conseils généraux. Ainsi, le département du
Rhône a-t-il mis en place une « commission des
plaintes » chargée de coordonner les réponses à
apporter aux signalements qui parviennent à ses services. Le
schéma de traitement des signalements a été prévu
de la manière suivante :
La
commission d'enquête estime qu'une
telle démarche pourrait
utilement être généralisée
. Mais elle plaide
pour qu'elle soit complétée par une étape
supplémentaire : si le fait d'apporter une réponse
coordonnée répond à une attente forte des usagers,
il
est en effet nécessaire de poursuivre l'analyse de ces plaintes, au
niveau non plus individuel mais global, afin de détecter les
dysfonctionnements récurrents d'un établissement et ceux qui
semblent affecter une proportion importante de structures
. Une telle
analyse permettrait en effet de mieux planifier les inspections et de mettre en
place une politique plus générale de prévention des
principaux dysfonctionnements constatés.
les visites inopinées
Plus rares, elles prennent la forme de visites d'inspection.
Mme Emmanuelle Salines, médecin-inspecteur de la santé
publique, décrivait, lors de son audition, la démarche alors
suivie par les inspecteurs :
« Nos interventions prenaient la
forme d'inspections. Celles-ci donnaient lieu à la rédaction de
rapports, envoyés aux établissements concernés avec une
demande de réponse et un certain nombre de préconisations
à mettre place en place. Nous suivions ces préconisations.
Lorsque nous nous apercevions que celles-ci n'avaient pas été
respectées à l'intérieur d'un délai que nous avions
nous-mêmes fixé, nous retournions visiter les
établissements en cause. »
Devant la commission d'enquête, Mme Catherine Jacquet, inspectrice des
affaires sanitaires et sociales dans les Pyrénées-Orientales, a
indiqué avoir découvert une situation de maltraitance à
partir d'une visite fortuite d'établissement, ce qui prouve bien que ce
type de démarche à son utilité
38(
*
)
.
On peut regretter que des visites inopinées ne soient pas plus
systématiquement organisées.
Pour avoir elle-même
pratiqué les deux types de visites, la commission d'enquête estime
que
, même s'il est évident qu'un établissement
prévenu à l'avance ne peut pas remédier à tous les
dysfonctionnements avant l'arrivée des inspecteurs, il est certain,
compte tenu des pressions qui pourraient être exercées sur les
personnes accueillies et sur le personnel, que
la surprise permet des
entretiens plus spontanés et plus fructueux.
Au total, dans ce contexte d'inspections essentiellement
« réactionnelles »,
la commission d'enquête
tient donc à insister sur la nécessité d'un contrôle
plus préventif, dont l'aspect positif pour les établissements
doit être souligné
: les contrôles
réactionnels, sans aucun doute nécessaires, ont en effet un
aspect de sanction qui empêche qu'un partenariat productif soit mis en
oeuvre entre les établissements et les autorités de tutelle, les
établissements ayant systématiquement l'impression d'une remise
en cause brutale de leur professionnalisme.
Il est important de rappeler qu'une inspection peut également être
l'occasion d'une réflexion commune sur les missions et les objectifs de
l'établissement, sur les moyens à la disposition de celui-ci pour
les remplir ainsi que sur les pratiques professionnelles. Il s'agit
également de faire comprendre aux établissement qu'une inspection
peut être l'occasion de faire mieux découvrir aux financeurs la
situation de l'établissement et son projet et de remettre à plat
en conséquence les bases d'élaboration d'un budget
.
En
d'autres termes, contrôle budgétaire et contrôle de la
qualité doivent former un ensemble cohérent.