B. TAUX NOMINAUX ÉLEVÉS ET FISCALITÉ DÉROGATOIRE
L'importance de la fiscalité dérogatoire, que souligne opportunément le 21 ème rapport du Conseil des impôts publié en septembre 2003, illustre les difficultés de notre système fiscal à s'organiser selon des options claires.
1. Un facteur de complexité
Cette
propension à l'accumulation des dérogations a pour
première conséquence d'accroître la complexité de
notre législation, au point de la rendre parfois illisible et, donc,
largement inefficace.
Indépendamment même du coût anormalement élevé
de perception de l'impôt, on a toutes les raisons de croire que,
globalement,
le système est plus dissuasif que véritablement
incitatif
dans la mesure où les agents ont du mal à obtenir
les informations pertinentes et où les différentes mesures ont
tendance à se neutraliser.
C'est en particulier le cas des incitations fiscales à l'épargne,
qui concernent aussi bien les actions ou les obligations que l'épargne
réglementée, au sujet desquelles on peut penser, à la
suite du Conseil des impôts, que «
la pluralité des
objectifs poursuivis a parfois compromis la cohérence de l'ensemble du
dispositif
»
.
Le Conseil des impôts estime que dans tous les domaines, qu'il s'agisse
de l'impôt sur le revenu, de la fiscalité des
sociétés ou de l'imposition du patrimoine, on dénombre une
variété de dispositifs «
sans doctrine
d'emploi
»
.
L'opacité du système vient, notamment, de la
sédimentation de régimes incitatifs
, qui se surajoutent les
uns aux autres, sans que l'on songe, à de rares exceptions près,
à supprimer parmi les mécanismes existants ceux qui ne sont
guère utilisés ou qui n'ont pas fait leurs preuves.
Un exemple caractéristique de cette propension à la superposition
des régimes dérogatoires peut être donné avec les
aides fiscales en faveur de la création ou de la transmission
d'entreprises ou celles en faveur des zones prioritaires d'aménagement
du territoire.
La multiplication de régimes dérogatoires de faible portée en matière d'aide à la création ou à la transmission d'entreprises
Après avoir souligné que leur complexité
et
leur instabilité étaient source d'insécurité
juridique tout en les rendant finalement peu utiles aux entreprises en raison
de leurs coûts d'accès à l'information, le
21
ème
rapport du Conseil des impôts relatif à la
fiscalité dérogatoire relevait que
dix-huit des dispositifs en
faveur de la création ou de la transmission d'entreprises
identifiés dans le cadre du fascicule des voies et moyens annexé
au projet de loi de finances pour 2003
avaient un coût très
faible ou inconnu
, «
ce qui jetait un doute sur
l'utilité de certaines mesures, compte tenu de la complexité
qu'elles introduisent dans la loi fiscale et dans la gestion de
l'impôt
», d'autant plus que ces aides «
ne
représentaient plus que 10 à 15 % des aides publiques
à la création ou à la transmission
d'entreprises
».
Ce diagnostic concorde avec celui du rapport établi en juillet 2001 par
l'inspection générale des finances et l'inspection
générale de l'industrie et du commerce sur les dispositifs
publics d'aide à la création et à la reprise d'entreprises
qui soulignait de même le caractère «
relativement
confidentiel
» de la plupart des 24 dépenses fiscales
examinées, en montrant que ces mesures ne concernaient finalement (hors
exonérations de taxe professionnelle) que 2,2 % des
créations ou des reprises d'entreprises, pour conclure que se
«
posait clairement la question du
maintien
»
d'un certain nombre de ces dispositifs qui «
en raison de la
modestie de leur format, ne peuvent influer sérieusement sur le
phénomène de création d'entreprises
».
Dans ces conditions, on peut regretter que la loi sur l'initiative
économique adoptée en 2003
5(
*
)
n'ait pas fait oeuvre de simplification,
puisqu'elle n'a supprimé aucun régime fiscal en faveur de la
création ou de la transmission d'entreprises, tout en en modifiant une
dizaine et en en créant trois nouveaux.
S'agissant du doublement du plafond de déductibilité des pertes
subies à la suite d'une souscription au capital d'une
société nouvelle (article 163
octodecies
A du code
général des impôts), qui a concerné 1.973 foyers
fiscaux en 2001, la commission spéciale du Sénat chargée
d'examiner ce texte observait d'ailleurs
6(
*
)
: «
on peut
s'interroger à bon droit, au regard du très faible montant de la
dépense fiscale correspondante (3 millions d'euros par an selon le
fascicule des voies et moyens annexé au projet de loi de finances pour
2003), sur la pertinence d'un dispositif occupant 79 lignes du code
général des impôts renvoyant elles-mêmes à 21
autres articles de ce même code et du code de commerce, ainsi qu'à
un décret en Conseil d'Etat, de sorte que sa lecture est d'une rare
complexité
».
Ces réserves rejoignent les
«
réticences
» récemment
exprimées par notre collègue député Gilles Carrez,
rapporteur général du budget à l'Assemblée
nationale, à propos de l'article 6 du projet de loi de finances pour
2004
7(
*
)
proposant des mesures
fiscales en faveur des jeunes entreprises innovantes selon lui
«
d'une complexité excessive
(...)
d'autant plus
dommageable que
[ces]
mesures ont vocation à concerner quelques
centaines d'entreprises seulement
».