b) Les terrains amiantifères en Haute-Corse

Lors du déplacement de la mission, le docteur Mouriès, pneumologue au centre hospitalier de Bastia, a indiqué observer tous les deux ans, en moyenne, un cas de mésothéliome dont l'origine ne peut être attribuée à une exposition professionnelle à l'amiante, précisant que des études géologiques avaient démontré la corrélation entre la présence d'affleurements d'amiante dans les villages et la fréquence des plaques pleurales, qui affectent parfois 20 à 25 % de la population.

Il a ajouté qu'un lien statistique avait été observé entre la présence d'affleurements d'amiante et le risque de mésothéliome, en ajoutant qu'il était plus difficile d'établir une telle corrélation pour les cancers bronchiques qui peuvent avoir d'autres causes, notamment tabagiques.

Comme l'a rappelé M. Femenia, président de la chambre de commerce et d'industrie, aux membres de la mission, « les terrains amiantifères sont nombreux en Haute-Corse et même à Bastia : la préfecture elle-même est construite sur l'un d'eux ».

La cartographie réalisée par le bureau de recherche géologique et minière (BRGM) montre que 130 communes de Haute-Corse possèdent sur leur territoire au moins une zone d'affleurement de serpentinite.

Plusieurs associations de protection de l'environnement avaient saisi, en 1996, le préfet Erignac du problème de l'amiante environnemental en Haute-Corse.

Cette question fait aujourd'hui l'objet d'une surveillance renforcée, sous l'égide de l'Institut de veille sanitaire, en relation avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS).

Son directeur a indiqué que l'InVS avait engagé une étude en 1996. L'établissement d'une cartographie précise des roches potentiellement amiantifères a été confié au BRGM en 1997, en partenariat avec l'Office de l'environnement de la Corse.

De 2001 à 2004, le laboratoire des particules inhalées a procédé à des mesures qui ont révélé que les valeurs limites de la présence d'amiante avaient largement été dépassées à Bastia, ainsi que dans plusieurs villages. En outre, l'élaboration d'un modèle mathématique a permis d'étudier les incidences de la présence d'amiante sur les différents sites.

Le bilan partiel de l'étude fait apparaître en outre une évolution dans les causes d'exposition de la population : il s'agissait autrefois surtout de la circulation sur des voiries non recouvertes et du jardinage, alors qu'aujourd'hui, l'exposition est souvent liée à l'ouverture de chantiers dans des zones d'affleurements de roche amiantifères proches d'agglomérations, Bastia et Corte par exemple.

(1) Le BTP à Bastia

Les représentants de l'ARDEVA PACA/Corse ont signalé à la délégation, que les chantiers de BTP réalisés sur les terrains amiantifères diffusaient des poussières d'amiante alentour, menaçant tant les salariés des entreprises que les riverains.

Regrettant qu'il ait fallu attendre la réflexion engagée sur le chantier de Canari pour que la question de la contamination des salariés, mais aussi de la population, soit posée, M. Dubois, médecin du travail, a indiqué que les études révélaient des pics de pollution très importants sur les chantiers lors des opérations de creusement et de chargement des déblais.

Il s'est montré d'autant plus inquiet que les chantiers situés sur des terrains amiantifères, autrefois limités, ont tendance à se développer à l'occasion de grandes opérations immobilières, notamment à Bastia. M. Femenia, président de la CCI, a confirmé à cet égard que plusieurs projets importants étaient engagés, notamment la construction d'un centre d'affaires, près de Bastia.

Le docteur Dubois a exprimé la crainte que cette plus grande exposition des populations se traduise par une explosion des pathologies dans 20 ou 30 ans. Il a indiqué que des examens pratiqués par scanner auprès des salariés du BTP font d'ores et déjà découvrir des plaques pleurales, mais pas encore de pathologies plus graves, compte tenu du délai de latence .

Mme Burdy, inspectrice du travail, a alerté la mission sur le fait qu'aucune protection spécifique n'existait pour les ouvriers de ces chantiers.

Le procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Bastia, M. Fagny, s'est interrogé sur la possibilité d'appliquer pour les chantiers à ciel ouvert, le décret du 7 février 1996 112 ( * ) , relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante, afin d'amener les employeurs à prendre des mesures de précaution à l'égard de leurs salariés intervenant sur les chantiers. Il a fait état d'une procédure initiée, en 2003, à l'encontre d'un promoteur immobilier, maître d'ouvrage d'un chantier situé près de Bastia : l'inspection du travail avait constaté des infractions aux règles de santé et de sécurité au travail et un défaut d'information des salariés sur la nature amiantifère du terrain.

Après que l'inspection du travail a dressé plusieurs procès-verbaux demandant l'arrêt du chantier, une enquête préliminaire, débouchant sur une citation directe par le parquet, devant le tribunal correctionnel, a été ouverte. L'avocat du maître d'oeuvre a contesté que le décret de 1996, conçu pour protéger les ouvriers des chantiers de déflocage, soit applicable à ce type de chantier à ciel ouvert. Le ministère du travail a cependant estimé que le décret trouvait bien à s'appliquer dans ce cas de figure, de même que les règles générales prévues pour la protection des salariés exposés à des matières cancérigènes. Lors du déplacement de la mission, le tribunal correctionnel n'avait pas encore rendu sa décision sur cette affaire.

En l'absence de texte spécifique, il apparaît en effet très difficile d'inciter les employeurs à mettre en place des mesures de protection : Mme Burdy, inspectrice du travail, a indiqué qu'elle avait élaboré une méthodologie d'intervention sur les chantiers amiantifères en 1997, rappelant que les entreprises avaient l'obligation d'évaluer les taux d'empoussièrement et de communiquer les informations à l'inspection du travail 113 ( * ) .

Depuis 1999, des campagnes d'information ont été engagées à l'intention des chefs d'entreprise, pour les sensibiliser au risque encouru par leurs salariés exposés aux poussières d'amiante. La cartographie du BRGM a notamment été diffusée. Par ailleurs, une convention a été signée, le 19 mai 2005, avec la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) du Sud-Est, aux termes de laquelle la CCI s'engage à mettre à la disposition des entreprises des personnels chargés de la prévention des risques liés au travail.

Le procureur de la République, la représentante de l'inspection du travail et le président de la CCI ont souligné la difficulté de stopper les chantiers manifestement trop dangereux.

Au titre de ses pouvoirs de police, le préfet peut en effet contraindre l'entrepreneur, au besoin sous astreinte, à faire cesser le chantier, si un risque mettant en danger la sécurité des ouvriers est avéré. L'interruption du chantier peut également être demandée en référé, si un danger imminent menace la sécurité des personnes.

Ces procédures semblent cependant peu suivies d'effets : selon le président de la CCI, « certaines entreprises préfèrent payer une amende pour pouvoir continuer les chantiers » .

Sur un plan général, il apparaît nécessaire à la mission de compléter la réglementation applicable à l'amiante par un volet environnemental, qui fait gravement défaut en Corse. Cette réglementation devrait notamment traiter la question des déblais amiantés, rebus des chantiers, qui est à l'heure actuelle un des sujets de préoccupation majeure des associations de défense de l'environnement.

* 112 Il s'agit du décret n° 96-98 du 7 février 1996 qui impose au chef d'établissement de procéder notamment à une évaluation des risques, d'organiser une formation appropriée et de mettre à disposition des salariés des équipements de protection.

* 113 En application de l'article R. 231-54-2 du code du travail.

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