B. UN SECTEUR EN PROFONDE ÉVOLUTION

1. L'héritage d'un réseau culturel dense mais désormais vétuste

L'essentiel du tissu des institutions culturelles et artistiques russes est hérité de l'époque soviétique. C'est notamment le cas des structures d'enseignement spécialisé et de diffusion de la culture.

a) L'enseignement artistique : une tradition scolaire russe

L'éducation artistique appartient à la tradition scolaire russe : dès le plus jeune âge, tous les élèves suivent la « leçon de dessin », qui fait partie des enseignements obligatoires. Dans les classes supérieures, les élèves peuvent également suivre des cours facultatifs de cinéma ou de musique.

Il existe par ailleurs des écoles spécialisées . Le ministère exerce la tutelle sur 20 écoles secondaires spécialisées et 44 instituts supérieurs dédiés à l'apprentissage des professions artistiques.

M. Chvydkoï a estimé préférable que ces établissements relèvent de son agence, plutôt que de l'Agence fédérale pour l'enseignement, rattachée au Ministère pour l'Éducation et les Sciences, afin de maintenir un lien étroit entre ces formations et le milieu artistique -dont est souvent issu le corps enseignant-, et pouvoir mieux évaluer les débouchés professionnels.

b) Un vaste réseau de diffusion de la culture

Si les villes de Moscou et Saint-Pétersbourg sont les principaux foyers culturels de Russie (Moscou abrite, à elle seule, 138 théâtres sur les 500 que compte le pays), un vaste réseau de salles publiques (théâtres, cinémas, maisons de la culture de quartiers) subsiste sur l'ensemble du territoire.

En pratiquant des prix abordables, ces établissements contribuent à la diffusion du spectacle vivant dans les villes petites et moyennes, auprès de populations au niveau de vie pourtant faible.

En outre, de nombreux festivals, tels que le Festival des théâtres de petites villes de Russie, font vivre la culture dans les provinces.

Par ailleurs, toutes les villes de plus de 200 000 habitants entretiennent des philharmonies, conservatoires et écoles de ballet, largement vétustes mais néanmoins actives. Dans de nombreux cas, des financements complémentaires leur sont attribuées par les régions ou de grandes entreprises.

Ainsi, la région de Novgorod compte à elle seule plus de 1 000 établissements culturels, financés à plusieurs niveaux (municipal, régional et fédéral). Elle soutient par ailleurs des « unions artistiques » de peintres ou de musiciens. La ville de Novgorod organise enfin le Festival de film comique « Sourire de Russie ».

2. Le nouvel essor du secteur du cinéma

Le secteur du cinéma est l'un de ceux qui ont connu, ces dernières années, les mutations les plus importantes. Celles-ci ont accompagné l'essor de la production nationale russe :

- la distribution cinématographique a été soutenue par la mise en place d'un réseau de nouvelles salles privées de haute qualité, sur tout le territoire : on recense en 2003 plus de 350 salles de cinéma dotées d'un équipement moderne , contre 50 il y a dix ans ; cela correspond à une modernisation de plus de 20 % du parc de salles ; le public, jeune en majorité, provient essentiellement des classes moyennes et aisées ; par ailleurs, M. Chvydkoï compte sur les « compétences commerciales » dont est dotée l'Agence fédérale pour accélérer l'assainissement du réseau d'exploitation des salles, par l'introduction de billetterie et de recettes déclarées ;

- la production nationale s'est accrue et améliorée , donnant lieu à de grands succès commerciaux ; la production de longs-métrages atteint aujourd'hui environ 75 titres ; la recette par film, pour les productions russes, était en moyenne de 150 000 dollars il y a dix ans ; en 2004, 10 films ont rapporté plus d'un million de dollars, et un record au box office -« Nochnoï Dozor » - a atteint plus de 12 millions de dollars de recettes ;

- la diffusion des films russes a connu une forte progression : en 2004, 36 films (sur une production de 60) sont passés dans les mêmes circuits de distribution, et au même prix, que les films américains, contre seulement 5 il y a dix ans ; en effet, alors que le prix du billet dans les salles modernes est de l'ordre de 100 à 150 roubles (1,8 euro en moyenne), il n'est que de 10 à 15 roubles dans les anciennes salles municipales ou fédérales ; en aval, les marchés de la vidéo et du DVD s'élargissent.

L'Agence fédérale pour la culture et le cinéma est chargée de contrôler, encourager et soutenir la production et la distribution des films nationaux. Le contexte budgétaire y est favorable : le budget alloué par l'État au cinéma a doublé en 2003.

La part des productions internationales, notamment américaines, reste toutefois importante. Le cinéma français n'est pas en reste : en 2003, 48 longs-métrages français (coproductions comprises) sont sortis sur les écrans russes. Ils ont attiré plus de 3 millions de spectateurs. La Russie est ainsi devenue le premier marché au monde pour l'exportation du film français.

LE MUSÉE DU CINÉMA DE MOSCOU

Le Musée du Cinéma dépendait autrefois de l'Union des Cinéastes de l'URSS, devenue l'Union des Cinéastes de Russie. Il est dirigé, depuis 15 ans, par M. Naoum Kleiman, personnalité marquante du milieu du cinéma en Russie et à l'étranger.

Véritable centre de recherches et d'études cinématographiques ouvert au public, le Musée du Cinéma, ou Cinémathèque de Moscou, abrite un centre d'archives de plus de 400 000 pièces. Il rassemble :

- des fonds qui représentent un patrimoine important pour la Russie (mémorial de l'oeuvre de Serguei Eisenstein, Poudovkine, Vertov, Romm, Tarkovski...)

- un système d'archivage de ces fonds (catalogue électronique)

- des ateliers de restauration des films et des équipements de conservation

- une bibliothèque

- 4 salles de cinéma avec une programmation nationale et internationale

- un espace ouvert aux cinématographies étrangères.

En outre, deux projets sont en cours :

- créer un réseau de circulation et de diffusion de films non commerciaux en régions, organisé dans les universités, à l'occasion de festivals (par exemple lors du Festival du film documentaire à Ekaterinbourg) ;

- rassembler des fonds, du matériel et des films en vue de créer une cinémathèque à Beslan.

A la suite d'un contentieux, la propriété des locaux du Musée du Cinéma a été revendiquée par les propriétaires du Casino « Arlekino », qui partage le même bâtiment (historiquement dédié au cinéma). Aussi, l'une des préoccupations principales du directeur du Musée est actuellement de trouver un nouveau lieu d'installation « décent ».

L'avenir du financement du Musée suscite enfin des inquiétudes. M. Kleiman estime qu'il devrait continuer de faire partie des établissements subventionnés par l'État, au même titre que les grands musées ou théâtres d'État, et non pas dépendre de ressources propres.

3. Des mutations profondes qui se heurtent au poids des conservatismes

a) La réforme de la gestion des établissements culturels

L'un des principaux chantiers en cours consiste à encourager une plus grande autonomie des établissements culturels.

Dans un contexte de restriction budgétaire, les réformes en cours poursuivent plusieurs objectifs :

- établir une distinction entre les établissements qui resteront subventionnés par l'État (les grands musées et théâtres) et ceux qui devront compter sur des recettes propres.

Les 85 cirques d'État sont ainsi en cours de privatisation.

Même les établissements subventionnés, comme le Bolchoï, sont contraints d'élargir et diversifier leurs sources de revenus : grâce à une gestion plus efficace, et en faisant appel à des aides privées, la part servie par l'État est passée de 80 à 60 % du budget de cet établissement ces dernières années.

Toutefois, il faut regretter, dans ce contexte, que le mécénat culturel reste sous-développé en Russie, à défaut de dispositifs fiscaux incitatifs . Il n'existe que quelques « conseils de patronage », récemment légalisés.

- moderniser la gestion des établissements , en passant d'un système de gestion en quasi-régie -avec des budgets définis strictement ligne par ligne- au versement de subventions globales. Il s'agit d'accorder davantage de marges de manoeuvre aux directeurs d'établissements, en contrepartie de leur engagement sur un contrat d'objectifs et d'un contrôle renforcé, par l'Agence fédérale, des résultats obtenus.

En parallèle, la révision du statut des directeurs d'établissement vise à généraliser les contrats à durée déterminée , alors que la plupart bénéficient actuellement de contrats sans terme. Cela suscite l'opposition d'un grand nombre de responsables, qui préfèrent conserver la sécurité de leur emploi, même si cela suppose de refuser un salaire 4 à 5 fois plus élevé.

Les difficultés de mise en oeuvre de cette réforme révèlent d'une part, le poids du conservatisme, toujours très prégnant parmi les responsables d'établissements en raison de l'inertie de la bureaucratie, et d'autre part le sentiment d'inquiétude face à l'arbitraire des mutations à l'oeuvre. Le ministre lui-même a regretté l'absence de renouvellement des cadres, à l'occasion de la réorganisation administrative.

b) La rénovation du statut des artistes

La réforme en cours du statut des artistes suscite les mêmes réticences. Là aussi, l'objectif est de développer le recours à des contrats à durée déterminée -de 11 mois renouvelables- en lieu et place de l'ancien système d'« artistes fonctionnaires », inscrits à vie.

Les discordances de salaires entre les artistes, dans la phase actuelle de transition, ne va pas sans susciter un certain malaise : le passage en CDD s'accompagne en effet d'une forte revalorisation des salaires des artistes.

Néanmoins, le refus d'une danseuse du Bolchoï de changer de statut a fait récemment scandale : elle est restée dans la troupe, avec un salaire modique de 100 dollars, alors que les artistes sous contrats de 11 mois perçoivent en moyenne 1 500 dollars par mois, les danseurs en vue pouvant gagner jusqu'à 6 à 10 000 dollars.

c) L'émergence encore timide des esthétiques contemporaines

La délégation a pu percevoir, en dépit de quelques percées significatives mais encore timides, un contexte général de défiance vis-à-vis des formes contemporaines d'art , lié notamment au conservatisme militant des grandes institutions d'enseignement (les Académies des Beaux-Arts).

Ainsi, les acquisitions des musées portent à 70 % sur l'art ancien ou classique. L'acquisition d'oeuvres contemporaines, pose plus de problèmes. D'une part, les prix atteints par certains artistes russes reconnus à l'étranger les rendent parfois peu accessibles. D'autre part, il reste à développer une culture de l'art contemporain en Russie, en premier lieu chez les directeurs d'établissement eux-mêmes.

LA POLITIQUE D'ACQUISITION DES OEUVRES D'ART

La politique d'acquisition emprunte deux canaux :

- soit par les musées eux-mêmes, à partir du budget que leur alloue l'Etat, de leurs fonds propres, et de parrainages privés ;

- soit directement par l'État ; pour les oeuvres les plus chères, la politique d'acquisition est centralisée, à partir des demandes déposées par les musées, qui sont examinées par une commission spéciale, la décision finale appartenant à la commission d'experts de l'Agence fédérale.

La création d'un Département des Arts contemporains au sein de l'Agence fédérale pour la culture et le cinéma marque un signal de l'engagement des responsables politiques, à la veille de la première Biennale des Arts contemporains de Moscou (du 17 janvier au 28 février 2005). Toutefois, le budget annoncé pour cette manifestation, bien inférieur à celui des manifestations comparables en Europe, sème le doute sur son ampleur et son impact.

Les mentalités évoluent timidement. Il existe ainsi un « Club des amateurs d'art contemporain », qui coopère depuis 2 ans avec l'ADIAF 8 ( * ) .

Les grands musées contribuent à la diffusion de l'art contemporain, sous la forme d'expositions temporaires ou par leurs collections permanentes :

- le Musée Russe de Saint-Pétersbourg, l'un des plus grands musées d'État du pays 9 ( * ) , possède une collection unique de l'avant-garde russe (plus de 100 tableaux de Malévitch, plus de 20 oeuvres de Kandinsky...)

- la Galerie Tretiakov de Moscou 10 ( * ) s'est étendue à un nouveau bâtiment, la « Nouvelle Galerie Tretiakov », où sont regroupées les oeuvres postérieures à 1912 (dont le fameux « Carré noir » de Malévitch, des oeuvres du groupe « Valet de carreau », de Popova, Larionov, Filonov, ou d'artistes plus contemporains, qui ne furent pas reconnus par le régime précédent et durent s'expatrier, comme Erik Boulatov, qui vit en France depuis 1988).

* 8 Association pour la Diffusion Internationale de l'Art Français, créée en 1994.

* 9 Le Musée Russe a une superficie comparable à celle du Vatican, 5 fois supérieure à celle de la Galerie Tretiakov de Moscou ; il compte 400 000 pièces d'exposition, qui ne comprennent que 3 % des collections du musée.

* 10 Fondée à partir de la collection privée du marchand Pavel Tretiakov, autodidacte qui a rassemblé la plus grande collection de peinture russe de l'époque -1 287 toiles- dont il fit cadeau à la ville de Moscou en 1892, la Galerie Tretiakov réunit aujourd'hui plus de 100 000 oeuvres.

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