2. La qualification juridique de « personne vulnérable » dépend de l'appréciation du juge
L'état de vulnérabilité qui est retenu
par
le code pénal comme motif de protection particulière ne saurait
être apprécié de façon systématique
. En
effet, sa définition comme sa portée relèvent de
l'appréciation du juge. L'étude de la jurisprudence pénale
montre que trois caractéristiques sont recherchées par le juge
pour admettre l'état de vulnérabilité :
- celle-ci doit être
apparente ou connue de l'auteur
de
l'infraction : cette condition est notamment précisée en
matière d'aggravation des peines ;
- elle est
spécifique à une situation
donnée
: la vulnérabilité n'est pas
inhérente à la condition de telle personne en
général. Ainsi
le fait d'être reconnue handicapée
ne fait pas de la personne une « personne
vulnérable » de manière certaine et définitive
dans tous les cas
. Il en est ainsi, en particulier, lorsque le code
précise que la personne vulnérable est celle qui n'est pas en
mesure de se protéger. Par conséquent,
une personne
handicapée ne sera considérée comme vulnérable que
si elle n'a pas les moyens d'assurer elle-même sa propre
sécurité
;
-
les causes de la vulnérabilité peuvent varier d'une
incrimination à l'autre
: ainsi l'expression
« déficience physique ou psychique » employée
en matière d'obligation de signalement et d'aggravation des peines
est-elle plus restrictive que celle d'« état physique ou
psychique » utilisée pour délier du secret les
professionnels qui y sont astreints.
Qui sont les « personnes
vulnérables » ?
Les incertitudes du droit
pénal
« La question a été posée de
savoir si toutes les personnes sollicitant une participation des services
sociaux n'étaient pas, par définition, des personnes
vulnérables. Cette généralisation aurait pu avoir pour
conséquence, le cas échéant, d'obliger les professionnels
du travail social à informer les autorités des mauvais
traitements concernant toutes les personnes à même de se
défendre personnellement et surtout, en cas d'abstention, de les faire
tomber sous le coup des sanctions prévues. Ainsi, l'article 434-3 du
code pénal, qui concerne l'obligation de signalement des mauvais
traitements et les sanctions qui s'y rattachent, mentionne-t-il la notion de
déficience physique ou psychique. Cette notion est, à notre avis,
plus limitative que le fait de parler d' « état »
qui est plus général. (...)
« S'il est laissé le soin aux professionnels d'évaluer
la déficience psychique d'un homme maltraité, en dernier recours,
la qualification des faits relèvera toujours de l'appréciation
d'un magistrat. »
Source : La responsabilité civile, administrative et pénale dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux » Jean-Marc Lhuillier, professeur à l'ENSP.
Si la
question de la connaissance du handicap de la victime par l'auteur de
l'infraction ne se pose
a priori
pas pour une personne handicapée
accueillie dans un établissement, l'appréciation de la
capacité de la personne à se défendre par elle-même
doit, elle, s'effectuer au cas par cas.
En témoigne l'analyse de l'article 223-3 du code pénal relatif au
délaissement qui figure au jurisclasseur :
« L'incapacité de se protéger en raison de
l'état physique ou psychique de la victime vise le délaissement
des personnes handicapées physiquement ou mentalement qui se trouvent
dans un état de dépendance à l'égard d'autrui. Le
législateur a voulu, là aussi, les protéger contre le
danger physique résultant de leur solitude.
« Tout devrait alors dépendre de la nature du handicap :
une personne hors d'état de se déplacer physiquement n'est pas
délaissée du seul fait qu'elle est laissée seule, mais
à côté d'un téléphone ; en revanche, un
handicapé mental, même physiquement autonome, pourra être
considéré comme délaissé dès lors que les
circonstances ne lui permettent pas, pour des raisons psychologiques
(débilité, panique...), d'assurer sa propre
sécurité ou d'appeler à l'aide. »
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*
)
Le nouveau code pénal, en remplaçant la référence
à l' « incapacité » par la notion de
« personne hors d'état de se protéger », a
donc certes potentiellement élargi le champ des personnes
protégées au-delà des seules personnes soumises à
une mesure de protection (tutelle ou curatelle) mais il a, en contrepartie,
fait entrer un élément d'incertitude quant à la
définition exacte de la vulnérabilité.