b) Les activités sportives en club
Au cours de son audition par votre délégation, le ministre des sports, M. Jean-François Lamour, a rappelé qu'il avait eu l'occasion, devant la commission Stasi, de pointer des difficultés spécifiques rencontrées par certaines jeunes femmes dans des quartiers urbains sensibles. A cette occasion, il avait souhaité porter témoignage d'un certain nombre de faits qui lui avaient été rapportés et qui interrogeaient, voire heurtaient la vision qu'il se faisait du sport dans notre pays.
Il a ainsi constaté qu'aujourd'hui, dans un certain nombre de cas, le sport en milieu associatif, au lieu de jouer une fonction de rencontre, d'ouverture et d'émancipation, notamment des femmes, devenait parfois le théâtre de pratiques d'exclusion ou de prosélytisme. Certains ont ainsi tenté d' instrumentaliser le sport et de le mettre au service de leurs conceptions politiques concernant, par exemple, la place que doivent jouer les femmes au sein de notre société.
Or, il convient de rappeler que, dans les classes d'âge jeunes, la pratique sportive des garçons et des filles est, à peu de chose près, comparable, mais qu'elle se déséquilibre en défaveur des femmes dès la préadolescence , cette observation se ressentant avec une acuité toute particulière pour les filles issues de certaines zones difficiles.
A cet égard, les inégalités sociales viennent s'ajouter aux inégalités entre les sexes, comme le montre le tableau ci-après :
TAUX DE PRATIQUE SPORTIVE DES 12-17 ANS ( en %) |
|||
|
Garçons |
Filles |
Total |
Niveau de diplôme des parents sans diplôme < bac bac > bac |
64 71 77 92 |
44 55 71 76 |
52 65 75 83 |
Revenu mensuel du foyer moins de 1.830 € 1.830 à moins de 2.745 € plus de 2.745 € |
75 75 83 |
45 67 74 |
60 71 80 |
Ensemble |
77 |
60 |
69 |
Source : enquête Pratique sportive des jeunes, ministère des sports, novembre 2001 |
Il apparaît ainsi que c'est dans les milieux sociaux les moins favorisés que les jeunes font le moins de sport, ce phénomène étant plus particulièrement marqué chez les filles.
Le ministre des sports a également cité une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), menée en 1998, qui concluait que « les filles françaises de souche sont plus nombreuses à pratiquer un sport que les autres » et que « l'écart des sexes est plus important parmi les jeunes d'origine étrangère ». Cette étude indiquait également que les filles fréquentant des établissements en zone d'éducation prioritaire (ZEP) faisaient moins de sport que les autres : la différence est sensible puisque seulement 32 % des filles âgées de 15 à 19 ans faisaient du sport en ZEP, contre 51 % hors ZEP. A titre de comparaison, 63 % des garçons font du sport en ZEP.
M. Jean-François Lamour, observant que les filles éprouvaient des difficultés à pratiquer dans les clubs de proximité dont elles sont souvent rejetées, a noté que la mixité y était d'autant moins admise que les pratiques étaient spontanées et inorganisées et que les effets de groupe et de territoires jouaient en défaveur des filles . Il a précisé que les organisateurs d'activités sportives constataient que le rôle des familles était essentiel quant à la participation, ou non, des filles aux activités proposées, tous les acteurs notant que le travail de conviction des familles était de plus en plus important, mais de plus en plus difficile. Il a également fait part d'une sorte de mise sous tutelle des filles, les hommes de la famille se renseignant, négociant et inscrivant fréquemment les filles dans les associations et les clubs, et cela sous des conditions dérogatoires à leur règlement. Par ailleurs, les évolutions vestimentaires des filles sont également souvent notées : bandanas couvrants, pantalons longs et manches longues, soit autant de signes qui se renforcent, sans se généraliser, mais qui, selon des acteurs de terrain, n'étaient pas aussi manifestement présents il y a quelques années.
Le ministre a ensuite abordé le point le plus sensible des évolutions perceptibles dans le domaine du sport, celui des demandes de créneaux horaires réservés aux femmes , même si ces créneaux réservés ne sont pas nouveaux et que certains existent depuis de nombreuses années. Il semblerait qu'il y ait en revanche une augmentation du nombre de ces demandes. Ce sont des demandes de créneaux pour les piscines, mais aussi pour les gymnases. Il peut également s'agir de la tentation de réserver des créneaux horaires spécifiques au sein d'associations ethnoculturelles afin que l'activité des femmes se fasse hors du regard des hommes, y compris du personnel masculin de maintenance.
Ces demandes sont souvent présentées de façon revendicative et identitaire , l'argumentaire le plus souvent avancé pour justifier de telles demandes pouvant être résumé en deux points principaux : d'une part, la pudeur et l'entourage des femmes les empêcheraient de se rendre à la piscine - ces créneaux distincts seraient donc la seule solution pour que certaines femmes puissent avoir une activité sportive -, et, d'autre part, le mode de pratique sportive ne permettrait pas à certaines femmes de vivre en adéquation avec leurs pratiques religieuses.
Votre délégation considère que de telles pratiques sont inacceptables parce qu'elles visent à isoler les femmes , qui le sont déjà souvent, en raison de pratiques familiales ou religieuses. Ainsi, ces femmes ne se trouvent jamais sous le regard des hommes, puisque même les maîtres-nageurs peuvent être de sexe féminin : elles se trouvent alors dans l'incapacité de pratiquer leur sport en compétition et n'ont pas l'habitude d'être évaluées ni mises en concurrence avec d'autres pratiquants.
C'est pourquoi votre délégation ne peut qu'approuver complètement le maire de Trappes, M. Guy Malandain, qui a été conduit à refuser une demande d'aménagement des horaires permettant la séparation des sexes dans une piscine. Précisant les motifs de son refus, il a en effet rappelé les principes de laïcité et d'universalité du service public qui empêchent, sauf exception - par exemple pour les personnes handicapées - d'organiser un « service à la carte ».
Rappelons que le ministre des sports avait conclu son intervention devant la commission Stasi sur des mots pessimistes : « si l'on considère que l'émancipation des femmes est un baromètre pertinent de l'évolution d'une société [...] alors il convient de prendre très vite garde aux dérives rapportées dans le champ sportif ».