INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Du 18 au 22 avril dernier, une délégation de votre Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, composée de M. Jean-Marie Poirier, vice-président de la commission et de M. Didier Boulaud, s'est rendue en Serbie-et-Monténégro (Belgrade, Podgorica, puis Pristina et Mitrovica au Kosovo).

A Belgrade et Podgorica, la délégation a pu s'entretenir avec les responsables de l'Etat commun de Serbie-et-Monténégro, né officiellement en février 2003, ainsi qu'avec les autorités politiques de chacune des deux républiques constitutives.

Lors de son séjour au Kosovo, la délégation s'est d'abord rendue à Mitrovica, théâtre de graves affrontements interethniques, en mars dernier, et principale cité de la zone placée, dans le cadre de la KFOR, sous la responsabilité du commandement militaire français de la Brigade Multinationale Nord-Est. Après avoir rencontré les militaires français sur le principal site sensible de la ville, le pont d'Austerlitz, et s'être entretenu avec le Général Michel et les membres de son état-major, la délégation s'est rendue à Pristina, capitale de la province. Elle y a eu des entretiens avec les responsables de la mission intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) et les responsables politiques des institutions provisoires kosovares, en particulier M. Rexhepi, Premier ministre.

Il s'agissait, pour votre délégation, dans le cadre de cette brève mission, d'apprécier la situation politique prévalant dans ces deux républiques que l'Union européenne a convaincues, en février 2002, de demeurer liées l'une à l'autre dans une structure commune -l'Etat commun de Serbie-et-Monténégro- plutôt que de laisser libre cours aux tentations séparatistes manifestées au Monténégro. Présenté par l'Union européenne comme une condition et un préalable à une adhésion à terme de ces deux républiques au sein de la famille européenne, l'Etat commun n'en reste pas moins fragile et précaire, dans son fonctionnement comme dans le soutien politique dont il bénéficie. Sa marche vers l'Union, encadrée par le processus d'association et de stabilisation, s'avère difficile tant est complexe l'évolution politique de la Serbie, tant demeure forte la tentation d'indépendance au Monténégro, tant enfin les réformes économiques, sociales et juridiques nécessaires sont considérables, singulièrement en Serbie (dont on attend également une évolution dans sa coopération avec le TPIY et dans son attitude sur le dossier kosovar).

La récente élection de M. Boris Tadic à la présidence serbe est un signe d'espoir. Elle témoigne du désir d'une majorité de la population de sortir son pays de l'isolement et de la marginalisation internationale, de s'engager sur la voie européenne, avec les promesses qu'elle comporte et les sacrifices qu'elle impose.

La situation actuelle du Kosovo et les incertitudes sur son devenir viennent ajouter à la complexité régionale. Les violents événements de mars 2004 ont marqué une profonde rupture, jetant le doute sur l'action conduite depuis près de cinq ans par la communauté internationale, en général, et la MINUK, en particulier, et augmentant la défiance entre les différents acteurs nationaux et internationaux. Perçue comme une stratégie d'attente, la démarche suivie par les internationaux a généré dans la population et chez les responsables albanais des impatiences et des frustrations de tous ordres aggravées par une situation économique délétère.

Le principe de mise en oeuvre de « normes avant le statut » avec un rendez-vous au milieu de 2005 pour aborder le coeur du problème, à savoir l'avenir du Kosovo, n'a fait qu'apaiser provisoirement, sans les supprimer, ces éléments négatifs qui pourraient resurgir à l'occasion des prochaines élections législatives du 23 octobre 2004.

Vos rapporteurs remercient M. Hugues Pernet, ambassadeur de France en Serbie-et-Monténégro qui, avec ses collaborateurs à Belgrade et Podgorica a permis le parfait déroulement de la mission autour d'un programme de travail particulièrement riche. De même tiennent-ils à exprimer leur gratitude au général Yves Michel, alors commandant de la Brigade multinationale Nord-Est (BMNE) et à son Etat-Major pour l'accueil réservé à votre délégation à Mitrovitsa ainsi qu'à MM Gérard Sallier, responsable du Bureau de liaison français au Kosovo, et son adjoint M. Daniel Ratier pour la densité des informations recueillies sur la situation de la province .

I. LA SERBIE-ET-MONTÉNÉGRO : FRUIT D'UNE VOLONTÉ EUROPÉENNE

A l'égard de la Serbie et du Monténégro, l'Union européenne a manifesté une double ambition : d'une part impliquer ces deux composantes de l'ex-République fédérale de Yougoslavie (RFY) dans le processus d'association et de stabilisation, pour permettre son rapprochement progressif vers l'Union en vue d'une adhésion à terme et, d'autre part, « geler » la tendance séparatiste manifestée par le Monténégro et préserver à tout prix une structure commune. Ces deux approches sont, depuis la chute du régime de Milosevic et le Sommet de Zagreb fin 2000, étroitement liées dans la politique de l'Union à l'égard de ce qui, grâce à son engagement résolu, est devenu l'Etat commun de Serbie-et-Monténégro.

La préservation d'une entité commune n'allait pas de soi après l'éclatement de l'ex-Yougoslavie consacré par les indépendances successives de la Slovénie, de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine. Les Monténégrins avaient manifesté dès 1996 leur double volonté d'ouverture vers l'Occident et de se détacher, à leur tour, du dernier carré de la survivance yougoslave.

La politique de l'Union en faveur d'un Etat commun a répondu à plusieurs enjeux. Au premier rang d'entre eux, la préservation de la stabilité régionale, déjà mise en péril lors de la guérilla du printemps 2001 en Macédoine à laquelle les accords d'Ohrid, co-parrainés par les Européens et les Etats-Unis ont permis de mettre un terme. A la même période, des troubles avaient éclaté dans la région de Présévo au sud de la Serbie, où la communauté albanaise est largement majoritaire, entraînant sous supervision internationale la conclusion d'un plan de règlement (plan Covic) reconnaissant des droits nouveaux à la majorité albanaise.

Dans ce contexte, alors même que la pacification n'était pas encore acquise en Macédoine, la volonté monténégrine d'une indépendance unilatérale, exprimée en 2002, n'aurait pas manqué de fragiliser de nouveau la région.

En second lieu, il s'agissait aussi, pour l'Union européenne, de « gagner du temps » sur l'agenda kosovar. Une indépendance monténégrine prématurée n'aurait pu être analysée dans la province, toujours de jure sous souveraineté serbe, comme un signal pour son propre avenir, au moment où la mission de reconstruction politique, économique et sociale confiée à l'ONU n'en était qu'à ses débuts.

Enfin, il n'est pas exclu que, aux yeux des européens, le maintien du Monténégro dans une structure qui permette d'en contrôler l'évolution dans le domaine très sensible du crime organisé- ait aussi pesé dans la détermination de l'Union à obtenir la création de l'Etat commun.

L'évolution des Balkans occidentaux, et en particulier de l'ex-RFY devenue l'Etat commun de Serbie-et-Monténégro, a été l'un des points d'application prioritaires et concrets de la politique extérieure et de sécurité de l'Union européenne. Celle-ci s'est, depuis le sommet de Zagreb en 2000, très largement impliquée dans la région, politiquement et financièrement, en définissant un cadre -le processus d'association et de stabilisation-, et un outil d'assistance financière : CARDS (Community Assistance for Reconstruction, Democratisation and Stabilisation).

Le processus de stabilisation et d'association est au coeur de la politique de l'Union en faveur de chacun des pays concernés et se fonde sur les conditionnalités de Copenhague liées aux réformes démocratiques, économiques et institutionnelles, complétées par celles de Zagreb, relatives à la coopération et à la réconciliation régionales. Le Sommet Union européenne-Balkans occidentaux de Thessalonique le 21 juin 2003 a confirmé et précisé les enjeux de la politique de l'Union européenne à l'égard de ces pays : « l'avenir des Balkans est dans l'Union européenne ». A eux, en contrepartie, de relever le grand défi que représente l'adoption des normes européennes. Le Processus de stabilisation et d'association (PSA) a été également confirmé comme cadre au rapprochement vers l'Union, jalonné pour chacun des pays d'un examen annuel, fondé sur les rapports de la Commission.

Les accords de stabilisation et d'association
- Sommet de Zagreb, 2000 -

Ce processus est la pièce maîtresse de la politique de l'Union à l'égard des Balkans occidentaux. Il prélude à des accords d'association et de stabilisation (ASA) par lesquels l'Union européenne propose à ces pays l'établissement progressif d'une zone de libre-échange, un rapprochement de leurs législations dans plusieurs domaines de l'acquis communautaire, en particulier dans le marché intérieur, une coopération renforcée dans le domaine « justice et affaires intérieures ».

Une approche conditionnelle :

Plusieurs conditions sont requises pour l'ouverture de négociations d'un ASA : elles concernent les réformes démocratiques -séparation des pouvoirs, indépendances des juges et des médias, loi électorale-, respect des droits de l'homme et des minorités, retour des réfugiés, réformes économiques, coopération régionale, auxquelles s'ajoute la coopération avec le TPIY en application de la résolution 1244 du Conseil de Sécurité.

C'est à la Commission qu'il revient d'évaluer périodiquement les progrès réalisés par chaque pays concerné. Le dernier rapport relatif à la Serbie-et-Monténégro, sur le résultat de l'étude de faisabilité d'un ASA, lancée en septembre 2003 et dont la conclusion positive serait le préalable à l'ouverture de négociations proprement dite, a abouti au report de toute décision, dans l'attente de nouveaux progrès.

« L'accord de partenariat »

Après le sommet de Thessalonique (juin 2003), l'Union a proposé d'engager avec les pays des Balkans occidentaux et donc avec la Serbie-et-Monténégro un partenariat destiné à faciliter, intensifier, accélérer ses progrès pour remplir ses obligations. Ce partenariat débouche sur un « plan d'action » pour accélérer l'application concrète des objectifs de l'ASA.

Cependant, en juin 2004, de tous les pays des Balkans occidentaux, seule la Serbie et Monténégro n'avait pas encore avancé dans ce processus A ce jour, le pays n'a donc encore aucun lien contractuel avec l'Union.

S'agissant de la constitution de l'entité de Serbie-et-Monténégro, le rapport de juin 2001 du Conseil sur l'examen du processus de stabilisation et d'association exprimait ainsi, pour ce qui était encore la RFY, la priorité consistant à « résoudre les questions des futures relations constitutionnelles entre la Serbie et le Monténégro, (...) l'objectif étant de redéfinir d'un commun accord leurs relations dans un cadre fédéral renouvelé qui soit conforme aux principes démocratiques ».

A. LE « CADRE FÉDÉRAL RENOUVELÉ » : L'ETAT COMMUN DE SERBIE-ET-MONTÉNÉGRO

L'accord de Belgrade, conclu en mars 2002 entre Serbes et Monténégrins, a été suivi un an plus tard de la signature d'une charte constitutionnelle établissant l'Etat commun et ses institutions.

A Belgrade, les responsables serbes d'une part, et monténégrins de l'autre, ont signé, en présence du Haut Représentant, M. Solana, un accord de principe « concernant les relations entre la Serbie et le Monténégro au sein de l'Union d'Etats ». Des éléments institutionnels y étaient mentionnés avant l'élaboration programmée d'une charte constitutionnelle adoptée un an plus tard : un parlement monocaméral, un président élu par le Parlement, un conseil des ministres comportant cinq portefeuilles, enfin un tribunal constitutionnel et administratif.

Le rôle actif et décisif de l'Union européenne est mentionné dans l'accord, en tant que « superviseur » des réformes attendues, en particulier dans le domaine économique et commercial. Ainsi est-il précisé que les Etats membres sont responsables du fonctionnement sans entraves d'un marché commun « y compris la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux ».

Une « disposition relative à la révision » prévoit qu'après trois ans 1 ( * ) les Etats membres seront autorisés, si l'un ou l'autre le souhaite, à engager une procédure de « retrait de l'Union ».

1. La constitution de l'Etat commun

La charte constitutionnelle prévoit que l'Etat commun proclamé le 4 février 2003 est composé de deux républiques -la Serbie et le Monténégro- qui forment une union aux structures très lâches. L'Etat commun a seul la personnalité internationale. Ses objectifs sont notamment le respect des droits de l'homme, l'intégration aux structures européennes, l'établissement d'une économie de marché et d'un marché commun entre les deux républiques.

Le Parlement commun comprend 116 députés -91 de Serbie et 35 du Monténégro. Ils ont été élus pour deux ans, le 3 mars 2003, au suffrage indirect par les membres du parlement fédéral sortant et ceux des parlements de Serbie et du Monténégro. Leur élection pour quatre ans au suffrage universel direct est prévue en 2005.

La charte attribue au Parlement commun des compétences restreintes qui couvrent la défense, l'international, la définition des frontières de l'Etat, la libre circulation des biens et des personnes, les relations économiques extérieures (en principe) et l'élaboration du budget commun sur proposition du Conseil des ministres.

Le Président de l'Etat commun est élu pour quatre ans par le Parlement. Il représente l'Etat commun, préside le Conseil des ministres, promulgue les lois et convoque l'élection du Parlement. Il est responsable devant ce dernier.

Le Conseil des ministres comprend cinq ministres : affaires étrangères, défense, relations économiques extérieures, relations économiques intérieures, droits de l'homme et minorités. Ces ministres sont proposés par le Président et investis pour quatre ans par le Parlement. Le Conseil « élabore et conduit la politique de Serbie-et-Monténégro en accord avec la politique commune établie et les intérêts des Etats membres ». Il est responsable devant le Parlement. Depuis la constitution du gouvernement, l'un des principes posés par la Charte, selon lequel le Ministre de la défense et celui des affaires étrangères sont issus chacun d'une des deux républiques, n'est pas respecté : les deux titulaires sont en effet serbes.

Une Cour de Serbie-et-Monténégro règle les conflits de compétences, juge de la conformité des lois communes et républicaines avec la Charte constitutionnelle. Elle traite des requêtes individuelles en dernier recours en cas de violation des droits garantis par la Charte.

Un Conseil suprême de défense réunit le Président de l'Etat commun avec les présidents des deux républiques. Il exerce le commandement en chef des armées et prend ses décisions, par consensus, dans le cadre de la stratégie de défense définie par le Parlement.

Le socle institutionnel du nouvel Etat est donc très réduit. La charte constitutionnelle comporte par ailleurs certaines lacunes. Ainsi, le Conseil des ministres ne comporte pas de portefeuille de l'Intérieur alors même que c'est l'Etat commun qui a la responsabilité du contrôle des frontières, de la politique d'asile et des questions de visas, toutes compétences finalement attribuées au ministère des minorités ethniques et nationales de chaque république. Par ailleurs, un certain nombre de compétences anciennement fédérales ne sont pas reprises par l'Etat commun, comme la Banque nationale ou les douanes, consacrant ainsi l'existence de deux espaces douaniers, en contradiction avec les prescriptions de la Commission européenne dans la perspective de l'établissement d'un marché commun entre les deux républiques.

L'Etat commun, dès sa création, voulue par l'Union européenne comme cadre à la réforme de chacune des deux composantes, est aussi placé sous le signe de la précarité. Qu'adviendra-t-il en 2005 ou 2006, date de la clause de rendez-vous sur la poursuite, ou non, de l'expérience, d'autant que l'Etat commun apparaît davantage subi que désiré, dépourvu de véritable soutien politique ?

* 1 Une différence d'interprétation s'est fait jour quant au point de départ de ce délai : accord de Belgrade (2002) ou création officielle de l'Etat commun (2003), les Monténégrins faisant valoir la première option

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