2. La réglementation actuelle applicable aux produits cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR)

Aujourd'hui, la réglementation générale qui s'applique à ces substances découle de la directive 67/548 des communautés européennes 148 ( * ) concernant la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses.

Par arrêté du 7 août 1997, modifié par celui du 13 octobre 1998, relatif aux limitations de mise sur le marché et d'emploi de certains produits contenant des substances dangereuses, le ministre de la santé a interdit la mise sur le marché et l'importation à destination du public des produits « cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction » des catégories 1 et 2, dont font partie quatre des éthers de glycol déjà classés.

Cet arrêté ne s'applique pas à l'usage professionnel pour lequel la réglementation française prévoit l'évaluation à priori des risques à la charge de l'employeur et pour chaque poste de travail.

Le décret n° 2001-97 du 1 er février 2001 modifiant le code du travail, a étendu aux substances chimiques présentant des dangers de toxicité pour la reproduction de catégorie 1 ou 2, les mêmes contraintes que celles appliquées depuis le 1 er janvier 1993 aux substances cancérogènes.

En vertu de l'article R. 231-56-12 du code du travail, l'employeur doit réduire l'utilisation de ces substances sur le lieu de travail notamment en limitant l'exposition respiratoire ou cutanée et en remplaçant, à chaque fois que cela est possible, un produit toxique par une substance, une préparation ou un procédé moins dangereux pour la santé ou la sécurité des travailleurs.

Les obligations de l'employeur, s'agissant de ces produits, sont retracées dans le tableau suivant :

Obligations prioritaires de l'employeur dans les activités susceptibles
de présenter un risque d'exposition à une substance classée comme toxique
pour la reproduction de catégorie 1 ou 2

Evaluation des risques : nature, niveau et durée de l'exposition à l'agent cancérogène ou mutagène, afin de définir les mesures de prévention et des procédures et méthodes de travail appropriées ;

Substitution obligatoire de la substance dangereuse pour un autre produit lorsque c'est techniquement possible ;

Travail en système clos lorsque c'est techniquement possible et qu'une substitution n'a pu être mise en place ;

Captage des polluants à la source lorsque la substitution et le travail en système clos ne sont pas applicables ;

Limitation du nombre de travailleurs exposés ou susceptibles de l'être ;

Mise en place de mesures de détection précoces, d'hygiène et de dispositifs en cas d'urgence (en particulier lors d'éventuelles ruptures du confinement des systèmes clos) ;

Délimitation et balisage des zones à risques, étiquetage des récipients ;

Formation et information des travailleurs ;

Suivi médical : surveillance médicale régulière pendant toute la durée de l'activité professionnelle, constitution d'un dossier médical pour chaque travailleur exposé à un agent cancérogène ou mutagène, établissement d'une fiche d'aptitude par le médecin du travail (renouvelable au moins une fois par an), attestation de non contre-indication.

Les femmes enceintes et les femmes allaitantes ne peuvent être affectées ni être maintenues à des postes de travail les exposant à des agents avérés toxiques pour la reproduction (catégories 1 et 2).

Cette réglementation permet aujourd'hui aux industriels d'utiliser « plus de 250 matières figurant au classement des catégories 1 et 2 des produits CMR » , selon les informations fournies par M. Philippe Huré à la mission.

M. Claude Imauven, directeur général adjoint de la compagnie Saint-Gobain, a rappelé que « toute l'industrie, dans ses process, utilise des matières dont la plupart sont classées dangereuses à un titre ou à un autre - inflammabilité, caractère irritant, cancérogène » , ajoutant que « tout ceci est parfaitement réglementé » , soulignant néanmoins qu'il convenait de distinguer le « process » du produit final : « Ce n'est pas parce que, dans le process, on utilise un certain nombre de produits qu'on va les retrouver dans le produit final. Il faut bien faire la part des choses entre le caractère nuisible pour le consommateur et l'utilisateur et ce qui est nuisible dans le process ».

Selon l'enquête Sumer 149 ( * ) , 2.370.000 personnes, soit 13,5 % des salariés du champ étudié, seraient exposées à un ou plusieurs produits cancérogènes.

Le professeur Marcel Goldberg a estimé que si l'évaluation des risques et les mesures de précaution étaient correctement mises en oeuvre par les entreprises, les risques encourus par les salariés seraient diminués. Pour M. Claude Imauven, de Saint-Gobain, « il s'agit, à chaque étape de la chaîne de fabrication, de prendre toutes les mesures pour être certain qu'il n'y aura pas de danger » .

En fait ces mesures de précaution sont mal respectées . Comme l'a rappelé M. Henri Pézerat, « une loi oblige les employeurs qui font utiliser par leurs salariés des produits susceptibles de causer des maladies professionnelles à déclarer leur détention à la sécurité sociale. Un de vos confrères observait récemment que 10 % des employeurs la respectaient effectivement ».

M. Henri Pézerat a ainsi rapporté le cas d'une entreprise où le nombre de cancers du rein est en nette augmentation : « Cette entreprise appartenait précédemment à Rhône Poulenc. Elle fabrique, notamment sous forme de vitamines A et E, des compléments alimentaires pour les animaux. Le mode de production dédié à l'atelier de vitamine A a été modifié en 1982. Pour court-circuiter certains processus, la direction de l'usine introduit une nouvelle molécule. Plus de vingt ans après cette décision, le nombre des cas de cancers du rein s'élève approximativement à une vingtaine » .

Alerté par le CHSCT de l'usine, M. Pézerat a demandé en vain à la direction de l'entreprise de remplacer la molécule incriminée par une molécule moins nocive, conformément à la réglementation en vigueur : « Personne ne m'a appuyé, qu'il s'agisse du médecin, de l'inspecteur du travail ou de la direction de l'entreprise » , cette dernière ayant justifié sa décision « en évoquant le coût trop élevé d'une telle mesure » .

Alors que l'entreprise a été rachetée par des fonds de pension américains, qui « estiment prioritaire le rendement immédiat » , les salariés restent aujourd'hui exposés. « J'ai alerté mes collègues du Centre international de recherche sur le cancer de Lyon. L'Institut de veille sanitaire a également été alerté », a précisé M. Pézerat .

* 148 Directive du Conseil n° 67-548 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses.

* 149 Au cours de laquelle 1.800 médecins enquêteurs ont cherché à identifier les produits chimiques auxquels 50.000 salariés étaient exposés.

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