Auditions de MM. Philippe LEROY, président du Conseil général de la Moselle,
président de la commission « urbanisme et politique de la ville »
de l'Assemblée des départements de France (ADF),
Eric DELZANT, directeur général des services du Conseil général du Pas-de-Calais,
Dominique Delepierre, conseiller du président du Conseil général du Pas-de-Calais et Jean-Michel RAPINAT, chef du service social de l'ADF
(17 janvier 2006)

Présidence de M. Alain GOURNAC, vice-président,
puis de M. Georges OTHILY, président

M. Alain Gournac, président .- Messieurs, notre commission d'enquête sur l'immigration clandestine est très heureuse de vous accueillir.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Philippe Leroy, Eric Delzant, Dominique Delepierre et Jean-Michel Rapinat prêtent serment.

C'est notre collègue Philippe Leroy qui va commencer à s'exprimer. Je lui passe la parole.

M. Philippe Leroy .- Merci, monsieur le président. Nous sommes une délégation de l'Assemblée des départements de France (ADF) constituée de représentants de deux départements parmi les plus concernés par les problèmes d'immigration et la présence de jeunes mineurs étrangers isolés.

Le phénomène des jeunes étrangers isolés en France est désormais constant : une partie est confiée aux départements, c'est-à-dire à l'aide sociale à l'enfance (ASE), une autre partie à l'Etat. Les filières sont différentes selon les départements.

Dans le département de la Moselle, les jeunes qui nous arrivent sont confiés au Centre départemental de l'enfance, l'essentiel par les services de police et une autre partie par un collectif d'assistance aux demandeurs d'asile.

En France, le phénomène est désormais établi : le département et les organismes qui lui sont associés accueillent en permanence, bien que les chiffres soient incertains -mais c'est une chose que l'on devrait pouvoir améliorer-, un total de 2 500 mineurs en moyenne dans nos établissements et nous avons environ 1 200 jeunes majeurs étrangers qui sont en permanence dans nos services.

Bon nombre de ces départements ont développé des structures spécifiques. Chez nous, au Centre départemental de l'enfance ou dans les services de l'ASE, nous avons spécialisé des cellules sur ce problème.

Cet accueil doit être organisé avec beaucoup d'humilité, dans la mesure où les jeunes qui nous sont confiés sont dans des situations variées et ne bénéficient pas tous d'un itinéraire facile et d'une intégration, mais nous constatons que les départements, d'une façon générale, s'acquittent au mieux des jeunes qui leur sont confiés.

Il est certain aussi que nous sommes très dépendants des autorités de l'Etat quant à l'accueil et à l'arrivée des jeunes : nous ne décidons rien dans cette affaire. Ces jeunes nous arrivent par des systèmes contrôlés par l'Etat et par tout un système d'accueil des immigrés sur notre territoire, système que nous ne contrôlons pas bien et qui pose parfois aux départements des problèmes particuliers. C'est ainsi que, dans mon département, en 2003, nous avons assisté à une poussée importante -je pourrai vous donner les chiffres tout à l'heure- de jeunes venant des pays de l'Est, certains d'entre eux n'étant visiblement pas mineurs et ayant des comportements de délinquants.

Ces jeunes fuguaient et provoquaient des désordres en ville et à l'intérieur du centre départemental de l'enfance. Leur prise en charge dépassait nos compétences, puisqu'il s'agissait plus de délinquants que de jeunes en difficulté, et leur nombre était bien supérieur à nos capacités d'accueil. Ils étaient également mal adaptés, par leur comportement, aux habitudes de notre personnel.

Le hasard a voulu que, dans l'année qui a suivi, des contrôles plus précis sur l'âge et l'identité des jeunes nous ont permis de revenir à des effectifs et des comportements plus normaux, mais il faut regarder cela avec humilité : les départements voient arriver ces jeunes sans aucun contrôle.

Même si les chiffres restent à préciser, nous avons environ 2 500 jeunes en permanence répartis entre environ 25 départements. Cela veut dire que tous les départements ne sont pas concernés par le phénomène et que certains le sont beaucoup plus que d'autres. Les départements d'Île-de-France sont très concernés, de même que le département du Pas-de-Calais, dont les représentants vous le diront tout à l'heure. En ce qui nous concerne, en Moselle, à la frontière avec l'Allemagne vers les pays de l'Est, nous le sommes également, mais d'autres départements ne connaissent pas le phénomène, ou seulement très peu.

Quelles difficultés rencontrons-nous ? Je ne parlerai pas des règles juridiques : vous les connaissez bien et nous appliquons l'ensemble des lois, bien sûr.

Tout d'abord, on peut constater que les procédures d'accueil et d'entrée dans les établissements départementaux ne sont pas identiques partout en France. Il faudrait donc une meilleure coordination entre les services de l'Etat qui s'en occupent (la justice, en particulier le juge des enfants et le juge des tutelles, les services sociaux d'Etat, la police et la gendarmerie) et nous-mêmes. Il faudrait aussi que nous puissions bénéficier de procédures d'entrée plus « élaborées » afin d'avoir un diagnostic plus précis sur les chances et la personnalité des jeunes qui nous sont confiés. En effet, dans la plupart des cas, nous devons reconstituer complètement l'itinéraire des jeunes, ce qui est particulièrement difficile lorsqu'ils ne parlent pas français et nous ignorons tout de leur situation.

En Moselle, lorsque nous accueillons des Chinois, par exemple, nous sommes parfois obligés de rechercher des interprètes connaissant le dialecte que parle le jeune. Lorsque ces jeunes nous arrivent et qu'il faut les construire, conformément à la fonction de l'aide sociale à l'enfance, nous devons avoir la même conduite que celle que nous adoptons pour les jeunes Français qui nous sont confiés. Nous avons donc un besoin d'analyse des situations à l'entrée qui mérite d'être souligné.

De même, quand ces jeunes qui nous sont confiés arrivent, nous avons un délai de cinq jours pour demander au procureur de procéder à leur installation, chez nous, sur le plan juridique. Ce délai de cinq jours permet d'ailleurs à beaucoup de jeunes qui nous sont confiés de repartir sans que nous sachions où ils vont. Ils repartent dans la nature, en quelque sorte. Certains reviennent dans le circuit dans un autre département, mais, comme le veut le système juridique, nous avons ce temps de battement de cinq jours pendant lequel un certain nombre de ces jeunes sont dans un no man's land juridique.

La police ou des collectifs associatifs nous les ont amenés, ils sont évidemment mieux accueillis chez nous et nous pouvons commencer avec eux un certain travail, mais la procédure de placement juridique n'intervient que quelques jours plus tard. Elle associe à la fois le juge des enfants et le juge des tutelles. Le juge des enfants nous confie l'enfant au sens où il nous confie un jeune Français avec des mesures éducatives qui sont sous le contrôle du juge des enfants. Le juge de tutelle, en revanche, nous considère comme le tuteur légal de l'enfant et nous sommes donc pleinement responsables des mesures éducatives. Il s'agit là d'une petite ambiguïté quant à la conduite juridique de l'itinéraire du jeune dans nos services.

En ce qui concerne les procédures de sortie, lorsque le jeune atteint la majorité, il repasse sous l'autorité de l'Etat. Comme nous sommes tuteurs, nous préparons et nous anticipons les formalités de dossiers pour les passer dans les offices ou dans l'ensemble des systèmes juridiques d'accueil des étrangers adultes en France et nous préparons la mise à la disposition des services de l'Etat par le département, mais, là aussi, rien n'est codifié quant à ces procédures de sortie. C'est ainsi que, d'un département à l'autre, nous pouvons avoir des attitudes différentes.

L'assistance aux itinéraires mériterait également un coup d'oeil et une réflexion nouvelle, sachant que les départements passent des contrats jeunes adultes avec ces jeunes lorsqu'ils montrent des dispositions particulières pour un itinéraire d'apprentissage professionnel ou d'entrée dans la vie professionnelle.

En conclusion, je dirai que c'est un phénomène nouveau auquel les départements font face en « prestataires de services », sous le contrôle de l'Etat, avec des formules que chaque département a essayé d'adapter au mieux à la situation locale.

C'est une situation qui n'a jamais fait l'objet, de la part de l'ADF, de décisions et de réflexions d'ensemble. Il y a d'ailleurs peu de réflexions d'ensemble sur ce thème au plan national et il y a peu de spécialistes et d'expertises. L'IGAS a fait un rapport à cet égard et a été en contact avec nous il y a deux ans dans le cadre d'enquêtes assez précises. Leur travail d'expert a permis d'avoir une vision générale, mais cela n'a pas abouti, à ma connaissance, à des réflexions nationales et à une concertation.

Pour sa part, l'ADF n'a pas encore entrepris de réflexion d'ensemble et n'a pas de position définitive sur cette question, mais nous sommes prêts à en discuter.

Il faut cependant souligner la difficulté qu'ont les départements pour supporter le coût de ces placements même s'il est difficile d'en évaluer le coût global. L'évaluation que nous pouvons faire dans mon département -nos collègues du Pas-de-Calais pourront donner les leurs- montre que le coût d'un enfant est de 150 € par jour, ce qui correspond à un prix de journée qui comporte l'ensemble de l'hôtellerie (c'est-à-dire le gîte et le couvert) et des mesures éducatives, sans compter les frais de structure, ce qui représente environ 4 millions d'euros par an pour la Moselle.

J'ai parlé ici à la fois pour la Moselle et pour l'ADF, mais je n'oublie pas la situation particulière des départements d'outre-mer, pour lesquels je ne suis pas du tout compétent. Je sais que votre commission se penche de façon spécifique sur ces secteurs. L'ADF sera de toute façon solidaire des départements d'outre-mer qui, évidemment, appartiennent à notre association.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je souhaiterais simplement avoir quelques précisions, monsieur le président.

Tout d'abord, je voudrais savoir quelles sont les origines de ces jeunes, par quels moyens ils arrivent en France. Quant aux jeunes filles, je voudrais savoir dans quelles conditions vous pouvez les prendre en charge et si, malheureusement, elles ne sont pas parfois victimes de la prostitution.

M. Philippe Leroy .- Sur ce genre de question assez précise, il n'y a aucune statistique ni aucune étude nationales. Nous pouvons simplement vous faire part de l'expérience de nos deux départements.

Pour la Moselle, parmi les jeunes que nous avons accueillis et qui sont restés chez nous en 2005, 16 venaient d'Afrique noire, 19 d'Europe de l'Est et 16 d'autres pays (Chine, Afghanistan, pays du Maghreb). L'Afrique noire a pris des proportions très importantes chez nous ces deux dernières années. Les seules jeunes filles qui viennent et qui sont placées chez nous sont africaines, les autres origines n'étant représentées que par des garçons. En revanche, l'Europe de l'Est est beaucoup moins représentée depuis quelques années.

Les jeunes Africains ne posent pas de problèmes d'accueil parce qu'ils parlent le français, mais c'est plus difficile pour les jeunes d'Europe de l'Est. Quant aux Chinois, ils ne parlent pas du tout le français.

En ce qui concerne les filières, nous sommes absolument incapables de donner des chiffres. Ces jeunes nous sont confiés par la police, dont les fiches sont très succinctes : le jeune arrive avec une fiche de police qui précise le nom, la date, la ville et le lieu de naissance et rien d'autre. Nous ne connaissons donc rien officiellement de l'origine de ces jeunes et cela fait partie des difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour reconstituer leur vie et leur itinéraire si nous devons les garder pour les éduquer.

Le collectif financé par l'Etat et par le département de la Moselle qui nous envoie des jeunes connaît mieux leur histoire et les filières et constitue un auxiliaire important. On dit qu'il s'agit de filières organisées et, ma foi, c'est probablement le cas, mais je n'ai aucun élément qui me permette de vous en dire plus. Je n'en sais pas plus que vous.

M. Alain Gournac .- Monsieur le président, je souhaiterais que l'on passe la parole aux représentants du Pas-de-Calais parce qu'ils ont peut-être des réponses différentes, notamment concernant Sangatte. Le mieux serait donc de les entendre, si vous en êtes d'accord, après quoi nous poserons des questions.

M. Georges Othily, président .- Vous avez tout à fait raison. Vous avez la parole, monsieur Delzant.

M. Eric Delzant .- Mesdames et messieurs les sénateurs, nous nous sommes permis de remettre à la commission un document écrit qui résume les principaux aspects de la problématique qui se pose spécifiquement au département du Pas-de-Calais. Je me permettrai de ne pas le lire intégralement, mais d'en commenter simplement les éléments principaux en nous mettant à la disposition de la commission avec M. Delepierre. Le président du conseil général vous prie de l'excuser de ne pas avoir pu se présenter personnellement cet après-midi.

Pour le département du Pas-de-Calais, au-delà de la description qu'a faite M. le président Leroy de l'accueil des mineurs étrangers isolés en général, sur laquelle je me retrouve très bien, c'est la situation du centre de Sangatte, qui est fermé depuis 2002, et, aujourd'hui, celle de la ville de Calais (puisque c'est sur cette ville et sa périphérie immédiate que se concentre l'intégralité des mineurs étrangers isolés que le département du Pas-de-Calais a aujourd'hui à sa charge) que je vais essayer de vous décrire.

Comme vous pouvez le constater, sur le plan quantitatif, nous avons eu un pic en 2002 avec plus de 500 mineurs étrangers isolés placés auprès des services de l'aide sociale à l'enfance du département du Pas-de-Calais. Depuis la fermeture du centre de Sangatte, nous avons constaté une baisse de ce chiffre en 2003 et 2004 et, aujourd'hui, il est à nouveau à la hausse. Certes, la hausse est modérée dans les statistiques que je vous ai remises, mais les derniers contacts que j'ai pris avec les services départementaux avant de me présenter devant vous me confirment une tendance à la remontée.

On constate que l'origine de ces jeunes mineurs varie selon les périodes, c'est-à-dire que nous avons des flux d'arrivée avec tantôt des jeunes venus des pays d'Europe centrale et tantôt -c'est plutôt le cas aujourd'hui- des flux venant du Moyen-Orient et d'Afrique. Effectivement, je n'ai pas de réponse à la question qui vient d'être posée sur les filières, tout simplement parce que les services départementaux n'ont pas d'informations sur ces éléments : si j'ose dire, nous sommes en bout de chaîne.

La loi prévoit que les mineurs nous sont confiés sur décision judiciaire et nous n'avons ni les tenants, ni les aboutissants de leur itinéraire. Evidemment, nos services peuvent connaître leurs parcours en les écoutant, mais il est difficile d'en établir quelque chose de précis et d'objectif. C'est la raison pour laquelle je ne me suis pas permis de faire apparaître des éléments de cette nature, dans la mesure où ils ne relèvent pas de la responsabilité du conseil général.

Nous constatons à la fois une volonté d'un grand nombre de ces mineurs étrangers d'obtenir un titre de séjour et une très grande « volatilité » de leur présence dans les services départementaux. En réalité, en dehors d'une minorité d'entre eux qui vont chercher à s'intégrer et qui, grâce à l'action forte des services départementaux, effectuent un vrai parcours d'insertion dans notre pays, jusqu'à faire des études (nous avons aujourd'hui des jeunes garçons et des jeunes filles, souvent d'origine asiatique, qui font des études et acquièrent des diplômes élevés) et à trouver une place importante dans la société française, d'autres, au contraire, ne cherchent qu'à repartir le plus vite possible et à échapper au cadre juridique dans lequel ils se trouvent par l'application de cette législation sur les mineurs étrangers isolés.

Face à cette situation particulière depuis 2002, le conseil général s'est organisé, notamment en créant une cellule d'accueil et d'orientation.

Il faut insister tout d'abord sur l'investissement considérable, à la fois humain et financier, qui est effectué par le conseil général du Pas-de-Calais pour faire face à cette situation que la loi lui impose. Nous appliquons la loi et toute la loi, mais nous devons constater que l'accueil des mineurs étrangers isolés représente un coût considérable pour le département puisque l'ensemble de la charge exposée par le budget départemental pour cette politique est de plus de 3,5 millions d'euros en 2005. A titre d'exemple, pour vous fixer les idées, cela représente 1 % de fiscalité départementale. Autrement dit, la seule application mécanique de la loi, s'agissant de l'accueil des mineurs étrangers, représente 1 % de fiscalité départementale.

Comme l'a dit très justement tout à l'heure M. Leroy, nous appliquons purement et simplement la loi, c'est-à-dire que nous n'en faisons pas plus que ce que la loi nous demande de faire pour accueillir l'ensemble de ces mineurs dans des conditions difficiles, puisque ceux-ci, de par leurs parcours individuels, ont souvent des profils très difficiles et posent, parfois plus que d'autres, des problèmes dans nos structures d'accueil. Ils ont des durées de séjour parfois très faibles, c'est-à-dire que nous investissons pour eux dans une durée très courte à l'issue de laquelle les jeunes s'en vont.

Nous les voyons aussi quelquefois revenir après avoir tenté de traverser la Manche ou de se rendre ailleurs et après avoir été appréhendés par la police qui les remet à la justice, laquelle nous les remet à nouveau. Ce phénomène récurrent accroît encore plus la charge des services départementaux et rend souvent cette situation extrêmement compliquée, d'autant plus que, comme je vous l'ai dit, on peut considérer que la quasi-totalité de ces mineurs étrangers est concentrée sur le seul site de Calais et de ses environs : nous n'avons quasiment pas de mineurs étrangers isolés dans le reste du département du Pas-de-Calais.

C'est la raison pour laquelle le conseil général du Pas-de-Calais considère depuis 2003 que cette obligation légale qui lui est faite dépasse celle qui entre normalement dans ses compétences. Selon lui, il s'agit plus de l'accueil d'étrangers que de mineurs au sens de la compétence générale de l'aide sociale à l'enfance. Aussi souhaite-t-il que cette compétence soit rendue à l'Etat en considérant qu'il s'agit d'appliquer la législation générale sur l'immigration et non pas celle sur l'aide sociale à l'enfance. Il ne s'agit évidemment pas de se soustraire à cette obligation mais de constater que, par nature, elle dépasse ce que fait le conseil général en matière d'aide sociale à l'enfance, ce qui représente déjà, dans le cadre de ses compétences générales, un poids extrêmement important.

Pour vous donner un seul exemple, sachez que le poids budgétaire de la politique d'aide sociale à l'enfance pour le conseil général du Pas-de-Calais est de 167 millions d'euros annuels.

Voilà, monsieur le président, ce que je souhaitais vous dire.

Mme Catherine Tasca .- Vous avez évoqué la réussite de quelques enfants qui poursuivent leurs études. Lorsqu'ils quittent vos centres, quel est le statut de ces jeunes adultes ?

M. Dominique Delepierre .- Jusqu'à une époque très récente, nous n'avions pas de possibilités : monsieur le préfet nous demandait de nous occuper des enfants et, lorsqu'ils arrivaient à leur majorité, ils les reprenaient et les ressortaient, ce qui était évidemment paradoxal. Récemment, une circulaire de M. de Villepin adressée aux préfets a constitué une certaine avancée en les incitant à se montrer tolérants dans l'attribution de titres de séjour à ces jeunes qui arrivent à la majorité et qui sont, comme le disait monsieur Delzant, dans des parcours d'insertion.

En principe, nous devrions désormais avoir plus de facilités, les préfets ayant la possibilité de donner des titres de séjour, mais c'est encore une voie fragile puisqu'elle est fondée sur une circulaire.

M. Bernard Frimat .- Nous voyons l'effort obligé et parfois volontaire que font les départements à cet égard et nous constatons aussi quel gâchis ce serait que les jeunes mineurs isolés ayant réussi un début d'intégration soient fauchés et réexpédiés par le premier avion pour atteindre des objectifs de reconduite à la frontière alors qu'il peut y avoir des cas d'intégration tout à fait brillants.

Je voudrais donc savoir -ce sera ma première question- si vous observez le même phénomène qu'à Lyon avec des jeunes qui sont dans une bonne situation d'intégration et qui disparaissent des centres peu de temps avant leur majorité pour échapper au sort éventuel de réexpédition.

La deuxième question que je souhaite vous poser concerne la protection maternelle et infantile (PMI) et non plus les mineurs étrangers isolés. Avez-vous l'occasion d'accueillir dans votre réseau de PMI des enfants d'étrangers en situation irrégulière et, si c'est le cas, pourriez-vous nous en dire un peu plus?

M. Philippe Leroy .- Il est un fait, monsieur le sénateur, que la sortie après 18 ans est un problème préoccupant parce que nos personnels qui ont suivi les jeunes pendant quelques années n'y sont pas indifférents. Autour de nous, pour veiller à la sortie des jeunes, il y a les services de l'Etat, bien sûr, mais je vous ai indiqué tout à l'heure que nous préparions en amont la mise en place de dossiers qui permettent aux jeunes, dès la majorité acquise, lorsque c'est possible, de poursuivre l'éducation que nous avons démarrée. C'est la raison pour laquelle la plupart des jeunes qui le souhaitent disposent d'un contrat jeune majeur, qui est le même que celui que l'on donne à des jeunes majeurs français et qui leur permet d'être défrayés des dépenses que génère la fin de leur parcours, que ce soit en matière d'apprentissage ou en matière d'études, jusqu'à l'obtention d'un diplôme, mais nous ne sommes plus maîtres du jeu.

Le maître du jeu, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est l'Etat et cela dépend donc de la bonne volonté quotidienne de nos fonctionnaires et de ceux de l'Etat ainsi que des associations. C'est un système bancal à cause de cela, même si on ne peut pas dire qu'il y ait de la mauvaise volonté. Il y a donc effectivement un suivi. Sinon, ceux qui ne sont pas adaptés tombent dans les procédures de l'Etat et nous échappent totalement.

Quant aux problèmes des jeunes en PMI, il faut savoir qu'ils arrivent souvent avec leurs parents. En ce qui nous concerne, nous n'avons que très peu de jeunes isolés relevant de la PMI car ils ont en général plus de 15 ans.

M. Bernard Frimat .- Je ne parlais pas de ceux-là.

M. Philippe Leroy .- Les autres arrivent avec leurs parents et ils sont placés avec leur mère. De ce fait, ils ne relèvent pas de l'accueil du département mais des structures d'accueil des adultes. Le suivi de ces familles, puisqu'il s'agit de familles, est assuré par des services de l'Etat, du moins en Moselle. Je vérifierai ce point, mais je n'ai pas connaissance que nous ayons été, sauf circonstances particulières, très fortement associés à l'accueil de mamans avec des enfants en bas âge.

M. Eric Delzant .- J'interviens sur ce point particulier, si vous le voulez bien. S'agissant de la situation que nous constatons dans le Pas-de-Calais et à Sangatte, nous avons effectivement uniquement des jeunes mineurs de plus de 14 ans. Nous n'avons pratiquement pas de familles, encore moins avec des enfants en bas âge.

Cela dit, il est évident que, si nous étions confrontés à des cas de ce genre, nos services départementaux prendraient en charge ces enfants, comme nos compétences nous en donnent le devoir.

M. Bernard Frimat .- Constatez-vous des fuites avant 18 ans ?

M. Dominique Delepierre .- Il y a un point sur lequel nous n'avons pas assez insisté : le fait que la durée moyenne de séjour des jeunes dont nous parlons est de deux jours et demi. Quand monsieur Delzant a parlé de « volatilité » de ces jeunes, il s'agit bien de cela. Effectivement, nous en avons un certain nombre pour lesquels se posent des problèmes d'intégration, mais ils sont très peu nombreux par rapport à la totalité.

M. Philippe Leroy .- Chez nous, la situation est très différente. Les jeunes arrivent, orientés par des filières que nous ne connaissons pas, dans l'espoir d'y trouver une filière d'intégration, du moins pour un bon nombre d'entre eux. Cela dit, la volatilité existe, bien évidemment, puisque nous avons un certain nombre de jeunes qui partent dans les cinq premiers jours et qui filent dans ce moment incertain où aucune mesure juridique n'est prise et où ils arrivent chez nous sans avoir l'intention d'apprendre quelque chose ou de s'intégrer, mais, lorsqu'ils restent, nous avons des jeunes soucieux de s'intégrer.

A la fin du mois de décembre dernier, nous avions chez nous 73 mineurs âgés de 16 à 18 ans qui étaient en parcours de longue durée et d'insertion et nous avions également 42 majeurs. Apparemment, c'est très différencié d'un département à l'autre, mais, chez nous, tous ceux qui veulent rester peuvent le faire. Certes, il y a tous ceux qui filent au début, mais ils s'accrochent ensuite et c'est ainsi que nous avons 42 majeurs pris en charge par nos services, en accord avec l'Etat et l'ensemble de l'appareil, pour terminer leur parcours d'insertion.

M. Jean-Michel Rapinat .- Je me permettrai de compléter la réponse à la question de monsieur le sénateur sur les jeunes enfants. Même s'il s'agit de situations extrêmement minoritaires, il se trouve que des mesures sont prises lorsqu'un enfant en bas âge est arrivé en situation irrégulière avec son père, sa mère ou un adulte. Pour les enfants de moins de 3 ans, qui sont hébergés dans le cadre des structures d'accueil relevant de l'Etat, le financement repose sur le département et c'est donc une charge complémentaire qui incombe aux départements, même si les cas sont relativement rares.

M. Georges Othily, président .- Je vous remercie, messieurs.

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