B. UNE PROCÉDURE JUDICIAIRE QUI LAISSE LES VICTIMES AU BORD DU CHEMIN
Plus
encore que pour de nombreux autres citoyens, la justice apparaît aux
personnes handicapées et à leurs familles comme un monde
hermétique. Les reproches qui lui sont adressés sont
divers : absence de prise en compte de la parole de la personne
handicapée, absence de communication sur l'état d'avancement des
procédures et sur les droits des victimes, inadaptation des
procédures à des personnes dont l'autonomie est faible.
Si elle ne peut entièrement souscrire à ces critiques,
exprimées de façon souvent excessive, la commission
d'enquête estime toutefois qu'elles révèlent la
nécessité de mieux prendre en compte, au-delà de la
définition des infractions elles-mêmes, la
spécificité du handicap dans la procédure judiciaire.
1. Une connaissance insuffisante des suites données par la justice
Les
statistiques du ministère des affaires sociales laissent supposer un
taux de transmission à la justice relativement élevé, dans
la mesure où plus de 90 % des cas signalés aux DDASS en 2001
ont fait l'objet d'une saisine du procureur de la République.
Mais au-delà du nombre de saisines, il est malheureusement difficile de
connaître exactement les suites données aux affaires
signalées à la justice, dans la mesure où les seules
statistiques disponibles ne donnent qu'une « photographie à
l'instant » des dossiers ouverts au cours de l'année
étudiée.
Etat,
au 31 décembre 2001 des procédures judiciaires
ouvertes pour maltraitance au cours de l'année
Source : IGAS
Ainsi,
le nombre d'enquêtes préliminaires paraît peu significatif,
dans la mesure où la « photographie » est
très proche de l'ouverture du dossier : la procédure
judiciaire, au moment de la transmission du signalement à la DGAS, se
trouve, compte tenu de la difficulté liée à l'instruction
des affaires de maltraitance, encore très souvent au stade de
l'enquête préliminaire. Cette proportion importante ne
préjuge en rien des suites qui seront données aux dossiers. Comme
le souligne elle-même la DGAS,
« les services
déconcentrés ne se sont pas rapprochés
systématiquement par la suite du procureur de la République afin
de renseigner l'administration centrale sur les suites de la
saisine. »
47(
*
)
De même, si la DGAS met en avant un taux de classement sans suite de
seulement 9 %, il est nécessaire de rappeler qu'il s'agit des seuls
classements intervenus au cours de l'année d'ouverture du dossier.
Ce « bon résultat » affiché par le
ministère paraît contradictoire avec la manière dont les
intervenants ressentent sur le terrain l'action de la justice.
« Nous avons (...) recensé douze situations de
maltraitance, dont neuf sont restées à ce jour sans suite sur le
plan judiciaire. Cela ne signifie pas pour autant que rien ne s'est
passé, mais nous ignorons pour le moment la suite que la justice
réservera à ces dossiers. En revanche, trois dossiers ont
débouché sur une mise en examen et deux rappels à la
loi. »
Tel est par exemple le bilan dressé par
l'Association des paralysés de France sur les 12 derniers mois.
Les directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales,
rencontrés par la commission d'enquête lors de ses
déplacements, ne donnent pas une image beaucoup plus rassurante de
l'écoute trouvée par les personnes handicapées
auprès de la justice : à plusieurs reprises, ceux-ci ont
déploré être sans nouvelle des affaires qu'ils avaient
portées devant la justice.
Cette absence de communication
plaide à l'évidence pour une
amélioration de la coordination entre services administratifs et
judiciaires
. A cet égard, la commission d'enquête souligne
l'expérience intéressante menée dans le cadre de
l'association ALMA : un comité technique de pilotage regroupe,
entre autres, les services de la DDASS et ceux du procureur,
« de
sorte qu'il arrive parfois que le procureur (...) dicte lui-même la
lettre qu'il souhaite recevoir pour se saisir d'un cas
précis. »
48(
*
)
De la même manière, Mme Emmanuelle Salines,
médecin-inspecteur de la santé publique, insistait sur le gain en
efficacité du travail de coordination avec la justice mis en place dans
le département de l'Essonne :
« nous avions
souhaité opérer au sein d'un grand groupe qui réunisse les
services du procureur de la République. Nombre de situations nous
posaient des problèmes de classement juridique des actes. Nous ne
savions pas toujours si elles relevaient du domaine pénal ou d'un tout
autre domaine. J'appelais donc le substitut qui avait été
désigné pour lui demander conseil. »
Une telle coordination est expressément prévue, au niveau
départemental, par la
circulaire du 3 mai 2002 relative à la
prévention et à la lutte contre la maltraitance envers les
adultes vulnérables, et notamment les personnes âgées
.
La commission d'enquête ne reviendra pas sur l'absence de mise en oeuvre
de ce dispositif dans la grande majorité des départements. Elle
insiste cependant encore une fois sur la nécessité et l'urgence
de son application.
Au niveau central, le groupement permanent interministériel de l'enfance
maltraitée (GPIEM) a été réactivé et sa
structure a été élargie aux départements.
D'après les informations recueillies par la commission d'enquête,
son champ d'action pourrait être élargi à l'ensemble des
personnes vulnérables.
La commission d'enquête estime donc que cette instance pourrait servir de
pivot pour le suivi des suites, tant administratives que judiciaires,
données aux affaires de maltraitance.