Audition de M. Philippe DOUSTE-BLAZY,
ministre des affaires étrangères
(17 janvier 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à vous exprimer devant notre commission d'enquête.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Philippe Douste-Blazy prête serment .

M. Georges Othily, président .- Nous prenons acte de votre serment. Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire qui permettra au rapporteur et aux membres de la commission de vous poser des questions et de vous demander des précisions sur quelques points précis.

M. Philippe Douste-Blazy .- Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens d'abord à vous dire que je suis très heureux de l'occasion qui m'est donnée de pouvoir m'exprimer devant vous sur un thème sur lequel il me semble que l'action du ministère des affaires étrangères est insuffisamment connue et mise en valeur.

Je dis cela car je pense très sincèrement que les différents de ce ministère, et particulièrement nos consulats sur le terrain, sont en première ligne de l'action du gouvernement pour prévenir l'immigration illégale, mais aussi pour accompagner dans les meilleures conditions possibles la venue en France de ceux que nous souhaitons accueillir.

La maîtrise de l'immigration est l'une des priorités du gouvernement. Celle-ci a été récemment réaffirmée par le premier ministre qui, à l'issue du Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI), le 29 novembre 2005, a souligné que, pour être efficace, une politique de l'immigration devait être, certes, globale, mais aussi choisie.

Le contexte dans lequel s'inscrit notre action rend celle-ci particulièrement complexe. La mondialisation qui caractérise la vie internationale est toujours plus active et implique de multiples mouvements non seulement de biens et de capitaux, mais aussi de personnes. Or nous sommes confrontés à une double exigence : d'une part assurer la maîtrise de l'accès à notre territoire, ce qui suppose une action énergique pour prévenir les entrées frauduleuses ; d'autre part, concourir à l'attractivité de la France pour les personnes que nous souhaitons voir étudier, chercher ou travailler en France, mais aussi, tout simplement, pour les millions de visiteurs qui font de notre pays l'une des destinations touristiques les plus courues dans le monde.

Une telle politique suppose nécessairement l'implication de l'ensemble du gouvernement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Comité interministériel de contrôle de l'immigration a été créé en juin dernier.

Pour sa part, le ministère des affaires étrangères est pleinement mobilisé dans la mise en oeuvre de plusieurs aspects, parmi les plus fondamentaux, de cette politique, et je souhaiterais évoquer plus particulièrement devant vous cinq thèmes :

- la politique des visas ;

- l'éloignement des étrangers en situation irrégulière ;

- la lutte contre la fraude et le contrôle des mariages à l'étranger ;

- la politique de l'asile ;

- la définition d'une politique européenne et la promotion du dialogue sur les migrations.

Evoquons tout d'abord la politique des visas.

A travers la mise en oeuvre de la politique des visas, notre réseau diplomatique et consulaire est, par définition, aux avant-postes de notre politique migratoire. Il faut rappeler une règle simple et fondamentale : pour un nombre significatif de nationalités, la délivrance des visas constitue toujours la voie d'entrée normale des étrangers en France. C'est pourquoi il est essentiel de s'assurer de l'identité et de la qualité des demandeurs de visas.

La délivrance des visas est un instrument important de notre politique étrangère. Les postes consulaires ont pour instruction de faciliter la venue des ressortissants étrangers qui concourent à la vitalité des relations bilatérales de leur pays avec la France ou ont des attaches fortes avec notre pays. Ainsi, dans le cadre de notre politique d'attractivité, le nombre de visas délivrés à des étudiants étrangers a augmenté de plus de 10 % de 2001 à 2004. De nouvelles mesures viennent d'être arrêtées par le CICI pour favoriser la venue en France d'un plus grand nombre d'étudiants de haut niveau.

Notre réseau consulaire joue aussi, en amont, un rôle majeur dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Nos postes se montrent particulièrement vigilants dans l'instruction des demandes de visas : le nombre des visas délivrés par nos services est globalement stable depuis trois ou quatre ans. La baisse du taux de refus de visas, aujourd'hui de l'ordre de 15 %, est la conséquence de l'introduction au 1 er janvier 2003 de la mesure de paiement préalable des frais de dossier qui s'est traduite par une baisse de la demande de visas.

En 2005 comme en 2004, dans plus de 200 postes diplomatiques et consulaires français, plus de 750 agents ont instruit quelque 2.400.000 demandes et délivré quelque 2.000.000 de visas, soit environ 20 % du total des visas délivrés par l'ensemble des partenaires de l'espace Schengen.

S'agissant de la politique de délivrance des visas, deux sujets me semblent devoir être mentionnés : la biométrie, d'une part, l'attractivité de la France et la mise en place des Centres d'études en France (CEF), d'autre part.

Je commence par la généralisation de la biométrie.

L'introduction de la biométrie dans la délivrance des visas repose sur la loi du 26 novembre 2003 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Elle préfigure la création d'une base de données européenne sur les visas, dénommée VIS, qui permettra, à partir de 2008, l'échange d'informations en temps réel sur les délivrances ou les refus de visas dans l'ensemble des postes des pays partenaires.

Une expérimentation, comme vous le savez, a été lancée en mars 2005 sous le nom de BIODEV. Elle est pilotée conjointement par le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'intérieur. Devant son succès, mais aussi afin de prendre en compte l'urgence de disposer d'un système sécurisé permettant notamment, à terme, d'établir une traçabilité dans le franchissement de nos frontières, j'ai décidé en juillet dernier que cette expérience en cours dans cinq consulats (Bamako, Colombo, Minsk, San Francisco et Annaba) serait généralisée à l'ensemble de nos postes dès 2008.

Dans cet esprit, le CICI du 27 juillet 2005 a décidé que l'expérimentation serait, dès 2006, étendue à une trentaine de consulats supplémentaires en fonction des moyens budgétaires qui seront alloués cette année au ministère des affaires étrangères.

Le deuxième sujet à noter, c'est l'attractivité de la France et le rôle des centres pour les études en France : les CEF.

Si un meilleur contrôle de l'immigration est indispensable, nous nous devons en même temps de développer l'attractivité de notre pays, notamment à destination des étudiants de haut niveau, dans un contexte de compétition internationale en matière d'offre de formation. Je vous rappelle que l'Allemagne reçoit deux fois plus d'étudiants chinois que nous.

A cet effet, le ministère des affaires étrangères a mis en place en 2005, dans cinq pays (les trois pays du Maghreb, le Vietnam et le Sénégal), des CEF. Il s'agit d'une plate-forme de services qui vise à rapprocher deux processus : la délivrance du visa étudiant et la pré-inscription dans un établissement d'enseignement supérieur français. Ces CEF s'inspirent du centre d'évaluation linguistique et académique (le CELA) créé en 2003 en Chine, dont le succès avait été salué à l'époque par la Cour des comptes.

Le CICI du 29 novembre dernier a décidé l'extension des CEF à une douzaine de pays en 2006. A terme, ce sont plus de 70 % des étudiants étrangers demandeurs de visas qui seront concernés par cette procédure, avant une éventuelle généralisation du dispositif.

Les CEF, là où ils sont mis en place, sont le point de passage obligé des étudiants étrangers qui souhaitent venir se perfectionner dans notre pays. Ils fournissent une base de données extrêmement précieuse pour une promotion ciblée de nos formations supérieures et un suivi des étudiants étrangers. Ils sont un outil essentiel pour préserver les prérogatives de l'université en matière d'inscription des étudiants.

Le développement des CEF s'accompagne de mesures facilitant l'installation en France des étudiants de haut niveau. Le CICI a ainsi décidé de faciliter le séjour des étudiants placés par les CEF : ceux-ci obtiendront désormais un visa de long séjour pour les études, les dispensant de se rendre en préfecture pour obtenir leur titre de séjour l'année de leur arrivée dans notre pays.

Je souhaiterais enfin, s'agissant de la délivrance des visas, nuancer fortement une assertion que j'entends parfois et qui consiste à affirmer qu'une majorité d'étrangers en situation irrégulière est entrée en France avec un visa délivré par nos postes consulaires. Si un lien entre la délivrance de visas consulaires et l'immigration irrégulière peut exister, il est en réalité assez ténu, malgré ce que certains peuvent penser.

Plusieurs faits confirment cette analyse. Tout d'abord, la France ne délivre que 20 % des visas Schengen et il est donc possible, pour les 80 % d'étrangers obtenant un visa d'un autre Etat Schengen, d'avoir accès à notre territoire, l'espace Schengen étant par nature ouvert. Ensuite, les statistiques de l'OFPRA montrent que moins de 15 % des demandeurs d'asile sont entrés sur notre territoire munis d'un visa. Enfin, 43 nationalités ne sont pas soumises à l'obligation de visa pour venir en France, mais plusieurs d'entre elles occasionnent de réelles difficultés en matière d'asile et d'immigration.

C'est pourquoi j'ai demandé qu'une enquête soit effectuée auprès de nos postes dans une quinzaine de pays sensibles. Celle-ci a démontré récemment que 21 % seulement des personnes éloignées s'étaient vu accorder un visa par nos consulats. Dans ce domaine, des progrès restent à faire. L'extension puis la généralisation de l'utilisation de la biométrie permettront de renforcer les contrôles dès le traitement de la demande de visa, sans décourager pour autant les demandeurs de bonne foi.

Il faut également poser le problème des contrôles extérieurs de l'Union européenne et de l'espace Schengen. L'évolution du contexte international doit nous conduire à privilégier, pour les années à venir, le renforcement de la coopération entre pays européens ainsi que la mutualisation de nos moyens là où cela paraît possible. A terme, l'objectif doit être la création de consulats européens chargés de délivrer les visas pour l'ensemble des partenaires Schengen. Compte tenu des contraintes de nature juridique, la mise en place de tels consulats ne pourra se faire que progressivement, la France et l'Allemagne, comme vous le savez, donnant l'exemple chaque fois que possible.

J'aborde à présent la lutte contre la fraude et les détournements de procédure.

La plupart de nos compatriotes ignorent qu'en 2005, le mariage avec un Français est devenu, avant même le regroupement familial, la première source d'immigration légale dans notre pays. Ce fait n'est pas choquant en soi, mais l'évolution très rapide des chiffres (+ 100 % depuis 1996) doit nous pousser à la plus grande vigilance. Là encore, nos consuls sont en première ligne pour détecter les fraudes. La fraude au mariage et, par voie de conséquence, à la nationalité française, constitue un élément essentiel du phénomène de pression migratoire auquel notre réseau diplomatique et consulaire est confronté au tout premier chef.

Cette fraude recouvre une double réalité : les mariages de complaisance, mais aussi les mariages forcés où l'un des époux se trouve privé de sa liberté de choisir. Ce phénomène est en très forte augmentation. Au total, les mariages mixtes, entre Français et étrangers, célébrés à l'étranger représentent 28 % des mariages célébrés ou transcrits dans notre état civil. Cette évolution est encore plus marquée si on considère les pays à partir desquels s'exerce une forte pression migratoire : les pays du Maghreb (+ 487 %) et la Turquie (+ 656 %).

Ce phénomène de masse s'est traduit par 90.000 mariages entre Français et ressortissants étrangers en 2003, dont environ la moitié en France et l'autre moitié à l'étranger. Le lien matrimonial avec un conjoint français donne droit à un titre de séjour, mais aussi, avec un effet quasi automatique dans 95 % des cas, à l'acquisition de la nationalité française, libérant de ce fait le conjoint étranger des obligations en matière de séjour.

Devant les difficultés auxquelles sont confrontés nos consuls et faute d'instruments juridiques pour parer à ce qui, dans de nombreux cas, s'apparente à de véritables trafics, j'ai fait au garde des sceaux une proposition qui permet de s'assurer de la sincérité des intentions matrimoniales avant même la célébration du mariage par l'autorité étrangère, puis lors de la demande de transcription dans les registres de l'état civil français. Dans ce nouveau dispositif, la transcription en France des actes du mariage conclus à l'étranger ne sera plus automatique. Elle sera subordonnée à des contrôles de l'autorité consulaire et, éventuellement, des autorités judiciaires françaises et ne vaudra plus mécaniquement titre de séjour.

Cette réforme figure au nombre des mesures adoptées par le CICI du 29 novembre dernier. Celui-ci a également décidé de resserrer le dispositif actuel d'accès, quasi automatique, à la nationalité par déclaration en allongeant de deux ans la durée minimale de communauté de vie. Un autre dispositif, plus radical, consisterait, à l'instar de la plupart des pays européens, à mettre en place au bénéfice des conjoints de Français une procédure spécifique de naturalisation par décret, tout en respectant leur vocation à devenir français. Cette voie n'a pas été retenue, à ce stade, par le CICI.

La fraude à l'état civil constatée dans de nombreux pays étrangers constitue par ailleurs un enjeu majeur du contrôle des flux migratoires, ce qu'on appelle la fraude documentaire.

A l'appui d'une demande de visa, de regroupement familial ou de certificat de nationalité française, sont souvent produits des actes d'état civil falsifiés ou frauduleux parfois délivrés avec la complicité des autorités locales compétentes, ainsi que des jugements supplétifs ou rectificatifs concernant des naissances ou des filiations fictives et des reconnaissances mensongères d'enfants. Dans certaines zones géographiques, notamment en Afrique, l'ampleur du phénomène est sans précédent : le taux d'actes faux ou frauduleux peut même dépasser 90 % des actes présentés à nos consulats. En donnant accès indûment à des procédures légales de séjour ou en permettant une usurpation de la nationalité française, ce phénomène alimente la pression migratoire.

Face à un tel développement de la fraude documentaire, nous avons pensé qu'une réponse efficace devrait passer par une nouvelle réforme du dispositif de l'article 47 du code civil relatif à la validité des actes d'état civil étrangers. Tel qu'il résulte de la loi du 26 novembre 2003, cet article n'a pu en effet réellement fonctionner. Un nouveau schéma a donc été retenu par le CICI du 29 novembre 2005 : donner à l'administration un délai de huit mois pour statuer et, en cas de refus, laisser au demandeur, concurremment avec l'administration, le soin de produire les éléments de nature à forger la conviction du juge.

Il s'agit là d'une première réponse qui n'exclut pas, au plan normatif, que soit engagée une réflexion sur la possibilité de recourir aux tests ADN, comme dans d'autres pays européens, en cas de doute sur les filiations invoquées. Toutefois, la véritable réponse au phénomène de fraude documentaire réside dans la mise en place, dans les pays concernés, d'un état-civil digne de ce nom. Nous devons, par notre politique d'aide au développement, soutenir l'effort de ces pays.

J'en viens à mon troisième sujet : la mise en oeuvre des retours forcés.

Le choix d'une politique globale d'immigration suppose également le renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière et, par voie de conséquence, une politique de retours forcés humaine mais déterminée.

Selon des chiffres rendus publics par le premier ministre l'été dernier, la France compterait entre 200.000 et 400.000 clandestins. Près de 20.000 reconduites à la frontière ont été réalisées en 2005 depuis la métropole alors que la France avait expulsé 16.000 étrangers en situation illégale sur son territoire en 2004. L'objectif du gouvernement est d'atteindre 25.000 reconduites en 2006.

Il reste que l'éloignement des étrangers en situation irrégulière demeure une opération toujours complexe. Les procédures de reconduite ne sont pas toujours couronnées de succès car le droit français est, en Europe, l'un des plus protecteurs pour les étrangers. Tout au long de la procédure d'expulsion, la personne interpellée peut saisir le juge pour demander l'annulation de la décision prise à son encontre par l'autorité préfectorale et les délais de la rétention administrative sont, en France, parmi les plus courts d'Europe, soit 32 jours au maximum.

Un étranger sur le point d'être expulsé refuse en général de coopérer, explique la plupart du temps qu'il a perdu son passeport et, souvent, n'hésite pas à mentir sur sa nationalité. Pour la police, il n'est pas facile de distinguer un Marocain d'un Algérien, un Malien d'un Sénégalais ou un Afghan d'un Pakistanais. C'est pourquoi la collaboration des ambassades et des consulats étrangers est indispensable pour qu'ils reconnaissent leurs ressortissants et délivrent un « laissez-passer consulaire » qui servira de document de voyage à l'étranger expulsé, dépourvu de passeport.

Or l'absence de coopération de certains pays qui refusent de reconnaître leurs nationaux ou leurs ressortissants est l'une des principales causes d'échec à l'exécution des mesures d'éloignement. C'est la raison pour laquelle le CICI a décidé, le 27 juillet dernier, de notifier à ces pays un préavis de trois mois avant la mise en oeuvre de mesures restrictives dans la délivrance des visas.

Dans cette perspective, j'ai adressé des lettres à plusieurs de mes homologues. Douze pays ont été ainsi placés sous surveillance : Egypte, Guinée, Géorgie, Serbie Monténégro, Soudan, Tunisie, Maroc, Biélorussie, Inde, Pakistan, Cameroun et Mauritanie. Ces pays ont fait l'objet, entre septembre et décembre dernier, de plusieurs démarches diplomatiques et ils sont désormais dûment informés de nos préoccupations. Je note d'ailleurs avec satisfaction que plusieurs d'entre eux ont fait preuve d'une grande réactivité et délivrent beaucoup plus facilement ces laissez-passer consulaires. Je disposerai dans les prochains jours d'un bilan, établi pays par pays, sur le taux de délivrance des laissez-passer consulaires pour les derniers mois de l'année 2005.

Pour les pays les moins coopératifs, des mesures nouvelles seront proposées au premier ministre. Je n'exclus pas de demander, si cela devenait vraiment nécessaire, le rappel de certains fonctionnaires consulaires ou diplomatiques étrangers qui persisteraient à traiter cette question avec désinvolture, voire avec la volonté délibérée de faire échec à ces mesures.

Je souhaite à présent évoquer la réforme de l'asile.

La politique de l'asile, en tant que telle, ne relève pas du contrôle des migrations. La réforme de l'asile en France, mise en oeuvre par la loi du 10 décembre 2003 portant réforme de l'asile, est entrée en vigueur le 1 er janvier 2004. Elle est globalement un succès. Le nombre des demandeurs d'asile est en effet aujourd'hui en baisse. Quelques adaptations réglementaires sont cependant encore nécessaires et je souhaiterais vous les exposer.

Le recul est aujourd'hui suffisant pour affirmer que la loi a permis de traiter les demandes d'asiles dans des délais plus courts, tout en apportant aux demandeurs des garanties dont ils ne bénéficiaient pas auparavant.

La première garantie, c'est que la France apporte désormais, dans le cadre de la convention de Genève, une protection contre les persécutions et les menaces qui émanent d'autorités ou de groupes non étatiques.

La deuxième, c'est que des personnes qui encourent des risques graves tels que la peine de mort, des traitements inhumains ou dégradants ou qui sont menacées lors de conflits peuvent être protégées au titre de la protection subsidiaire, même si elles ne sont pas reconnues comme réfugiées en application de la convention de Genève.

Ces garanties sont fondamentales. Leur contribution a été une avancée majeure pour le droit d'asile en France.

L'ambition de la loi était aussi de rendre les procédures plus efficaces. C'est chose faite : la procédure a été simplifiée et les délais de traitement des dossiers ont été réduits dans des proportions importantes. Le délai total de traitement des demandes d'asile, qui était supérieur à dix-huit mois avant la réforme, est actuellement inférieur à huit mois.

L'OFPRA est devenu le guichet unique pour les demandeurs d'asile. Auparavant, en effet, le demandeur pouvait s'adresser conjointement ou successivement à l'OFPRA et au ministère de l'intérieur, responsable de la procédure d'asile territorial, aujourd'hui remplacée par la protection subsidiaire. La Commission des recours des réfugiés (CRR) est la seule juridiction compétente pour traiter des recours contre les décisions de l'OFPRA ; les tribunaux administratifs étaient compétents auparavant si le ministère de l'intérieur avait été saisi.

D'importants moyens financiers et humains ont été mis en oeuvre afin d'atteindre l'objectif de traitement des demandes d'asile en six mois fixé par le gouvernement. La subvention annuelle de fonctionnement de l'ensemble OFPRA-CRR a été portée de 34,5 millions d'euros en 2003 à 42,2 millions d'euros en 2004 et à 52,1 millions d'euros en 2005. En 2006, elle sera ramenée à 41 millions d'euros pour tenir compte de la baisse de la pression en matière d'asile.

Les effectifs de la CRR sont passés de 140 à près de 400 entre 2002 et 2005. L'essentiel des recrutements a concerné 125 agents contractuels embauchés pour un an, entre le 1 er novembre 2004 et le 1 er novembre 2005, afin de gérer le stock de demandes d'asile qui s'était accumulé au cours des années récentes.

Alors que le nombre de recours déposés en 2005 s'est élevé à 37.786, la juridiction a ainsi pu rendre 62.262 jugements dans l'année. En conséquence, le stock de dossiers en instance est passé de 45.000 fin 2004 à 22 000 au 31 décembre 2005.

Bien que nous continuions à être le premier pays d'accueil des demandeurs d'asile parmi les Etats industrialisés, les demandes d'asile baissent chez nous dans les mêmes proportions que chez nos principaux partenaires.

Toutes demandes d'asile confondues, il y avait 90.000 demandeurs en 2003 et il n'y en avait plus que 65 000 en 2004. Il y a donc eu une baisse de 25 % entre 2003 et 2004. Cette diminution est en phase avec celle constatée dans l'ensemble des pays industrialisés, qui est de l'ordre de 22 % sur la même période.

Cette baisse s'est poursuivie en 2005. Selon les données provisoires actuellement disponibles, l'OFPRA a reçu 59.455 demandes l'an passé, soit 9,4 % de moins qu'en 2004. En laissant de côté les 9.340 demandes de réexamen qui correspondent à des affaires déjà traitées, pour ne considérer que les premières demandes nouvelles, qui sont au nombre de 43.100, cette baisse est de 14,7 %.

La composition de la demande s'est sensiblement modifiée en 2005. Les ressortissants d'Haïti figurent en tête de la demande avec une augmentation du nombre de dossiers déposés de 76 %. Ils remplacent les demandeurs en provenance de Turquie qui étaient les plus nombreux depuis 2001. Aujourd'hui, les cinq nationalités les plus représentées sont donc les Haïtiens (5.145 demandes), les Turcs (3.571 demandes) et les Chinois (2.657 demandes) ainsi que les ressortissants de Serbie Monténégro (2.597 demandes) et de République démocratique du Congo (2.566 demandes).

Pour faire face à l'augmentation de la demande d'asile haïtienne (+ 76 % en 2005), l'OFPRA a ouvert une antenne permanente en Guadeloupe au tout début de cette année. La Commission des recours des réfugiés organisera, pour sa part, en 2006, des audiences dans ce département d'outre-mer. La demande haïtienne devrait être ainsi traitée avec le maximum d'efficacité et d'humanité possible.

La réforme de l'asile est donc un succès, rendu possible par les efforts d'adaptation fournis par l'OFPRA et la CRR sous l'impulsion du ministère des affaires étrangères.

Il faut ajouter aux dispositions contenues dans la loi elle-même des adaptations de nature non législative qui permettent d'améliorer les procédures. J'en donnerai deux exemples.

L'application de la notion de pays d'origine sûr, introduite dans le droit français par la loi du 10 décembre 2003, est l'exemple d'une réponse efficace à l'afflux de certaines demandes d'asile. Sur la base d'une enquête auprès de nos ambassades et d'un travail des services de mon ministère, le conseil d'administration de l'OFPRA, compétent en la matière, a retenu en juin dernier douze pays formant la liste provisoire des pays d'origine sûrs. Depuis lors, les demandes des ressortissants de ces douze pays, traitées désormais prioritairement, sont en diminution de 62 %.

Par ailleurs, dans le cadre du CICI, j'ai été chargé de ramener par voie réglementaire le délai imparti pour contester les décisions de l'OFPRA devant la CRR d'un mois à quinze jours. Cette mesure est née du constat qu'il existe une différence entre notre pratique et celle de nos principaux partenaires européens. Ainsi, le Royaume Uni, l'Allemagne et l'Autriche ont des délais de dix à quinze jours.

Le dernier thème que j'aborderai est la contribution de la France au débat international sur les migrations et leurs enjeux.

L'ampleur des phénomènes d'immigration auxquels nous sommes confrontés nécessite une réponse qui implique également les pays d'origine et de transit des migrants. La France s'efforce, en particulier depuis les événements de Ceuta et Melilla, d'être en ce domaine une force de proposition et d'initiative, au niveau européen comme mondial, pour favoriser la mise en oeuvre d'une véritable stratégie sur les migrations. Le ministère des affaires étrangères coordonne la définition de cette politique par la promotion d'un dialogue global, en particulier avec les pays d'Afrique sub-saharienne, et la mise en avant de projets concrets de coopération avec un certain nombre de pays cibles.

La politique de coopération conduite par notre pays vise à exercer une réelle influence sur les phénomènes d'immigration. Il s'agit de concilier, dans ce domaine, la logique de l'attractivité et celle du développement. Je rappelle que, de ce point de vue, l'effort de la France est important. L'aide publique au développement est en constante augmentation. Cette aide, qui s'établissait à 5 milliards d'euros en 2001, s'élève à 8,2 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2006. Comme vous le savez, le président de la République a pris l'engagement de porter cette aide à 0,5 % du revenu national brut en 2007 et à 0,7 % en 2012.

La politique conduite en matière d'aide au développement doit davantage tenir compte de la nécessité de développer nos relations avec les pays d'origine et de transit de l'immigration illégale. Il faut pour cela développer une approche incitative prévoyant des contreparties pour nos partenaires. Cette approche est partagée par tous nos partenaires européens qui ont refusé, lors du sommet de Séville, de n'envisager l'immigration clandestine que sous l'angle des sanctions.

J'ai retiré la conviction personnelle des déplacements que j'ai effectués dans ces pays partenaires de la France qu'il faut concentrer davantage notre aide sur les projets susceptibles de retenir les populations sur place et sur les régions dont sont originaires les candidats à l'émigration.

A cet égard, je voudrais souligner l'importance des initiatives prises à l'issue du récent sommet Afrique-France de Bamako. Elles comprennent quatre projets dont l'un a déjà été adopté par le Fonds de solidarité prioritaire. Il s'agit d'une action portant sur les diasporas scientifiques, techniques et économiques. Sa mise en oeuvre aura valeur de test puisqu'il prévoit une conditionnalité entre les bourses que nous offrons et l'engagement du retour des bénéficiaires dans leurs pays. Il est en effet souhaitable que les formations des étudiants des pays en développement puissent bénéficier en fin de compte aux pays dont ils sont originaires.

Il y a quelques jours, j'étais avec le président Wade en plein milieu de la brousse sénégalaise. Une personne s'est précipitée vers lui et lui a dit : « Merci, monsieur le Président. Grâce à vous, mon fils a pu faire médecine et, maintenant, il est praticien hospitalier... à Rennes ! » En réalité, c'était une mauvaise nouvelle pour le Sénégal.

Toute la question que nous devons nous poser est celle-là : savoir comment nous pouvons aider ces pays à avoir des formations supérieures qui puissent bénéficier à ces pays eux-mêmes.

Le co-développement peut également constituer un élément essentiel de cette stratégie. C'est pourquoi j'ai décidé d'en faire une priorité de l'action de mon ministère en 2006. L'objectif vise à inciter les migrants venant en France à participer à des actions d'aide au développement en faveur de leurs pays d'origine, qu'ils soient disposés à y investir pour promouvoir des activités productives ou des projets sociaux, ou qu'ils souhaitent les faire profiter de leurs compétences ou de leurs réseaux de relations. Les enjeux sont réels, dans la mesure où les migrants rapatrient des sommes importantes dans leur pays d'origine, d'un montant total supérieur à l'aide publique au développement, et ont souvent atteint un niveau de qualification élevé dans des domaines où leur pays souffre justement de manques graves.

Au-delà, notre pays s'efforce d'être une force de proposition et d'initiative au niveau européen pour favoriser la mise en oeuvre d'une véritable stratégie sur les migrations en provenance d'Afrique. A cet égard, je tiens à saluer le travail de M. Louis Michel, le commissaire européen en charge de ce sujet. Comme les Africains le disent, ils ont enfin un commissaire européen qui s'occupe d'eux.

C'est dans cette perspective que j'ai réuni à l'automne dernier, à Toulouse, mes collègues des pays européens du nord de la Méditerranée pour examiner le dossier de l'immigration. Par ailleurs, la France a accueilli également, au mois de novembre dernier, la conférence ministérielle du dialogue 5 + 5 pour évoquer les migrations en Méditerranée occidentale. Enfin, notre pays a contribué, avec l'Espagne et le Maroc, à la relance du volet consacré à l'immigration au sein du processus de Barcelone, à l'occasion du 10 ème anniversaire du partenariat euro-méditerranéen, fin novembre 2005.

C'est dans ce contexte que la France soutient le projet de conférence euro-africaine sur les migrations qui devrait permettre cette année à l'ensemble des pays concernés de mener une réflexion commune sur ces problèmes.

Telles sont les principales actions menées, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, par mon ministère pour contribuer à la maîtrise des phénomènes d'immigration.

Monsieur le président, je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Georges Othily, président .- Merci, monsieur le ministre.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Monsieur le ministre, je vous remercie des indications que vous nous avez données.

J'ai une question à vous poser au sujet des visas de tourisme. En effet, il semblerait que l'arrivée de personnes par des visas de tourisme contribue à l'immigration irrégulière puisque, si nous contrôlons l'entrée sur le territoire, nous ne contrôlons pas la sortie. Pensez-vous qu'il existerait des moyens de contrôle des retours de ceux qui sont venus a priori simplement pour trois mois ?

M. Philippe Douste-Blazy .- Pour contrôler les sorties du territoire, puisque telle est la question, monsieur le rapporteur, la seule solution semble être l'enregistrement à l'arrivée à la frontière de la date limite de sortie autorisée, puis, à la sortie, l'enregistrement de la date de sortie effective. Ce dispositif permettrait de connaître précisément les personnes qui sont restées sur le territoire irrégulièrement.

A cet égard, le CICI du 27 juillet 2005 a décidé l'expérimentation, à La Réunion, d'un fichier d'entrées et de sorties des étrangers par lecture optique des visas de court séjour. C'est un dispositif qui nécessite des moyens, notamment informatiques. En tout état de cause, le contrôle de la sortie du territoire et de la régularité des séjours relève, comme vous le savez, du ministère de l'intérieur.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Merci de votre exposé, monsieur le ministre. Je souhaiterais aborder trois points à la suite de votre intervention.

Premièrement, j'ai toujours du mal à comprendre comment ne pas voir la contradiction qui existe entre la volonté d'aider des pays sous-développés et la politique de l'immigration choisie qui impliquerait une immigration des meilleurs chez nous. En effet, si nous prenons les meilleurs, comment pourrons-nous aider les pays du Sud à continuer à se développer ?

Par ailleurs, j'aimerais savoir comment vous avez pu produire les chiffres que vous nous avez indiqués. Vous avez notamment parlé de 90 % de fraudes et d'une augmentation de 400 % ou même de 600 % des mariages dans certains pays. Ce sont des chiffres qui me semblent énormes.

Je souhaite aussi vous interpeller sur la situation des visas et la politique des consulats, puisque vous êtes en charge de ces questions. J'ai vu des situations aberrantes : par exemple, on a refusé des visas à une grand-mère de 70 ans qui n'a pas pu venir voir ses petits-enfants ; de même ou un jeune couple a dû reporter son mariage trois fois parce que les beaux-parents avaient eu un visa mais pas la future épouse. En outre, un homme d'affaires m'a écrit il n'y a pas longtemps pour m'indiquer qu'il avait perdu des marchés parce que son client n'a pas pu obtenir un visa. Ce sont vraiment des incohérences qu'il convient de signaler.

Quand vous parlez d'attractivité, j'ai plutôt l'impression qu'une série d'amalgames fait qu'en chaque demandeur de visas, on voit un clandestin potentiel qui serait un faux étudiant ou un faux touriste. Cela commence à créer des situations scandaleuses.

Je souhaiterais aussi vous parler de la manière dont se déroule la délivrance des visas dans les consulats. J'y ai vécu personnellement, parce que j'ai une double nationalité, des situations véritablement scandaleuses. La manière dont les consulats traitent les demandeurs de visa est inhumaine et je pense que vous devez absolument intervenir sur ce point. Je peux comprendre que l'on refuse des visas, mais on ne peut pas traiter les personnes qui viennent en demander un de manière aussi indigne et inhumaine.

Enfin, concernant cette politique des visas, j'aimerais savoir pourquoi on ne réfléchit pas davantage sur la possibilité de donner plus facilement des visas à plusieurs entrées et sorties avec des allers-retours. En effet, dans une situation dont j'ai eu à connaître, la personne avait eu tellement de difficultés pour obtenir son visa, elle avait mis tellement longtemps et on lui avait demandé tellement de justificatifs qu'elle n'a plus voulu repartir alors qu'elle avait envie, elle, de faire des allers-retours. Pourquoi ne pas réfléchir un peu plus à cette possibilité ? Dans ce cas, nous aurions moins de personnes qui resteraient au-delà des délais.

M. Philippe Douste-Blazy .- Le dernier thème que vous avez abordé est un problème de règle communautaire que nous avons discutée avec nos partenaires européens et c'est ce qui a été décidé, même si je comprends très bien ce que vous dites.

Cela dit, je vais essayer de répondre aux remarques que vous avez faites.

Vous m'avez demandé tout d'abord comment nous avions ces chiffres. Nous les obtenons à la suite d'enquêtes, un peu comme les enquêtes épidémiologiques que l'on ferait au niveau d'un pays. Par exemple, ces enquêtes ont montré qu'aux Comores, il y a plus de 90 % de fraudes sur un an.

Ensuite, j'en viens à la vraie question que vous posez : « Comment pouvez-vous dire que nous allons faire une politique d'attractivité et, en même temps, que nous allons choisir ? » Choisir, c'est terrible : vous avez raison. J'ai juré de dire la vérité, mais, de toute façon, il n'y a pas de langue de bois à avoir sur cette affaire puisque je suis persuadé qu'elle transcende totalement les clivages politiques. Nous avons tous un coeur, nous sommes tous généreux, nous sommes tous catastrophés de voir ce qui se passe dans les pays pauvres. Il n'y a rien de pire que de voir un homme, père de famille, laisser ses enfants, sa femme et son village et faire des milliers de kilomètres pour un rêve qui, souvent, n'en est pas un. Je suis sûr que vous êtes sensible à cela ; soyez persuadée que j'y suis sensible également.

Cela dit, l'événement de Ceuta et Melilla n'est que le tout petit début du système. La vague de 30 mètres de haut va arriver de plein fouet et nous ne pourrons pas continuer à avoir 4/5 ème de la population de la terre de plus en plus pauvre et 1/5 ème de plus en plus riche. Il y aura donc une immigration effroyable, et nous n'en sommes qu'au début. Seulement, il est évident que ce ne seront pas des mitraillettes qui pourront régler le problème. Il suffit de considérer la frontière libyenne ou la frontière algérienne pour s'en persuader.

Quant à la solution consistant à les faire venir tous ici, elle ne pourrait qu'aboutir à un phénomène de rejet, de xénophobie, de racisme, d'extrême droite et d'horreur que nous avons vécu au premier tour des dernières élections présidentielles. Vous ne voulez pas cela et nous ne le voulons pas non plus. A partir de là, nous partageons ce constat.

Quelle est la seule solution ? On a fait beaucoup d'erreurs depuis des siècles et des siècles en Afrique, même si je ne vais pas revenir là-dessus. Si on veut reprendre les choses, la seule solution est de porter son attention, en Afrique, sur le couloir sahélien. Aujourd'hui, il n'y a strictement rien, même pas des systèmes d'alerte des plus grandes institutions onusiennes pour prévenir la sécheresse et les criquets au Niger ! Cela veut dire qu'on n'en est même pas au niveau de l'alerte. Cela nous intéresse tellement peu que nous n'avons même pas de scientifique pour observer l'alerte ou bien, si les scientifiques le disent, personne ne bouge. Tout le monde s'en moque, nous comme tous les autres. C'est un sujet effroyable.

La seule solution, me semble-t-il, c'est que nous commencions à avoir une politique d'alerte scientifique, ne serait-ce que sur les catastrophes naturelles. Je suis allé au Niger. Au mois de juillet, la catastrophe y était totalement prévisible : tout le monde l'avait dit depuis six mois. Simplement, un cargo qui était parti d'Inde n'était pas arrivé et j'ai vu, de ce fait, des enfants de huit jours mourir parce qu'ils n'avaient pas de veille thérapeutique. C'est effrayant ! Il faut donc déjà une alerte scientifique. L'UNICEF le dit et le répète.

La deuxième chose, c'est le problème du développement. Il me semble que la proposition qu'a faite le président, comme d'autres, d'avoir un outil financier euro-africain qui permette à ceux qui ont envie de prendre une initiative là-bas de le faire est très importante.

Je suis allé à Kayes, qui est le lieu du Mali où, depuis toujours, depuis des milliers d'années, les Maliens quittent le pays : c'est dans leur culture. De nos jours, ils partent pour une immigration européenne. Cela relève du co-développement. Pour cela, il faut un outil financier. Tant qu'on n'aura pas de l'argent sonnant et trébuchant et des gens qui responsabilisent chacune et chacun là-bas et qui s'en occupent, nous n'y arriverons pas.

Maintenant, j'en arrive à votre question qui porte sur le choix des immigrants. Il n'est évidemment pas question de mettre les problèmes du sida, de la malaria et de la tuberculose à part, mais, à un moment donné, sans vouloir être pédant, le problème est celui des élites. Si vous n'avez pas d'infirmières, de médecins, d'artisans ou d'ingénieurs agronomes, comment faites-vous ? C'est ce que je viens de dire dans mon exposé : faisons venir tous ces gens qui veulent se former et, surtout, faisons en sorte qu'ils puissent revenir en Afrique ou dans les pays les plus pauvres. Ce sont ceux-là qu'il faut faire venir en priorité, non pas pour qu'ils nous aident ici mais pour qu'ils s'aident eux-mêmes là-bas.

J'ajoute qu'il faut arrêter avec cette logique compassionnelle en ce qui concerne l'Afrique car la croissance est en Afrique, ce que personne ne dit. La jeunesse africaine est là, en croissance et elle a envie de travailler ! Il faut considérer l'Afrique comme un partenaire à qui on peut faire confiance.

Je ne me permettrai pas de dire que vous êtes dans les bons sentiments. Moi aussi, je me pose des questions : il n'est pas facile de dire non à certains et oui à d'autres. En même temps, c'est la seule solution. Sinon, nous n'arriverons jamais à les considérer comme des partenaires. C'est donc la seule possibilité, même si je reconnais ses insuffisances : il faut former les jeunes et les faire revenir dans leur pays.

M. Jean-Paul Virapoullé .- Monsieur le ministre, je vous remercie de cet exposé complet et clair. J'aurai un point de vue à exposer et une question à formuler.

La Réunion est proche de l'Afrique. Je vais donc planter le décor. Je pense que, si on persiste dans le libre-échangisme actuel, qui est essentiellement capitalistique et financier, au profit de deux blocs, l'Asie et les Etats-Unis, l'Europe ne tiendra pas longtemps sur cette longueur d'ondes. Les premières voitures chinoises arrivent et je pense que, d'ici dix ans, nous verrons des photocopies de nos Airbus arriver puisque nous les faisons monter là-bas. Quant à l'Inde, nous lui avons vendu deux sous-marins qui vont être fabriqués là-bas.

L'Inde produit chaque année 360.000 ingénieurs de haut niveau -plus que l'Europe- et la Chine en fait autant. Quant à croire qu'ils vont faire les sandales, les habits et nos ordinateurs pendant que nous garderons la haute technologie, c'est un rêve européen qui a touché à sa fin ! Ne rêvons plus ! Nous ne sommes plus le cerveau du monde et nous ne sommes pas la finance du monde. La finance, c'est Wall Street et les cerveaux sont aux Etats-Unis, encore un peu en Europe mais, surtout, en Asie.

Que vient faire l'Afrique là-dedans ? L'Afrique, nous l'avons tuée tous ensemble : la France, mais aussi tous les pays d'Europe, les Etats-Unis et tout le monde ! L'Afrique est devenue un réservoir que l'on pille. Quand on dit qu'il faut aider l'Afrique : oui, mais, si on pouvait au moins laisser l'Afrique se développer sans la piller, nous ne serions pas dans la situation actuelle.

Je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, quand vous dites qu'il ne faut pas avoir une attitude compassionnelle à l'égard de l'Afrique. Je prends un exemple que tout le monde connaît : l'affaire du coton. Les producteurs du sud des Etats-Unis sont fortement subventionnés pour écouler leur coton, mais les Maliens ne demandent pas de subventions ; ils demandent un quota, de même que nous avons eu des quotas de sucre, de céréales ou de lait qui ont permis à la France de vivre après la guerre et d'être excédentaire et à l'Allemagne d'être autosuffisante. Quand les Maliens demandent des quotas, on leur répond : mondialisation ! Moralité : ils vendent leur coton moins cher que le prix de revient, ce qui les fait mourir de faim et ils n'ont plus qu'une solution : venir à Melilla et frapper aux frontières.

Nous sommes de doux rêveurs !

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Pas aussi doux que cela...

M. Jean-Paul Virapoullé .- Ou plutôt de mauvais rêveurs : vous avez raison. Quand on passe son temps à dire qu'il faut aider l'Afrique, je crie : « Laissez vivre l'Afrique ! » Si seulement on pouvait la laisser vivre et la considérer comme un partenaire, si on pouvait, avec l'euro-finance, mettre en place l'euro-développement et si, dans le cadre de la mondialisation, la France pouvait, avec ses valeurs humanistes, porter cette demande au sein de l'OMC, qu'il faudrait soit supprimer, soit réformer, les choses iraient autrement !

Cela peut faire rigoler l'élite. Personnellement, je n'appartiens pas à l'élite ; je suis un paysan et je ne rigole pas ! Quand on confie à des technocrates non élus le sort du commerce et à la Banque centrale européenne le sort de la monnaie, à quoi servons-nous ici ? Vous vous sentez utiles, vous ? C'est M. Trichet qui fixe la monnaie, c'est M. Lamy qui définit avec l'OMC les règles du commerce international. Et, nous, que faisons-nous ? Nous votons des lois à la marge !

On résoudra le problème de l'immigration quand on laissera vivre l'Afrique dans le cadre de la mondialisation. Aristote disait : « Il n'est de pire inégalité que de traiter de la même façon des gens qui sont dans des situations différentes ». L'Afrique est dans une situation différente ; elle a souffert de l'esclavage, on a pillé ses hommes, on a pillé ses ressources et, aujourd'hui, on pille ses produits et on l'empêche de vivre. Laissez vivre l'Afrique, donnez-lui les moyens d'avoir des quotas de production avec des facilités d'écoulement sur nos marchés et vous verrez que moins d'immigrés se feront tirer dessus aux frontières de l'Europe !

J'en viens à La Réunion. Je vous propose de regarder avec une vision nouvelle la position géographique de La Réunion. La Réunion est en effet en train de se développer sur les technologies nouvelles. Le conseil général et le conseil régional regardent avec intérêt le développement de l'Afrique du Sud, de l'Inde et de la Chine, qui sont des partenaires économique puissants, sachant que la Réunion a la chance d'être composée de gens qui viennent de ces trois continents.

Je propose donc que la politique de visas, comme le disait notre collègue tout à l'heure, soit adaptée à la situation des hommes d'affaires. Quand on dit au président d'une compagnie indienne qu'il faut prendre la file d'attente et attendre deux mois pour obtenir un visa avant d'entrer à La Réunion où il pourrait investir son argent et créer des richesses, il place son argent à l'île Maurice ! Il en est de même pour les Chinois et les Sud-Africains.

Quand je vais en Afrique du Sud, je leur dis de venir travailler avec nous et ils sont d'accord, mais nous disent : « Pour entrer dans votre pays, c'est compliqué. Donc développez-vous sans nous ». Un homme d'affaires, c'est un businessman , il vient s'il y a un intérêt et, si c'est le cas, il prend son temps pour venir.

Enfin, j'en viens aux sans-papiers. Avec tous nos collègues qui ont fait partie de la mission à Mayotte et à La Réunion, je tiens à dire que nous devrions examiner attentivement ce qui se passe actuellement à Mayotte. Anjouan et les grandes Comores n'ont pas d'état civil (ils l'ont brûlé à l'indépendance) et, du coup, ils se font fabriquer des papiers à Mayotte et ils arrivent à La Réunion avec des pièces d'identité portant la mention « né vers », ce qui pose toute une série de problèmes.

Lorsque quelqu'un vient avec une carte d'identité avec la mention « né vers » à la mairie, dois-je l'inscrire ou non ? J'ai dit au préfet qu'on ne pouvait pas inscrire des gens avec de tels papiers.

Il y a également le problème de la validité des mariages. Un mariage sur un territoire français, monsieur le ministre, doit être fait par l'autorité de l'état-civil et non par le cadi ! A cet égard, je souhaite que la commission d'enquête fasse des recommandations. Dans la collectivité de Mayotte, soit le mariage est fait par un officier d'état-civil, auquel cas il peut être valable, soit il ne se fait pas par le biais d'un officier d'état-civil, auquel cas il n'y a aucun papier.

M. Philippe Douste-Blazy .- Je vais répondre sur les deux premiers points que M. Virapoullé a exposés, mais je commencerai par répondre à Mme Boumediene-Thiery sur les conditions d'accueil dans les consulats. Je prends en considération ce qu'elle a dit, car ce n'est pas la première fois que je l'entends, en particulier en ce qui concerne certains pays qu'elle a évoqués sans le faire explicitement. Je salue le travail remarquable qui est fait dans nos consulats et, en même temps, je souhaite en faire une évaluation parce que les consulats à l'étranger sont l'image de notre pays et que les conditions d'accueil y sont donc absolument fondamentales.

Par conséquent, je vous remercie d'en parler et je vais faire une évaluation pour être sûr qu'il ne soit pas fait un mauvais accueil à ceux qui cherchent à obtenir un visa.

Je dirai ensuite à M. Virapoullé que si, depuis que je le connais, je suis d'accord avec lui, je vais pour une fois exprimer quelques différences.

Tout d'abord, je ne crois pas à ce « déclinisme » dont il a fait état. Je suis président d'une agglomération où l'on construit ces fameux Airbus qui vont effectivement avoir une chaîne en Chine, mais pour l'A 320 ou l'A 319, alors que, pendant ce temps, nous sommes en train de prévoir le futur.

M. Jean-Paul Virapoullé .- Nous en reparlerons.

M. Philippe Douste-Blazy .- Tout à fait, mais c'est quand même bien le cas. Je ne crois donc pas du tout à cela. En revanche, je crois aux milliards d'euros que les Européens devraient mettre dans la recherche et qu'ils ne mettent pas. Il faut mettre des milliards d'euros dans les nano, les bio et les info-technologies. C'est un autre débat et c'est à nous de le gagner, mais je pense que nous pouvons quand même continuer à avoir des hautes technologies.

Quant au coton, je dirai deux choses.

Premièrement, la France et le président de la République se sont battus pendant longtemps pour que le coton africain reçoive un traitement particulier.

Deuxièmement, la Politique agricole commune, en 2002 et 2003, a accepté que les pays en voie de développement ne supportent pas de droits de douane, ou en supportent très peu, vis-à-vis de l'Union européenne. Cela fait que 85 % des produits agricoles d'Afrique viennent sur le territoire de l'Union européenne. Les Américains ne l'ont pas fait.

Troisièmement, je suis un peu déçu -je le reconnais- par l'attitude des Africains à l'OMC parce que j'aurais attendu d'eux qu'ils nous défendent plus, nous, Européens, plutôt que de se mettre à côté de pays émergents qui ne sont plus pauvres, même s'ils ne sont pas riches non plus, notamment nos amis brésiliens. A l'OMC, les Africains ont intérêt à être plutôt de notre côté que du côté de certains pays émergents.

Cela étant dit, il est heureux qu'il y ait une OMC, M. Virapoullé, sans quoi ce serait la jungle totale. Je vous rappelle que le cycle de Doha est celui du développement et qu'aujourd'hui, quand 40 pays vont se mettre à parler de l'industrie, de l'agriculture et des services, les autres vont en recevoir quelque chose. Certes, ils ne font pas encore partie de la discussion, mais le cycle de Doha, qui va commencer, est celui du développement.

En revanche, je suis d'accord avec vous sur l'euro-développement Europe-Afrique.

J'ajouterai un mot sur ce que les renseignements américains, européens et occidentaux en général constatent en Afrique. Ne vous y trompez pas : certains signes montrent que des écoles terroristes se développent dans l'Afrique sahélienne, certaines personnes profitant du désespoir et de la misère d'une jeunesse qui voit tous les jours à la télévision nos gaspillages pour la lancer sur nos capitales. C'est une chose terrible et il faut aussi que nous réfléchissions sur ce point.

Enfin, sur La Réunion, j'ai très bien compris. Sachez que, sur l'ordre du Président de la République, nous souhaitons mettre en place des guichets dédiés à des personnalités, en particulier des hommes d'affaires et des représentants des chambres de commerce et d'industrie d'Inde, de Chine ou d'ailleurs, pour pouvoir délivrer des visas de circulation de longue validité à ces personnes afin qu'elles puissent investir dans des endroits aussi beaux que La Réunion.

Mme Catherine Tasca .- En ce qui concerne les visas, je souscris à ce qui a été dit, en particulier sur l'accueil des consulats, même si, parfois, les fonctionnaires font de leur mieux. En général, l'image de la France à travers les conditions de délivrance des visas est considérablement détériorée, en particulier dans les pays d'Afrique et l'ensemble des pays francophones auxquels notre pays devrait être un peu plus attentif. A cet égard, je me permettrai de faire deux suggestions concrètes.

Tout d'abord, je n'ai jamais compris pourquoi il n'y a pas deux couloirs d'examen des demandes de visa. Dans la plupart des pays africains, nous sommes présents depuis si longtemps que nous devrions être capables d'établir avec les autorités du pays des listes de personnes dont le va-et-vient entre leur pays et le nôtre est normal. Je pense aux acteurs économiques, auxquels mon collègue Virapoullé a fait allusion. Ils sont repérables et beaucoup d'entre eux ont d'excellentes raisons d'aller et de venir. Je pense aussi aux chercheurs ou enseignants universitaires dans tous les domaines. Nous leur imposons une humiliation inutile qui va jusqu'à les décourager et les orienter vers d'autres pays.

Il me semble donc, puisque vous avez des fonctionnaires de qualité, qu'il ne serait pas très difficile de créer une filière rapide et moins inquisitrice que pour le citoyen lambda que nous ne connaissons pas. C'était ma première suggestion.

J'en ai une deuxième. Ma collègue, Mme Boumediene-Thiery, a posé le problème des allers-retours que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer lors d'autres séances de notre commission d'enquête. Pourquoi ne pas créer une sorte de livret ou de carnet de visas qui, pour les personnes qui ont de bonnes raisons d'aller et de venir entre nos deux pays, disposeraient ainsi d'une garantie d'obtention d'un nouveau visa si elles rentrent au pays et si elles ont à nouveau de bonnes raisons de revenir.

Il faut savoir qu'une bonne partie de l'immigration clandestine vient de la transformation de séjours réguliers en séjours irréguliers, parfois pour de mauvaises raisons, ou tout simplement parce que les gens se disent que, s'ils repartent, ils n'arriveront pas à revenir. Il faudrait donc creuser cette idée de l'aller-retour. Je pense en effet aux Etats africains et peut-être, en priorité, aux Etats de l'Afrique francophone. Nos postes sont capables de repérer les personnes qui ont de bonnes raisons d'aller et venir.

Pour les universitaires et les chercheurs, cette difficulté d'obtention de visas pour des colloques, des travaux divers ou des rencontres avec des collègues est une perte considérable pour la France.

Par ailleurs, à travers votre intervention et la séance que nous avons aujourd'hui, monsieur le ministre, nous nous rendons bien compte de la nécessité d'une approche macro-économique de l'immigration et non pas seulement sécuritaire. Comme nous nous sommes dit que nous n'aurions pas de langue de bois ici, je dois admettre que cela contraste beaucoup avec l'approche du ministre de l'intérieur sur ce sujet et que nous sommes dans une véritable contradiction, comme Mme Boumediene-Thiery l'a d'ailleurs évoqué.

Vous êtes membre du gouvernement et je vous pose donc une question politique : comment comprenez-vous le fait que nous voyions le ministre de l'intérieur annoncer un nouveau projet de loi sur l'immigration et trouvez-vous cela normal alors même que, dans cette assemblée, nous menons une commission d'enquête sur l'immigration clandestine, dont le terme prévisible se situe autour de la fin mars ? Dès que nous ouvrons le poste, comme on dit, nous entendons qu'un projet gouvernemental sur le même sujet, peut-être même beaucoup plus vaste, va être déposé par le gouvernement dès le mois de février.

M. Philippe Douste-Blazy .- Je commencerai par répondre à votre première question sur les deux couloirs. Cela se fait, mais peut-être insuffisamment. Pour une personne qui aurait l'habitude de venir en France pour des colloques ou des rencontres avec des cadres du CNRS, de l'INSERM ou autres, vous avez tout à fait raison : c'est une humiliation de la faire repartir à zéro dans la colonne des autres personnes. Nous le faisons déjà, mais nous ne le faisons sans doute pas suffisamment, en particulier en raison de problèmes de locaux. Il faut donc le faire et vous avez mille fois raison sur ce point.

Deuxièmement, sur le fameux carnet ou livret de visas, cela rejoint exactement ce que je disais à M. Virapoullé : nous sommes en train de développer cela, en particulier à travers ce qu'on appelle des visas de circulation capables d'aller jusqu'à cinq ans et qui permettent d'aller et de revenir sans difficulté.

Ensuite, puisque vous m'en donnez l'occasion, je vais évoquer une chose que je vais annoncer dans quelques semaines : pour inciter au co-développement, qui concerne le migrant qui est chez nous et qui revient chez lui, nous allons lui donner, au moment où il revient chez lui avec un micro-projet, un visa qui lui permet de revenir en lui disant en quelque sorte : « Il ne s'agit pas de nous débarrasser de vous, mais sachez que vous allez pouvoir revenir chez vous et que, si vous le voulez, vous pourrez revenir ». Souvent, en effet, ces migrants ne rentrent pas dans leur pays parce qu'ils craignent de ne pas pouvoir revenir. Nous allons le faire car c'est la seule solution pour développer le co-développement.

Enfin, il reste votre question politique. Tout d'abord, je ne connais pas exactement la date du calendrier de ce projet de loi. Ensuite, il vous est arrivé -je m'en souviens- de participer à des gouvernements dans lesquels il y avait des femmes et des hommes qui étaient complémentaires et différents, et je ne citerai pas de noms. Dans mon gouvernement, c'est la même chose : il peut y avoir des différences. J'ajoute que chacun est à son poste. En tant que ministre des affaires étrangères, mon rôle est à la fois d'éviter les fraudes et de m'assurer de l'attractivité de mon pays, de son rayonnement et de son influence dans le monde. Je suis là pour cela. Quant au ministre de l'intérieur, il est là -et il le fait très bien aussi- pour s'assurer que ce pays ne soit pas celui où il y a le plus de fraude possible.

Mes services et mon cabinet ont été consultés par le ministère de l'intérieur. Nous avons pris part en décembre à plusieurs réunions place Beauvau pour examiner différents points du projet de texte, notamment pour ce qui concerne l'entrée et le séjour des étrangers. Sur ces points, les échanges entre les administrations du ministère de l'intérieur et du ministère des affaires étrangères sont constants pendant la préparation du CICI.

M. Jean-Pierre Cantegrit .- Au début du mois de septembre, alors que, monsieur le ministre, vous ouvriez la séance de l'Assemblée des Français de l'étranger, qui représente l'ensemble de nos compatriotes expatriés, j'avais abordé le problème de l'accueil, dans certains de nos consulats africains, notamment en Afrique centrale, et je vous remercie d'avoir bien voulu tenir compte des propos que j'avais tenus à cette occasion. En effet, m'étant rendu ensuite au Gabon, j'ai eu des retombées sur l'intervention qui avait été faite (ma collègue Mme Tasca l'a reprise tout à l'heure et je n'ai aucune critique à lui apporter à cet égard) au sujet de l'accueil réservé à certains demandeurs de visa qui sont du plus haut intérêt pour notre pays, comme vous l'avez vous-même souligné dans votre intervention. Je pense notamment aux étudiants qui veulent poursuivre des études en France, à des chercheurs ou à des hommes d'affaires, comme cela a été abordé tout à l'heure.

Je suis donc sensible au fait que vous ayez tenu compte de cette intervention et qu'ainsi nous puissions essayer d'améliorer l'accueil de ces demandeurs dans nos consulats. Des pistes vous ont été indiquées tout à l'heure et vous y avez parfaitement répondu. Il est vrai que cela existe déjà dans certains consulats, même si ce n'est pas extrêmement visible, et qu'un certain nombre de personnes qui font de fréquents voyages et qui sont d'un intérêt important pour notre pays sont traités plus rapidement.

Il reste un point sur lequel je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le ministre : la fermeture de certains de nos consulats qui rend l'obtention de visas plus difficile. Notre correspondant à Port-Gentil, au Gabon, m'a indiqué ce matin que l'on avait transformé le consulat de Port-Gentil en un consulat d'influence, ce qui impose maintenant à nos compatriotes ou aux demandeurs de visa gabonais de se rendre à Libreville à leurs frais, ce qui est une démarche coûteuse, pesante et compliquée.

Je me demande donc si, dans les interrogations qui sont les vôtres, il ne serait pas possible que l'instruction ait lieu à Port-Gentil, et non pas entièrement à Libreville.

Voilà les quelques propos que je tenais à vous exprimer, en répétant que je suis sensible à votre prise en compte de l'intervention que j'avais faite début septembre devant l'Assemblée des Français de l'étranger.

M. Philippe Douste-Blazy .- Merci, monsieur le sénateur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Monsieur le ministre, à Saint-Laurent du Maroni, on voit passer des pirogues qui viennent directement du Surinam et l'une des solutions à ce problème, évoqué à l'occasion des auditions de la commission, est liée à la situation juridique du fleuve lui-même. En effet, on est au Surinam lorsqu'on arrive sur la rive (c'est la même chose pour la France de l'autre côté) et, de ce fait, il n'y a pas de système de contrôle possible des embarcations au milieu du fleuve. Juridiquement, cela pose un problème de relations avec le Surinam. Y a-t-il un début d'évolution à ce sujet ou un point qui peut être relevé pour faciliter la situation de la police aux frontières confrontées à ces difficultés ?

M. Philippe Douste-Blazy .- C'est un sujet majeur, monsieur le rapporteur, également lié au problème des accords de réadmission.

Nous attachons une attention particulière à la situation de nos départements d'outre-mer en général, qui sont soumis à une très forte pression migratoire, et de leur environnement immédiat, comme M. Virapoullé l'a dit à l'instant.

La France a signé des accords de réadmission avec le Brésil en 1996, le Vénézuela en 1999, le Surinam en 2004 et Sainte-Lucie en 2005. Ces accords sont en cours de négociation avec le Guyana (ils devraient bientôt être finalisés), la Dominique, la Barbade et Trinité-et-Tobago. En outre, le ministère des affaires étrangères envisage de proposer prochainement un projet d'accord avec la République dominicaine et, dès que la situation institutionnelle le permettra, avec Haïti.

Je tiens à souligner que les pays avec lesquels la France souhaite négocier ces accords ne sont pas demandeurs, leur opinion publique y étant totalement opposée. C'est pourquoi nous devons envisager souvent des contreparties pour ces pays. Ainsi, un accord de réadmission et un accord visant à faciliter la circulation des personnes ont été signés concomitamment avec Sainte-Lucie le 23 avril 2005. La Dominique, la Barbade et Trinité-et-Tobago subordonnent également la conclusion d'un accord de réadmission à celle d'un accord de circulation. Je vous le dis à l'occasion de votre question sur le Surinam parce que la commission d'enquête doit savoir que ce sujet relève aussi de la politique étrangère.

Je constate cependant des réticences de la part du ministère de l'intérieur et du ministère de l'outre-mer à conclure avec ces pays -vous vous en doutez- des accords de circulation.

M. Georges Othily, président .- Monsieur le ministre, nous avons abordé le problème de l'Afrique tout à l'heure. Au lendemain de l'indépendance de l'Afrique, la France, pour permettre l'organisation étatique des pays de ce continent, avait envoyé un certain nombre de compatriotes que l'on a appelés les volontaires techniques. Or le phénomène d'immigration en France s'est accéléré lorsque la France a décidé de ne plus envoyer de volontaires techniques dans les différents secteurs : l'enseignement, la santé et l'administration. Aider l'Afrique, c'est peut-être aussi refaire le chemin que la France avait fait au moment de l'indépendance de ces pays.

M. Philippe Douste-Blazy .- Si je comprends bien, vous regrettez que nous ne fassions plus d'aide de coopération, c'est-à-dire que l'on ne fasse plus appel aux coopérants ?

M. Georges Othily, président .- Tout à fait.

J'ai une deuxième question à aborder. Dans l'île de Saint-Martin, qui est en partie hollandaise et en partie française, nous avons constaté que de nombreux étrangers vivant dans la partie hollandaise rentraient dans la partie française, parce qu'il n'y a pas de frontières, et que les enfants y venaient à l'école, ce qui pose des problèmes très graves actuellement dans la partie française. Cette complication vient du fait que cette île, en particulier dans sa partie française, va accéder à un statut particulier, puisque ce sera une nouvelle collectivité. La partie hollandaise n'est pas la véritable partie hollandaise : elle dépend des Antilles néerlandaises, même si le territoire est encore sous le pouvoir de la reine des Pays-Bas. Il y a un là-bas un embroglio extrêmement difficile à démêler pour avoir une bonne gestion de cette nouvelle politique. Quelle est la position de votre ministère sur ce point ?

M. Philippe Douste-Blazy .- Nous avons actuellement plusieurs ministères qui, comme vous le savez, travaillent sur ce sujet. Il y a en effet un embroglio , mais, comme je ne peux pas vous répondre aussi directement pour vous apporter de manière précise des éléments que vous ne connaîtriez pas, je m'engage à vous écrire très vite pour faire le point sur ce sujet. Pour avoir été moi-même là-bas avant d'être ministre des affaires étrangères, je m'étais rendu compte de cette situation qui est de plus en plus délicate et difficile.

M. Alain Gournac .- Il faut ajouter le fait que l'aéroport est situé sur la partie hollandaise.

M. Philippe Douste-Blazy .- C'est vrai.

Concernant la question sur les coopérants, il est certain qu'aujourd'hui, deux pays s'intéressent de plus en plus à l'Afrique : la Chine et les Etats-Unis. Votre remarque est donc d'autant plus forte. Ce n'est pas à moi, évidemment, de décider unilatéralement et je ne peux pas parler à titre personnel ici, mais je pense en effet que, si nous croyons à la croissance africaine et si nous pensons, comme cela a été dit brillamment tout à l'heure par M. Virapoullé, que ce n'est pas de la compassion mais du partenariat et du développement qu'il faut faire là-bas, il faut être évidemment présent en Afrique et ne pas laisser s'implanter d'autres pays alors que nous nous désengagerions, même s'il n'est pas question de le faire, bien sûr. Il est vrai que la tradition française de coopération permettait une présence indiscutable.

Enfin, arrêtons de nous excuser en permanence en fonction d'un passé qui n'est plus d'actualité.

M. Georges Othily, président .- Monsieur le ministre, nous vous remercions de votre exposé et des réponses que vous avez apportées à la commission. Nous en ferons bon usage pour la suite de notre rapport.

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