4. Y a-t-il des alternatives au recours à la dépense fiscale ?

La recherche d'une plus grande vérité des barèmes ne doit pas conduire à l'élimination par principe de toute dépense fiscale. L'affirmation du MEDEF selon laquelle il pèserait une sorte de présomption d'illégitimité sur les régimes dérogatoires n'est effectivement pas totalement dépourvue de fondement. On n'en veut pour preuve que l'analyse éminemment critiquable que le Conseil fait de la réduction d'impôt pour l'emploi d'une personne à domicile.

Le Conseil des impôts, partant du constat que seul le crédit d'impôt peut avoir des effets redistributifs en faveur des plus faibles revenus et des foyers fiscaux comptant peu de parts, évoque une réforme du régime fiscal favorable attaché à l'emploi d'un salarié à domicile. La substitution d'un crédit d'impôt à l'actuelle réduction aurait pour effet d'étendre l'avantage fiscal aux foyers qui ne sont pas imposables, ainsi qu'à ceux qui ne pouvaient pas, compte tenu de leur niveau d'imposition, bénéficier de l'intégralité de l'avantage fiscal 32( * ) .

Votre commission des finances ne peut en aucune façon souscrire à cette démarche. Il ne faut pas oublier que la mesure s'inscrit dans une triple logique d'aide à la famille, de lutte contre le travail clandestin et d'allégement de la pression fiscale sur les cadres.

Si le Conseil des impôts a pris le soin de développer la logique alternative du crédit par rapport à la réduction d'impôt, c'est sans doute parce qu'il a privilégié l'objectif d'aide aux familles sur les deux autres, dont l'importance ne doit pas être sous-estimée. D'une part, il est plus efficace de centrer la lutte contre le travail « au noir » sur les emplois à temps plein, qui sont essentiellement offerts par les ménages disposant de revenus élevés, ce qui est notamment le cas des couples de cadres dont les deux conjoints travaillent ; d'autre part, on ne peut pas négliger la diminution de la charge fiscale, qui, contrairement à d'autres mesures alternatives, est jugée plus acceptable, dès lors qu'elle est « affectée » à la famille et à l'emploi.

Bref, il ne faudrait pas, selon votre commission des finances, mettre en place un mécanisme aboutissant à encourager les familles qui ne sont pas en mesure de donner du travail aux autres, et à décourager les vrais employeurs potentiels.

Cette observation n'altère pas l'intérêt de la démarche du Conseil lorsqu'il propose d'instaurer un débat systématique sur la pertinence du choix d'une disposition fiscale dérogatoire par rapport à d'autres modes d'intervention publics telles la réglementation ou la dépense budgétaire .

Votre commission des finances rejoint pleinement le Conseil des impôts sur le plan des principes lorsque, par sa proposition n° 2, il suggère de rendre plus transparente l'estimation du coût des dépenses fiscales.

Ainsi, il serait tout à fait légitime de remplacer l'article 32 de la loi de finances pour 1980 33( * ) par un nouveau dispositif pris en application du 4°) de l'article 51 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, qui dispose qu'est jointe au projet de loi de finances de l'année, « une annexe explicative analysant chaque prévision budgétaire et présentant les dépenses fiscales » .

Le Conseil des impôts attire l'attention sur toute une série de précautions de caractère méthodologique. L'annexe devrait indiquer explicitement la ou les méthodes d'estimation utilisées - simulation ou reconstitution de base taxable - ainsi que le degré de fiabilité des estimations. Elle pourrait également effectuer des totalisations par impôt et par programme, du coût des dépenses fiscales.

Enfin, le Conseil des impôts préconise d'instaurer une procédure contradictoire entre ministères pour l'estimation de la dépense fiscale. Votre commission des finances insiste tout particulièrement sur ce point car il faut que les calculs procèdent d'une approche pluraliste et ne soient pas laissés uniquement entre les mains des fonctionnaires du ministère des finances.

Le choix entre fiscalité et dépenses directes gagnerait à être davantage explicité et documenté, comme le souligne le Conseil des impôts, notamment dans les études d'impact qui accompagnent les projets de loi comportant des dépenses fiscales.

Le tableau comparatif ci-dessous établi par le Conseil des impôts, est techniquement intéressant car il détaille les différents niveaux auxquels l'on doit apprécier l'intérêt d'une mesure.

Choix d'une dépense fiscale plutôt que budgétaire

 

Intérêt de recourir à une dépense fiscale plutôt qu'à une dépense budgétaire

Intérêt de recourir à une dépense budgétaire plutôt qu'à une dépense fiscale

Maîtrise budgétaire

Faible :

L'aide peut être à guichet ouvert (sauf agréments)

Forte :

Le coût de l'aide peut rester en deçà d'un plafond donné

Etendue des bénéficiaires

L'aide concerne un grand nombre de bénéficiaires

L'aide concerne un nombre restreint de bénéficiaires

Conditions d'obtention

Les conditions d'attribution sont objectives et ne nécessitent pas l'intervention d'une administration

spécialisée

L'attribution de l'aide nécessite l'intervention d'une administration spécialisée

Détermination du montant de l'aide

La détermination du montant de l'aide ne dépend que de données déclaratives fiscales

La détermination du montant de l'aide dépend d'informations non contenues dans les déclarations fiscales

Distribution

Il n'existe pas d'administration en charge de distribuer ce type d'aide

Il existe déjà une administration en charge de distribuer ce type d'aide

Gestion

Complexité et coût faibles pour les services fiscaux

Complexité et coût élevés pour les services fiscaux

Calendrier d'attribution

L'aide peut être accordée ex post

L'aide doit être accordée ex ante

Niveau des contrôles

Le niveau usuel des contrôles effectués par les services fiscaux est adapté

L'aide nécessite la mise en oeuvre de contrôles spécifiques en raison d'un risque de fraude élevé

Deux critères essentiels font pourtant défaut, qui plaident , selon votre commission des finances, en faveur de la dépense fiscale par rapport à la subvention budgétaire : la nécessité d'abaisser le niveau affiché de prélèvements obligatoires et celle d'augmenter l'acceptabilité du prélèvement .

Choisir la dépense fiscale par rapport à d'autres modes d'action n'est pas forcément cette solution de facilité, d'autant plus pernicieuse que contrairement à la dépenses budgétaire elle est invisible et donc peu susceptible d'être remise en cause.

Parce qu'elle relève d'une logique d'impôt choisi et qu'elle est particulièrement incitative, la dépense fiscale doit certainement, elle aussi, être réhabilitée. Loin d'encourager une certaine forme de passivité comme la subvention que l'on a tendance à attendre avant d'agir, la dépense fiscale incite à l'action et à prendre l'initiative.

Plus efficace que la subvention dans de nombreux domaines, la dépense fiscale doit cependant rester lisible.

Ainsi, lorsqu'il n'est pas réaliste de supprimer une dépense fiscale et que l'on n'est pas en mesure de rebâtir une nouvelle architecture fiscale, il convient de réformer les mécanismes pour garantir une meilleure transparence de l'avantage accordé aux contribuables.

En premier lieu, d'une façon générale, une plus grande homogénéité des mécanismes fiscaux utilisés est souhaitable . L'opacité du système fiscal français est accrue du fait de l'utilisation à des degrés divers de toutes les techniques d'allègement d'impôt : exonération de l'assiette d'imposition, déduction et abattement tendant à soustraire de l'assiette taxable une part forfaitaire ou proportionnelle, réduction d'impôt ou crédit d'impôt, taux différencié, indépendamment même, enfin, des dispositifs spécifiques comme les amortissements exceptionnels en matière d'impôt sur les sociétés ou les quotients familial et conjugal en matière d'impôt sur le revenu.

Une des premières tâches consiste à mettre en place des régimes assurant la quantification de l'avantage. De ce point de vue, on peut estimer que, d'une façon générale, les réductions d'assiette - exonération totale ou déductibilité, dont la logique interne n'est certes pas contestable s'agissant de déduire du revenu certaines charges qui lui sont associées - sont moins adaptées que les réductions d'impôts dans la mesure où elles dépendent de la tranche d'imposition où se situe le contribuable et ne peuvent être mesurées qu'en faisant des hypothèses sur le taux marginal moyen appliqué aux foyers fiscaux bénéficiaires de la mesure.

Sur le plan de la justice fiscale et en liaison avec le souci constant des récents gouvernements d'atténuer les effets de seuil, il conviendrait également de repérer les interdépendances entre dépenses fiscales et prestations sociales .

Le Conseil des impôts souligne que les dépenses fiscales comportent des effets indirects importants et mal connus. Une mesure peut n'avoir qu'une incidence directe faible, mais permettre aux bénéficiaires d'accéder à certaines prestations. Il s'agit d'une question budgétaire car cela accroît la dépense sociale, mais reflète aussi un enjeu de justice sociale.

A titre d'exemple, on peut rappeler que la Cour des comptes, dans son rapport au Parlement sur la sécurité sociale de 2001, a mis l'accent sur ce phénomène, la non imposition du minimum vieillesse ayant pour conséquence de majorer les aides au logement des personnes âgées concernées car cette ressource n'est pas incluse dans l'assiette fiscale de référence.

Plusieurs dépenses fiscales ont un impact sur la CSG, la CRDS et la taxe d'habitation, ainsi que sur les aides au logement et la redevance télévisuelle.

Dans le système actuel, la référence aux revenus imposables pour l'attribution des prestations de droits sociaux est critiquable dans la mesure où la non imposabilité reflète également l'impact d'aide sectorielle par le jeu d'exonérations comme c'est le cas de l'épargne réglementée ou de déductions de l'assiette imposable.

Les interactions entre dépenses fiscales et prestations sociales sont éminemment complexes. Elles mériteraient d'être étudiées sur des cas concrets pour repérer des effets de seuils qui peuvent constituer un frein au retour de certaines personnes sur le marché du travail.

Parmi les bonnes pratiques en matière de dépenses fiscales, il faut mentionner la réalisation périodique d'études approfondies - tous les cinq ou six ans par exemple - sur les effets des régimes dérogatoires , qui pourraient effectivement être associées aux rapports de performances issus de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances comme le suggère le Conseil des impôts.

C'est à cette condition que des systèmes généreux comme celui qui vient d'être mis en place dans le cadre de la loi n° 2003-709 du 1 er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations peut s'inscrire utilement et harmonieusement dans notre système fiscal français.

Le développement du mécénat individuel est bien l'une des voies à explorer pour concilier la nécessité d'une diminution des prélèvements obligatoires dans un monde ouvert et celle de satisfaire un nombre toujours plus diversifié de besoins sociaux sans augmenter et même en diminuant les dépenses publiques.

Il s'agit à terme de développer une culture du mécénat individuel, comme il en existe aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon en général, où l'on voit les hommes d'affaires reconnaissants à la société de leur avoir permis de réussir, doter généreusement leurs universités ou leurs laboratoires de recherche.

Les universités, les centres de recherche, les hôpitaux, les oeuvres charitables, le patrimoine monumental et artistique, les musées et beaucoup d'autres domaines, notamment dans le domaine économique, auraient beaucoup à gagner pour pouvoir élargir leurs moyens d'actions, qui en dotant une chaire ou un laboratoire, qui en achetant une oeuvre d'art ou en construisant un centre d'accueil. L'enjeu est aussi qualitatif, car cela rendrait possible le contournement de certaines rigidités administratives en permettant notamment à certains organes de recherche et d'enseignement, d'être pleinement compétitifs pour attirer les talents exceptionnels.

Nul doute que cette nouvelle loi devrait contribuer à faire évoluer la société française vers plus de responsabilité et de solidarité individuelles en favorisant le remplacement d'une fraction - certes quantitativement limitée mais marginalement significative - des prélèvements obligatoires par des contributions volontaires, donnant un contenu concret à l'idée qu'un contribuable puisse, pour une petite partie de sa cotisation, préférer l'impôt choisi à l'impôt subi.

De ce point de vue la dépense fiscale peut jouer un rôle essentiel pour réhabiliter l'impôt et diminuer la pression fiscale effective dans un pays qui comme la France marquera, pour un certain temps encore, sa différence en préférant afficher des taux d'imposition relativement élevés.

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