Audition de MM. Jacques RIBS, président,
et Pierre HENRY, directeur général, de France-Terre d'asile
(6 décembre 2005)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Nous vous remercions, monsieur le président, monsieur le directeur général, d'avoir répondu à notre invitation.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Jacques Ribs et Pierre Henry prêtent serment.

M. Georges Othily, président .- Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire qui permettra au rapporteur et aux membres de notre commission de vous poser par la suite des questions sur des points précis et de vous demander des éclaircissements. Vous avez la parole.

M. Jacques Ribs .- Merci, monsieur le président. Je commencerai par présenter notre association, à la fois par courtoisie pour votre commission, mais aussi pour situer plus précisément notre éventuelle compétence pour parler du sujet qui vous occupe et qui ne peut, bien évidemment, se situer qu'au niveau de la relation qui pourrait exister aux yeux de certains entre procédure d'asile et immigration clandestine. Notre activité tourne essentiellement autour de l'asile, comme notre nom l'indique.

Notre association est ancienne. Elle a été créée en janvier 1971 et son premier président, qui le restera dix ans, a été Jacques Debû-Bridel, grand résistant, membre du Conseil national de la Résistance, journaliste, écrivain et ancien sénateur. Son objet social, depuis le début, est la défense et la promotion du droit d'asile.

Actuellement, notre bureau est composé, outre votre serviteur, de Mme Nicole Questiaux, ancien ministre, ancien président de section au Conseil d'Etat, Mme Catherine Wihtol de Wenden, une sociologue spécialisée dans ces problèmes d'immigration et d'asile, Mme Paulette Decraene, Mme Jeanne-Marie Parly, qui a été recteur et directeur de cabinet de plusieurs ministres et également conseiller d'Etat en service extraordinaire, M. Frédéric Tiberghien, actuellement commissaire adjoint au Plan, M. Hervé Dupond-Monod, qui est avocat, M. Patrick Rivière, homme de finances, qui est notre trésorier, et M. Michel Guilbaud. M. Pierre Henry anime cet ensemble en tant que directeur.

Dès 1973, France-Terre d'asile a élaboré une proposition de mise en place d'un dispositif d'accueil en centres provisoires d'hébergement (CPH) pour recevoir des familles chiliennes et, en 1974, nous avons obtenu l'autorisation, à titre provisoire, d'accueillir des demandeurs d'asile de toutes origines dans des centres de la région parisienne. En 1975, le secrétaire d'Etat à l'action sociale a sollicité France-Terre d'asile pour la mise en place d'un dispositif d'accueil des réfugiés du Vietnam, du Cambodge et du Laos.

Le décret du 15 juin 1975 officialise la possibilité d'accueillir en centre d'hébergement les réfugiés de toutes origines et leur famille en vue de leur insertion en France. Entre 1975 et 2003, par délégation de service public, nous avons coordonné le dispositif national d'accueil et c'est actuellement un organisme public, l'ANAEM, qui en est chargé.

Aujourd'hui, nous gérons 29 centres d'accueil pour les demandeurs d'asile (CADA), un centre de transit, un centre provisoire d'hébergement, un centre d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés demandeurs d'asile, une plate-forme d'accueil pour les mineurs étrangers isolés, sept plates-formes de domiciliation et d'assistance administrative, des appartements d'accueil d'urgence et un département Intégration destiné aux réfugiés statutaires à Paris et en province.

Notre association est présente dans dix régions, elle emploie plus de 400 salariés et autant de bénévoles et son budget est d'environ 35 millions d'euros pour des prestations servies à environ 25.000 personnes.

Aujourd'hui, France-Terre d'asile est présente dans le champ de l'asile sur cinq missions : l'accueil des primo-arrivants, l'hébergement des demandeurs d'asile dans les structures CADA, la protection des mineurs isolés étrangers, l'intégration de réfugiés statutaires et une mission de formation.

Nous menons également, conformément à nos statuts, une action constante auprès des pouvoirs publics pour promouvoir l'accès à une procédure équitable au sens de l'article 6.1 de la convention européenne des droits de l'homme, pour la détermination du statut dans le respect de la convention de Genève et, plus généralement, de la tradition républicaine de l'asile. C'est vous dire à quel point je suis heureux d'être devant vous et de parler de ce problème, dans la mesure où il peut vous intéresser et être lié à la compétence de votre commission.

C'est à partir de l'expérience que nous avons accumulée au fil des ans et qui est relativement importante -nous avons en permanence 2.000 à 2.500 personnes dans nos centres- que nous tenons à vous dire, qu'à nos yeux, dans la droite ligne du sommet européen de Tampere, immigration et asile ne doivent pas être confondus, l'asile étant un droit constitutionnel découlant de la convention internationale de Genève, d'une force juridique supérieure à la loi interne des Etats signataires.

Cependant, si nous avons bien compris, vous vous inquiétez peut-être d'une porosité entre ces deux voies. Pour certains, en effet, le nombre élevé de déboutés du droit d'asile témoigne de la présence importante de « faux demandeurs d'asile ». Sur ce point, nous souhaitons vous faire part de nos constatations découlant d'une expérience de vingt ans dans nos centres qui nous a conduits à une étude spécifique sur les différences d'accès au statut (j'insiste sur ce point car c'est la clef) entre, d'une part, des demandeurs hébergés dans le dispositif national d'accueil qui bénéficient d'un accompagnement social et juridique et, d'autre part, les autres demandeurs, ceux qui doivent faire face seuls à la procédure.

Les statistiques que nous avons réunies montrent que l'hébergement en CADA, qui implique une assistance à la préparation du dossier, constitue un facteur déterminant pour l'admission au statut de réfugiés et révèlent, plutôt que la présence de « faux demandeurs » d'asile, celle, massive de « faux déboutés » livrés à eux-mêmes et sans assistance administrative, juridique ou linguistique.

Nous allons peut-être vous surprendre car ce sont des choses qui ont été peu dites, mais elles doivent être dites et l'opinion doit les connaître. En 2003, l'OFPRA a reconnu le statut de réfugié à 14,8 % des demandeurs d'asile contre 16,6 % en 2004. Pour les pouvoirs publics, ce chiffre démontrerait la démarche frauduleuse de la majorité des demandeurs d'asile. Or, lorsque les intéressés parviennent à bénéficier d'un accompagnement pendant leur procédure de demande d'asile, leur chance d'obtenir gain de cause est multipliée par trois. Ceux qui sont dans nos centres ont trois fois plus de résultat favorable que ceux qui sont en dehors.

En 2003 et 2004, les personnes prises en charge au sein du dispositif national d'accueil (DNA), à échantillons comparables et par nationalités identiques (nous vous laisserons ces études statistiques) ont obtenu le statut de réfugié à près de 70 % contre 16,6 % en moyenne. Cela pose problème et ces écarts impressionnants ne peuvent pas être liés au hasard, lequel placerait la majorité, par un coup de baguette magique, des candidats ayant le plus de chances de bénéficier de la protection dans nos CADA.

Aucun tri préalable -j'insiste sur cette idée- n'est fait en fonction de la qualité du dossier, qui est inconnue à ce stade. Ce tri n'est effectué que par l'ANAEM, organisme public, qui est seul chargé de répartir les demandeurs d'asile dans les centres. Ces écarts soulignent les carences de notre système et confirment l'existence massive de faux déboutés auxquels le statut de réfugiés est refusé, non pas en vertu d'éléments objectifs, mais en raison d'une absence d'accompagnement juridique et linguistique.

C'est l'évidence même si l'on se penche concrètement sur ce qui est exigé d'un demandeur d'asile généralement impécunieux, quasiment illettré et ignorant, dans 99 % des cas, les rudiments même de notre langue et encore plus de notre Etat de droit, déjà si complexe en la matière, même pour les spécialistes.

Je vous cite autant d'éléments qui empêchent le demandeur d'asile d'accéder à une procédure juste et équitable et qui mènent trop souvent au rejet de la demande d'asile :

- la méconnaissance des procédures par les demandeurs, associée à une absence d'information préalable,

- la nécessité de produire dans un délai très bref une demande écrite en français accompagnée de pièces jointes également traduites, et ce sans attribution d'aucun interprète (c'est ahurissant : imaginez-vous dans un pays dans lequel vous seriez arrivés depuis quinze jours ou un mois et où, à peine de nullité ou refus d'irrecevabilité de la demande, vous devriez remplir votre demande en arabe ; voilà notre Etat de droit !),

- la non-systématicité de l'audition du demandeur d'asile par l'OFPRA, malgré des progrès récents (il y a eu des progrès, mais, dans l'état actuel des choses, il ne sont pas tous entendus),

- la très grande difficulté d'accéder au CADA (ceux qui sont chez nous sont encadrés et soutenus et les résultats sont là, mais tous sont loin d'être en CADA puisqu'il n'y en pas suffisamment),

- la très grande difficulté d'accéder à un avocat, puisque la loi interdit l'aide juridictionnelle si l'entrée dans le territoire n'a pas été régulière : la personne qui fuit en catastrophe son pays pour entrer en France doit avoir pris la précaution d'alerter ses propres autorités et les autorités consulaires françaises pour avoir un document (je ne voudrais pas être sévère, mais Alfred Jarry avait campé un personnage qui n'était pas éloigné de ce genre de situation)

- et enfin, last but not least , le phénomène de précarité sociale qui a pour conséquence d'imposer au demandeur une hiérarchisation des priorités, plaçant la constitution du dossier derrière la nécessité d'assurer sa propre survie.

Il faut savoir que ces gens arrivent sans métier ni argent : ils n'ont rien. Les subtilités intellectuelles ou juridiques de la constitution du dossier passent donc un peu après la survie nécessaire.

La récente réforme du droit d'asile qui va réduire encore les délais d'instruction et accroître les contraintes procédurales ne va, à l'évidence, que pouvoir aggraver cette situation et créer encore plus de faux déboutés. Ce n'est pas un parti pris idéologique ; c'est la réalité concrète et le bon sens même que j'essaie d'exprimer en ce moment.

Entre le filtrage des demandes avant et lors de l'accès à la frontière, la réduction sans aucune justification à trois semaines au lieu d'un mois du délai de présentation devant l'OFPRA, si bien que le délai pour faire le fameux imprimé qu'il faut remplir sera encore plus réduit, la légitimation de procédures accélérées à l'égard de ceux qui seront supposés provenir d'un pays d'origine sûr, dans des conditions si discutables que nous avons introduit un recours en Conseil d'Etat contre la liste qui vient d'être établie, et la possibilité donnée à la CRR de rejeter par ordonnance le dossier sans examen contradictoire, on ne peut que s'attendre à l'amplification du phénomène des faux déboutés. Avec cette réforme, seule une minorité aura désormais droit à un examen complet, au fond et non expéditif de sa demande d'asile.

On peut craindre que notre procédure soit désormais axée sur un seul but : rejeter massivement et au plus vite les demandes sans les examiner sérieusement et la situation va donc s'aggraver.

Ainsi, si les décisions reconnaissant le statut de réfugié sont peu nombreuses dans notre pays, c'est avant tout parce que tous les demandeurs d'asile ne sont pas égaux devant une procédure qui, elle-même, présente certaines lacunes sur le plan de la justice et de l'équité.

Malgré les efforts louables du Gouvernement en matière de places de CADA (15 600 à fin août 2005), la plupart des demandeurs d'asile, ne bénéficiant ni d'un hébergement en centre, ni de l'accompagnement qui y est offert, continueront à pâtir de la pénurie des places en CADA dont le Gouvernement évaluerait lui-même le bon dimensionnement à 30 000 places.

Il est à noter que le taux de couverture entre les places en CADA et le nombre de demandeurs d'asile est à l'heure actuelle de moins de 20 %, l'objectif du Gouvernement étant de le porter à 80 % en 2010. A ce moment-là, sans doute, tout ira mieux, mais, en attendant, et à condition que cela se réalise, combien de faux déboutés auront-ils été produits ?

Voilà ce que nous voulons vous dire, chiffres à l'appui, et nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions sur ces problèmes de justification matérielle.

Il convient d'ajouter à ce tableau tous les déboutés qui l'ont été pour ne pas avoir pu démontrer une persécution individuelle relevant de la convention de Genève (vous savez que cette convention postule qu'une persécution à l'égard d'un individu est déterminée pour des raisons de race, de religion, d'appartenance à un groupe, etc.) mais qui viennent de pays où l'insécurité est totale pour chercher chez nous un abri. S'agit-il pour autant d'immigrants économiques qui ont utilisé ce biais de la procédure d'asile pour s'introduire dans notre pays ou, tout simplement, de personnes qui ont fui la terreur pour se mettre à l'abri chez nous sans pour autant remplir exactement les conditions de la convention de Genève ?

C'est un point sur lequel nous voulons attirer votre attention. En effet, on dit trop facilement que la procédure d'asile est génératrice de faux demandeurs d'asile alors qu'en réalité, nous voulons mettre l'accent sur une situation exactement inverse qui, non seulement, est mal traitée, mais risque de s'aggraver à l'avenir.

Nous avons une série de propositions à faire dans ce domaine. Je ne vous en infligerai pas la lecture, en me contentant de vous indiquer les titres, sachant que nous vous remettrons un dossier complet.

Première proposition : la réouverture des dossiers de demande d'asile des « faux déboutés » avec des conditions d'assistance normales.

Deuxième proposition : la situation des « ni régularisables, ni expulsables », qui renvoient à la situation dont je parlais tout à l'heure. Plusieurs milliers d'individus, en France -les pouvoirs publics le savent pertinemment-, ont été déboutés de leur demande d'asile, mais on ne peut pas les expulser tant les conditions régnant dans leurs pays sont dramatiquement dangereuses, certains pays n'ayant même plus de lignes aériennes. Il y a actuellement, en France, environ 5 000 à 6 000 personnes qui sont dans cette situation, que l'on refuse de régulariser et que l'on tolère. C'est ce qu'en langage technique, nous appelons les « ni ni ». Il n'est pas digne d'un pays comme la France de laisser subsister une situation de ce genre et de ne pas prendre les moyens d'y répondre.

Troisième proposition : l'exercice normal et organisé par l'Etat de la régularisation individuelle ;

Quatrième proposition : le retour des demandeurs définitivement déboutés et l'aide au retour. Cela pose des problèmes sur lesquels nous sommes tout à fait prêts à nous expliquer : je ne donne que les grands titres de nos propositions.

Cinquième proposition : la création d'un nombre de places pérennes en CADA.

Sixième proposition : la systématisation des plates-formes d'accueil pour demandeurs d'asile. En effet, ces gens arrivent perdus dans notre pays et il faut bien des plates-formes d'accueil où l'on puisse les diriger, les conseiller et leur expliquer le b-a-ba de leurs obligations qu'ils ignorent complètement. Nous en gérons quelques-unes, mais elles sont en nombre infiniment insuffisant par rapport à la réalité des besoins.

J'ai essayé d'être aussi concis que possible. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions. Pierre Henry, qui a une connaissance technique bien plus approfondie que moi, vous apportera les réponses les plus valables sur le plan technique. Je vous remercie, monsieur le président, de l'attention que vous avez bien voulu nous accorder.

M. Georges Othily, président .- Merci, monsieur le président. Notre rapporteur, M. Buffet, aura certainement des questions à vous poser.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je souhaiterais avoir des précisions en ce qui concerne les mineurs isolés dont on a pu constater qu'ils arrivaient parfois de façon massive. Qu'en est-il aujourd'hui et quelle est votre opinion sur ce point ?

M. Pierre Henry .- Le phénomène de l'arrivée des mineurs isolés étrangers est aujourd'hui assez précisément connu. Ce phénomène est apparu de façon concomitante à la mise en place de l'espace Schengen. En 1997, il y avait environ 200 mineurs isolés repérés sur l'ensemble du territoire et ils ne faisaient pas précisément l'objet d'une prise en charge spécifique. C'est à partir de 1998, 1999 et 2000 que le nombre de ces mineurs a augmenté pour se stabiliser aujourd'hui.

Des études qui ont été produites à partir des conseils généraux de France ont montré qu'en 2003, 1 946 jeunes mineurs isolés étrangers étaient pris en charge par les conseils généraux.

Parallèlement, il est repéré à la frontière, c'est-à-dire principalement à Roissy, chaque année, un certain nombre de ces jeunes gens et les chiffres, là aussi, ont été communiqués en leur temps par le ministre de l'intérieur. Ce sont des jeunes qui proviennent en règle générale de pays en guerre, en tout cas pour ceux que nous avons à prendre en charge à travers nos différentes structures, surtout sur la région parisienne. Je pense précisément à l'Afrique, à la Sierra Leone ou à l'Afrique des grands lacs.

L'une des difficultés évidentes, que vous connaissez également, est liée à la détermination de l'âge. Un certain nombre de ces jeunes voient leur âge contesté dans la mesure où, aujourd'hui, l'ensemble des études sur le domaine de la détermination de l'âge présente une incertitude de l'ordre de dix-huit mois.

Pour être encore plus précis, monsieur le rapporteur, sachez que, sur Paris, France-Terre d'asile anime une plate-forme d'accueil qui produit conseil, assistance et protection pour ces jeunes mineurs. Nous avons ainsi reçu en 2004 environ 250 jeunes et, en 2005, le flux est à peu près le même. J'ajoute qu'à l'initiative de l'Etat, une plate-forme commune a été mise en place avec quatre autres organisations pour la prise en charge de ces jeunes gens qui ne répondent pas tous aux mêmes problématiques.

Certains de ces jeunes gens répondent effectivement de la demande d'asile, d'autres sont dans des réseaux que l'on appelle les « exploités » et d'autres encore peuvent être mandatés. Il y a des catégorisations précises sur ces questions et je pourrais les développer si vous le souhaitez.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Monsieur le président, vous avez parlé des différents cas pour lesquels vous intervenez. J'aimerais savoir si beaucoup de femmes qui demandent l'asile ne se voient pas refuser, malheureusement, l'asile conventionnel. Il est question, par exemple, de femmes originaires de certains pays dont les statuts font qu'elles se retrouvent en situation particulièrement difficile, qui sont refusées par la société ou qui sont même parfois poursuivies, non pas par l'Etat lui-même, mais par une certaine milice organisée. Intervenez-vous sur ces points, beaucoup de femmes correspondent-elles à ce profil et obtiennent-elles le statut de réfugié ou sont-elles parmi les déboutés en général ?

Par ailleurs, je voudrais savoir si vous intervenez dans les centres de rétention.

M. Pierre Henry .- Non, nous n'y intervenons pas.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Dans ce cas, je ne poursuis pas ma question.

M. Pierre Henry .- Il faut savoir que la jurisprudence a évolué en ce qui concerne les femmes. En effet, si la convention de Genève ne prévoit pas, à proprement parler, la prise en compte d'un certain nombre de situations concernant les femmes (je pense par exemple à l'excision), une jurisprudence récente de la commission des recours a fait rentrer dans le droit des cas de persécution liés aux mutilations génitales.

Pour le reste, madame la Sénatrice, il faudrait que vous précisiez votre question, parce que nous prenons en charge les personnes qui arrivent sur le territoire français dans les points d'accueil qui sont les nôtres, nous les aidons à déposer une demande d'asile devant l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et il n'y a pas à proprement parler une approche par genre.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Il n'y a pas une approche par genre, mais il y a quand même une jurisprudence concernant les excisions, par exemple, de même que dans certains pays où le code de la famille ne reconnaît pas les mères célibataires. Lorsque, dans certains pays, on sait que certaines milices organisées, comme il y en a eu à une époque en Algérie ou comme cela peut exister dans d'autres pays, persécutent les femmes, je voudrais savoir si les demandes de ces femmes, lorsqu'elles arrivent en France et qu'elles font une demande d'asile, sont entendues ou si elles font beaucoup partie des déboutés.

M. Pierre Henry .- Là aussi, la situation a évolué. Auparavant, les persécutions n'étaient reconnues que lorsqu'elles émanaient des Etats. C'est ainsi qu'avant 1998 ou 1999, un certain nombre de personnes pouvaient être poursuivies par des milices armées et ne pas avoir accès au statut de réfugié alors que des personnes appartenant à ces milices armées pouvaient obtenir le statut de réfugiés. La jurisprudence a aussi évolué sur la question.

D'une manière générale, cela fait partie des zones grises, si je puis dire. En effet, un certain nombre de personnes peuvent correspondre à la description que vous avez faite et peuvent se retrouver déboutées de leur demande d'asile. Toute la question, ensuite, est évidemment de savoir quel sort la France leur réserve en ayant recours à différentes possibilités : soit la protection subsidiaire, soit la régularisation.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Ma question suivante a un caractère plus large et concerne le droit communautaire. L'Europe s'est dotée d'un certain nombre de règles en matière d'asile. Pour autant, comment ressentez-vous et évaluez-vous aujourd'hui le règlement de « Dublin II » du 18 février 2003 ? Avez-vous des éléments quantitatifs sur ce sujet ou un point de vue pour éclairer la commission ?

M. Pierre Henry .- Des études générales qui ont été réalisées ont montré la relative inefficacité des procédures au titre de « Dublin I ». En effet, entre les demandes de réadmission prononcées par chaque pays, nous étions dans un jeu à somme nulle en termes de solde migratoire mais, en revanche, extrêmement destructeur quant aux personnes qui étaient accueillies sur notre territoire et qui répondaient à « Dublin I ».

En ce qui concerne « Dublin II », il est trop tôt pour avoir des chiffres précis. Il nous semble tout de même -c'est un principe que nous avons toujours défendu- que les personnes doivent pouvoir déposer une demande d'asile dans le pays où elles le souhaitent, c'est-à-dire dans celui où elles ont, en règle générale, le plus d'attaches linguistiques ou familiales.

A cet égard, il faut savoir qu'aujourd'hui, nous avons affaire à quelques situations qui confinent à l'absurdité : vous pouvez avoir des demandeurs d'asile parfaitement francophones qui, parce qu'ils ont pénétré dans l'espace Schengen par un autre pays que la France, doivent voir leur demande d'asile examinée dans ce pays alors même qu'ils n'en maîtrisent absolument pas la langue ni les arcanes juridiques. A cet égard, le règlement « Dublin » présente des situations assez complexes et, parfois, assez ubuesques.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai une dernière question à vous poser. Sur la procédure d'asile, il est dit - je reste volontairement vague- que les procédures sont en augmentation constante. Pensez-vous que cela tient soit à l'afflux nouveau de personnes qui souhaitent venir sur le territoire, soit à un certain manque de clarté de la politique migratoire et au fait qu'il n'y a pas un plus grand nombre de procédures parfaitement identifiées pour ceux qui le souhaitent ?

M. Pierre Henry .- Là aussi, monsieur le rapporteur, je pense que la commission dispose des chiffres de l'asile pour 2004 et qu'elle a un regard assez précis sur les différentes nationalités qui viennent déposer une demande l'asile.

Nous n'avons pas à connaître de certaines de ces nationalités. Je veux dire par là qu'elles ne sont pas demandeuses de protection au titre, par exemple, d'une entrée en centre d'accueil pour demandeurs d'asiles. Cela demande sans doute un traitement spécifique à travers des conventions bilatérales qui peuvent exister avec tel ou tel pays ou d'autres mécanismes.

Ensuite, je pense qu'il faut regarder de façon très précise les demandes d'asile qui sont déposées dans chacun des pays de l'espace Schengen. On peut manifestement s'interroger sur la manière dont sont mis en place ces différents dispositifs d'asile dans certains pays, notamment du sud de l'Europe. Par exemple, je m'étonne du faible nombre de demandes d'asile en Espagne. Si je ne m'abuse, il y en a eu 8 000 en 2004, ce qui pose un certain nombre de questions corrélativement à ce qui s'est passé du fait de la situation politique, puisque cela a été réglé par une immense régularisation.

J'observe donc qu'en Europe, nous n'avons pas de procédures harmonisées, qu'à chaque fois qu'il y a une harmonisation, cela se fait sur le plus petit commun dénominateur et qu'il faut sans doute inventer d'autres outils pour compléter la régulation des flux migratoires lorsque ceux-ci ne répondent pas à la problématique de l'asile.

M. Georges Othily, président .- Merci. Mes collègues et moi-même n'avons plus d'autres questions à vous poser. Nous vous remercions donc, monsieur le président et monsieur le directeur général.

M. Jacques Ribs .- C'est nous qui vous remercions d'avoir bien voulu nous entendre. Vous avez les chiffres dans le petit dossier que nous vous avons communiqué.

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