C. UNE COOPÉRATION CULTURELLE DÉVELOPPÉE
La
coopération culturelle, et tout particulièrement les
établissements d'enseignement secondaires francophones, sont anciens et
très développés en Turquie. Ils ont servi de base à
la création et au développement d'outils innovants que sont
l'université francophone de Galatasaray et les établissements
d'enseignement secondaire de la fondation Tevfik Fikret. Enfin, la France
dispose d'un outil de cherche universitaire de haut niveau à travers
l'Institut français des études anatoliennes.
Au total, l'ensemble des crédits de coopération dans ce domaine
conduit la Turquie à occuper la première place en Europe,
à égalité avec l'Allemagne. 10 000
élèves apprennent le français et 2 250
étudiants suivent un cursus bilingue. Plusieurs ministres de l'actuel
gouvernement sont d'anciens élèves de ces établissements
ou y scolarisent leurs enfants.
1. Les outils traditionnels
La
Turquie est traditionnellement riche en établissements secondaires
d'enseignement francophones. Trois types principaux existent depuis de
nombreuses années : le lycée public turc de Galatasaray, les
établissements congréganistes privés et les lycées
français d'Istanbul et d'Ankara sous la tutelle de l'AEFE.
Six établissements congréganistes, cinq à Istanbul et un
à Izmir, assurent en Turquie un enseignement bilingue franco-turc
fondé sur les programmes scolaires locaux. Il s'agit à Istanbul
des établissements Saint-Benoît, Saint-Joseph, Saint-Michel,
Sainte-Pulchérie et Notre-Dame de Sion. Ces établissements
recrutent sur concours et ont souvent des droits d'écolage assez
élevés.
. Le lycée de Galatasaray
Le lycée de Galatasaray est héritier d'une longue tradition.
Fondé en 1481 par le Sultan Bajazet II, le palais-école (Endurun)
de Galata était le lieu de formation des hauts fonctionnaires de
l'empire ottoman. A partir de 1838, ses bâtiments abritèrent la
Grande école impériale de médecine, qui fut sans doute le
premier établissement d'enseignement francophone de Turquie et qui
permit à la France de développer son influence en même
temps que pénétrait dans l'empire la médecine moderne et
la pensée rationaliste.
L'établissement d'enseignement, qui existe encore aujourd'hui, a
été fondé en 1868, en tant que lycée
impérial afin de former les futurs cadres de l'empire selon les
standards occidentaux. Ce fut ainsi le premier lieu d'enseignement du
« sport » en Turquie, dont le célèbre club de
football, fondé en 1905, est l'exemple le plus connu. Il avait
également un rôle de précurseur vis-à-vis de
l'ensemble des établissements d'enseignement de l'empire.
Conformément à la volonté de réforme de
l'époque, dite «
réformes des
Tanzimat
», cet établissement fut dès le
départ multiconfessionnel, séculier et un creuset de
l'unité nationale. Ce projet fut voulu par le Grand Vizir Ali Pacha, le
ministre des affaires étrangères Fouad Pacha,
diplômé de l'école de médecine de Galatasaray, et le
sultan Abdul Aziz, qui avait été impressionné par la
France lors de sa visite de l'exposition universelle de Paris de 1867. Ce fut
Victor Duruy, en tant que Ministre de l'Instruction publique, qui permit, du
côté français, la concrétisation du projet.
Au moment de la fondation de la République, le lycée de
Galatasaray est apparu comme le lieu d'éclosion des principes
laïcs, égalitaires et républicains en Turquie, ce qui a
conduit à sa pérennisation. La France lui apporta un soutien
constant, consciente de son rôle dans la formation des élites
turques. Le général de Gaulle visita le lycée pour son
centenaire en 1968 ; il y déclara notamment :
«
Lorsque la France, la première de tous les États
occidentaux, reconnut le gouvernement d'Ankara, il est certain que la valeur
d'une élite bien connue chez nous, était pour beaucoup dans la
confiance que nous portions d'emblée à la Turquie
moderne
».
Aujourd'hui, le Lycée de Galatasaray accueille près de 1 500
élèves, dont 30 % de filles, du primaire aux classes
préparatoires. Une centaine de professeurs, dont 40 % environ de
professeurs français, dispense un enseignement en turc et en
français. L'école primaire, créée en 1993,
scolarise 50 élèves recrutés par tirage au sort. Au
collège et au lycée, l'enseignement en langue française
assuré par les professeurs de l'éducation nationale et par des
professeurs turcs francophones représente deux tiers de l'enseignement.
Le taux de réussite au concours national d'accès à
l'université est d'environ 95 %.
L'Association des anciens élèves de Galatasaray est un
réseau d'influence fort de 6 000 personnes à travers le
monde.
. Les lycées français, l'exemple du lycée Pierre
Loti
Le réseau des établissements francophones comprend
également deux établissements dépendant de l'Agence pour
l'enseignement français à l'étranger (AEFE) : le
lycée Charles de Gaulle à Ankara, dont la rénovation
devrait être achevée pour la rentrée 2005, et le
lycée Pierre Loti à Istanbul. Ce dernier établissement
assure la scolarisation de 819 élèves, dont 380 français,
326 turcs et 113 élèves d'autres nationalités. Le
personnel enseignant est essentiellement constitué de résidents
(32) et de recrutés locaux (22). Seuls deux enseignants du second
degré sont expatriés, sur un total de 56. Le personnel non
enseignant est composé de 33 recrutés locaux, dont le CPE et les
documentalistes. Seuls quatre personnels administratifs et de direction sont
expatriés.
Ce lycée se trouve dans une situation particulièrement difficile
puisque son site historique, à Beyoðlu, dans les dépendances
du Palais de France, la résidence du Consul général, ne
répond plus aux normes sismiques en vigueur. De ce fait le lycée
est désormais divisé en deux sites : Beyoðlu
(collège et lycée) et Tarabya (maternelle et primaire).
Ainsi, sur le site de Beyoðlu, sont installées 6 classes de
maternelle regroupant 157 élèves, sur deux tranches horaires de
8h00 à 13h00 et de 13h15 à 18h15. Par ailleurs 10 classes de
primaire, regroupant 300 élèves, ont cours de 8h00 à 13h10.
Par ailleurs, les autorités françaises ont dû obtenir du
gouvernement turc l'autorisation exceptionnelle et temporaire d'installer le
collège et le lycée sur le site de Tarabya. Ce site, ancienne
localisation de la Yalö de l'ambassadeur détruite par un incendie,
est situé au bord du Bosphore sur la rive européenne à
environ 15 Km du site de Beyoðlu mais est juridiquement inconstructible.
L'autorisation accordée à la France a permis d'y installer dans
des bâtiments préfabriqués et dans l'urgence le
collège et le lycée pour permettre la rentrée 2003. Le
collège regroupe 223 élèves et le lycée 139, soit
362 au total.
Vos rapporteurs qui ont visité les deux sites ont pu constater à
la fois les efforts faits par la communauté enseignante et les parents
d'élèves pour faire face à cette situation qui
présente de nombreux inconvénients : horaires complexes et
difficiles à supporter pour les enfants, les enseignants et les
familles, durée des trajets, incertitude du futur,
précarité des locaux...
Il est donc impératif que les crédits nécessaires soient
débloqués pour que les travaux puissent se dérouler sur le
site de Beyoðlu afin de permettre la reprise des cours dans des conditions
normales et le respect de l'engagement de la France vis-à-vis du
gouvernement turc.
2. L'université francophone de Galatasaray
La
création de l'université francophone de Galatasaray issue du
lycée du même nom, résulte du constat du renforcement
d'élites anglophones et de la nécessité de donner une
suite universitaire francophone à l'enseignement secondaire pour
préserver la place et l'influence de l'institution qu'est devenue
Galatasaray dans la société turque. Ce projet a été
soutenu dès 1981 par une fondation privée turque fondée
par des anciens élèves du lycée autour de M. Inan
Kiraç. Il avait pour particularité de ne pas promouvoir une
nouvelle université privée, mais une université publique
permettant aux filles et aux garçons de toutes origines de poursuivre
des études supérieures. Le projet ne s'est
concrétisé que dix années plus tard lors de la visite
d'État du Président François Mitterrand, par la signature
d'un accord bilatéral, le 14 avril 1992, créant une école
primaire et un enseignement supérieur au sein de l'Etablissement
d'enseignement intégré de Galatasaray (EEIG). Puis, grâce
au vote d'une loi par la Grande assemblée nationale turque en juin 1994,
l'EEIG a été transformée en université proprement
dite. Les modalités de la coopération franco-turque restent
fondées sur le protocole du 13 octobre 1992.
L'université est gérée par un comité paritaire
franco-turc de concertation réunissant les responsables des
ministères des affaires étrangères, de l'éducation
nationale, de la recherche et de l'enseignement supérieur des deux pays,
du recteur de l'université, M. Erdoðan Teziç, et du recteur
adjoint, français, M. Jean-Claude Verez. Le Conseil académique
est composé d'experts et d'universitaires qui assurent le suivi
pédagogique des différentes filières. Enfin, le Haut
comité de parrainage franco-turc, présidé par l'ancien
Premier ministre, M. Raymond Barre, réunit de hautes
personnalités de la politique, de la culture et de l'université.
Pour assurer le suivi, le ministère des affaires
étrangères a mis en place la Mission éducative et
linguistique (MICEL) pour gérer le projet « Alliance
Galatasaray » et le Consortium regroupant trente universités
et grandes écoles françaises ayant pour «
chef de
file
» l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
L'Université est aujourd'hui installée dans un ancien palais sur
les rives du Bosphore. Elle compte 181 enseignants, dont 44 français, et
plus de 1 500 étudiants dont plus de 50 % de jeunes femmes. 10 %
sont inscrits à la faculté de droit, 47 % à celle de
sciences économiques et administratives (relations internationales,
administration publique, gestion et économie), 10 % à la
faculté de communication, 4 % à la faculté de sciences et
lettres (philosophie et sociologie) et 29 % à la faculté
d'ingénierie et de technologie. 108 étudiants sont inscrits en
3
e
cycle.
L'Université propose des cursus de recherche au sein de l'Institut des
sciences sociales créé en 1998, en droit public, droit
privé, relations internationales, Union européenne, philosophie,
gestion, finances publiques et journalisme. Deux programmes de doctorat en
droit public et en droit privé ont été ouverts. Par
ailleurs, créé en 1997, l'Institut des sciences organise des
programmes de recherche en génie industriel.
En six ans, la France a envoyé un total de 150 enseignants pour une
durée variant de 3 mois à 4 ans. Parmi le personnel turc de
l'université, chaque année, trois partent en France pour
poursuivre des études, des recherches ou suivre une formation sur un
financement français. Sur les 370 diplômés de
l'université, 30 poursuivent un 3
e
cycle en Europe. 50
étudiants ont effectué un stage dans des entreprises
françaises en Turquie ou en France. Enfin, l'université accueille
35 étudiants étrangers venus des pays turcophones d'Asie centrale
ou des pays balkaniques.
L'université de Galatasaray, en offrant un débouché de
haut niveau aux élèves francophones a permis de relancer
l'activité du réseau des 15 lycées francophones de Turquie
qui regroupent 10 000 élèves. Mais ces lycéens ne
constituent que la moitié de 300 étudiants entrant après
concours à l'université. En effet, l'autre moitié est
issue des écoles turques et turques anglophones et sont
sélectionnés parmi les 5 000 candidats reçus au
concours d'entrée dans les universités sur un total de 1,5
million de postulants L'enseignement en langue française
nécessite une à deux années d'apprentissage et de
perfectionnement linguistique selon le niveau des étudiants et les
études poursuivies.
L'enjeu du développement de l'université de Galatasaray est aussi
la constitution d'un centre de recherche et de documentation en français
dans toutes les disciplines scientifiques. La bibliothèque est
déjà riche de 22 000 volumes dont 15 000 en
français. Son développement est soutenu par le
mécénat privé, essentiellement par Mme Inan Kiraç.
A également été mis en place, en partenariat avec le
Conseil de l'Europe, un centre de recherche spécifique sur l'Europe et
les questions européennes.
3. Les établissements d'enseignement de la fondation Tevfik Fikret
La
fondation Tevfik Fikret a été créée par des anciens
élèves du lycée de Galatasaray qui ont souhaité
diffuser cette expérience particulière d'enseignement ainsi que
la culture française. Elle a pris ce nom en hommage à ce grand
poète turc, ancien diplômé et directeur du lycée de
Galatasaray.
Le lycée d'Ankara que la délégation a visité a
été fondé en 1964. Il a pour principe de former des jeunes
dans le respect des valeurs kémalistes de démocratie et de
modernité. Sur une surface totale de 9 000 m², il constitue
aujourd'hui un ensemble éducatif de très bon niveau pour la
Turquie grâce àla une pédagogie moderne et accueille plus
de 1 300 élèves. Quelques professeurs français
participent directement à l'enseignement.
Au-delà de l'établissement d'Ankara, la fondation Tevfik Fikret
dispose d'écoles à Izmir (1980) et Bursa (2002).
Cette fondation privée à but non lucratif est en partie soutenue
par la France. Il est apparu à vos rapporteurs qu'elle pouvait servir de
modèle au développement à l'étranger
d'établissements d'enseignement francophones allant de la maternelle
à la terminale et associant initiative privée locale et appui
public français. Elle permet une parfaite adaptation de l'enseignement
et des structures scolaires à l'environnement, tout en permettant la
diffusion de la culture française à un coût
budgétaire très inférieur à celui des
établissements entièrement financés par la France.
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