Audition de M. Philippe LEYSSÈNE,
directeur des affaires économiques, sociales
et culturelles au ministère de l'outre-mer
(21 février 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Je vous remercie, monsieur Leyssène, d'avoir répondu à notre convocation.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Philippe Leyssène prête serment .

M. Georges Othily, président .- Acte est pris de votre serment. Dans votre exposé liminaire, vous allez nous faire part de ce que vous savez sur le sujet, après quoi le rapporteur, mes collègues et moi-même vous poserons quelques questions.

M. Philippe Leyssène .- Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les membres de la commission d'enquête, vous avez souhaité m'entendre, dans le cadre des travaux que conduit votre commission, sur la question de l'immigration clandestine outre-mer.

En tant que directeur des affaires économiques, sociales et culturelles au ministère de l'outre-mer, je centrerai mon intervention sur les aspects économiques et sociaux de l'immigration clandestine pour autant qu'il soit possible de les apprécier et de les quantifier, car c'est en soi une difficulté.

Par conséquent, je n'aborderai pas tout ce qui concerne les moyens de lutte directe contre l'immigration clandestine par l'emploi des forces de sécurité ou des moyens coercitifs, notamment en matière pénale. Votre commission a prévu d'entendre prochainement le directeur des affaires politiques, administratives et financières du ministère de l'outre-mer en charge des affaires régaliennes et je pense qu'il sera à même de vous apporter les précisions et les éclairages nécessaires sur ce point. Je ne reviendrai pas non plus sur les chiffres eux-mêmes de l'immigration, qui sont connus.

Je crois important, au préalable, d'évoquer trois points qui me paraissent importants pour bien comprendre ces aspects économiques et sociaux.

Le premier, c'est que cette immigration se caractérise par son ampleur dans l'outre-mer. Elle n'est pas propre à l'outre-mer, mais elle y revêt un caractère de masse qui lui donne un relief particulier sur les questions qui me préoccupent. On évoque généralement un seul élément quantitatif que je vous rappelle : l'outre-mer fait à lui tout seul la moitié des reconduites à la frontière de France et la moitié de ces reconduites concernent Mayotte. La première caractéristique à avoir à l'esprit est donc celle de l'effet de masse.

Le second point, c'est que cette immigration se caractérise par le contexte géographique particulier dans lequel elle s'inscrit : l'insularité, pour certaines de nos collectivités d'outre-mer, la dimension des territoires rendant difficile le contrôle des frontières, certaines habitudes qui ont trait à l'histoire des mouvements migratoires et l'environnement géographique de pays en voie de développement ou déstabilisés politiquement ou socialement. Tout cela donne à l'immigration clandestine un relief particulier sur lequel j'aurai l'occasion de revenir dans ma courte présentation.

Le troisième point sur lequel je tiens à insister dans mes propos liminaires concerne les effets déstabilisants sur l'économie et la société : délinquance de voie publique, travail dissimulé, besoins accrus en équipements publics, xénophobie, autant de conséquences sur la vie quotidienne des Français d'outre-mer que nous ne pouvons pas ignorer et dont j'ai à traiter dans le cadre de mes attributions.

Trois régions d'outre-mer sont plus particulièrement concernées : les Antilles, avec notamment la Guadeloupe, qui connaît une très forte immigration d'origine principalement haïtienne ; la Guyane, marquée par l'immigration brésilienne, surinamienne et guyanienne ; l'Océan indien, avec le cas de Mayotte et de l'immigration comorienne. Nous avons deux sujets très lourds à traiter qui concernent Mayotte et la Guyane et nous constatons une progression forte et inquiétante concernant la Guadeloupe.

Il est assez difficile de traiter de l'immigration clandestine dans le domaine économique et social parce qu'on se heurte assez vite à la question de la mesure de ses conséquences et de son impact. Je serai donc prudent sur les chiffres que je pourrai vous donner. Nous disposons de marqueurs ponctuels, mais, pour le reste, nous avons des estimations et des évaluations qui nous invitent à la prudence dans ce que nous pouvons faire en matière économique et sociale.

Je vous propose d'aborder ces questions économiques et sociales en matière d'immigration clandestine de deux façons. La première est d'essayer de voir en quoi la dimension économique et sociale de l'outre-mer peut être à l'origine de cette immigration ; la seconde est d'examiner les impacts économiques et sociaux de cette immigration sur les économies d'outre-mer. Bien évidemment, dans les quinze à vingt minutes qui me sont imparties, je ne donnerai que les grandes lignes de ce qui me paraît devoir être abordé, étant entendu que je reste à votre disposition pour des questions plus précises sur chacun des points que je vais évoquer.

En quoi la prise en compte de la dimension économique et sociale de nos départements d'outre-mer peut-elle être à l'origine de l'immigration clandestine ? Personnellement, je vois trois facteurs qui se cumulent.

Le premier est celui du niveau de richesse des collectivités d'outre-mer qui en font un îlot de prospérité dans leur environnement géographique. Je me permettrai simplement de donner quelques chiffres sur le PIB par habitant. Lorsqu'on considère les dernières statistiques disponibles sur l'espace des Caraïbes que nous fournit l'INSEE, on s'aperçoit que la Guyane a un PIB par habitant 13 fois supérieur à celui du Surinam, 39 fois supérieur à celui d'Haïti et 15 fois supérieur à celui du Guyana. De même, on constate que le PIB par habitant de la Guadeloupe est 48 fois supérieur à celui d'Haïti et que celui de la Martinique l'est 50 fois. Ce simple constat montre bien le côté attractif de nos départements d'outre-mer dans leur environnement géographique.

Pour Mayotte, qui est notre deuxième préoccupation, nous avons, dans le cadre des travaux que nous conduisons sur l'évolution du statut européen de cette collectivité, fait calculer le PIB par l'INSEE et, pour le résumer en une phrase, il apparaît que si le PIB par habitant de Mayotte est trois fois inférieur à celui de La Réunion, il est neuf fois supérieur à celui des Comores.

Cela nous donne une idée non seulement de l'attractivité que représentent nos collectivités d'outre-mer mais aussi des flux que cette attractivité peut générer.

Le deuxième facteur sur lequel je souhaite appeler l'attention de votre commission est l'attractivité en matière sanitaire et sociale qui fait de nos départements d'outre-mer, notamment les plus touchés par cette immigration, des sortes de terres promises. La France offre une qualité de prise en charge en matière sanitaire et sociale qui est sans commune mesure avec ce que l'on peut trouver dans les Etats voisins de ces départements. Les hôpitaux d'outre-mer, par exemple, offrent un plateau technique, des prestations et des prises en charge médicales que l'on ne trouve pas par ailleurs et qui sont autant d'aimants au profit de ces populations en difficulté.

J'ajoute que, si nos prestations sociales sont toutes soumises à des conditions de nationalité et de séjour régulier, nous offrons deux dispositifs qui permettent de prendre en charge, en matière sanitaire, les étrangers en situation irrégulière :

- l'aide médicale d'Etat (AME), qui a été réformée en 2003 pour introduire une condition de séjour de telle sorte que tout étranger en situation irrégulière ne pourra bénéficier de l'AME que dans la mesure où il est présent sur le territoire depuis au moins trois mois ;

- le dispositif des soins urgents qui est, en gros, la même chose que l'AME, mais qui bénéficie à des étrangers en situation irrégulière ayant une durée de séjour connue inférieure à trois mois. A cet égard, les chiffres sont assez éloquents en termes de bénéficiaires et de coûts et ils positionnent bien les départements d'outre-mer, en particulier la Guyane, dans une position très difficile.

Nous notons donc une forte attractivité sanitaire et sociale des collectivités françaises d'outre-mer.

Le troisième facteur que je retiendrai relève d'une dimension politico-culturelle. Je citerai notamment la proximité géographique (Anjouan n'est qu'à 80 kilomètres de Mayotte, qui a fait partie pendant longtemps de cet archipel, et il s'y créée évidemment des liens) ou la présence d'un fleuve qui, en droit international, est une frontière qui sépare deux Etats et qui est également un moyen de communication : on voit que les populations locales qui vivent au bord du fleuve s'en servent comme moyen de communication et peuvent passer d'une rive à l'autre sans pour autant avoir la perception de se trouver en situation irrégulière.

J'ajouterai pour mémoire le fait que la France est un Etat de droit, stable et démocratique, un Etat de sécurité, ce qui n'est pas le cas de l'ensemble de ceux qui avoisinent les collectivités d'outre-mer. Je pense qu'en l'espèce, la situation d'Haïti peut expliquer la forte immigration, en sus des difficultés économiques et des différentiels de niveaux de développement économique que j'évoquais précédemment.

Voila, de manière très schématique, les points que je souhaitais aborder pour expliquer l'attractivité de nos collectivités d'outre-mer.

Bien évidemment, il se pose maintenant la question de l'impact économique et social de l'immigration clandestine. Comme je l'ai dit en introduction, cet impact est assez difficile à mesurer parce que, par définition, les étrangers sont en situation irrégulière, c'est-à-dire clandestins. Nous essayons donc de mesurer une chose que, naturellement, on cherche à cacher. Cependant, nous disposons de quelques indicateurs -j'ai évoqué l'AME et les soins urgents- qui nous permettent d'essayer de mesurer ou de suivre une évolution des conséquences de cette immigration.

J'aborderai ici trois points qui me paraissent importants : le premier a trait aux conséquences économiques globales et générales ; le deuxième relève des conséquences sur la vie quotidienne des Français d'outre-mer ; le troisième concerne la problématique de l'insertion régionale et du développement économique des collectivités.

Premier point : les conséquences économiques de cette immigration clandestine. J'évoquerai à cet égard deux aspects : le travail illégal, d'une part, et une activité sectorielle que j'illustrerai au travers du tourisme, d'autre part.

Comme l'immigration clandestine, le travail illégal est par nature une chose difficile à mesurer, d'autant plus que l'on essaie de mesurer deux clandestinités qui se chevauchent, étant entendu que le travail illégal n'est pas l'exclusivité des personnes en situation irrégulière. Le travail illégal concerne des personnes en situation tout à fait régulière : c'est le cas classique du travail dissimulé. On constate d'ailleurs des différences typologiques concernant cette question selon les collectivités d'outre-mer. En effet, si je devais résumer les choses, je dirais qu'en Guyane, à Mayotte, pour autant que l'on puisse le mesurer, et en Guadeloupe, la proportion de personnes en situation irrégulière découvertes dans une situation de travail illégal est beaucoup plus importante qu'en Martinique, qui est dans une situation plus classique, au sens métropolitain du terme, vis-à-vis du travail illégal. En Martinique, on est davantage dans une logique de travail dissimulé que d'emploi de travailleurs en situation irrégulière.

Au vu des données que nous fournit l'INSEE dans ses enquêtes sur l'emploi -notamment le taux de l'emploi non déclaré dans l'emploi global-, on mesure une relative stabilité depuis 2001 : autour de 10 à 12 % pour la Guyane et la Guadeloupe, de 7 à 8 % pour la Martinique et de 5 % pour La Réunion. Cette stabilité, au regard des flux migratoires, est la marque d'une certaine efficacité dans les actions qui ont été entreprises ces dernières années pour lutter contre le travail illégal.

Le travail illégal touche outre-mer tous les secteurs d'activité employant beaucoup de main-d'oeuvre, les plus classiques étant ceux du BTP, de l'hôtellerie et de la restauration, des transports, mais aussi des spectacles et de la coiffure, avec des particularités liées à certaines collectivités -je pense notamment, en Guyane, à l'orpaillage clandestin.

Le travail illégal couvre donc un spectre assez large dans les différents secteurs d'activité avec, en priorité, ceux qui concernent le plus l'emploi de main-d'oeuvre peu qualifiée.

Je constate que, curieusement, Mayotte n'a pas d'antenne de l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) alors qu'elle aurait peut-être permis d'organiser des flux de personnes étrangères venant travailler régulièrement à Mayotte, l'immigration pouvant être un facteur de développement économique quand on a besoin de main-d'oeuvre. Il n'y a pas d'outils pour organiser ce flux migratoire en cohérence avec les besoins de développement.

Le travail illégal, qui concerne l'ensemble des collectivités d'outre-mer avec une présence très forte pour Mayotte et pour la Guyane et une montée en puissance assez marquée pour la Guadeloupe, affecte l'ensemble des secteurs économiques, principalement ceux qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre, notamment ceux que je viens de citer, avec quelques particularité locales, notamment l'orpaillage clandestin.

Je reste sur les aspects économiques et j'en viens au deuxième point que je souhaite aborder : le tourisme, qui est un élément important de développement outre-mer et qui peut être affecté par cette immigration clandestine parce qu'elle peut poser des problèmes de sécurité (les touristes aiment se déplacer dans des territoires sûrs) et des problèmes d'environnement et de conservation du patrimoine et que, d'une manière plus générale, elle affecte la destination touristique et donc l'image d'une collectivité.

Au travers de ces quelques idées très simples, on voit comment, au-delà des difficultés intrinsèques que peut avoir une activité par ailleurs, l'immigration peut influer sur le développement des filières.

J'en viens aux conséquences sur la vie quotidienne des Français d'outre-mer, que j'aborderai sous trois angles : le logement, les questions d'éducation et les besoins en équipements collectifs.

Je commence par les questions liées au logement. Bien évidemment, cet afflux de population pose la question simple, si j'ose dire, de leur logement. Si on considère les chiffres qui se rapportent aux conséquences de cette immigration forte, notamment ceux de l'habitat insalubre, et les dernières mesures qui permettent d'apprécier l'évolution entre 1998 et 2003, on constate une augmentation très marquée de l'habitat insalubre sur deux collectivités : à Mayotte (+ 42 %), et en Guyane (+ 30 %), l'augmentation étant de 5 % en Guadeloupe et La Réunion connaissant une baisse de 3 à 4 %.

On voit ainsi tout de suite que l'immigration massive de population crée de l'habitat insalubre, à la fois parce qu'on n'a pas les moyens de faire face à cette immigration et parce que les populations en situation irrégulière ne sont pas éligibles aux dispositifs classiques du logement social, ce qui aboutit au développement de bidonvilles -il faut bien utiliser ce mot- autour des agglomérations principales, que ce soit à Mamoudzou pour Mayotte ou à Cayenne pour la Guyane, avec des phénomènes classiques comme le pillage des réseaux collectifs d'électricité, voire de téléphone, qui sont extrêmement difficiles à traiter.

Je prendrai l'exemple de Mayotte qui me paraît révélateur de cette grande difficulté que nous avons à faire face à ces problèmes. Je résumerai les choses en disant que les deux tiers des étrangers sont centrés sur trois communes (Mamoudzou, Koungou et Dembeni), que la commune de Mamoudzou regroupe à elle seule 44 % des étrangers et que c'est l'unique commune de Mayotte dans laquelle il y a plus d'étrangers que d'habitants natifs de Mamoudzou. C'est donc une donnée assez importante à prendre en considération et qui pose des problèmes de mixité sociale, si j'ose employer ce terme.

A cela s'ajoutent des phénomènes plus difficiles à cerner mais que l'on pressent bien et qui sont liés à l'évolution de la nature même de l'immigration. Par exemple, alors que, jusqu'à 1997 ou 1998, c'étaient plutôt des hommes comoriens qui émigraient vers Mayotte, on constate que ce sont maintenant plutôt des femmes, ce qui implique la constitution de couples mixtes avec des natifs mahorais français et des femmes comoriennes. Pour autant que je puisse le comprendre d'après les données qui m'ont été fournies, ce taux pourrait avoisiner 20 % des ménages, ce qui n'est pas neutre.

En effet, parmi les problématiques de Mayotte, figure la transmission du foncier qui peut servir à bâtir parce qu'on en aurait les moyens, avec notamment les fameuses cases de la Société immobilière de Mayotte. Le foncier se transmet par les femmes et la Comorienne qui arrive n'a pas le foncier à mettre à disposition de sa famille pour bâtir la maison qui pourrait servir à l'abriter. C'est un phénomène qui aggrave la situation.

L'immigration est donc source d'habitat insalubre et précaire (c'est très net pour la Guyane et Mayotte) qui nous pose d'énormes difficultés en termes de politique du logement et de résorption de l'habitat insalubre.

Le deuxième point que je souhaite aborder concernant les conséquences sur la vie quotidienne des Français d'outre-mer a trait aux questions éducatives. L'effet de masse que j'évoquais confronte nos collectivités à deux grandes difficultés.

La première est un défi quantitatif, dans la mesure où il faut faire face aux besoins de scolarisation des enfants. A Mayotte, par exemple, les élèves scolarisés ont été multipliés par deux sur dix ans (on en arrive à environ 60.000 élèves aujourd'hui). On estime la part des enfants dont les parents sont en situation irrégulière à au moins un tiers et le taux de croissance des effectifs du secondaire est de 5 %.

Cela veut dire qu'au phénomène du développement démographique normal d'une population déjà particulièrement dynamique, s'ajoutent ces flux migratoires qui viennent déséquilibrer complètement les structures pour les rendre inadaptées aux besoins à satisfaire. Pour la Guyane, je ne prendrai qu'un chiffre : on estime à environ 4.000 le nombre d'enfants non scolarisés dans ce département.

Ce défi quantitatif extrêmement important a pour conséquence de générer des plans d'investissement ambitieux en matière de constructions scolaires, de collèges et de lycées et, notamment pour les écoles, les communes ont beaucoup de mal à faire face à leurs besoins exponentiels d'investissement pour construire les écoles dont elles ont besoin.

Le deuxième point que j'évoquerai est un défi qualitatif. On sait que l'immigré en général, et en particulier l'immigré irrégulier, maîtrise assez mal la langue française, ou même ne la maîtrise pas du tout, et que cette situation rend difficile l'assimilation des savoirs à l'école. On constate ainsi, dans nos écoles, des retards scolaires assez importants et c'est un facteur qui vient encore aggraver la situation.

La question est de savoir comment on pourrait prendre en compte cette population irrégulière dans les ressources des collectivités locales, notamment des communes. L'INSEE effectue chaque année des recensements de population servant de base au calcul de la DGF et le dernier recensement date de 1999. On voit ainsi qu'en Guyane, on est sur un taux annuel de coût moyen de 3,5 % de la population, ce qui montre l'importance de l'immigration irrégulière et ce qui explique le décalage important qui existe entre le calcul de la ressource et les besoins à financer. En l'espèce, nous invitons les maires à se lancer dans des recensements complémentaires, ce qui leur permettrait de retenir la population telle qu'elle est calculée par l'INSEE dans le calcul de leur DGF.

Voilà ce que je peux dire en matière d'éducation.

Vous me permettrez de dire un mot du service militaire adapté (SMA), qui est constitué d'unités militaires du ministère d'outre-mer et qui est affecté par cette immigration irrégulière. Cet outil original que met en place le ministère de l'outre-mer n'est pas concerné directement en ce qui concerne son recrutement puisqu'il ne recrute que des Français, mais je vous donnerai quand même quelques chiffres : en Guyane et à Mayotte, 2 % des candidats qui se présentent aux portes du SMA sont en situation irrégulière.

La formation et le recrutement ne sont pas affectés. En revanche, cela affecte l'insertion professionnelle que propose le SMA qui, parce qu'il traite lui-même des jeunes en grande difficulté, leur propose une formation qui est concurrencée par des jeunes qui sont en situation irrégulière. Cette sorte de concurrence déloyale qui est faite sur certaines filières explique pourquoi les taux d'insertion des unités du SMA à Mayotte et en Guyane sont bien inférieurs à ceux que l'on constate globalement pour l'ensemble de l'outre-mer.

Pour compenser ce que j'appelle cette concurrence déloyale, nous essayons de donner des atouts supplémentaires à nos jeunes stagiaires comme le permis de conduire ou le développement de ce qu'on appelle le savoir-être, notamment le fait d'arriver à l'heure sur un chantier, une qualité qui est appréciée par les chefs d'entreprise, des atouts que n'ont pas spontanément les jeunes en situation irrégulière. En contrepartie, cela allonge la durée des formations et cela nous oblige donc à diminuer le volume des stagiaires.

Voilà le petit éclairage que je voulais donner sur le SMA, qui est un outil important d'insertion outre-mer et qui est un bon moyen pour mettre le doigt sur les conséquences de l'immigration irrégulière sur la mission du SMA.

Je dirai également un mot sur les besoins en équipements collectifs, notamment en matière sanitaire et sociale et en matière hospitalière. L'immigration clandestine, qui entraîne un afflux vers les infrastructures que nous proposons, a pour conséquence de saturer les dispositifs et de diminuer la qualité de l'offre de soins qui est offerte aux populations guyanaises ou mahoraises.

Mon dernier point concerne l'insertion régionale. Je pense qu'on ne peut pas concevoir aujourd'hui le développement économique durable des collectivités d'outre-mer sans le concevoir dans leur environnement géographique naturel. C'est donc un axe qu'il faut s'attacher à développer, notamment avec la Commission européenne, dans le cadre de la programmation financière 2007-2013.

J'évoque ce sujet parce que nous avons des outils, que nous pouvons faire des choses et que la question qui se pose au regard de cette problématique est simple : comment assurer ce développement économique durable de l'outre-mer dans cette démarche d'insertion régionale renforcée avec ces flux migratoires et ce différentiel de richesse que j'évoquais au début de mon propos ? Si on développe le commerce et les échanges, on va forcément développer les flux de population. Il y a donc des choses à faire dans ce domaine et j'évoquerai plusieurs points à ce sujet.

Le premier concerne les fonds de coopération régionale qui sont gérés de manière décentralisée dans le cadre de comités de gestion locaux et qui ont été mis en place par la loi d'orientation pour l'outre-mer du 13 décembre 2000. Cela pourrait être un outil de coopération régionale permettant de prendre en compte certaines questions liées à l'immigration.

Lorsque vous verrez M. Samuel, qui suit précisément ces questions, il évoquera sans doute ce point avec vous. On peut dire aujourd'hui que ces fonds sont principalement orientés vers des sujets à dimension culturelle et sportive qui sont louables en soi, mais que la dimension de l'immigration n'est pas vraiment prise en compte.

Le deuxième aspect que l'on peut développer est celui de la coopération économique avec les Etats pourvoyeurs d'immigrants. Il y a beaucoup de choses à faire à cet égard, notamment avec le ministère de la coopération et son bras armé principal qui est celui de l'Agence française de développement. On y travaille en collaboration. Le document cadre de partenariat que met en place ce ministère tient compte, pour les Etats qui nous concernent, de nos problématiques. Je constate que cela pourrait être un bon moyen de développer la coopération décentralisée et que l'Agence française de développement pourrait être valablement autorisée à gérer, pour le compte des collectivités locales, un certain nombre de moyens pour leur permettre de développer ces moyens de coopération.

Le troisième point que j'évoquerai, toujours dans cette problématique de l'insertion régionale, a trait à la coopération transfrontalière et transnationale, qui est un axe important de la prochaine programmation financière européenne 2007-2013. Il y a beaucoup de choses à faire pour prendre en compte la dimension locale et régionale, notamment en Guyane, puisque Mayotte n'est pas concernée, et il y a également des actions à conduire en matière de justice ou de lutte contre l'immigration clandestine.

Le 10 ème programme du Fonds européen de développement (FED), dont on discute actuellement, pourrait aussi promouvoir des programmes régionaux d'insertion économique au profit de Mayotte, qui n'est pas éligible aux fonds structurels mais au fonds européen de développement, comme vous le savez.

Le dernier point sur lequel je souhaite insister dans le cadre de cette problématique parce qu'il n'est pas neutre en termes de développement économique comme en termes d'immigration clandestine, c'est la question des accords de partenariat économique. En application de l'accord de Cotonou en 1999, la Commission européenne nous invite à mieux insérer nos collectivités dans leur espace économique régional et souhaiterait que nous développions encore les échanges avec les Etats environnants. C'est une chose à laquelle nous travaillons en partenariat étroit avec les collectivités locales, mais il se pose d'entrée la question de ces flux migratoires qui vont être générés ou suivre les flux économiques et commerciaux.

Cette préoccupation revient du terrain, au-delà même de la problématique de la compétitivité et de la concurrence déloyale que nous risquons d'organiser avec des systèmes sociaux assez différents dans chacune des zones.

Voilà, à grands traits, ce que je voulais vous dire, en vous demandant de me pardonner de n'avoir que survolé chacun des sujets.

L'immigration, en soi, n'est pas une mauvaise chose : elle peut être un facteur de développement. On constate cependant que, dans la façon dont elle se déroule outre-mer, c'est aujourd'hui un frein durable au développement. Il est donc nécessaire de prendre en compte les dimensions économiques et sociales en se demandant pourquoi les immigrés viennent chez nous et ce que nous devons faire quand ils sont chez nous.

Il reste évident que l'efficacité première réside dans les mesures de police et de coercition que nous pourrons mettre en oeuvre pour contenir ces immigrations, mais que, finalement, nous sommes confrontés aujourd'hui à deux thèmes importants.

Le premier est la nécessité de trouver un équilibre entre des exigences humanitaires qui font que, les gens étant chez nous, on ne va pas, au motif qu'ils sont irréguliers, ne pas s'occuper d'eux, ne serait-ce qu'au nom de l'honneur de la France et des collectivités d'outre-mer, étant entendu que, de toute façon, il se poserait des problèmes de santé publique si nous ne suivions pas ces populations souvent fragiles qui viennent dans nos collectivités. Il faut donc arriver à un équilibre entre ces exigences humanitaires et les conséquences économiques et sociales de ce phénomène sur la vie de nos concitoyens.

Le deuxième est le fait qu'aujourd'hui, nous sommes dans une situation qui n'est plus tenable pour les populations concernées au quotidien par ces situations. De toute façon, non seulement il faut agir pour elles, mais en plus, on ne peut pas concevoir de développement économique durable de l'outre-mer si on ne traite pas cette question de l'immigration clandestine. Aujourd'hui, il faut effectivement se préoccuper de ces personnes quand elles sont chez nous, mais la vraie question, à mon avis, est de faire en sorte de les empêcher de venir. S'il y a une piste à creuser en complément de ce que l'on peut faire pour contenir les flux et les traiter lorsqu'ils sont chez nous, c'est celle qui consiste à coopérer avec les pourvoyeurs de ces populations pour voir comment les fixer sur leurs territoires d'origine.

Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, ce que je voulais évoquer brièvement devant vous.

M. Georges Othily .- Merci, monsieur Leyssène. Je donne la parole à monsieur le rapporteur.

M. François-Noël Buffet .- Monsieur le directeur, les gouvernements, qu'ils soient surinamien, brésilien (dans une moindre mesure) ou de la République fédérale islamique des Comores, sont-ils vraiment motivés et prêts à accepter cette coopération économique dans des conditions de transparence -je pèse mes mots- et d'efficacité opérationnelle ? Sentez-vous cette demande ou comment pourriez-vous imaginer qu'elle se passe afin qu'effectivement, les populations aient plus l'intention de rester sur leur territoire plutôt que de venir chez nous parce qu'elles auraient conscience d'un véritable développement sur leur territoire ?

M. Philippe Leyssène .- Officiellement, il y a cette volonté, monsieur le rapporteur, et je me garderai donc bien de la remettre en cause. Nous avons une problématique de transparence dans la politique que la France peut conduire et dans les moyens qu'elle peut mettre en oeuvre. Notre bras armé s'appelle l'Agence française de développement et je pense qu'il faut voir avec elle comment on pourrait garantir cette transparence dans l'emploi des fonds publics que l'Etat français pourrait mettre dans le cadre d'accords de partenariat.

Ces Etats se caractérisent effectivement par une certaine instabilité politique, et on sait que cette instabilité va de pair avec des problèmes déontologiques et de transparence. Par conséquent, il faut concevoir des méthodes de coopération adaptées au contexte politique de l'Etat avec lequel nous devons pouvoir traiter, mais il est vrai que c'est une préoccupation que nous devons avoir si nous souhaitons que les crédits que nous engageons soient bien utilisés pour les hôpitaux, les maternités ou les écoles que nous souhaiterions construire dans les Etats concernés.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Il semble que cela ait fonctionné au moins pour Albina, où un hôpital a été construit, mais où les Surinamiens ne se rendent pas.

M. Philippe Leyssène .- Je n'ai pas évoqué ce point parce que ce n'était pas dans le champ de mes responsabilités, sachant que l'on essaie de ne parler que de ce que l'on connaît, mais il est vrai que, parmi les points relatifs à l'attractivité, j'aurais pu ajouter celui de l'acquisition de la nationalité, qui a fait souvent débat. Je pense que, dans l'exemple que vous évoquez, il y avait, certes, l'attractivité des infrastructures sanitaires qui faisait que l'on venait accoucher ici plutôt qu'ailleurs et que l'on franchissait le fleuve, mais il y avait aussi l'espoir, si ce n'est pour soi, du moins pour ses enfants, de devenir français.

M. Louis Mermaz .- Monsieur le directeur, vous avez parlé avec beaucoup de finesse, de prudence et de réserve, ce qui est normal : on ne peut pas vous parler comme à un homme politique puisque vous êtes tenu à un droit de réserve. Si nous avions une conversation privée, vous en diriez beaucoup plus. Je vais donc plutôt faire une ou deux observations.

On pourra mettre toutes les forces de police que l'on veut, on n'empêchera pas les plus pauvres de venir chez les moins pauvres, et je ne vous demande pas de dire ce que vous en pensez. Georges Bush, qui n'est pas le plus grand des humanistes, se prépare à légaliser 14 millions d'immigrés parce qu'il trouve que cela fait beaucoup de main-d'oeuvre clandestine.

M. Buffet, notre rapporteur, vous a posé des questions difficiles, mais, comme vous l'avez dit, la coopération régionale est la seule façon de s'en sortir. La France est toute seule à Mayotte, alors qu'il y a le Mozambique, la Tanzanie, Madagascar et l'Union des Comores. Nous sommes là parce que nous nous y sommes trouvés en 1841. Je suis l'un de ceux qui sont allés à Mayotte -les autres sont allés ailleurs-, et j'y ai découvert une situation vraiment spéciale. En Martinique et en Guadeloupe, c'est plus facile. Certes, il y a Haïti, où on parle français d'ailleurs, et nous sommes allés là-bas aussi, de même qu'en Guyane.

Il n'y a pas d'autre solution que d'intéresser l'Europe, comme vous l'avez dit, à une coopération avec les voisins. L'un de nos collègues, M. Courtois, disait très justement qu'il faudrait faire comme les Chinois en construisant nous-mêmes dans l'Union des Comores, qui connaît effectivement de nombreux problèmes. Nous y sommes allés quelques heures et nous avons constaté qu'il y a beaucoup de bi-nationaux. Dans le fond, nous devrions être heureux de voir tant de gens qui veulent devenir français. C'est un sacré hommage à la France !

Je pense donc qu'il ne faut pas forcément transformer notre pays en une espèce de pays aseptisé avec un écriteau : « Défense d'entrer, chien méchant ! » Ce n'est pas la tradition française.

Je n'ai pas réglé vos problèmes, mais je voulais vous faire passer un message et je sûr que, même si vous ne pouvez pas me répondre, vous aurez été attentif à mes remarques car je sens que vous avez une certaine sensibilité qui vous honore.

M. Philippe Leyssène .- C'est la première fois que je suis auditionné et je ne connais pas les us et coutumes de ce genre d'exercice... Sur les mesures de police, je comprends bien ce que vous dites, mais je pense qu'aujourd'hui, lorsqu'on voit comment, en cinq ans, a évolué la banlieue de Mamoudzou, on prend la mesure des conséquences que tout cela peut avoir en matière d'insalubrité et de santé et il faut donc vraiment faire quelque chose.

Certes, il ne s'agit pas de dire qu'on va prendre uniquement des mesures de police, en ne faisant que de la répression ou de la coercition, ou qu'on ne va faire que du développement économique. Aujourd'hui, il faut arriver à combiner intelligemment les deux éléments et il ne faut pas baisser la garde dans ces secteurs, parce que l'avenir de ces collectivités est en cause. En effet, nous aurions pu développer les aspects de l'environnement et du développement économique durable -au sens anglo-saxon et non français du terme- qui est aussi en cause. C'est l'ampleur de ce phénomène et de son impact sur la vie quotidienne des Guyanais et des Mahorais qui impose que les deux éléments, de mon point de vue, soient menés de front.

Aujourd'hui, on constate qu'il faut faire les deux et qu'on a peut-être fait plus pour l'un que pour l'autre. Nous avons des outils pour développer cette coopération et ces échanges, mais, en même temps, le développement des échanges va générer des flux. Il faudra donc aussi que nous anticipions cette problématique et que nous en ayons conscience.

Il n'y avait donc pas d'exclusive dans mes propos mais uniquement un souci de réalisme au regard de mon vécu outre-mer, puisque j'ai la chance d'y aller régulièrement pour constater les choses sur place.

M. Louis Mermaz .- Vous avez dit une chose importante, monsieur le directeur, que j'ai notée moi-même à Mayotte : il y a un certain besoin de main-d'oeuvre pour le développement de cette petite île et non pas d'organisation de l'embauche, ce qui est très important. Or plusieurs fonctionnaires (des « métros ») nous ont dit là-bas : « On entend souvent dire : "les étrangers, dehors (c'est-à-dire les Comoriens) sauf celui que j'emploie clandestinement" ! »

Je ne dis pas que cela règlerait tous les problèmes, mais on pourrait peut-être déjà organiser l'accueil. Cela n'existe pas encore, mais ce serait à mon avis plus intéressant que de triturer le code de la nationalité.

M. Philippe Leyssène .- Je vais répondre sur les deux points. L'ANAEM que j'évoquais est l'ancien Office des migrations internationales, une structure qui organisait l'arrivée de travailleurs étrangers en fonction des besoins des économies. Il se trouve que, là-bas, c'est une chose qui n'existe pas, mais si on mettait cette structure en place, on ne règlerait pas le problème de l'immigration irrégulière. On pourrait commencer à organiser un circuit et un flux réguliers, mais je ne pense pas que l'on règlerait la situation.

Quant à la nationalité, je dirai simplement que c'est un attrait que nous constatons.

M. Louis Mermaz .- Il ne suffit pas de naître dans une clinique ou un hôpital pour être citoyen français : il faut attendre treize ans.

M. Philippe Leyssène .- Je ne vois pas comment on ne pourrait pas traiter ce sujet également. Ce n'est simplement pas mon secteur d'attribution et de réflexion...

M. Georges Othily, président .- Nous poserons la question à M. Samuel.

M. Philippe Leyssène .- Très bien. Pour revenir à la question que vous me posiez, monsieur le rapporteur, je dirai qu'en plus de tous les éléments attractifs que j'ai évoqués de manière objective, il y a celui-là.

M. Alain Gournac .- Je souhaite apporter quelques réflexions. Tout cela est très intéressant, mais nous avons un grave problème que vous n'avez pas évoqué en ce qui concerne Mayotte, où je suis allé également mais où je suis resté un certain temps, parce que je pense qu'il faut y vivre un peu pour voir la manière dont les choses se passent et qu'on ne peut pas voir tout cela en ne restant qu'une journée ou deux.

M. Louis Mermaz .- J'y suis resté quatre jours.

M. Alain Gournac .- Quand on constate que les enfants ne peuvent aller à l'école que le matin ou l'après-midi mais non pas toute la journée, c'est un fait de base. On peut raconter ce qu'on veut, mais c'est ce qui se passe. Quand on est maire et que l'on commence à avoir des mouvements devant la mairie (j'ai vu un maire qui a été séquestré, mais il y en a eu d'autres), on se pose des questions. Le propre de l'organisation d'un pays comme le nôtre, parce que je considère que la France est une totalité, est de ne pas accepter des situations inacceptables.

Cependant, je pense qu'il faut faire très attention, parce qu'on peut aussi attirer des gens qui seront parfaitement malheureux chez nous, comme j'ai pu le voir de nouveau à La Réunion, où il n'y avait presque plus de bidonvilles il y a quelque temps et où j'ai constaté récemment qu'ils sont à nouveau installés.

Enfin, il faut avoir une approche humaine des choses. On retrouve régulièrement des corps provenant de bateaux qui chavirent du fait du marchandage terrible qui a lieu et d'une traite humaine absolument affreuse. Nous ne pouvons pas accepter tout cela. Je pense que, globalement, on doit développer les pays tout autour, même si, comme mon collègue Mermaz, je pense que cela ne règlera pas tous les problèmes. Il faut aussi réguler les choses.

Sur le port, j'ai assisté à une manifestation de Comoriens qui demandaient que la France mette à disposition des bateaux pour aller faire le ramadan dans leurs îles ! Ils en sont arrivés à casser des choses pour cela. C'est pourquoi je pense qu'il faut avoir une approche humaine non pas en les faisant venir pour que les enfants mettent en difficulté l'ensemble du village mais pour qu'ils puissent aller à l'école toute la journée, être soignés, etc.

A mon avis, il faut avoir une approche équilibrée, en particulier sur Mayotte, parce que je partage votre point de vue sur la Martinique et la Guadeloupe, où l'approche doit être différente, même si nous devons rester très attentifs. Quand on aime les hommes, il faut aussi savoir les protéger et ne pas tomber dans des pièges d'eldorados qui n'existent pas.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- J'ai du mal à comprendre que l'on puisse parler, d'un côté, de la France dans sa totalité et, d'un autre côté, de la prise en compte des spécificités locales et régionales. Où est la part de l'un et de l'autre ? Où commencent les spécificités et où s'arrête la France dans sa totalité ? C'est toujours un peu difficile.

Par ailleurs, en ce qui concerne la question de l'attrait de la nationalité, j'ai du mal à comprendre où peut être cet attrait. En effet, comme vous le savez, il ne suffit pas de naître en France pour être Français : il faut remplir de nombreuses conditions. L'attrait de la nationalité se fait sur la longueur parce qu'il faut quand même qu'un enfant ait été scolarisé pendant treize ans ; si les parents ont eux-mêmes été en situation irrégulière, il faut même que l'enfant attende ses 16 ans ! Par conséquent, je cherche l'attrait de la nationalité.

M. Philippe Leyssène .- Je répondrai à votre première question que cela ne me paraît pas exclusif. La Guyane et Mayotte, c'est l'intelligence, la richesse et le coeur de la France, et je pense qu'on peut justement considérer que toutes les collectivités d'outre-mer peuvent être différentes et avoir des particularités. Je trouve qu'au contraire, c'est un signe de parfaite appartenance.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- C'est sur le principe.

M. Philippe Leyssène .- Moi qui fréquente régulièrement nos compatriotes d'outre-mer, je le ressens de cette façon. Ces questions de prise en compte et de particularité sont liées à l'existence de ces populations en tant que Français aussi. C'est ainsi que je le comprends.

M. Georges Othily, président .- Je veux simplement préciser à Mme Boumediene-Thiery que c'est la Constitution qui prévoit que, pour l'outre-mer, on peut être dans le domaine de la spécialité ou dans le domaine de l'assimilation. S'agissant des collectivités d'outre-mer, l'aspect de la spécialité vient du fait qu'il y a effectivement une grande spécificité dans les relations que la France, depuis son passé colonial jusqu'à aujourd'hui, doit tisser avec ces pays.

Ceux qui ont en charge la compétence de l'assimilation (qui a fait un grand débat depuis 1946, avec Gaston Monnerville, Aimé Césaire et les autres) ont voulu faire de ces territoires d'outre-mer des départements d'outre-mer, mais, jusqu'à aujourd'hui -je parle sous le couvert et l'autorité de M. Leyssène- toutes les lois et règlements ne sont toujours pas appliqués à ceux qui ont souhaité l'assimilation.

Par conséquent, il est vrai que nous sommes « spécifiques » par rapport à vous, mais, même si la France est une et indivisible, c'est ce côté pluriel qui fait aussi sa richesse.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- La richesse qui vient de cette spécificité culturelle est tout à fait reconnaissable et honorable. Le malheur, c'est que je trouve que les droits en général ne sont pas toujours aussi bien appliqués de manière universelle.

M. Georges Othily, président .- On ne peut pas les appliquer de manière universelle outre-mer. Si je prends le cas de Mayotte, entre le droit local et le droit commun, il y a tout un apprentissage à faire avec les peuples pour accéder au droit commun. C'est aussi le cas de la France elle-même qui, dans ses régions, quand on regarde l'histoire, a dû aussi, pas à pas, imposer des choses prétendument universelles parce qu'elles venaient de Paris, mais je suis sûr qu'il y a encore, en France, des régions où la totalité des lois de la République et des décrets ne s'applique pas.

Mme Catherine Tasca .- Je souhaite faire une simple remarque, monsieur le président. J'accepte tout à fait votre analyse de ce particularisme des territoires d'outre-mer. C'est bien pourquoi, dans notre réflexion globale sur la question de l'immigration clandestine, je pense qu'il faut prendre garde à ne pas assimiler la situation telle que nous l'avons constatée en Guyane et à Mayotte à la situation dans l'hexagone.

M. Georges Othily, président .- Monsieur le directeur, je vous remercie. Le débat continue ; c'est ce qui fait la force de notre commission, sa diversité et sa spécificité. En tout cas, nous saurons faire appel à vous si nous souhaitons avoir d'autres renseignements.

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