II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

Le programme très dense de la session de printemps a donné l'occasion à l'Assemblée d'aborder des sujets très divers. Les débats sur le respect des obligations et engagements de la Turquie et sur le rôle des femmes dans la prévention et le règlement des conflits, initialement prévus à l'ordre du jour, ont été reportés à la prochaine session. L'Assemblée a par ailleurs rejeté la demande tendant à organiser un débat selon la procédure d'urgence sur la nouvelle politique des Pays-Bas vis-à-vis des demandeurs d'asile.

L'Assemblée a tout d'abord traité de questions de société en s'intéressant à la mise en place d'un observatoire européen des migrations, à l'euthanasie, à la situation des prisons et des maisons d'arrêt en Europe et à l'avenir de la sécurité sociale en Europe. Elle a par ailleurs continué à porter une attention soutenue aux problèmes politiques et internationaux. A ce titre, elle s'est penchée sur la situation en Albanie, en Arménie, au Bélarus, à Chypre et au Kosovo ainsi que sur l'adhésion de Monaco au Conseil de l'Europe. Elle a également abordé le renforcement des Nations Unies et étudié deux projets de protocole: le projet de protocole n°14 à la CEDH et le projet de protocole additionnel à la Convention des droits de l'homme et la biomédecine relatif à la recherche biomédicale. Enfin, l'Assemblée a débattu de l'avenir de la sécurité sociale et des problèmes communs aux États de la Grande Europe.

A. QUATRE DÉBATS DE SOCIÉTÉ

1. La mise en place d'un observatoire européen des migrations

L'Assemblée a examiné la mise en place d'un observatoire européen des migrations au cours de la séance du lundi 26 avril après-midi, sur le rapport de M. Tadeusz Iwinski (commission des migrations). Selon les termes employés par le rapporteur, cette structure est destinée à "préparer les débats de politique générale et recueillir, traiter et diffuser les données et informations".

La quasi-totalité des intervenants a soutenu le rapport de M. IWINSKI. Cela a notamment été le cas de M. André Schneider qui a déclaré :

"Après avoir été longtemps un lieu de départ vers les Amériques, l'Afrique et l'Asie, l'Europe est devenue depuis une vingtaine d'années une terre d'immigration. Mais l'immigration change: à côté d'une immigration stable, se profile aujourd'hui une migration de plus en plus mobile (migration de voisinage) en lien avec la mondialisation. De nombreux immigrants proviennent aujourd'hui des Pays de l'Est et du sud-est du continent. L'Europe est actuellement l'une des premières régions d'accueil devant les États-Unis et le Canada.

Ceux qui frappent aux portes de l'Europe ne sont pas nécessairement les plus pauvres mais plutôt ceux qui disposent d'un réseau, d'une famille déjà installée à l'étranger, ou d'argent, notamment quand le franchissement légal des frontières devient impossible.

Les politiques des États européens se sont souvent concentrées sur des objectifs de contrôle aux frontières, de maîtrise des flux migratoires. Mais la détermination des migrants est souvent plus forte que les stratégies de dissuasion, et l'immigration clandestine progresse au profit des réseaux internationaux souvent d'origine mafieuse - prostitution ou traite, par exemple.

Le Conseil de l'Europe est légitimement préoccupé par ce phénomène et rappelle son attachement aux droits de l'homme et à la dignité de chaque migrant, réfugié ou demandeur d'asile. Rappelons ici la Recommandation n° 1467, en l'an 2000, sur l'immigration clandestine et la lutte contre les trafiquants ou la Recommandation n° 1542, en 2002, sur la campagne contre la traite des femmes ou encore la Recommandation n° 1610, en 2003, sur les migrations liées à la traite des femmes et à la prostitution.

L'immigration représente un défi pour l'Europe car les États doivent trouver un équilibre entre le nécessaire contrôle des flux migratoires, sachant que l'immigration zéro est une illusion, et une ouverture totale des frontières sur la base de convictions humanistes qui ferait fi des difficultés de l'intégration. Les lois récentes adoptées par la France, notamment la loi relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers du 26 novembre 2003, s'inscrivent dans cette recherche d'un équilibre réaliste.

L'harmonisation européenne des politiques migratoires est d'autant plus souhaitable qu'elle est porteuse d'opportunités : réaffirmation des droits fondamentaux de la personne, motivation des décisions, adoption de positions communes, progression de la citoyenneté européenne. Toutes ces chances de progresser vers des politiques harmonisées, fermes sur les principes mais respectueuses des droits de l'homme, doivent être saisies.

Dans son excellent rapport, notre collègue Iwiñski souligne à juste titre que la disposition de données fiables sur les divers aspects des flux migratoires pourrait utilement contribuer à la formulation et à la coopération des politiques de migration et d'intégration.

Aussi je pense que la mise en place d'un observatoire européen des migrations permettra certainement cette confrontation des informations, des idées et des expériences, et c'est pourquoi selon moi, elle devrait être soutenue.

Enfin, mes chers collègues, permettez-moi de conclure cette intervention en rappelant que l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 énonce que : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »

Lors de la discussion, seul M. Jean-Guy Branger a émis des réserves sur la création de cette nouvelle structure :

"Je me réjouis de l'importance que notre Assemblée accorde au phénomène migratoire vers l'Europe et aux travaux de notre commission des migrations, des réfugiés et de la population.

Des millions d'émigrés sont d'ores et déjà établis sur le territoire de nos États. Surtout des millions de candidats à la migration rêvent de venir s'établir en Europe par quelque moyen que ce soit, y compris le recours à des passeurs.

Je voudrais seulement que notre approche du phénomène soit équilibrée. C'est en ce sens que la délégation française a pu organiser avec notre commission de l'Assemblée du Conseil de l'Europe la deuxième Journée européenne consacrée aux migrations et au droit d'asile. Je félicite notre Secrétariat qui met à la disposition de l'Assemblée les actes complets de cette journée.

Nous devons évidemment aborder le désir d'Europe de nombreux citoyens des États du Sud dans le plein respect de la dignité humaine, c'est-à-dire des garanties énoncées par notre Convention européenne des Droits de l'Homme et par toutes les conventions internationales pertinentes. Mais, élus par nos concitoyens, nous sommes aussi responsables de l'équilibre économique et social de nos pays. Quand le chômage avoisine encore les 10 % de la population, quand les logements sont insuffisants, quand nos systèmes scolaires peinent à répondre aux besoins de la population, nous devons nous garder d'entretenir des illusions sur les capacités d'accueil actuelles de nos sociétés.

J'ajouterai que je suis de ceux qui se réjouissent sans réserve de l'élargissement très prochain de l'Union européenne, notamment à votre pays, cher collègue Iwiñski. Les États de l'Union à quinze ont le devoir prioritaire d'établir un espace de libre circulation en commun avec nos dix nouveaux partenaires, avant d'accueillir de nouveaux membres.

Je vis ce retour de l'Europe centrale et orientale dans le concert européen comme la fin d'une injustice. Plutôt que d'élargissement, nous devrions parler de «réunion de famille» trop longtemps différée. Est-ce à dire que, entre le Conseil de l'Europe qui fédère tous les États du continent européen et le dynamisme de l'Union européenne, il conviendrait de susciter une nouvelle institution comme un observatoire ou une agence européenne des migrations ?

Je voudrais vous rendre attentifs, mes chers collègues, aux effets pervers d'une prolifération de satellites auprès des organes statutaires du Conseil de l'Europe.

On sait depuis bien longtemps que la polysynodie affaiblit l'autorité d'une institution jusqu'à rendre incompréhensibles des messages nécessairement contradictoires.

Je pense que l'organisation périodique de nos journées européennes des migrations, en permettant la rencontre entre des membres de notre Assemblée avec des autorités nationales et des experts européens, permet de faire le point et de confronter les expériences de chacun de nos États et d'évaluer les progrès de la coopération internationale.

Je rappelle pour mémoire que l'Union européenne à vingt-cinq procède d'ores et déjà à des enquêtes statistiques très larges. Elle est en train de se doter d'une agence qui devra notamment contribuer à la gestion des mouvements aux frontières extérieures de l'Europe des vingt-cinq. De même, l'Organisation internationale des migrations publie des données tout à fait utilisables pour nos propres réflexions.

Aussi, dans l'intérêt même de vos travaux et de leur retentissement, je ne suis pas persuadé qu'il faille encourager la création d'un nouvel organisme, observatoire ou agence, qui durerait dans le temps.

J'ajoute que, dans le cadre d'un budget durablement limité, toute création d'une nouvelle institution ne pourrait se faire qu'aux dépens du fonctionnement des organes statutaires du Conseil de l'Europe.

Pour ma part, je voudrais que notre Assemblée se concentre sur son rôle éminent de protection des droits de l'homme, y compris bien entendu les personnes immigrées sur notre sol, dans une approche politiquement et économiquement responsable. La prolifération d'organismes n'est pas la réponse la plus urgente. Le co-développement des États de provenance des flux migratoires vers l'Europe me semble absolument prioritaire, afin d'enrayer des déracinements qui sont non seulement des drames individuels, mais une hémorragie de compétences pour les sociétés qui en ont le plus besoin."

À l'issue de ses débats l'Assemblée a adopté la recommandation n°1655 qui invite le comité des ministres à :

- évaluer, en étroite coopération avec l'Union européenne et l'Organisation internationale pour les migrations, la faisabilité d'une telle structure ;

- négocier avec la Commission européenne pour trouver une forme de coopération entre les différents réseaux et structures existants ;

- développer les consultations politiques y compris avec les États non-membres ;

- étudier les moyens juridiques à mettre en oeuvre pour créer cette structure ;

- prévoir, dans les organes de direction et de programmation, un rôle distinct pour l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le Parlement européen et les autorités locales et régionales ;

- soumettre ce projet au troisième sommet des chefs d'État et de Gouvernement du Conseil de l'Europe.

2. L'euthanasie

Retiré de l'ordre du jour à deux reprises lors des dernières sessions, le rapport de M. Dick Marty sur l'euthanasie a finalement été examiné le mardi 27 avril. Il a donné lieu à un débat souvent vif qui a vu s'exprimer des opinions contradictoires fortement soutenues. Sur une question qui touche d'aussi près des considérations philosophiques et éthiques essentielles et qui met en cause les convictions intimes de chacun, il n'est d'ailleurs pas étonnant que les nombreux intervenants se soient exprimés avec coeur et aient fait preuve d'une grande volonté dans l'affirmation de leur opinion. Il convient d'ailleurs de souligner que les différentes interventions ont davantage porté sur l'éventuelle légalisation de l'euthanasie que sur le projet de résolution contenu dans le rapport de M. Marty qui encourage les États membres à collecter des données sur l'euthanasie, à provoquer un débat public sur ces données, à promouvoir leur analyse comparative et leur discussion au sein du Conseil de l'Europe avant d'éventuellement se poser des questions sur la nécessité de généraliser la légalisation de l'euthanasie.

M. François Rochebloine a notamment plaidé pour le développement des soins palliatifs permettant de conserver aux malades une "capacité d'autonomie et de relation par le développement d'autres techniques de soin de la douleur" :

"Au moment où nous débattons d'un sujet aussi grave que celui de la fin de la vie, un rappel me semble indispensable et particulièrement important; si nous sommes réunis sous la bannière du Conseil de l'Europe, c'est avant tout que nous croyons en l'Homme.

Nous pensons communément qu'une société s'apprécie à la valeur qu'elle reconnaît à la personne humaine, dans ses moeurs et dans ses lois, et à la qualité du lien qu'elle parvient à créer et à préserver entre ses membres. Il me semble qu'un certain discours sur l'euthanasie s'éloigne en réalité de cette préoccupation fondamentale. Nous avons trop tendance à l'oublier, parce qu'à la source de ce débat, il y a des détresses, il y a des douleurs immenses, auxquelles nous voudrions apporter une réponse humaine.

Est-ce une réponse humaine que de donner à une autorité quelconque - famille, médecins, instance éthique, quel qu'en soit le nom - le pouvoir de décider de la mort d'un homme? Je ne le crois pas. On me dira : mais l'exercice de ce pouvoir peut correspondre au souhait de la personne malade ? Sans doute, si aucune alternative ne lui est présentée.

Il nous faut reconnaître que les progrès de la médecine, et plus encore l'image qui en est donnée à l'opinion, rendent plus difficilement acceptables les souffrances et l'échec des thérapeutiques de pointe. L'euthanasie peut aussi être un moyen, parfois, pour l'entourage et les soignants, de mettre un terme à l'emprise pesante de l'échec. Dans ce climat, il est de notre devoir de rappeler que les progrès de la médecine ont pour seul justificatif la dignité de la personne humaine, et que cette dignité demeure infiniment respectable, même lorsque l'état de nos connaissances scientifiques ne permet plus à la démarche de soins de se poursuivre heureusement.

Il nous faut encourager, là où elle est encore mal connue ou réfutée, la démarche de soins palliatifs. En France, peu à peu, la pratique se développe: des unités de soins palliatifs apportent leur concours technique et psychologique aux services hospitaliers; des réseaux ville-hôpital permettent de prolonger et de coordonner l'accompagnement des malades retournés chez eux; des conventions sont signées avec des associations de bénévoles.

Permettre à la personne qui s'achemine vers la fin de sa vie, de conserver une capacité d'autonomie et de relation, par le développement d'autres techniques médicales de soin de la douleur me paraît une voie autrement préférable à la consécration, avec l'euthanasie, d'une rupture sans remède."

M. André Schneider a approuvé les termes du rapport tout en se prononçant pour une voie médiane fondée sur la notion "d'exception d'euthanasie", suggérée en France par le Comité national d'éthique :

"Avec l'évolution de notre société, le XXI e siècle fait sortir l'euthanasie du secret de l'hôpital. Cependant, notre civilisation peut-elle reconnaître le droit de tuer son prochain? En même temps, qui peut ignorer la réalité de ceux dont la fin de vie est devenue une somme d'instants insupportables ?

Entre crime et compassion, il est devenu absolument indispensable qu'un débat libre et ouvert soit organisé pour qu'une décision collective et démocratique permette de créer les bases d'un cadre juridique adapté aux difficultés auxquelles les êtres humains peuvent se trouver confrontés au terme de leur existence.

En cherchant à sortir l'euthanasie de la clandestinité, une voie médiane pourrait être suggérée qui réconcilierait une situation, devenue aujourd'hui sans issue, du «tout ou rien» entre les partisans du droit à la vie maintenue grâce à des soins palliatifs, dont on sait qu'ils ne suffisent pas toujours à apaiser la souffrance, et les partisans de la liberté de choisir sa mort en étant médicalement assisté, liberté qui peut également donner lieu à des dérives meurtrières, et cela afin de mettre un terme à un acharnement thérapeutique.

Cette troisième voie a été proposée en France par le Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et la santé. Elle serait fondée sur la notion «d'exception d'euthanasie» : cette exception ne concernerait que «des situations limitées ou des cas extrêmes reconnus comme tels» par les médecins après une demande du patient «libre, répétée, exprimée oralement en situation ou antérieurement dans un document, quand les soins palliatifs se révèlent impuissants». Cette troisième voie donnerait une sécurité juridique et soutiendrait les familles et les personnels soignants face à un tel drame.

Entre l'euthanasie et le respect de la dignité des personnes souffrantes, les pays membres du Conseil de l'Europe doivent poursuivre l'exploration des différentes voies susceptibles de réconcilier l'inconciliable et défendre ainsi des valeurs fortes auxquelles souscrire en matière de «fin de vie», car c'est bien de cela qu'il s'agit. La compassion, le respect de l'existence et la solidarité sont indissociables de l'humanité.

Par conséquent, j'approuve le rapport qui nous est proposé. Il est juste, équilibré et profondément humain. Je souhaite donc que le débat ait lieu."

Au terme de ses débats l'Assemblée a décidé, à la demande de M. Glesener , président de la commission sociale, de la santé et de la famille, de renvoyer en commission ce projet de résolution. La commission des questions sociales disposera d'un délai d'un an pour présenter un nouveau rapport.

3. La situation des prisons et des maisons d'arrêt en Europe

Immédiatement après le débat sur l'euthanasie, l'Assemblée a examiné le rapport de M. Michel Hunault sur la situation des prisons et des maisons d'arrêt en Europe. Le rapporteur a introduit les débats de la manière suivante :

"Préoccupés par la situation dans les prisons, à l'initiative de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme de notre Assemblée, nous sommes appelés cet après-midi à discuter du projet d'élaboration d'une Convention pénitentiaire européenne.

Déjà, en 1995, l'Assemblée parlementaire a adopté une Recommandation relative aux conditions de détention dans les États membres du Conseil de l'Europe, dans laquelle elle se déclarait préoccupée par la forte augmentation de la population pénitentiaire en Europe et par la détérioration des conditions de détention.

Neuf années après, l'Assemblée constate avec inquiétude que la situation s'est aggravée, justifiant l'élaboration d'un cadre plus contraignant. En effet, les conditions de vie dans de nombreuses prisons et maisons d'arrêt sont devenues incompatibles avec le respect de la dignité de la personne humaine. Il convient donc aujourd'hui d'élaborer un cadre général s'imposant à tous les acteurs de la chaîne pénale, leur rappelant les droits et obligations des détenus rassemblés dans une Convention pénitentiaire européenne.

L'élaboration de cette Convention s'inscrit en complément des outils existants qu'il convient de rappeler et de saluer. Je citerai la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le Comité de prévention de la torture, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies, la Convention européenne pour la surveillance des personnes condamnées.

Mais aujourd'hui, une nouvelle étape doit être franchie avec des propositions concrètes pour une nouvelle convention. C'est pourquoi l'Assemblée parlementaire propose le vote d'une Convention européenne pénitentiaire qui fixe des normes et des critères communs aux États membres du Conseil de l'Europe permettant d'harmoniser les peines, les conditions de détention et le contrôle pour leur application.

La philosophie générale de cette Convention est de doter l'Europe, dans le domaine judiciaire et pénitentiaire, d'un système de contrôle permettant de garantir une surveillance de l'ensemble des acteurs du système judiciaire pénal depuis le moment de la garde à vue et des conditions de détention avant et après jugement.

Je tiens à saluer le travail réalisé en liaison avec l'Union européenne et le Parlement européen pour élaborer cette Convention européenne. Je voudrais saluer tout particulièrement notre collègue Turco, et saluer aussi les différentes contributions de nos délégations parlementaires qui, à l'occasion de mes visites, m'ont aidé à élaborer le rapport et ce projet de convention ainsi que le président de la commission juridique et des droits de l'homme et l'ensemble des administrateurs.

Aujourd'hui, il convient de présenter les grandes lignes de cette convention. Je voudrais souligner les valeurs sur lesquelles nous avons voulu porter l'accent. L'élaboration de cette convention vise à assurer la dignité de la personne humaine, à préserver la présomption d'innocence avant le jugement, notamment dans les conditions de garde à vue, mais aussi une surveillance accrue et le contrôle de l'ensemble des lieux privatifs de liberté, à favoriser l'accès à l'avocat lors de la garde à vue, le droit et la garantie à un jugement équitable et à ne pas admettre les juridictions d'exception qui sont souvent la justification de procès bâclés et des atteintes à la dignité humaine. Enfin, pour des conditions de détention inspirées par la réinsertion des détenus, il faut faciliter les visites, les rapports avec les familles et la mise en place d'un contrôle permanent.

Dans leur ensemble, des recommandations prévues dans cette convention européenne traitent de toutes les étapes dès le moment de la privation de la liberté : de l'arrestation, aux conditions de détention provisoire et à l'après jugement. Elle tend à établir un cadre normatif qui soit une référence pour l'ensemble des législations des pays composant notre Assemblée parlementaire. L'affirmation de ces principes vise à concilier la nécessaire protection de la société face aux agissements criminels et délictuels et la nécessaire fermeté envers leurs auteurs tout en rappelant le sens de la peine qui ne doit pas s'accompagner de traitements dégradants portant atteinte à la dignité de la personne incarcérée.

L'adoption de ces principes, sous l'égide d'une Convention pénitentiaire du Conseil de l'Europe, devra s'accompagner et se traduire par des moyens budgétaires accrus pour moderniser et adapter les établissements pénitentiaires et orienter les détenus vers leur réinsertion.

L'abolition de la peine de mort sur l'ensemble de notre continent et l'allongement des peines posent des problèmes spécifiques. L'éloignement et l'isolement des détenus condamnés à de longues peines ne peuvent servir de prétexte à un recul du respect des droits les plus fondamentaux de la dignité de la personne.

Le suivi des prisonniers, l'ouverture à un meilleur accès des lieux privatifs de liberté aux organisations non gouvernementales semblent aussi le gage d'une application concrète de la convention que nous serons appelés à adopter tout à l'heure.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pourrait utilement débattre du respect de l'application de cette convention en donnant à sa commission des questions juridiques et des droits de l'homme des compétences élargies et des moyens de contrôle sur la situation des prisonniers.

Dans une démocratie et dans un contexte budgétaire et économique difficile, il n'est pas aisé de sensibiliser les pouvoirs publics à la situation dans les prisons, face à une opinion publique animée de sentiments de sévérité.

Pour autant, le respect de la dignité de la personne humaine ne doit pas s'arrêter aux portes des prisons. L'objet de cette convention pénitentiaire est d'établir un cadre qui s'applique à tous les pays membres de notre Assemblée et qui devra être ratifiée par les parlements nationaux.

Aujourd'hui, c'est un peu plus d'humanité que notre Assemblée fait entrer dans tous les lieux privatifs de liberté."

Tous les intervenants ont souligné la qualité et l'intérêt du travail du rapporteur. Cela a notamment été le cas de M. François Rochebloine :

"Je me dois tout d'abord de saluer le travail commun effectué par nos collègues Michel Hunault et Maurizio Turco qui proposent à l'examen de notre Assemblée une charte pénitentiaire où ils ont eu le souci de rassembler les normes générales qui leur paraissent de nature à garantir effectivement les droits des personnes détenues sur le fondement de la conception des droits de l'homme portée par le Conseil de l'Europe depuis plus d'un demi-siècle.

Je voudrais revenir sur quelques points essentiels de cette démarche dont je partage pleinement l'esprit.

Un constat de fait, tout d'abord: il y a encore, ici et là, dans de nombreux pays du Conseil de l'Europe, trop de pratiques pénitentiaires peu conformes, voire carrément contraires aux droits de l'homme les plus élémentaires. Cela peut provenir de la difficulté qu'éprouvent certains pays ou certaines institutions à sortir d'une culture de l'exercice autoritaire du pouvoir répressif. Cela peut provenir aussi de routines ou de comportements administratifs, ou d'une prise en compte insuffisante d'un infléchissement vers plus de répression de la jurisprudence pénale. Cela peut être aussi, malheureusement, l'expression d'une méthode de gouvernement, comme l'ont montré les travaux consacrés, dans cette enceinte, à la situation des prisonniers politiques en Azerbaïdjan.

Aussi me paraît-il important que la charte pénitentiaire, ou tout autre instrument juridique équivalent, soit élaborée au sein du Conseil de l'Europe en lien avec les institutions de l'Union européenne, pour faire progresser, sur un point capital, l'Europe des droits de l'homme.

Nous devons poursuivre la réflexion commune sur des sujets qui peuvent être délicats en nous rappelant que la reconnaissance de la dignité de la personne, être de relation, est le fondement de la doctrine des droits de l'homme. Si la société peut être fondée à priver de liberté l'un de ses membres en raison de son comportement, elle n'a pas le droit de lui infliger des traitements dégradants, soit personnellement, soit collectivement par le biais de conditions de détention imparfaites, voire indignes.

La loi française permet à tout parlementaire en exercice de pénétrer à tout moment dans les établissements pénitentiaires - ce que, pour ma part, je ne manque pas de faire dans le cadre de la commission de surveillance d'une maison d'arrêt située dans ma circonscription. Cette disposition rappelle que la justice est rendue au nom du peuple; il est normal que les représentants de celui-ci puissent par eux-mêmes constater dans quelles conditions sont exécutées les décisions des juges, et savoir aussi qui elles frappent.

Enfin, je n'oublie pas que l'état du système pénitentiaire est, bien souvent, le reflet des tensions, des handicaps sociaux, des misères humaines qui affectent la collectivité nationale et que, pour une part, le remède aux maux qui peuvent l'atteindre ne se trouve pas dans sa seule réforme."

En réponse aux orateurs, M. Michel Hunault a apporté les précisions suivantes :

"Je tiens à remercier tous les orateurs qui sont tous intervenus dans le sens de cette charte et de la nécessité d'élaborer des règles communes.

Je reviens sur les interventions relatives à la situation des femmes en prison, notamment des mères de jeunes enfants. Il est vrai que les visites que j'ai effectuées au nom de votre assemblée, concernaient les situations les plus dramatiques. En tout cas, vous avez eu raison d'intervenir pour demander la modification des règlements afin d'éviter l'incarcération des femmes lorsqu'une solution alternative peut être trouvée. Si ce n'est pas possible, il conviendrait de trouver des lieux de détention appropriés car la séparation des mères et des jeunes enfants, notamment, de ceux qui sont nés en prison, soulève des problèmes très spécifiques.

Vous avez également eu raison d'appeler l'attention sur le cas des personnes qui séjournent dix, quinze ou vingt jours dans des centres de rétention administratifs. La convention a pour objectif de s'appliquer à l'ensemble des personnes privées de liberté. L'orateur de la délégation hongroise a souhaité des précisions, mais le sujet est bien vaste. L'idée consiste à élaborer sous l'égide de notre Assemblée parlementaire des normes et des règles qui s'appliquent à tous les détenus. Je me souviens, et je parle sous le contrôle du président de la commission juridique, que l'ensemble des collègues voulait étendre cette convention à d'autres lieux où les personnes sont privées de liberté. Le fait d'avoir des règles applicables à tous les détenus me semble déjà être un progrès.

Je conclurai sur la proposition de notre collègue turque, qui s'est exprimée en français. L'adoption d'une recommandation, a-t-elle dit, aurait permis d'accélérer les choses. L'essentiel est que notre Assemblée donne un signe et qu'elle soit vigilante quant au respect de normes qui ne sont plus respectées. Au-delà du travail du comité de prévention de la torture, il convient de mettre un peu d'humanité en tous ces lieux qui en ont bien besoin."

L'Assemblée a ensuite adopté la recommandation n°1656 :

1. L'Assemblée parlementaire rappelle sa Recommandation 1257 (1995) relative aux conditions de détention dans les États membres du Conseil de l'Europe. Depuis lors, malgré une amélioration de la situation dans certains États où elle a pu être considérée comme très préoccupante, les problèmes liés aux mauvais traitements, à l'inadéquation des structures pénitentiaires, aux activités prévues et aux soins disponibles demeurent en Europe. Par ailleurs, l'on observe dans la majorité des États membres du Conseil de l'Europe une tendance au surpeuplement des prisons et maisons d'arrêt, à l'inflation de la population carcérale, à l'augmentation des détenus étrangers et à l'augmentation des détenus en attente d'une condamnation définitive.

2. La Convention européenne pour la prévention de la torture et son mécanisme de contrôle, ainsi que les divers instruments juridiques du Conseil de l'Europe dans ce domaine, notamment les Règles pénitentiaires européennes de 1987, constituent des outils précieux pour assurer le respect des droits de l'homme dans les centres de détention. Des travaux de révision de ces règles sont en cours, et l'Assemblée encourage leur conclusion rapide.

3. Le 1er janvier 2003, le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture a été ouvert à la signature; l'Assemblée déplore que seulement sept États membres l'aient signé (il s'agit de l'Autriche, du Danemark, de la Finlande, de l'Italie, de Malte, de la Suède et du Royaume-Uni) et deux l'aient ratifié (Malte et le Royaume-Uni). La création de mécanismes nationaux de prévention de la torture prévus par cet instrument est un pas en avant.

4. Les conditions de vie dans de nombreuses prisons et maisons d'arrêt sont devenues incompatibles avec le respect de la dignité de la personne humaine. La nécessité d'harmoniser les conditions de détention et d'instaurer un contrôle extérieur permanent, qui implique aussi une harmonisation des délits et des peines, se fait sentir. L'élaboration d'un cadre général s'imposant à tous les États membres du Conseil de l'Europe leur rappelant les droits et obligations des détenus devraient être rassemblés dans une "Charte pénitentiaire européenne".

5. A cet égard, la proposition de résolution du Parlement européen (2003/2188 (INI)) sur les droits des détenus dans l'Union européenne fait explicitement mention de l'initiative d'une telle charte lancée au sein de sa commission des questions juridiques et des droits de l'homme.

6. Par conséquent, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres :

i. d'élaborer, en liaison avec l'Union européenne, une Charte pénitentiaire européenne;

ii. de s'assurer, en particulier, que le mandat du comité qui sera chargé de l'élaboration de la charte inclura dans celle-ci des règles précises et obligatoires pour les États parties concernant :

a. le droit d'accès à un avocat et à un médecin lors de la détention provisoire, et le droit pour une personne en détention provisoire de notifier à une personne tierce sa détention ;

b. des règles sur les conditions de détention ;

c. le droit d'accès aux services médicaux internes et externe ;

d. les activités de rééducation, instruction, réhabilitation et réinsertion sociale et professionnelle ;

e. la séparation des détenus ;

f. les mesures spécifiques concernant les catégories vulnérables ;

g. le droit de visite ;

h. le droit de recours effectif des détenus pour la défense de leurs droits contre des sanctions ou traitements arbitraires ;

i. les régimes de sécurité spéciaux ;

j. la promotion de mesures alternatives à l'incarcération et l'information du détenu sur ses droits ;

iii. de s'inspirer des lignes directrices contenues en annexe au document 10097 pour l'élaboration de cette charte ;

iv. de soumettre le projet de charte pénitentiaire européenne à l'Assemblée parlementaire, pour son avis ;

v. d'inviter les États membres du Conseil de l'Europe à signer et ratifier au plus tôt le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture. »

4. L'avenir de la sécurité sociale en Europe

Au cours de sa séance du vendredi 30 avril matin, l'Assemblée a examiné le rapport de M. Claude Evin sur l'avenir de la sécurité sociale en Europe. Le rapporteur a tout d'abord déclaré :

"Nous vivons tous dans un contexte qui évolue notamment sur le plan économique, avec la globalisation de nos économies, la nécessité de concilier la baisse des charges sociales avec les garanties conférées par un système de protection sociale toujours plus élevé mais aussi toujours plus onéreux, la transformation des modes de production, l'organisation du travail qui devient plus souple, des carrières qui sont moins uniformes, la persistance d'un chômage important dans toutes nos sociétés, avec des dépenses considérables pour compenser ces pertes d'emplois.

Quel que soit l'État, nous sommes également confrontés à une société qui se transforme. L'entrée massive des femmes sur le marché du travail, le vieillissement de la population, les progrès de la technologie médicale et des traitements participent à un accroissement constant des dépenses de santé qui met parfois en péril le principe fondamental d'accès aux soins pour tous.

Face à ces défis, des réformes s'imposent; les politiques sociales doivent évoluer.

Trois orientations majeures marquent les évolutions présentes ou à venir. On voit apparaître des dépenses sociales qui nécessitent un contrôle croissant quant à l'évolution de leur montant. On constate aussi la nécessité d'adapter nos systèmes européens de protection sociale aux nouveaux modes de vie et de formation, avec la prise en charge de besoins nouveaux sur le plan social - la formation professionnelle, les services en faveur des femmes qui exercent une activité professionnelle, la prise en charge des personnes dépendantes. En outre, la protection sociale doit toujours rester favorable à l'emploi.

Face à ces réformes, nous devons constater l'absence de réponse unique. L'évolution des politiques sociales apparaît comme une nécessité. Toutefois, la grande diversité de nos pays en terme d'institutions, d'objectifs, d'instruments de protection sociale, interdit toute uniformisation des réponses. En revanche, il existe des principes communs que nous devons respecter; c'est le sens de la recommandation que la Commission des questions sociales soumet à votre approbation. Certains des principes que nous tenons à réaffirmer l'ont déjà été sur le plan européen, notamment par le Conseil de l'Europe, ou sur le plan international. Pour ce faire, nous voulons rappeler que la Charte sociale européenne révisée protège aujourd'hui trente et un droits sociaux fondamentaux. Elle garantit notamment le droit à l'aide sociale et médicale et le droit de bénéficier de services sociaux. La Charte sociale révisée renforce cette dimension en introduisant un droit nouveau: la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

En outre, le Code européen de sécurité sociale et son protocole, ainsi que le Code de sécurité sociale révisé indiquent aux États membres les normes à respecter dans l'établissement de leur système de sécurité sociale. Ces codes définissent le niveau minimal de protection requise dans les branches traditionnelles de la sécurité sociale.

Enfin, nous voulons le rappeler, la sécurité sociale occupe également une place importante dans la Convention européenne des droits de l'homme. Au fil des quinze dernières années, de nombreux arrêts ont d'ailleurs traité de cette question.

Un socle de principes doit donc être réaffirmé; il doit nous guider dans les réformes que nous devons mettre en oeuvre à l'avenir. Ces principes sont toutefois susceptibles d'amélioration, afin de répondre toujours mieux à l'objectif d'une meilleure protection des personnes. À ce titre, il conviendrait tout particulièrement de garantir l'égalité d'accès aux principaux services de santé, pour tous les membres de la société, gratuitement ou en échange d'une participation minimale.

Pour ce qui est de la réforme des retraites, l'attribution des prestations de vieillesse doit s'opérer à l'aune des principes rappelés dans le Code européen de sécurité sociale, à savoir notamment le versement de pensions périodiques garanties, à compter d'un âge prescrit et jusqu'au décès de la personne, l'adaptation au coût de la vie et un financement basé sur la solidarité.

D'une façon générale, la notion de sécurité sociale implique que le système porte sur les risques sociaux essentiels. Il doit couvrir une part importante de la population, ce qui signifie que nous devons avoir pour objectif de couvrir l'ensemble de nos populations. Ce système de sécurité sociale doit s'appuyer essentiellement sur un financement collectif, si l'on veut maintenir le principe de solidarité. L'État doit être le garant des recettes, des cotisations. Il nous semble en effet nécessaire d'affirmer que l'État doit garantir la stabilité du régime. Il doit contrôler le fonctionnement du système et intervenir dès que les principes fondamentaux sont violés, sans déléguer ses responsabilités essentielles à des acteurs privés. C'est justement pendant les périodes de réforme et de transition que la responsabilité de l'État revêt une importance particulière pour le développement futur de la sécurité sociale.

La protection sociale est un facteur de cohésion sociale. Il ne s'agit pas seulement de dépenses; il faut y voir une sorte d'amortisseur pour les différents chocs sociaux auxquels nos sociétés sont confrontées. La sécurité sociale est plus essentielle que jamais à une époque caractérisée par l'insécurité du travail et la globalisation. Par conséquent, il est nécessaire de la renforcer, voire d'étendre la protection. Les droits sociaux sont en effet le point de départ de la stratégie de cohésion sociale que le Conseil de l'Europe a inscrite au nombre de ses objectifs prioritaires. La sécurité sociale a pour tâche de promouvoir la stabilité sociale, d'éviter une trop grande fragmentation. Il est donc nécessaire que chacun puisse s'en remettre au système de sécurité sociale pour obtenir une protection effective aujourd'hui et dans les décennies à venir.

Dans une période où se multiplient les réformes de la sécurité sociale, l'Assemblée parlementaire doit donc reprendre l'initiative afin d'affirmer les grands principes qui sont à la base de la sécurité sociale. Ils sont un facteur de cohésion sociale et de stabilité démocratique, plus encore, ils renforcent les droits de l'homme. C'est le sens de la recommandation que nous vous proposons."

Les différents orateurs se sont accordés pour reconnaître l'importance du sujet, certains ayant regretté l'inscription de ce débat un vendredi matin. M. Bernard Schreiner a exposé les principes devant guider toute réforme des systèmes européens de Sécurité sociale :

"Depuis la mise en place des systèmes de protection sociale en Europe, après la seconde guerre mondiale, les économies et les sociétés ont évolué: économies ouvertes et concurrentielles accroissant la contrainte de la compétitivité; précarisation de l'emploi; apparition d'un chômage massif; vieillissement de la population et accroissement corrélatif de la dépendance; diminution des naissances, et j'en passe.

Tous ces phénomènes ont des incidences sur la protection sociale, notamment en termes de financements.

Aujourd'hui dans tous les pays d'Europe, les dépenses de santé augmentent de façon ininterrompue. La nécessité se fait jour de mieux contrôler leur évolution. Des réformes sont indispensables pour s'adapter à ces évolutions et maîtriser les coûts.

Dans son excellent rapport, dont je tiens ici, à souligner toute la qualité, M. Claude Evin souligne à juste titre que les pays européens n'ont pas les mêmes institutions de protection sociale, ni les mêmes traditions, ni même parfois les mêmes objectifs, interdisant une réponse unique à ces problèmes.

Néanmoins, il est utile de rappeler que certains principes fondamentaux doivent guider toute réforme. A cet égard, la recommandation n°1626 de l'Assemblée parlementaire, citée dans le rapport de M. Evin, énonce expressément que: «le principal critère employé pour apprécier le succès de la réforme des systèmes de santé doit être l'accès effectif aux services de santé pour tous sans discrimination en tant que droit fondamental de l'individu, et en conséquence l'amélioration du niveau général de santé et de bien-être de la population dans son ensemble.»

La responsabilité de l'État est ici engagée: il est le garant de la protection sociale. En France, le débat sur la sécurité sociale est loin d'être clos. Nous avons aussi à faire évoluer notre système de manière urgente. Le débat parlementaire sur ce sujet doit s'engager très prochainement. Dans ce contexte, M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale, déclarait récemment que «la sécurité sociale partage avec la laïcité le fait d'être un élément clé du pacte républicain». De fait, la sécurité sociale est un élément fort de la cohésion sociale et de la démocratie.

Le Conseil de l'Europe a élaboré des instruments juridiques pour l'application des principes de la sécurité sociale: Charte sociale européenne et Charte sociale européenne révisée, code européen de la sécurité sociale et code européen de la sécurité sociale révisé.

Ainsi, l'article 12 de la Charte Européenne révisée affirme le droit à la sécurité sociale, l'article 13 le droit à l'assistance sociale et médicale, enfin l'article 30, le droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Le droit à une solidarité de la société pour affronter les difficultés de la vie, qu'il s'agisse de problèmes de santé, de travail ou d'exclusion, est selon moi, inhérent à la notion de droits de l'homme. C'est pourquoi, je tiens à souligner tout particulièrement l'importance d'un point contenu dans la proposition de recommandation qui nous est soumise. Il s'agit d'introduire la question de la sécurité sociale et de la lutte contre la pauvreté dans l'ordre du jour du Troisième sommet. Je souhaite, également, une issue positive aux travaux du Comité directeur pour les droits de l'homme visant à inclure les droits sociaux dans la Convention européenne des droits de l'homme.

Pour garantir les droits sociaux, nos systèmes de protection doivent relever le défi des réformes à entreprendre. Il s'agit de garantir le financement des dépenses sociales, de maîtriser les dépenses et les coûts, sans rien céder sur l'exigence de qualité ou sur l'accès collectif aux soins et sans oublier non plus l'indispensable responsabilisation des différents acteurs du système de santé, qu'il s'agisse des soignants ou des patients.

Cet objectif est ambitieux, mais nous devons tout mettre en oeuvre pour l'atteindre."

M. Claude Evin a ensuite répondu aux orateurs :

"Je voudrais d'abord tous vous remercier d'assister à ce débat un vendredi matin. Mais nous sommes à la veille du 1 er mai, une date symbolique. Je mesure bien qu'il en résulte quelques contraintes. Je remercie tous les orateurs qui sont intervenus pour enrichir nos échanges sur ce sujet important.

Plusieurs familles politiques, - et de ce point de vue, les premières interventions ont été très éclairantes -, ont fortement enrichi dans leur histoire nos politiques sociales. Celles-ci s'inspirent de principes fondamentaux. Souvent, ce sont ceux qui ont amené les familles politiques à s'engager pour mettre en oeuvre des politiques concrètes sur le plan social. Il est vrai qu'aujourd'hui nous sommes confrontés, dans différents pays, à des situations nouvelles. Les politiques sociales sont-elles compatibles avec l'économie libérale? La question a été posée.

Car il est vrai que les politiques sociales ont un coût. Nous devons tenir compte de cette préoccupation. Le maintien de politiques sociales exige que nous nous préoccupions de leur financement, de leur compatibilité avec les contraintes économiques. Il est vrai aussi qu'il n'y a pas de développement économique sans politique sociale, je me félicite que beaucoup ces intervenants aient insisté sur ce point. Nous ne devons donc pas mettre en opposition les objectifs économiques et les objectifs sociaux.

Par ailleurs, un certain nombre d'entre nous sont dans des situations de transition économique entre une organisation économique et une organisation sociale pour lesquelles l'État faisait tout. Des pays se demandent aujourd'hui si l'efficacité sur le plan social ne nécessiterait pas, de transférer à d'autres modes d'organisation, à des modes privés par exemple, l'organisation des politiques sociales. On voit bien les dangers d'une telle démarche. Des pays en transition peuvent s'interroger en la matière. Mais il faut, rappeler un certain nombre de principes. Une organisation des politiques en matière sociale est absolument nécessaire et l'intervention de l'État doit absolument garantir les objectifs.

Quels doivent être les principes qui doivent guider nos choix politiques dans le domaine social, particulièrement dans le domaine de la sécurité sociale? J'en citerai trois.

Le principe d'universalité. Il s'agit de tendre vers la couverture de la plus grande partie de nos populations par des systèmes de sécurité sociale. Je dis bien la plus grande partie.

Le principe d'efficacité. Il faut que nous ayons toujours présent à l'esprit l'objectif de l'efficacité. Il faut que les systèmes de sécurité sociale, par leur mode d'organisation, répondent bien aux objectifs que nous nous sommes fixés.

Enfin, le principe de solidarité, notamment en ce qui concerne le financement.

Telles sont les règles qui doivent nous animer, des règles que nous rappelons. Pour cela, il est nécessaire que nous ayons des garanties organisées par une intervention de l'ensemble de la collectivité.

En adoptant cette recommandation aujourd'hui, mes chers collègues, nous renforçons les droits sociaux et, par là même, les droits de l'homme qui sont ce qui nous rassemble ici. Je vous remercie de l'approbation que vous allez donner à ce rapport."

Avant de clôturer ses travaux l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1661 :

1. L'environnement économique européen s'est considérablement modifié ces trente dernières années et les économies européennes se sont progressivement ouvertes vers l'économie globale. Par conséquent, la compétitivité des économies européennes ne se joue pas seulement sur les coûts de production, mais aussi sur la performance des systèmes de sécurité sociale qui garantissent une sécurité du lendemain. Parallèlement, la transformation des modes de production et de l'organisation du travail, devenus plus « souples », et les carrières moins uniformes, suppose de nouveaux standards pour la protection sociale.

2. A cet égard, l'Assemblée parlementaire exprime sa profonde préoccupation concernant la persistance d'un chômage de masse qui pose de nombreux problèmes aux pays membres du Conseil de l'Europe et à leurs systèmes de sécurité sociale. Elle tient à souligner que les droits sociaux, effectivement garantis, sont un facteur de la cohésion sociale et un facteur de stabilité démocratique. La sécurité sociale a un coût, mais ne pas avoir de sécurité sociale peut entraîner des coûts plus élevés encore en termes économiques, sociaux et politiques.

3. Le futur des systèmes de retraite représente un grand défi, considérant notamment le vieillissement de la population du fait de l'allongement de la durée de vie et de la diminution du nombre des naissances. Dans ce contexte, l'Assemblée parlementaire tient avant tout à souligner l'aspect positif de l'allongement de la durée de vie, que l'on présente souvent comme une contrainte. Face au défi de soutenabilité future des systèmes de retraite, elle réaffirme la nécessité de maintenir un système de retraite, fondé sur les solidarités nationales et entre les générations, de respecter le juste équilibre entre le régime public et privé, ainsi que le rôle de l'État en tant que garant.

4. Plus spécifiquement, l'Assemblée considère que les politiques sociales les plus favorables à la famille et à la natalité sont celles qui permettent aux parents et aux femmes en particulier de combiner harmonieusement la vie professionnelle et la vie familiale. Les pays, ayant développé ce type de politiques, connaissent les taux de fécondité les plus élevés par rapport aux pays ayant préféré uniquement l'aide aux mères qui restent au foyer.

5. L'Assemblée parlementaire est persuadée de la nécessité de modifier les politiques sociales, compte tenu du fait que les sociétés ont changé depuis l'époque de la fondation des systèmes européens de la protection sociale, qui ne sont plus parfaitement adaptés aux nouvelles situations. Trois objectifs majeurs marquent les réformes présentes et futures :

i. mieux contrôler l'évolution des dépenses sociales, les ressources disponibles pour les financer étant plus limitées qu'auparavant ;

ii. mieux répondre aux nouveaux modes de vie et aux transformations des risques sociaux, ainsi qu'aux nouveaux besoins sociaux : meilleure formation tout au long de la vie, services aux besoins des femmes qui travaillent et des personnes âgées dépendantes, réduction progressive de la baisse de niveau de vie des ménages liée à la naissance des enfants ;

iii. rendre les systèmes de la sécurité sociale plus favorables à l'emploi et notamment reconnaître le travail que représentent les soins aux membres de la famille.

6. L'Assemblée parlementaire souligne qu'il n'existe pas une réponse unique, univoque et uniforme pour les réformes de la sécurité sociale, vu les différentes traditions et objectifs en matière de sécurité sociale d'un pays européen à l'autre. S'il n'est pas possible de définir une seule voie pour les réformes de la protection sociale, il faut rappeler en revanche un certain nombre de principes que les États membres se doivent de respecter.

7. L'Assemblée se prononce pour l'application des principes de la sécurité sociale tels qu'ils figurent dans les instruments juridiques du Conseil de l'Europe : La Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée, le Code européen de sécurité sociale, son Protocole et le Code européen de sécurité sociale révisé.

8. Les instruments juridiques du Conseil de l'Europe dans le domaine social ont défini une véritable norme européenne et ont fait de la protection sociale un droit fondamental, avec un système de contrôle international. La sécurité sociale occupe également dans la Convention européenne des droits de l'homme une place importante, de nombreux arrêts, au fil des quinze dernières années, ayant traité de cette question.

9. La Charte sociale européenne révisée a introduit un droit nouveau : le droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale (article 30). Dans ce contexte, l'Assemblée parlementaire déplore le fait que seulement huit États membres du Conseil de l'Europe ont accepté d'être liés à l'article 30. Elle considère qu'il est nécessaire, à l'échelle européenne, de manifester une volonté politique afin de rendre les droits sociaux plus accessibles.

10. En matière de réforme des systèmes de santé l'Assemblée parlementaire rappelle sa Recommandation 1626 (2003) sur ce sujet qui précise que « le principal critère employé pour apprécier le succès de la réforme des systèmes de santé doit être l'accès effectif aux services de santé pour tous sans discrimination en tant que droit fondamental de l'individu, et en conséquence, l'amélioration du niveau général de santé et de bien-être de la population dans son ensemble ».

11. L'Assemblée tient également à souligner le rôle de l'État comme garant de la stabilité du régime de sécurité sociale qui devrait intervenir dès que les principes fondamentaux sont violés sans déléguer ses responsabilités essentielles à des acteurs privés. De même, durant des périodes de réformes et de transition, la responsabilité de l'État revêt une importance particulière pour l'évolution future de la sécurité sociale.

12. L'Assemblée parlementaire est convaincue que le renforcement de la cohésion sociale, grâce à un niveau soutenu de protection sociale, est une stratégie préventive efficace afin de réduire les risques de troubles sociaux et de perturbations politiques dans certaines jeunes démocraties, membres du Conseil de l'Europe. A cet égard, elle rappelle que le Deuxième Sommet des Chefs d'État et de Gouvernement du Conseil de l'Europe en 1997 a affirmé sa détermination de promouvoir la cohésion sociale comme « un élément indispensable de la promotion des droits de l'homme et de la dignité humaine ».

13. L'Assemblée parlementaire tient aussi à rappeler que plusieurs textes du Conseil de l'Europe fixent des objectifs qui permettraient d'élever le niveau des droits à la sécurité sociale dans l'ensemble des États membres. Il en est ainsi de la Charte sociale révisée qui, dans son article 12 affirme le droit à la sécurité sociale, dans son article 13 affirme le droit à l'assistance sociale et médicale et qui, dans son article 30, affirme le droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Par ailleurs, le Code européen de sécurité sociale fixe, quant à lui, des normes utiles pour garantir ces droits. L'Assemblée rappelle la nécessité que ces différents dispositifs soient le plus rapidement possible ratifiés et demande au Comité des Ministres de renforcer son action dans ce sens.

14. A cet égard l'Assemblée se félicite des travaux menés par le Comité européen pour la cohésion sociale dans le domaine de la sécurité sociale, en particulier les réflexions engagées sur les conséquences pour la cohésion sociale et l'égalité entre les hommes et les femmes des réformes en cours dans le domaine des retraites. Elle relève également l'initiative d'organiser en 2004 une Conférence euro méditerranéenne ouverte à des États méditerranéens non membres.

15. Elle se félicite aussi que le Comité directeur pour les droits de l'homme travaille actuellement à l'inclusion des droits sociaux dans la Convention européenne des droits de l'homme ce qui permettrait notamment de mettre en oeuvre la Recommandation N° R(2003)3 du Comité des Ministres sur le droit à la satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situation d'extrême précarité. Elle soutient ces travaux.

16. L'Assemblée se félicite de la décision du Conseil Européen de Bruxelles sur l'emploi, la politique sociale, la santé et la protection des consommateurs de décembre 2003 visant à « renforcer le processus actuel de coordination des politiques des États membres dans le domaine de la protection sociale, de manière à contribuer à la nécessaire modernisation des systèmes de santé ». Dans ce contexte, elle considère que le domaine de la sécurité sociale doit être un domaine prioritaire de la coopération entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne avec une meilleure planification des activités communes à moyen et long terme.

17. L'Assemblée invite les parlementaires des États membres à lancer à cette occasion un débat au niveau national et européen, de même qu'à promouvoir - au niveau national - les outils juridiques du Conseil de l'Europe pour trouver des solutions viables aux questions complexes de la réforme dans le domaine social. L'Assemblée parlementaire devrait examiner à échéance de deux ans un rapport présentant les conclusions de ces débats dans chacun de ses États membres.

18. En conséquence, l'Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres :

i. d'introduire la question de la sécurité sociale et la lutte contre la pauvreté dans l'ordre du jour du Troisième Sommet des Chefs d'États et de Gouvernements du Conseil de l'Europe et de favoriser l'inclusion des cinq principes de la Recommandation N° R(2000)3 du Comité des Ministres dans le système de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

ii. de renforcer les mécanismes de contrôle dans le domaine social, en considérant comme une priorité le respect des engagements des pays membres en la matière ;

iii. de développer la connaissance des situations des différentes populations en termes d'indicateurs sociaux dans les pays membres où les problèmes sociaux sont une source grave d'instabilité politique afin de préparer des projets thématiques, régionaux, intégrés et de les mettre en oeuvre en étroite coopération avec l'Union européenne ;

iv. de soutenir les actions de coopération menées par le Comité européen pour la Cohésion Sociale et le Bureau International du Travail afin d'améliorer la sécurité sociale dans les différents États membres.

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