Audition de M. Olivier BRACHET, directeur,
M. Denis CAGNE, directeur-adjoint
en charge des questions d'accès au séjour,
et
Mme France CHARLET, chargée de mission, du Forum des
réfugiés
(6 décembre 2005)
Présidence de M. Georges OTHILY, président
M. Georges Othily, président .- Madame et messieurs, je vous remercie d'avoir accepté d'être entendus par notre commission.
Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Olivier Brachet et Denis Cagne et Mme France Charlet prêtent serment.
M. Georges Othily, président .- Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire qui permettra au rapporteur et aux membres de notre commission de vous poser des questions sur des points précis ou de vous demander quelques éclaircissements.
M. Olivier Brachet .- Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci de nous recevoir et de nous entendre sur ce sujet.
Je commencerai par un préalable qui justifie sans doute qu'on nous auditionne : le Forum des réfugiés est un dispositif qui réalise un million de nuits d'hébergement pour les demandeurs d'asile dans le département du Rhône dans l'année. Par conséquent, nous voyons passer du monde.
Nous délivrons 50.000 courriers de procédure à des gens qui arrivent pour demander l'asile et qui vont devenir réfugier ou non. Nous sommes donc installés au coeur des flux. Je n'en dirai pas plus, mais nous sommes véritablement concernés par un certain nombre de questions qui se posent autour de votre commission.
Comme vous le savez, on a beaucoup de mal avec la notion de clandestins. C'est une notion qui circule dans la presse, dans les médias, à l'école, dont on ne sait pas bien ce qu'elle recouvre et dont on se méfie beaucoup parce qu'elle a d'énormes connotations. C'est pourquoi nous la réservons plutôt à ce qui se passe « là-bas » avant d'arriver en France.
Il y a, dans ces pays, des gens qui sont candidats à l'immigration et qui vont, selon des stratégies plus ou moins clandestines, tenter d'entrer en France, mais, de notre point de vue à nous ici (je tiens à bien marquer la différence entre « là-bas » et « ici »), nous sommes confrontés non pas à une question clandestine, car beaucoup de gens sont appelés clandestins alors qu'ils ont des papiers, même pour une courte durée, mais à un problème de régularité ou non du séjour. C'est pourquoi nous préférons les expressions « immigration régulière » ou « immigration irrégulière ».
C'est d'autant plus nécessaire que la question se pose non seulement pour le séjour en France mais également pour le franchissement de la frontière. En effet, la frontière se franchit régulièrement ou irrégulièrement et on est en France régulièrement ou irrégulièrement.
Or les situations de droit qui résultent de ces deux éventualités offrent la possibilité d'innombrables scénarios. En effet, on peut avoir franchi la frontière régulièrement et devenir irrégulier ; on peut avoir aussi franchi la frontière irrégulièrement et être parfaitement régulier en France. C'est, entre autres, le cas de la demande d'asile. Cette combinaison de facteurs de régularité et d'irrégularité quant au séjour et au franchissement de la frontière donne donc, dans sa matrice, toutes les occasions de situations plus ou moins régulières.
C'est en faisant un effort de définition autour de ces conditions que l'on peut comprendre comment notre système administre une population dont le degré de régularité en France est plus ou moins complet. Ce sont pour nous des éléments très importants. Par exemple, on évoque souvent dans la presse des demandeurs d'asile sans-papiers alors que tous les demandeurs d'asile ont des papiers : des récépissés de trois mois renouvelables et une APS. Sinon, ils ne sont pas demandeurs d'asile. En revanche, un demandeur d'asile peut être débouté de l'asile et il deviendra sans doute un sans-papiers à condition qu'il ne soit pas dans une procédure de régularisation.
Pour nous, il est très important de préciser que, si nous devons étudier les conditions dans lesquelles existent en France, avec le temps, des situations irrégulières, il convient d'en apprécier le degré d'irrégularité. En effet, toute mesure administrative d'éloignement du territoire qui en découlera ne sera pertinente et ne pourra être réalisée que si le degré de régularité est apprécié à sa juste valeur, c'est-à-dire à sa juste place dans le droit.
Une fois qu'on a défini ces deux normes (régularité et irrégularité, frontière et séjour), la difficulté est d'arriver à préciser de quoi est faite la part irrégulière parce qu'il nous manque, au fond, la vision claire d'une pure irrégularité, c'est-à-dire d'une personne qui n'a vraiment pas à être là et qui, par conséquent, pourrait faire l'objet d'un éloignement ou d'une mesure administrative.
Un irrégulier est-il quelqu'un qui est sans titre de séjour, déconnecté de toute procédure d'examen de sa situation ? Vous savez que l'on peut être sous examen de sa situation sans titre de séjour et non pas irrégulier (je pense aux personnes qui sont sous procédure Dublin) ; ceux qui sont en procédure prioritaire dans l'asile n'ont pas de titre de séjour : ils sont réguliers en France, mais, normalement, ils ne vont pas y rester.
On peut encore ajouter une autre forme d'irrégularité à ces deux premières catégories : ceux qui ne devraient pas être là, qui n'ont pas de titre de séjour et qui font l'objet d'un examen des conditions dans lesquelles ils pourraient être renvoyés chez eux, mais pour lesquels des solutions de retour logistiques, politiques ou même administratives ne sont pas possibles, notamment quand les sauf-conduits consulaires ne sont pas délivrés.
Pour résumer cette première partie, je dirai que la combinatoire qui résulte entre la régularité du passage à la frontière et l'irrégularité du séjour donne des formes de plus ou moins grande régularité du séjour en France et de la position de la personne, qu'il n'est pas simple de définir qui est un irrégulier et que c'est la raison pour laquelle on recouvre du mot « clandestin » ce déficit d'appréciation technique. Au fond, la notion de clandestin est une facilité de l'esprit pour parler de cette combinatoire entre régularité et irrégularité. C'est très important, parce que c'est de là que découle tout le reste.
Au fond, qui va se poser la question de l'appréciation technique de la régularité ou de l'irrégularité ? Ce sont les pratiques administratives, les pratiques préfectorales. En réalité, l'essentiel de l'appréciation technique va dépendre à 95 %, sauf cas d'exception, de la conception qu'en ont le préfet, son service des étrangers et sa direction de la réglementation.
Autrement dit, y a-t-il aujourd'hui un corps de doctrine suffisant dans la pratique administrative pour apprécier les conditions de régularité d'une personne en France ? C'est là qu'étant sur le terrain des pratiques préfectorales, nous constatons l'absolue divergence qui réside dans l'appréciation des conditions « d'expulsabilité » administrative des gens. C'est ainsi que l'on trouvera des départements dans lesquels l'appréciation des conditions de régularité du séjour sera assortie de considérations logistiques ou liées au taux de remplissage des centres de rétention. Par exemple, beaucoup de préfets cessent de prendre des arrêtés de reconduite à la frontière quand le centre de rétention est plein parce qu'il faut bien mettre les gens quelque part.
De même, alors que la loi sur l'asile prévoit des conditions d'admission au séjour sous quinze jours, quantité de préfectures ne délivrent la première autorisation de séjour que dans les 90 premiers jours. Je juge donc sévèrement tout ce corps d'application et toute cette pratique car ils ne sont pas toujours sans intention dans la répartition de la charge de ces populations entre départements.
Je ne veux pas en dire beaucoup plus, mais quand vous observez ensuite les conditions dans lesquelles est géré chaque dossier par rapport à la totalité des dossiers dans les départements, vous retrouvez l'explication non pas dans la géographie des flux mais dans la géopolitique des pratiques administratives. Je constate que nous le subissons violemment à Lyon quand j'observe l'enregistrement de la demande d'asile entre les huit départements de Rhône-Alpes, mais je n'en dirai pas plus.
Par conséquent, c'est au coeur des pratiques administratives préfectorales que l'on a la déclinaison pratique de l'appréciation de la règle du séjour, de la régularité des personnes et de leur maintien en France ou de leur éloignement. Une fois que l'on a dit cela, on est très gêné d'aller beaucoup plus loin, parce qu'ensuite, on en arrive aux descriptions.
Il faut décrire par exemple qu'ici, une famille déboutée de l'asile est systématiquement régularisée en CADA parce qu'elle trop difficile à éloigner alors que, là, la pratique sera absolument opposée. Vous aurez des situations dans lesquelles les accords de Dublin vont être mis en oeuvre rapidement et, dans d'autres cas, pas du tout ; des situations dans lesquelles les personnes qui sont en procédure prioritaire parce qu'originaires des pays sûrs seront systématiquement logées et d'autres où ce ne sera pas le cas. Par exemple, dans le Rhône, nous mettons les gens à l'hôtel, car ce sont des familles essentiellement, alors que cela peut ne pas être fait ailleurs. De même, vous aurez des situations dans lesquelles les arrêtés de reconduite à la frontière seront pris à l'encontre de personnes de pays sûrs qui ont eu une réponse négative et qui sont maintenues dans l'hébergement jusqu'à la décision de la commission des recours alors qu'elles sont en situation irrégulière.
J'ajoute que, d'un département à l'autre, cela pourra changer, de même que, entre un département ou un autre, le préfet aura ou non agréé des associations, comme la loi l'oblige à le faire, qui se chargent de domicilier les gens pour qu'ils aient une procédure pendante. A peine la moitié des départements français, dix-huit mois après la loi, ont agréé de telles associations, et je pense d'ailleurs que ce n'est toujours pas le cas en Ile-de-France et à Paris.
Nous avons donc un certain nombre d'interprétations : le Conseil d'Etat vient de prendre deux décisions qui n'éclairent pas l'obligation de domiciliation après le premier récépissé de trois mois, ce qui fait que, selon les préfectures, les gens auront ou non une adresse. Par conséquent, on pourra leur notifier ou non les décisions.
Par voie de conséquence, j'évoque aussi le cas de ceux qui, n'ayant pas accès au séjour et n'ayant donc pas de titre de séjour, sont dans des procédures qui font que leur séjour est malgré tout régulier mais ne peuvent pas se voir notifier les décisions en raison du fait que, n'ayant pas de titre de séjour, ils ne peuvent pas retirer leur courrier à la Poste ! C'est un cas que nous avons à régler à Lyon : une personne qui avait été convoquée à l'OFPRA en procédure prioritaire ne pouvait pas retirer sa convocation à la Poste. Nous avons trouvé un arrangement entre nous et la Poste, mais l'a-t-on trouvé à Bourg-en-Bresse ou ailleurs ? Je n'en sais rien ou, plus exactement, je le sais trop bien.
Cet ensemble de pratiques s'applique ensuite à des personnes qui sont prises elles-mêmes dans des configurations familiales. Par exemple, on constate des cas fréquents d'irrégularité d'un membre de la famille qui se trouve dans une situation d'inexpulsabilité tant que le sort de toute la famille n'est pas traité. On peut avoir aussi, dans une famille, des gens en situation régulière définitive ou temporaire, ou bien un grand nombre de personnes en décalage de procédures parce qu'il est assez fréquent que les arrivées soient décalées dans le temps : par exemple, l'homme arrive à une certaine date et la femme et les enfants arrivent six ou huit mois après. Dans ce cas, le sort de toute la famille ne pourra être traité, quant au maintien sur le territoire ou à son éloignement, que lorsque l'ensemble des procédures attenantes à ces personnes sera traité.
Nous avons donc des formes d'irrégularité impure, comme je le disais tout à l'heure, ou un manque d'irrégularité pure. Dans la pratique préfectorale, il faut apprécier les déclinaisons que l'on peut en faire, sachant que, par ailleurs, un grand nombre de ces dossiers vont être ensuite déferrés au tribunal administratif qui, comme vous le savez, devra réexaminer la totalité des circonstances par lesquelles l'arrêté préfectoral peut être mis en oeuvre ou pourra même être exécuté.
On peut actuellement valider au tribunal administratif un arrêté de reconduite à la frontière tout en cassant sur le pays de destination, ce qui fait que la personne n'est pas susceptible d'être renvoyée dans son pays d'origine, ne peut pas se maintenir sur le territoire et ne peut pas s'en aller. C'est un cas particulièrement alambiqué et difficile, mais il n'a pas forcément pour origine des motifs politiques mais, tout simplement, des motifs de non-reconnaissance par les autorités consulaires. Nous avons eu récemment le cas de personnes sous arrêté de reconduite à la frontière qui ne sont pas reconnues par les autorités ukrainiennes et dont nous ne pouvons pas faire l'éloignement.
Je m'élève un peu au-dessus de ces constatations particulières pour faire deux ou trois observations finales.
L'absence d'offre migratoire congestionne toute la pression sur un certain nombre de procédures. Bien sûr, le droit à l'asile est une procédure sollicitée en lieu et place de ce que pourrait traiter une offre migratoire définie différemment. Nous n'avons pas, à ce jour, ou en tout cas en quantité suffisante ou conséquente, d'offre migratoire de travail.
Comme il y a une forte demande dans ce domaine, si on ne peut pas prendre cette voie, on peut en prendre une autre. Laquelle est disponible ? En dehors de celles sur lesquelles je ne reviendrai pas parce que ce n'est pas mon domaine (regroupement familial, étudiants et autres), il n'y a guère que celle de l'asile qui est susceptible d'être utilisée, mais l'asile a-t-il moins de raison d'être aujourd'hui qu'hier ? Non. Tous les événements postérieurs à 1989 ont montré qu'il y avait un fort besoin de droit d'asile. D'ailleurs, toutes les années 1990 ont donné lieu, pour les gouvernements successifs, à une série de gestes difficiles à faire, voire contradictoires : à la fois limiter le droit d'asile pour qu'il ne soit pas abusé, en quelque sorte, mais en même temps faire des gestes en direction du droit d'asile, des évacuations aériennes, etc.
Autrement dit, les événements ont cent fois montré qu'il y avait un problème de protection pour des gens qui étaient menacés de persécution, mais l'encombrement de la procédure rendait difficile le traitement de l'ensemble de ces dossiers et le partage correct entre ce qui relève d'une pression migratoire habituelle et ce qui relève de la protection.
Je rappelle au passage qu'il y a quatre ans, une demande d'asile sur quatre était honorée du statut, contre une sur cinq aujourd'hui, c'est-à-dire que nous ne sommes pas dans une situation d'extrême minorité des résultats positifs. Il est faux de dire que le droit d'asile n'aboutit pas à des statuts de réfugiés. De ce point de vue, la France a une procédure correcte dans les standards européens.
Cette proportion d'une personne sur quatre, puis d'une personne sur cinq est un résultat important : on est passé de 30 % à 20 et cela se concrétise, cette année, par 15.000 cartes de réfugiés au titre de la convention de Genève. Ce sont des gens menacés de persécution. Par conséquent, on ne doit pas lever la garde sur le droit d'asile, mais il faut effectivement trouver des modes administratifs pour gérer le reste de la pression migratoire en dehors de cette procédure, qui reste marquée à certains égards par des exceptions au droit commun, comme le franchissement irrégulier de la frontière. Toute la procédure issue de la convention de Genève est une procédure d'exception et, évidemment, on ne fera pas rentrer par l'exception le flux ordinaire.
Par conséquent, il convient, en face de cette procédure, de mettre en place une autre procédure à laquelle on puisse répondre, sachant que, pour nous, en fonction de ce que je viens de dire, il importe de décliner des règles du jeu pour éviter que les gens n'y comprennent rien. En effet, pas plus que nous ne comprenons bien quels sont les réguliers et les irréguliers, ce qui est très compliqué, ils ne comprennent pas pourquoi on répond positivement à certains et négativement à d'autres. Il y a donc un problème d'administration de la demande et de règle du jeu. Le problème n'est pas de dire oui à tout le monde mais de savoir quelle est la règle. Or cette règle est aujourd'hui totalement troublée, mélangée et mixée à travers les tactiques des gens qui viennent et les tactiques en réplique de l'Etat, qui essaie de maîtriser cette demande.
Malheureusement, nous constatons que, pour tenter de canaliser les choses, c'est le droit d'asile qu'on va chercher à visser de plus en plus pour résoudre la partie qui relève de la pression migratoire ordinaire qui devrait être traitée selon des procédures auxquelles on répond positivement ou négativement, mais selon des règles qui sont expliquées aux gens et qui sont compréhensibles.
Cela n'étant pas fait, du moins à notre avis, nous avons un maillage de l'offre réglementaire qui rend le flux en aval, une fois épuisées les mauvaises voies, totalement illisible et incompréhensible en raison même du fait que les préfets vont devoir prendre des décisions qui seront différentes selon les cas. Les gens ne comprennent pas pourquoi on a dit oui à l'un et non à l'autre.
C'est ainsi que se développent l'idée que la décision devient en partie discrétionnaire, notamment à travers les régularisations au fil de l'eau, subites ou organisées de manière collective, et le sentiment qu'au fond, on peut jouer sa chance dans le cadre de ces imprécisions, de ces chaos de l'histoire immédiate. Quand nous observons les entrées sur le territoire, nous considérons qu'au bout d'un certain temps, en raison de ce jeu et de cette matrice qui, quand on la complique de plus en plus, donne des opportunités supplémentaires à ce rapport entre réguliers et irréguliers dont je parlais tout à l'heure, les personnes ont la possibilité de voir leur situation, sinon définitivement réglée, du moins temporairement différée.
Voilà ce que je voulais essayer d'expliquer le plus clairement possible. En raison des circonstances historiques dans lesquelles nous sommes, il y aura encore beaucoup de réfugiés à protéger, mais nous devons absolument trouver un mode d'administration des populations candidates à venir en France qui sorte de ce jeu matriciel dans lequel, au fond, la règle du jeu n'est pas affichée et les réponses ne sont pas comprises, ce qui ne clarifie aucunement la situation. Quand les choses ne sont pas claires, cela veut dire que l'on peut venir.
M. Georges Othily, président .- Je vous remercie, monsieur Brachet, de ces explications sur le mécanisme du Forum des réfugiés. Je passe la parole à mes collègues qui souhaitent vous poser des questions.
M. Louis Mermaz .- M. Brachet nous a montré le mécanisme de cette sorte de loterie et d'arbitraire. J'ai en tête des exemples très précis de préfets qui comprennent mieux les choses et d'autres qui sont plus raides et nous avons tous de tels exemples. Dans un département que je ne citerai pas, une jeune ivoirienne qui devait être renvoyée à Abidjan par un avion de 22 h 30 a été élargie à 19 h 00. Que serait-elle devenue sans cela ? La personne qui a donné l'ordre de la libérer m'a dit : « J'ai honte de ce qu'on me fait faire ».
Cela veut dire que les choses sont très fluctuantes d'une préfecture à l'autre.
Cela dit, je voudrais demander à M. Brachet comment les préfets peuvent encore apprécier l'état de la procédure selon des critères humains quand, dans le même moment, le ministère de l'intérieur leur demande de faire du chiffre, de même que le Premier ministre. N'a-t-il pas l'impression (je ne lui demande pas d'apprécier la politique, car chacun est à même de le faire) qu'il y a un durcissement des comportements préfectoraux pour les raisons que j'ai indiquées depuis ces derniers mois ?
M. Olivier Brachet .- Nous le ressentons, bien entendu. Dans cette affaire, il faut considérer la réalité du nombre d'éloignements du territoire par rapport au total. Soyons lucides : entre les 200 000, 300 000 ou 400 000 réguliers, irréguliers ou « pas complètement irréguliers » (sinon, il serait facile de quantifier) et les 23 000 à 25.000 éloignements du territoire, nous sommes loin du compte, ce qui signifie que les préfets éloignent bien moins souvent qu'ils ne remettent à plus tard la décision.
Ce qui va beaucoup jouer, dans la pression, ce sera plutôt le différentiel des départements. Quand on va exiger d'un préfet beaucoup d'éloignements du territoire dans une région où il n'y a pas beaucoup de monde, par exemple, il aura tendance à aller chercher des gens, mais s'il est dans la région lyonnaise, il n'aura pas forcément la même difficulté à trouver des gens à éloigner.
Cela dit, les événements de ces dernières années ont amené beaucoup de familles dans la procédure. Je fais partie du conseil d'administration de l'OFPRA, j'ai participé à la mission en Bosnie et je peux vous dire que, pour éloigner une famille à Sarajevo, il faut faire Lyon-Paris en avion, puis Paris-Milan avec une escale et un changement d'avion, avant d'arriver à Sarajevo. J'ai posé la question au consul de Sarajevo et il m'a répondu qu'il n'avait jamais vu arriver une famille par avion. On ne sait pas éloigner actuellement une famille par avion à Sarajevo. Il arrive plus de familles de Sarajevo que du Zimbabwe, parce que c'est plus facile et plus près et qu'il y a aussi des problèmes en Bosnie.
Je vais donner un autre exemple pour essayer de vous faire comprendre les choses par l'absurde. On a fortement amélioré l'aide au retour en prévoyant des sommes importantes, ce dont nous nous réjouissons puisqu'elles étaient ridicules : c'est comme si cette aide n'existait pas. Or nous avons eu beaucoup d'arrivées de Bosniaques et de Maliens. La déclinaison qui est faite de l'aide au retour est la suivante : dans les préfectures où il y a beaucoup de déboutés, il faut expérimenter l'aide au retour, mais nous avons beaucoup de déboutés du Mali (ils le sont presque tous) et de Bosnie, et ces deux pays viennent d'être classés en pays sûrs. Dans ce cas, il n'y a pas d'invitation à quitter le territoire et, par conséquent, ils ne sont pas éligibles à l'aide au retour.
La Suède, qui a arrêté de donner le statut de réfugiés aux Bosniaques, a fait une politique d'aide au retour pour eux. Nous ne pourrons faire une politique d'aide au retour que si elle est déclinée par pays et non pas par genre administratif français, tout simplement parce que les gens doivent aller quelque part et se raccrocher à un programme.
Autre exemple : l'ANAEM, ex-OMI, a peu de bureaux à l'étranger, mais elle en a quand même à Bucarest et à Bamako, deux pays qui ne sont pas éligibles à l'aide au retour, si bien que l'on ne peut pas lier les bureaux en question à cette logique de l'aide au retour parce que nous n'avons pas de déclinaison nationale. Il s'agit bien de retourner dans un pays et non pas de faire « du retour » en général. Il faut décliner les choses par nationalité et définir les nationalités concernées.
Les Suédois ont fait un grand programme en Republika Srpska pour le retour des demandeurs d'asile bosniaques en Republika Srpska, alors que, si nous faisons de l'aide au retour pour les Bosniaques, nous commençons par les rendre inéligibles puisque nous avons déclaré la Bosnie pays sûr. Depuis le 2 juillet, les Bosniaques ne peuvent pas en profiter.
Par conséquent, c'est le plus ou moins grand déficit d'administration des personnes qui rend la gestion de ces flux très difficile pour les préfets et qui, en même temps, empêche une bonne part de pragmatisme qui permettrait de décliner ces politiques de manière plus opérationnelle.
Sur l'aide au retour, vous avez voté 5 millions d'euros dans la loi de finances. Cela veut dire que, bien que vous ayez augmenté la valeur de ces aides au retour, vous n'avez quand même pas estimé que l'on y dépenserait beaucoup d'argent, ce qui veut dire que, d'ores et déjà, vous pensiez que cela ne marcherait guère.
Mme Gisèle Gautier .- Nous avons bien entendu que, selon les appréciations techniques, c'est bien l'administration préfectorale qui intervient et qui tranche. Vous êtes ici en tant que grand témoin, monsieur Brachet, et vous nous avez dit en préambule que vous aviez instruit de nombreux dossiers. Pour nous éclairer davantage, j'aimerais savoir quelles sont les limites de vos interventions et de vos compétences. Je suppose que, si vous existez, c'est que vous êtes utile, ce dont je suis sûre.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets que vous avez pu voir aboutir de façon favorable ? Je suppose qu'il y a bien des lueurs d'espoir à nous donner. De même, de façon pragmatique, quelles raisons ou quels critères font que, malheureusement, les dossiers ne peuvent pas aboutir et sont bloqués ?
M. Olivier Brachet .- Je peux uniquement vous parler de notre expérience. Dans le Rhône, les affaires se passent bien parce que nous avons pris l'habitude de nous réunir tous les trimestres avec la Direction de la réglementation depuis 23 ans. Nous lisons les textes ensemble pour voir si nous les interprétons de la même manière. Si nous avons une divergence d'interprétation, nous ne trouvons pas choquant de recourir au tribunal administratif pour examiner l'affaire, puis nous trouvons une règle, nous apportons quelques dossiers à la limite du système et nous voyons comment les régler.
De ce point de vue, nous avons une bonne application de la règle dans le département du Rhône.
Cela résout-il tous les problèmes de situation irrégulière ? Non, bien sûr, parce que certains phénomènes ont eu leur spécificité propre. Je pense à la situation dans laquelle se sont trouvés les Algériens qui ont réclamé l'asile territorial, qui avait été créé par la loi Chevènement et qui a disparu avec la loi Villepin. Il faut savoir que 35.000 à 40.000 Algériens ont demandé l'asile territorial, dont près de 15.000 à Marseille. Qui s'est demandé, à l'occasion d'une réunion entre organisations ou administrations, ce que sont devenus ces Algériens ? Nous n'en savons rien !
Nous savons maintenant que le report sur la demande d'asile conventionnelle au titre de la nouvelle loi Villepin n'a pas enregistré, au titre du réexamen dans le cadre de la nouvelle loi, une forte demande algérienne, ce qui signifie qu'il n'y a pas eu de report dans le cadre de la nouvelle loi. Pour ne prendre que cet exemple, cela veut dire que nous avons probablement entre 30.000 et 50.000 Algériens qui sont arrivés par le biais de l'asile territorial dans les cinq années d'application de cette procédure dont nous ignorons absolument ce qu'ils sont devenus.
A Lyon, nous en avons vu arriver un certain nombre et je fais l'hypothèse qu'un grand nombre d'entre eux, en grande partie des jeunes hommes, sont repartis en Algérie : ils étaient tous entrés régulièrement avec des visas touristiques et ils ont été « renvoyés » par les familles dans lesquelles ils étaient arrivés.
Je prends un autre exemple. Récemment, à Lyon, une demande d'asile sur deux était moldave depuis le 1 er janvier 2004. Sur 4.000 à 5.000 demandes, ce n'était pas négligeable. On s'est alors rendu compte que la demande moldave était une demande rom et, en fait, une demande roumaine, les Roumains ne pouvant plus demander l'asile conventionnel mais seulement l'asile territorial. C'est ainsi que, l'asile territorial ayant été supprimé le 31 décembre 2004, 100 % des demandes d'asile roumaines se sont reconverties en demandes d'asile moldaves.
Nous parlons de cela avec la préfecture du Rhône. Aujourd'hui, il n'y a plus de demandes d'asile moldave ou rom à Lyon et cela ne me pose pas de problème. D'ailleurs, les arrêtés de reconduite à la frontière qui sont pris pour les Moldaves sont à destination de Bucarest.
Il n'est pas interdit de parler de ces choses, mais il ne faut à aucun moment négliger de dire pourquoi on en est là. Si nous en sommes là, ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de réfugiés. Si les dernières années nous ont montré que les guerres étaient plus proches et que les événements générateurs de protection étaient nombreux, l'OFPRA ne distribue pas des cartes à tour de bras (on lui reproche même de ne pas en distribuer assez), mais elle en distribue quand même et l'asile n'est pas fait pour réguler la politique migratoire ou en constituer un substitut.
Il s'agit donc de définir la politique migratoire que nous voulons et la règle. Or, aujourd'hui, il n'y a pas de règle. On ne peut pas venir travailler en France. On ne peut que s'y regrouper familialement ou y venir en tant qu'étudiant. Je passe sur les étudiants, dont vous aurez l'occasion de parler avec d'autres, de même que sur le regroupement familial puisque ce n'est pas mon domaine, même si on en parle beaucoup, mais avez-vous déjà demandé une autorisation de travail à une direction départementale du travail ? La réponse sera toujours non. Il s'agit là de trente ans de culture administrative.
Quand on ne peut pas entrer par la porte, on essaie de rentrer par la fenêtre !
Mme Catherine Tasca .- Je voudrais avoir une précision. J'ai cru comprendre que vous parliez de l'aide au retour en indiquant que celle-ci ne pouvait pas être accordée lorsque le pays est réputé sûr, ce qui est aberrant. Cela voudrait-il dire que l'on favorise le retour dans les pays non sûrs ?
M. Olivier Brachet .- Absolument. C'est aberrant, en effet, parce que nous sommes arc-boutés sur un principe dissuasif. Le classement en pays sûrs ou non n'a pas pour objet de traiter vite la demande mais de faire en sorte que les gens des pays sûrs ne viennent pas. Par conséquent, la mesure de déplacement en pays sûrs n'a un plein effet que s'il est vérifié ensuite que ceux qui venaient des pays sûrs ne viennent plus, mais si les gens des pays sûrs viennent, la gestion est très compliquée parce qu'il faut faire la procédure en quinze jours à l'OFPRA, ce qui occupe tout son personnel, alors qu'il devrait s'occuper des pays non sûrs, et, au bout de quinze jours, il faut les éloigner du territoire, ce qu'on ne sait pas faire : puisqu'on ne sait pas le faire en un an, on ne sait pas le faire en quinze jours.
En réalité, on escompte d'une telle mesure que les gens ne viennent pas.
Mme Catherine Tasca .- De quand date cette disposition et quelle en est sa nature ?
M. Olivier Brachet .- La décision sur les pays sûrs a été publiée au Journal Officiel le 3 juillet.
Mme Catherine Tasca .- Je parle du fait qu'on ne puisse pas accorder l'aide au retour dans les pays sûrs.
M. Olivier Brachet .- C'est une décision de définition des conditions dans lesquelles l'aide au retour est éligible : elle n'est éligible que s'il est pris une invitation à quitter le territoire, mais celle-ci ne peut être prise que s'il y a eu accès au séjour. Or ces gens n'ont pas d'accès au séjour.
Mme Catherine Tasca .- On pense vraiment à Kafka !
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Excusez-moi, mais c'est seulement s'il y a eu une demande d'accès au séjour qui a été refusée et non pas un accès au séjour. Il y a une différence entre la demande d'accès au séjour et l'accès au séjour, car l'accès au séjour peut aboutir à d'autres choses.
M. Olivier Brachet .- Je suis d'accord. Vous avez raison.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai une question relative à la situation des mineurs. On a pu observer ces dernières années un afflux de jeunes mineurs dans un certain nombre de départements qui ne sont pas forcément touchés par l'immigration irrégulière. Qu'en est-il aujourd'hui et avez-vous une idée sur cette situation particulière ? La situation a-t-elle évoluée ou non et dans quelles conditions ?
M. Olivier Brachet .- Du point de vue de la visibilité du phénomène, la situation a évolué. Aujourd'hui, il n'est plus délivré d'APS pour les mineurs de 16 à 18 ans qui viennent demander l'asile. Le résultat des opérations, c'est que, dans nos services, nous voyons trois fois moins de mineurs, mais nous avons le sentiment qu'il en vient autant. Simplement, ils ne rejoignent plus la procédure. C'est l'un des grands risques.
A l'OFPRA, actuellement, la demande d'asile de mineurs isolés a été divisée par deux et la réflexion est la même : le nombre de mineurs qui arrivent est à peu près le même, mais il est probable qu'ils rentrent de moins en moins dans des procédures. Cela veut dire qu'ils rejoignent des formes d'irrégularité accrue. C'est une crainte que nous avons.
S'il n'y a pas d'offre et si les mesures ne sont pas dissuasives, le flux s'accroît. Or personne n'a intérêt à avoir un maximum de gens qui ont échappé à des procédures. Les procédures ont un avantage : elles commencent et elles finissent. Si personne n'entre dans la procédure, il n'y a pas de début ni de fin ; il n'y a plus qu'un règlement policier et, comme vous le savez, ce n'est pas la solution unique.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Les mineurs isolés de moins de 16 ans ne peuvent pas demander des procédures, mais, d'un autre côté, ils ont accès aux systèmes et aux institutions qui existent. Par exemple, j'ai vu récemment, dans la région marseillaise, des institutions qui travaillent en partenariat total avec la préfecture, le Conseil régional ou le Conseil général sur ces mineurs isolés, justement. Il y a donc une contradiction totale puisqu'ils ne rentrent pas dans les procédures mais qu'en même temps, on est obligé de les traiter à travers les institutions. Y a-t-il une intervention possible à cet égard ?
Par ailleurs, vous nous dites que vous travaillez avec les institutions, notamment sur l'approche des textes, mais le faites-vous également pour suivre les demandeurs d'asile ? En discutant avec des associations, j'ai constaté que, parmi les personnes qui font une demande d'asile auprès de l'OFPRA, celles qui sont suivies et assistées dans leur demande sont beaucoup moins souvent déboutées. Cela voudrait-il dire que ceux qui demande l'asile et qui sont déboutés, qui représentent 80 % aujourd'hui, le sont parce qu'ils n'ont pas les éléments qui leur permettent de demander l'asile correctement ? Dans ce cas, ne faudrait-il pas qu'il y ait plus de soutien à leur demande d'asile ?
Enfin, vous parlez de pays sûrs. Cette notion est-elle la même au regard de l'Union européenne ? Si c'est la même que celle qui existe dans les directives et les résolutions de l'Union européenne, il y a quelques difficultés. En effet, certains pays sont inscrits comme pays peu sûrs et, malgré cela, on signe des conventions de réadmission ou même d'association avec ces pays. Ne pensez-vous pas qu'il y a une contradiction ?
Je peux prendre l'exemple de la Tunisie : on sait que ce pays n'est pas très sûr en termes démocratiques mais, d'un autre côté, les accords d'association qui existent font que les Tunisiens qui, aujourd'hui, demanderaient l'asile conventionnel ont quelques chances, puisqu'on connaît la situation en Tunisie.
M. Olivier Brachet .- La Tunisie n'est pas classée en pays sûr : seulement douze pays ont été classés en pays sûrs.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Je le sais bien, mais, d'un autre côté, on signe des accords avec elle.
M. Olivier Brachet .- Des accords de réadmission.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Et aussi des accords d'association.
M. Olivier Brachet .- Oui, mais ils n'ont pas d'incidence sur le traitement, dans le cadre de la convention de Genève, d'une demande d'asile qui viendrait de Tunisie et qui serait traitée ordinairement, comme toute autre demande d'asile de n'importe quel autre pays.
Sur la question des pays sûrs, la directive sur les procédures a été adoptée le 3 décembre au niveau de l'Union européenne et a renvoyé à plus tard la question de la liste commune des pays sûrs parce qu'il n'y a pas d'accord entre les pays d'Europe sur cette liste. Dans le cadre de la loi de 2003, il appartient à l'OFPRA de définir cette liste en attendant que l'Union européenne ait défini sa propre liste, mais il y a un désaccord entre les pays sur cette liste. Par conséquent, nous avons une pratique nationale des pays sûrs en attendant les annexes à la directive sur les procédures, qui a été reportée et qui ne viendra peut-être que plus tard.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Comment faites-vous face à toutes ces contradictions ?
M. Olivier Brachet .- Je suis comme vous : c'est compliqué. Notre problème est de voir si, de notre point de vue, il y a encore des problèmes de protection en cas de renvoi. Dans ce cas, rassurez-vous : nous intervenons s'il le faut, mais nous ne le faisons pas s'il ne le faut pas. Nous ne sommes pas contre le renvoi de quelqu'un dans son pays s'il n'a pas un problème de protection au sens de la convention de Genève, mais s'il y a un problème, nous le signalons.
Cela me fait venir à votre deuxième point. Nous avons évidemment intérêt à avoir, dans le plus grand nombre d'endroits, des procédures de discussion entre les institutions de l'Etat, les conseils généraux, les collectivités locales et la société civile, c'est-à-dire la société organisée, sous réserve que ce dialogue soit opérationnel. Il ne faut pas que ce soit un lieu de règlement de comptes.
Dans le Rhône, nous trouvons des solutions dans la discussion parce que nous évitons de nous juger dans notre action et que nous préférons régler des dossiers et des problèmes par des lectures, des applications et des déclinaisons de textes. Par conséquent, rien que dans ce terrain assez technique, beaucoup de choses peuvent être entreprises de manière positive.
Je pense donc qu'on ne doit pas lever le pied sur ces questions d'accompagnement. Personne n'a intérêt à ce que ces populations soient abandonnées au niveau de l'accompagnement, parce que ceux qui souffriront le plus, in fine, seront les préfets, qui ne seront même pas renseignés sur la situation effective des personnes et qui auront donc tendance à renoncer à prendre des décisions trop peu éclairées.
Il est vrai que, dans tous les dispositifs accompagnés, le taux d'accès au statut de réfugiés est sensiblement plus élevé, puisque vous savez que la moyenne du taux d'accès au statut de réfugiés dans les CADA est de l'ordre de 60 à 65 %, alors qu'il est de 20 % ordinairement. Il y a des biais et des explications. Nous avons longtemps réclamé qu'une étude soit confiée à un bureau d'experts pour examiner cette différence, dans le taux d'accès au statut, entre ceux qui sont dans les centres et ceux qui n'y sont pas.
Dans le cadre du rapport de Mme Marie-Hélène des Esgaulx au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, des explications ont été données par le directeur de l'OFPRA et le directeur de la population et des migrations qui, à mon sens, sont insuffisantes. Il est indiqué par exemple que les Chinois ne rentrent pas dans les centres et qu'il est normal que les taux soient plus élevés. C'est vrai, mais si on veut savoir, il faut chercher. Or, dans ce domaine, on n'a pas assez cherché pour être sûr de la conclusion.
Très sérieusement, nous pensons que, lorsque la demande est accompagnée, elle obtient un meilleur résultat dans l'accès au statut. Dans les centres du Forum des réfugiés, nous avons environ un millier de places et le taux d'accès au statut est de 70 % alors qu'il est de 20 % en moyenne. Cela ne s'explique pas uniquement par le fait que nous sommes bons. Cela tient aussi au fait que nous n'avons pas les Maliens ou les Chinois, ni les nationalités à 0 % de statut. Il faut que les différents partenaires examinent tous ces facteurs minutieusement et sérieusement.
Quant à la question sur les mineurs, nous avons deux problèmes, nonobstant ceux que je signalais tout à l'heure : je crains que nous ayons aujourd'hui des mineurs qui ne soient plus nulle part dans aucune procédure. Il y a un gros problème d'examen des compétences, comme vous le savez. Les conseils généraux considèrent que ce sont des demandeurs d'asile et que c'est donc à l'Etat de faire l'effort. Les deux centres d'accueil pour mineurs isolés qui existent en France, celui de Taverny, géré par la Croix Rouge, et le CAOMIDA, de France-Terre d'asile, font l'objet de financements conjoints des deux collectivités, mais, d'une manière générale, la manière dont le travail est réparti entre les différentes instances concernées n'est pas très satisfaisante et je crains qu'aujourd'hui, alors que le flux est extrêmement sensible à l'embrigadement, au trafic d'êtres humains, à la prostitution et à différentes manipulations, personne n'ait à gagner de constater simplement qu'il y a moins de mineurs enregistrés sans se poser la question de savoir où sont ceux qui n'ont pas été enregistrés.
M. François-Noël Buffet , rapporteur .- J'ai encore deux questions à poser, la première étant purement matérielle. La loi de cohésion sociale, il y a un an, avait prévu des budgets supplémentaires pour augmenter les capacités d'accueil. Aujourd'hui, les choses se sont-elles concrètement améliorées et sont-elles entrées en phase d'exécution ?
M. Olivier Brachet .- En ce qui concerne les objectifs du plan de cohésion sociale, le nombre d'ouvertures de places en CADA a suivi le rythme qui avait été annoncé. Il reste que tout le monde convient que le dispositif serait cadré entre 25.000 et 30.000 places alors qu'il en est aujourd'hui à 19.000, c'est-à-dire que l'on n'est pas encore au terme du processus.
J'attire surtout votre attention sur le fait que, quelle que soit l'évolution des chiffres sur l'asile dans les années qui viennent, l'expérience a montré que cela monte ou baisse à toute vitesse mais que ce sont des cycles courts. Donc ne baissez pas la garde et ne pensez pas que, si cela baisse aujourd'hui, ce n'est pas la peine de monter à 25.000 ou 30.000 places parce que vous le regretterez dans cinq ou dix ans.
Les Allemands, les Hollandais, les Danois et les Anglais le font. Les Anglais et les Hollandais ont fermé 25.000 places d'accueil, mais il faut savoir les fermer et les rouvrir. Quand nous avions 10.000 places au début des années 80 et que nous sommes descendus à 3.000, nous avons mis vingt ans pour remonter à 20.000. Or le seul défaut de prise en charge fait partie du raisonnement que j'ai fait au départ : s'il n'y a rien, il y a tout !
M. François-Noël Buffet , rapporteur .- J'ai une dernière question. On entend régulièrement dire qu'il y a trop de demandes d'asile et j'ai cru comprendre dans ce que vous avez dit qu'en réalité, l'unicité de procédure fait que tout le monde se regroupe sur cette procédure pour obtenir un titre de séjour. Pour autant, y a-t-il d'autres raisons qui font que les demandes d'asile augmentent ?
M. Olivier Brachet .- Il faut être extrêmement prudent sur le plan des quantités. Nous avions 62.000 demandes d'asile en 1989 et nous en sommes à 60.000 aujourd'hui. Entre 1990 et 2005, nous avons toujours entre 20.000 et 60.000 demandes d'asile. Par conséquent, nous sommes dans une fourchette courte qui, compte tenu des événements des années 1990, ne permet pas de dire que les mouvements sont insensés, surtout quand on est à proximité des conflits. Maintenant, on vient à pied. On n'est pas obligé de venir de Santiago du Chili, du Laos ou du Vietnam. On vient d'endroits instables et il n'en manque pas. Le Caucase est instable et il y aura des demandes d'asile et des flux importants venant du Caucase, d'Azerbaïdjan et de toutes ces régions.
Par conséquent, premièrement, il ne faut pas baisser la garde sur l'équipement ; deuxièmement, nous ne sommes pas dans des chiffres hallucinants (cela va de 20.000 à 60.000) ; troisièmement, tant que nous n'aurons pas décliné quelle est notre politique migratoire, nous ne saurons pas expliquer aux gens pourquoi il faut prendre telle voie ou telle autre, quitte, dans tous les cas, à se voir souvent dire non. Je vous rappelle que, dans les demandes d'asile, on dit non huit fois sur dix. Dans la politique migratoire, c'est cent fois sur cent que l'on répond négativement parce qu'on n'en a pas. Si ce n'était que vingt fois sur cent, on y verrait peut-être plus clair.
M. Georges Othily, président .- Je vous remercie, monsieur Brachet. Nous vous avons écouté avec beaucoup d'attention et nous essaierons de profiter au maximum de ces informations que vous nous avez données pour essayer de clarifier tous ces problèmes.
M. François-Noël Buffet , rapporteur .- Une note nous a été remise et elle pourra être jointe.
M. Olivier Brachet .- C'est une note que nous n'avions pas faite pour vous spécialement, mais que nous vous remettons très volontiers. Il s'agit d'une série d'effets techniques liés à l'accélération des procédures du type de celles que je vous ai dites tout à l'heure, notamment le fait de savoir comment on peut retirer un courrier à la Poste quand on n'a pas de titre de séjour.