Audition de Mme Colette HOREL,
déléguée interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI)
(21 février 2006)

Présidence de M. Bernard FRIMAT, vice-président,
puis de M. Georges OTHILY, président

M. Bernard Frimat, président .- Madame Horel, vous êtes déléguée interministérielle à la lutte contre le travail illégal et nous allons vous entendre dans le cadre de notre commission d'enquête.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Colette Horel prête serment.

M. Bernard Frimat, président .- Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire qui permettra par la suite au rapporteur, aux membres de la commission et au président qui nous aura rejoint de vous poser toutes questions sur les points clés qu'ils souhaiteront aborder. Madame Horel, j'ai le plaisir de vous donner la parole.

Mme Colette Horel .- Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, vous souhaitez m'entendre sur le lien qui peut exister entre travail illégal et immigration clandestine ou irrégulière.

Comme on le dirait en mathématiques, ce sont deux ensembles qui ont une intersection mais qui ne se superposent pas exactement, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de coïncidence exacte entre ces deux ensembles pour la bonne raison qu'il existe bien d'autres formes de travail illégal que l'emploi d'étrangers sans titre, puisque c'est le libellé de l'infraction. Je vous rappelle que l'on utilise l'expression « travail illégal » et non plus « travail clandestin » depuis une loi de mars 1997 afin d'éviter d'introduire une confusion avec l'emploi de clandestins et de retenir une notion englobante, générique et générale qui est assez propre à la législation française et que les communautés européennes, notamment le Parlement européen, citent souvent.

Nous avons adopté cette notion au fil des ans et le dossier que nous avons établi et que nous vous avons envoyé montre que, d'après les statistiques tirées des procès-verbaux des différents corps de contrôle, cela représente, bon an mal an, environ 10 % de l'ensemble de la « verbalisation » du travail illégal.

Cependant, même si ce sont deux phénomènes distincts, ils se recoupent quand même de façon évidente puisqu'ils sont susceptibles de s'autoalimenter, la possibilité de trouver un travail illégal favorisant la venue ou le maintien sur notre territoire de personnes en situation irrégulière. On peut affirmer qu'un Etat qui laisserait se développer, sans la combattre, une part importante de ses activités productives sous forme illégale non seulement se priverait de ressources d'impôts et de cotisations sociales, désorganiserait son marché du travail, priverait les salariés de leurs droits et introduirait une concurrence très déloyale pour les entreprises, mais aussi, évidemment, favoriserait les flux d'immigration irrégulière. C'est pourquoi les enjeux sociaux et financiers ainsi que les enjeux de régulation du marché du travail, de protection des salariés, de respect des règles de la concurrence et de maîtrise des flux migratoires sont très imbriqués et très présents dans ce combat contre le travail illégal.

On peut donc parler de multiplicité d'objectifs, mais aussi de multiplicité de corps habilités à entrer dans cette dynamique. Les corps de contrôle qui peuvent réprimer le travail illégal et faire des procès-verbaux sont multiples : les OPJ, les forces de police et de gendarmerie, les inspecteurs du travail sous toutes leurs formes (inspecteurs du travail généralistes mais aussi ceux des transports et ceux de l'agriculture), les douaniers, les inspecteurs des impôts et les agents des URSSAF. Tous ces corps ont cette fonction répressive parmi leurs compétences, mais ils n'ont pas tous les mêmes compétences. L'infraction d'emploi d'étrangers sans titre, par exemple, c'est-à-dire celle qui nous intéresse, ne peut pas être relevée par les inspecteurs des impôts ni par les agents des URSSAF pour la bonne raison que ce n'est pas dans leurs préoccupations. Ce sont les forces de police et de gendarmerie, les inspecteurs du travail et les douaniers qui sont les principaux verbalisateurs de cette infraction.

Nous avons aussi affaire à une multiplicité d'infractions, la plus courante étant le travail dissimulé, ce qu'on appelait auparavant le « travail au noir », c'est-à-dire le travail non déclaré ou mal déclaré, car on peut être coupable d'une infraction de travail dissimulé si on dissimule des heures de travail et non pas la totalité d'un salarié.

Plusieurs types d'infractions relèvent du travail dissimulé, y compris celles qui se développent à l'occasion des prestations de service internationales d'entreprises étrangères que nous appelons, dans notre jargon, les fraudes transnationales, qui constituent une autre forme d'immigration de travail temporaire, peut-être moins connue que les formes de salariés saisonniers. C'est un autre apport de main-d'oeuvre étrangère sur notre territoire.

Cette multiplicité d'objectifs, de formes du travail illégal et de corps habilités à réprimer a abouti à une idée qui en découle très naturellement : la création, autour de cette notion interministérielle -cela concerne en effet beaucoup de politiques de l'Etat-, de la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal que j'ai l'honneur de diriger depuis maintenant plus de trois ans, à la tête de laquelle on a mis un préfet pour incarner cette interministéralité et qui est composée d'une trentaine de personnes issues de tous les corps que j'ai cités tout à l'heure, plus un corps que je n'ai pas encore cité, celui de la justice, qui joue un rôle évidemment déterminant dans la répression du travail illégal. A mes côtés, en tant qu'adjoints, j'ai un magistrat, un directeur du travail, des inspecteurs du travail, un commissaire, un officier de police, deux gendarmes, une directrice d'URSSAF et une douanière.

Tous les corps que j'ai cités tout à l'heure sont donc représentés dans cette délégation qui n'a pas un rôle de service opérationnel, c'est-à-dire que nous ne nous projetons pas sur le terrain, comme le disent les militaires, pour organiser ou faire nous-mêmes des contrôles. Nous sommes une équipe interministérielle de conception et d'animation des politiques et, surtout, de soutien des services qui sont en charge sur le terrain de faire le travail concret de contrôle.

Pour vous décrire notre organisation, nous avons, au sein de cette petite structure de trente personnes, un service d'étude et d'assistance (SEA) qui est en charge de répondre quasi-instantanément aux interrogations que peut avoir sur place un inspecteur du travail qui ne sait pas comment aborder un dossier. Il s'agit donc d'un service de soutien très rapproché de ce que font les agents sur le terrain.

A côté de cette section d'assistance et d'appui, nous avons le bureau de liaison avec les territoires étrangers et les Etats européens qui ont, eux aussi, créé leur bureau de liaison pour pouvoir appliquer le mieux possible, ensemble, la directive « Détachement » qui régit la prestation de service étrangère sur laquelle je reviendrai tout à l'heure.

Nous avons également une fonction de formation. Les représentants de la gendarmerie nationale vous ont parlé des 850 formateurs relais du travail illégal qui sont sur le terrain. C'est la DILTI qui les forme et nous faisons la même chose, à une échelle un peu plus modeste mais que j'ai l'intention de développer, avec les policiers. Nous intervenons dans les formations initiales et continues de beaucoup de corps, y compris ceux de l'Ecole nationale de la magistrature et des inspecteurs du travail. Nous bâtissons enfin des formations ad hoc pour les Comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI).

Nous avons également des partenariats avec toutes les directions nationales de ces corps de contrôle : la direction des impôts, la direction générale de la police nationale, la direction générale de la gendarmerie nationale, etc., mais aussi avec les deux offices spécialisés de police judiciaire que vous avez entendus ou que vous allez entendre et que sont l'OCRIEST, un organisme de police judiciaire à l'intérieur de la DCPAF spécialisé sur les filières d'immigration illégale et leur déclinaison de travail illégal, et le tout récent OCLTI, office de police judiciaire spécialisé dans le travail illégal créé, lui, au sein de la gendarmerie. Ces deux offices font un travail opérationnel de soutien, d'organisation et de contrôle. Par exemple, l'OCLTI développe son activité sur des affaires de grande ampleur qui nécessitent une vision qui implique plusieurs départements.

Sur le terrain, la même interministérialité se retrouve au sein de ce qu'on appelle les COLTI, réunis autour du procureur, qui réunissent tous les corps de contrôle et qui sont chargés de faire le travail concrètement, c'est-à-dire de monter les opérations de contrôle, d'en exploiter les résultats et de faire circuler l'information entre les corps.

Nous y avons intégré, au cours de l'année dernière, les groupements d'intervention régionaux (GIR) qui ont pris en 2005 une place importante dans le panorama de la lutte contre le travail illégal. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'en entendre parler, mais nous avons travaillé étroitement avec eux en formant un certain nombre de leurs acteurs et, au cours de l'année, ils ont traité beaucoup d'affaires de travail illégal intégrées dans leur lutte contre l'économie souterraine. Le travail illégal est en effet très souvent un révélateur d'opérations d'économie souterraine qui peuvent être pénalement « accrochées » par ce biais. Les GIR ont donc pris une place non négligeable dans le travail qui a pu se faire dans certains départements.

Sur le plan national, l'interministérialité s'exprime par la DILTI, comme je l'ai dit, mais aussi à travers la Commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI), qui est présidée, par délégation du premier ministre, par le ministre du travail, M. Gérard Larcher, et qui, depuis 2004, c'est-à-dire depuis que Gérard Larcher exerce ses fonctions, a une activité renforcée avec une mobilisation très forte des acteurs de la commission nationale. Elle s'est réunie deux ou trois fois par an depuis cette période et je sais que vous entendrez M. Larcher prochainement.

A deux reprises, début 2004 et début 2006, nous avons bâti des plans d'action dont je pourrai vous donner quelques éléments. Cela vous montre l'ampleur du soutien politique apporté à la lutte contre le travail illégal depuis deux ans et demi.

La création du Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI), qui a aussi intégré le travail illégal dans ses problématiques, a également renforcé la cohésion interministérielle autour de cet objectif et je tenais à le citer.

Début 2004, nous avons lancé un plan d'action qui a placé plus ou moins au coeur de ses préoccupations la lutte contre l'immigration irrégulière. Parmi les secteurs prioritaires dans lesquels devaient s'exercer les contrôles et les actions de prévention et de sensibilisation, nous avons retenu trois secteurs fortement touchés par le travail illégal et en particulier par l'emploi d'étrangers sans titre : le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), l'agriculture et, dans une moindre mesure, les hôtels, cafés, restaurants (HCR), ces trois secteurs connaissant par ailleurs de fortes difficultés de recrutement.

On a affaire, en l'occurrence, à un cercle vicieux entre le travail illégal et ces difficultés. Le fait de recourir au travail illégal dans ces secteurs pour « boucher les trous », si je puis dire, a pour conséquence d'accroître un peu plus le problème puisque cela désorganise le marché du travail, conduit à tirer les salaires vers le bas et compromet la formation, l'organisation de la profession et les perspectives de carrière, les jeunes se détournant de ces secteurs.

C'est vrai à des titres divers. Le BTP, en particulier, fait beaucoup d'efforts pour combattre cette image négative, mais ce cercle vicieux entre travail illégal et difficultés de recrutement perdure et s'aggrave, entretenant les pénuries de main-d'oeuvre.

Dans le plan 2004-2005, outre ces trois secteurs prioritaires, nous avons celui des spectacles, qui obéit à des problématiques très différentes puisqu'il concerne les intermittents, un sujet que vous connaissez peut-être et sur lequel je ne vais pas revenir parce qu'il n'a aucun rapport avec l'immigration irrégulière.

Nous avions aussi désigné deux infractions prioritaires : l'infraction d'emploi d'étrangers sans titre, qui vous préoccupe, et les fraudes transnationales, sur lesquelles je reviendrai à la fin de mon intervention.

Pendant le deuxième semestre 2005, nous avons accentué notre action à travers la circulaire qu'a signée M. Larcher, fin juillet, après une réunion du CICI, pour demander aux préfets d'organiser dans chaque département une opération de grande envergure, coordonnée et exemplaire. L'OCRIEST ayant été chargé d'en centraliser les résultats, il vous en parlera sans doute. Ces opérations, qui se sont déroulées dans tous les départements au deuxième semestre, ont vraiment mis l'accent sur ces préoccupations de lutte contre le travail illégal, lié à l'immigration irrégulière. Environ 15.000 personnes ont été contrôlées dans ce contexte, dont 611 employeurs en infraction, à proportions à peu près égales entre Français et non-Français, pour être tout à fait précis.

Pour répondre à l'une des questions que vous m'avez posées par écrit, je précise que les salariés qui étaient repérés en situation de travail illégal au cours de ces contrôles étaient à près de 80 % sans titre de séjour et de travail et à 20 % sans titre de travail mais avec des titres de séjour. Voilà la proportion qui a été repérée dans cette opération. Cela dit, je n'ai pas de vision globale. L'OCRIEST pourra peut-être vous le dire à partir de ses propres éléments, mais nous n'avons pas cette donnée.

Ces opérations seront reconduites en 2006. Le garde des sceaux et les ministres de l'intérieur, du travail, de l'équipement et de l'agriculture viennent de signer une circulaire interministérielle pour rééditer ces opérations à raison d'au moins une par semestre dans chaque département, plus une dans les départements qui ont des vocations saisonnières fortes, dans les domaines à la fois agricole et touristique, et qui connaissent plus de risques de travail illégal et d'emploi d'étrangers sans titre.

Le secteur des hôtels, cafés et restaurants (HCR) n'est pas l'un des endroits où se repère le plus l'emploi d'étrangers sans titre, la faute qui est repérée étant beaucoup plus souvent le travail dissimulé, avec cependant une pratique de faux stagiaires français ou étrangers qui peut s'apparenter à de la fraude, c'est-à-dire des personnes qu'on embauche comme stagiaires avec un salaire de stagiaires alors qu'ils font un travail de vrais salariés.

Nous venons de faire le bilan de ce plan en fin d'année 2005. Il montre que, dans le courant de l'année 2005, on a contrôlé 60.000 entreprises et régularisé 6.600 salariés (je parle ici de régularisations de salariés dans leur droit de salariés et non pas du tout de régularisations au titre de séjour : il s'agit de salariés qui n'étaient pas déclarés et qui le sont devenus, les inspecteurs du travail n'ayant pas la capacité de régulariser le séjour). On remarque aussi que les rentrées des cotisations sociales ont été multipliées par deux dans le BTP et ont augmenté de plus de 60 % dans les HCR. Enfin, on note une baisse du taux d'infraction entre 2004 et 2005 puisque nous n'avons, dans notre panorama 2005, que 5 % d'entreprises en infraction, ce qui n'est pas énorme et ce qui marque une baisse dans certains secteurs, baisse plus marquée dans le secteur des spectacles, qui était vraiment très infractionniste mais qui n'obéit pas du tout à la problématique que j'essaie de vous décrire.

Pour 2006-2007, au cours de cette réunion du mois de janvier de la commission, présidée par Gérard Larcher, nous avons présenté un nouveau plan d'action pour les deux années à venir dans lequel nous avons renouvelé les perspectives, en ce sens que nous n'avons pas pu désigner trois secteurs prioritaires, non pas parce qu'ils seraient devenus exempts de tout reproche mais parce que nous avons voulu élargir le champ. Nous avons donc désigné les objectifs par type de fraudes, l'un d'eux étant justement de diminuer l'infraction d'emplois d'étrangers sans titre.

J'ajoute que nous avons beaucoup fait évoluer l'appareil législatif et réglementaire de répression et de contrôle dans la dernière année, la loi PME d'août 2005 ayant pris une disposition qui permet de refuser les aides à l'emploi et à la formation ainsi que les aides publiques aux entreprises en infraction. Le décret est en cours de signature et nous l'avons présenté à la commission lors de sa réunion du 26 janvier.

De même, dans la loi de financement de la sécurité sociale, nous avons introduit une disposition identique pour les cotisations sociales. Alors qu'habituellement, les cotisations sociales sont attribuées automatiquement, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un dossier à remplir, c'est un autre système qui va fonctionner lorsqu'on trouve une infraction dans une entreprise : un système de remboursement partiel des cotisations sociales. Les décrets ont également été présentés à la commission nationale, ils sont en cours de signature et l'un d'eux doit aller au Conseil d'Etat.

J'ajoute que, dans le futur projet de loi sur l'immigration, nous prévoyons de renforcer la responsabilité des donneurs d'ordre en appliquant la contribution spéciale qui doit être payée à l'ANAEM et qui est à l'heure actuelle fort mal recouvrée. Au cours de l'année 2005, nous avons repris notre bâton de pèlerin pour demander à tous les corps de contrôle de bien transmettre à l'ANAEM, via les directions départementales, tous ces procès-verbaux qui peuvent donner lieu à cette contribution. Si cela est retenu dans le projet de loi sur l'immigration, nous allons l'appliquer aux particuliers pour des prestations supérieures à 3.000 €.

Je terminerai en disant que, dans nos préoccupations dominantes, outre la fraude d'emploi d'étrangers sans titre, nous avons ces fraudes qui sont nichées dans les prestations de service des entreprises étrangères sur notre territoire. La prestation de service est un droit tout à fait ouvert qui a donné lieu à une directive datant de 1996, que l'on appelle la directive « Détachement », qui a fait beaucoup parler d'elle parce qu'on l'a évoquée à l'occasion de la directive Bolkestein, même si elle est bien antérieure, et qui stipule que toute entreprise peut détacher des salariés sur le territoire d'un autre pays pour exécuter une prestation, ces salariés restant sous le régime de sécurité sociale du pays d'origine. Il est inutile de vous dire que les plombiers polonais sont rares mais que les entreprises polonaises qui détachent des salariés sur le territoire français ne le sont pas du tout. Je ne sais pas pourquoi on a parlé plus particulièrement des plombiers alors que c'est sans doute la profession que l'on rencontre le moins, mais beaucoup d'entreprises polonaises sont effectivement en cause. En tout cas, le salarié reste sur la sécurité sociale de son pays d'origine et les charges sociales sont donc celles du pays d'origine, mais les salaires doivent être ceux du pays d'accueil, c'est-à-dire les minimas français (au moins le SMIC) et les conventions collectives de la branche considérée.

Depuis mai 2004, c'est-à-dire depuis l'élargissement, ces entreprises n'ont plus besoin de demander une autorisation de travail et il n'y a pas de formalisme d'autorisation de travail comme auparavant. Cela fonctionnait déjà auparavant : les chantiers navals de Saint-Nazaire ont fait fonctionner ce système de prestations de service depuis longtemps, mais cela s'est développé en 2004 à la faveur de la différence de situation entre un salarié direct, qui doit demander une autorisation de travail, et des prestations de service de salariés détachés qui n'ont pas besoin d'autorisations de travail.

Nous avons donc des situations dans lesquelles les salariés doivent être payés de la même façon, mais il est bien difficile de contrôler s'ils sont réellement payés au même niveau et c'est là que réside toute la difficulté. C'est ce qui justifie les nombreux commentaires que vous trouvez dans la presse : vous voyez tous les jours s'exprimer des doutes sur certaines situations.

On a beaucoup renforcé le contrôle des entreprises étrangères en 2005. Il est inutile de vous dire que c'est difficile, mais c'est un combat sur lequel nous n'avons pas du tout l'intention de baisser les bras. Je suis allée dans presque tous les nouveaux Etats membres de l'Union européenne pour leur demander leur coopération. L'Etat où les enjeux sont les plus importants, parce qu'il y a plus de salariés et de volonté d'en « exporter », est, bien sûr, la Pologne, avec laquelle nous avons maintenant une très bonne coopération, grâce à ce bureau de liaison, dont je vous ai parlé, avec notre équivalent là-bas, l'inspection générale du travail polonaise. Les femmes qui le dirigent sont venues en France et nous avons établi des liens. Autrement dit, les Polonais répondent maintenant très bien à nos demandes de renseignement pour savoir si telle ou telle entreprise existe, puisque nous voyons souvent des entreprises se créer uniquement pour assurer des prestations de service sur le territoire français, allemand ou autre alors que, bien sûr, la directive « Détachement » prévoit que ces entreprises doivent déjà avoir une activité dans leur pays d'origine.

J'espère vous avoir convaincus des liens importants qui existent entre ces deux phénomènes qui, je le répète, ne se recouvrent pas. Vous constaterez que c'est une mobilisation forte et générale qui s'impose et qui est à l'oeuvre.

Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

M. Georges Othily, président .- Je vous remercie, madame Horel, de cet exposé éclairant et qui nous a été utile. Je donne la parole à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Votre exposé a été très complet, madame, mais je vous poserai simplement deux questions pour être certain d'avoir bien compris. Je suppose que vous considérez, même si vous n'avez pas de chiffres à caractère global, que le travail illégal ou clandestin est majoritairement lié, à la source, à une situation irrégulière des personnes qui le pratiquent.

Mme Colette Horel .- Non. J'ai dit que la fraction d'emploi d'étrangers sans titre représente une part variable selon les corps de contrôle : chez les policiers et les gendarmes, ils la relèvent plus souvent, autour de 20 %, mais on peut dire qu'en moyenne, dans nos statistiques, elle est présente pour 10 %. Les autres salariés sont en situation tout à fait régulière au titre du séjour et c'est l'employeur qui ne les déclare pas.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- La précision est importante parce que ce n'est pas tout à fait ce que j'avais compris.

L'une des personnes auditionnée a proposé, pour régler le problème du travail clandestin saisonnier, notamment dans les milieux agricoles, de mettre en place un système de visa à la carte qui permettrait à la personne de venir assurer la prestation puis de repartir sachant qu'elle pourra revenir librement pour la prochaine saison. Quel est votre point de vue sur cette idée que je simplifie à l'extrême et pensez-vous qu'elle puisse avoir une utilité ?

Mme Colette Horel .- L'idée consiste à ne donner le nouvel accord que si on a fait la preuve que la personne est entrée sur le territoire. Tout le problème est de savoir comment peut se faire le contrôle et de faire venir les gens à un bureau de l'ANAEM pour enregistrer qu'ils sont bien rentrés. C'est ce que pratique déjà l'ANAEM au Maroc et c'est donc une idée de bon sens, bien sûr.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Ma deuxième question est un peu différente. Je ne sais pas si, dans votre mission, vous avez une sorte d'observatoire sur les décisions rendues par les tribunaux en la matière et si vous avez un point de vue sur les quanta de peines qui sont prononcés lorsque la procédure va jusqu'au bout devant un tribunal.

Mme Colette Horel .- Je ne me ferai en l'occurrence que le porte-parole de ce que j'entends et de ce que me dit le magistrat qui est auprès de moi : les peines prononcées sont très faibles. J'ai regardé une statistique hier sur ce point : nous avons des peines de moins de 3.000 euros en moyenne alors que le maximum est de 45.000 € pour le travail dissimulé et, pour l'emploi d'étrangers sans titre, de 15.000 € par salarié qui n'est pas en règle.

L'application des peines conduit à des quanta faibles non pas par mauvaise volonté des juges mais parce que les juges ne sont pas conscients, les procès-verbaux ne le mettant pas toujours en valeur, de l'importance des sommes qui sont en jeu et qui entrent dans les circuits.

Comme je l'ai entendu ou lu souvent autour de moi, le trafic qui a lieu autour de l'introduction et de l'emploi d'étrangers en situation irrégulière peut rapporter maintenant presque autant que la drogue et cela devient une deuxième source de revenus. Ce sont vraiment des sommes qui vont très vite. L'URSSAF a l'habitude de faire ces calculs et elle nous indique que ce sont des enjeux financiers tout à fait conséquents. Dans les procès-verbaux des inspecteurs du travail ou des OPJ, sauf si ce sont des enquêtes financières, on ne démontre pas l'importance des sommes en jeu. Quand les affaires viennent en délibéré, il y a évidemment une défense en face et cela amène les juges à prononcer des peines qui, pour les services d'enquête, apparaissent toujours de nature à leur faire un peu baisser les bras. C'est une idée communément admise et je ne veux absolument pas en rajouter.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai une dernière question. On parle beaucoup de la responsabilité des donneurs d'ordres vus sous l'angle de l'entreprise. Que pensez-vous de la mise en cause de la responsabilité des particuliers ?

Mme Colette Horel .- On dit qu'il faut que le donneur d'ordres particulier puisse être condamné à payer la contribution ANAEM en cas l'emploi d'étrangers sans titre. Si le donneur d'ordres particulier relève du BTP, il est évident que beaucoup de prestations y échappent quoique la baisse des taux de TVA soit désormais normalisée et ait permis de faire sortir du « gris » beaucoup d'activités.

Quant à l'activité des emplois de services familiaux, notamment l'emploi de femmes de ménage, il apparaît clairement que ce n'est pas du tout par la répression et le contrôle que cela peut passer : aucun des corps que j'ai cités ne peut pénétrer dans le domicile des particuliers. Il faut donc vraiment avoir une autre vision de la problématique.

Cela me fait penser que j'ai occulté une part importante de notre travail, qui consiste à faire en sorte que tout ne passe pas par le contrôle et la répression mais par la prévention et par un gros travail avec les professionnels. Avec ceux du BTP, par exemple, nous avons mis sur pied une charte des bonnes pratiques en matière de sous-traitance qui a été signée par tout le monde, y compris les syndicats des salariés du BTP, qui est sur Internet et qui énonce les règles pratiques à suivre pour éviter d'être en situation de sous-traitance illégale conduisant à de la fraude, pour faire en sorte que tous les chaînons de la sous-traitance soient irréprochables.

Je pense donc vraiment que la lutte contre le travail illégal -je ne me situe pas, en l'occurrence, sur le terrain de l'immigration irrégulière- nécessite un consensus des professionnels et de l'ensemble des acteurs dont on peut penser qu'il s'est un peu effrité. Je pense que notre travail est aussi de créer ce consensus, même si c'est une vision quelque peu angélique.

En tout cas, pour les particuliers, cela passe par des systèmes de rapprochement de l'offre et de la demande. Je ne vais pas vanter ici le plan Borloo, mais l'idée est celle-là.

M. Alain Gournac .- Il est intéressant de savoir que ce ne sont pas seulement des immigrés qui sont impliqués dans ces affaires mais aussi une grande proportion de Français d'origine, mais je voudrais savoir ce qui se passe dans la partie liée à l'immigration clandestine, qui nous intéresse ici. Est-on plus souvent confrontés à des personnes isolées ou à des filières qui prennent en charge les irréguliers. Savez-vous si l'on réprime ensuite ceux qui organisent l'exploitation de ces hommes et de ces femmes dans les filières ?

Mme Colette Horel .- Pour ce qui est de la filière liée à l'entrée et à l'emploi d'étrangers sans titre, on ne peut pas dire que ce soit régularisable. Les inspecteurs du travail régularisent des situations de personnes embauchées sans être déclarées, mais ils ne le font évidemment pas dans le cadre des situations de filières d'étrangers sans titre. J'ai à l'esprit, par exemple, une affaire en Dordogne -l'OCRIEST vous en parlera peut-être mieux que moi- qui a eu des rebondissements en Aquitaine en septembre ou en octobre. Toutes ces opérations vont jusqu'au bout. Il y a même eu une opération européenne menée par les polices de différents pays européens sur une filière qui avait pour objectif d'aller au Royaume-Uni et dont le directeur de la DCPAF vous a parlé dans l'intervention qu'il a faite devant vous.

L'objectif du travail effectué sur les filières est d'essayer de les reconstituer et de ne pas prendre au piège uniquement les lampistes. Cela dit, il faut savoir que cet aspect des filières est très minoritaire car les étrangers en situation irrégulière sont entrés en France en situation régulière, comme je l'ai lu dans tous vos comptes rendus. L'immigration irrégulière française est une immigration qui arrive en étant régulière à 95 %, à l'exception sans doute des territoires ultramarins.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Lorsque vous parlez du travail illégal ou irrégulier, je suppose qu'il s'agit du statut qui est lié au respect du code du travail puisqu'il n'existe pas de statut spécifique aux étrangers dans le code du travail : on est travailleur légal ou illégal, que l'on soit étranger ou non, c'est-à-dire que l'on n'est pas « travailleur étranger ».

Mme Colette Horel .- Non. Le code du travail a des articles consacrés aux travailleurs étrangers.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Dans ce cas, lorsque vous régularisez un travailleur illégal, cela signifie que vous le légalisez.

Mme Colette Horel .- Oui. On fait payer les cotisations sociales par l'employeur.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Mais je suppose que vous le faites par rapport au statut du droit du travail.

Mme Colette Horel .- Bien sûr. C'est pourquoi j'ai dit qu'il ne fallait pas confondre les deux notions de régularisation.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Comment régularisez-vous celui qui n'a pas les papiers nécessaires ?

Mme Colette Horel .- Il n'est pas régularisable dans ce contexte mais uniquement par les procédures que vous connaissez et qui reposent sur le préfet.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Pouvez-vous régulariser un travailleur migrant qui n'a pas de titre de séjour ?

Mme Colette Horel .- Non. On ne commence pas par le régulariser au titre du travail sans qu'il soit régularisé au titre du séjour. Ce n'est pas possible. Il reste les situations des étudiants qui peuvent avoir droit à certaines dispositions.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Les étudiants ont droit à un travail partiel.

Mme Colette Horel .- En tout cas, ce n'est pas sur la régularisation du travail que s'enclenche la régularisation du séjour.

M. Bernard Frimat .- Au début de votre intervention, vous avez parlé de deux ensembles qui avaient une intersection que vous avez chiffrée à 10 % en disant que, sur l'ensemble des verbalisations qui interviennent, on considère que 10 % concernent le travail d'étrangers sans titre. A cet égard, l'une des questions qui interpellent la commission est de se demander de quelle façon l'existence du travail clandestin constitue un « article d'appel » (cela rejoint la question qui a été posée sur les filières), puisque la différence de niveau de vie et de degré de développement fait que notre territoire présente une certaine attractivité et, surtout, une capacité de profit extraordinaire pour ceux qui exploitent ces travailleurs étrangers sans titre.

Dans les verbalisations que vous faites auprès des employeurs à l'encontre de ces travailleurs étrangers sans titre, comment se répartissent ces employeurs ? Sont-ils des nationaux ? Vous nous avez donné un chiffre et je souhaiterais que vous le confirmiez.

Mme Colette Horel .- J'ai dit que, dans les grandes opérations menées dans le deuxième semestre 2005 à l'encontre les employeurs d'étrangers sans titre de travail, nous avions respectivement 48 et 52 % de Français et d'étrangers, mais je ne parle ici que de cette infraction spécifique.

M. Bernard Frimat .- Cette infraction spécifique est justement dans la réflexion de la commission, mais je ne dis pas que le travail illégal dans son ensemble ne nous intéresse pas. Peut-on en déduire que nous sommes plus en présence de filières quand on a plutôt affaire à des entreprises dont les employeurs sont étrangers ?

Mme Colette Horel .- Non. Ce sont des étrangers implantés régulièrement sur le territoire. Je ne veux pas faire preuve de xénophobie à l'égard d'un pays, mais ces contrôles sur les opérations coordonnées ont beaucoup porté sur des entreprises de BTP turques. C'est la nationalité de prédilection de l'infraction d'emploi d'étrangers sans titre dans le BTP. En deuxième niveau, viennent les Chinois pour la confection textile, de façon très localisée en région parisienne, avec parfois des éléments très mobiles. Pour autant, les employeurs d'étrangers sont très minoritairement des étrangers en situation irrégulière.

M. Bernard Frimat .- Je ne doute pas que les employeurs soient en situation parfaitement régulière.

Mme Colette Horel .- Cependant, il est vrai qu'ils exploitent des filières, ce qui est évidemment le cas des Chinois, même si celles-ci ne sont pas toutes liées au grand banditisme mais simplement des filières de proximité.

M. Alain Gournac .- La plupart viennent du même endroit.

Mme Colette Horel .- Absolument. Je pense donc que l'aspect des filières existe et qu'il est très important parce que c'est là que l'on trouve les pratiques les plus détestables et les plus condamnables. En effet, j'ai parlé de travail illégal, mais, dans les éléments qui font partie des infractions connexes, figurent toutes les infractions relevant notamment de l'atteinte à la dignité humaine ou des conditions de travail et d'hébergement indignes. C'est dans ces filières qu'on les retrouve et cela se passe très souvent dans l'agriculture du fait de la saisonnalité et de la nécessité d'héberger les personnes.

C'est le cas des filières agricoles dont j'ai parlé et que l'on a trouvées en Dordogne et dans les Landes. J'ai beaucoup d'exemples -mais l'OCRIEST pourra vous en parler beaucoup mieux que moi- dans le domaine agricole : c'est là qu'il est le plus facile de concevoir l'introduction d'étrangers et une exploitation en filières.

M. Bernard Frimat .- En l'occurrence, dans l'agriculture, je suppose que vous avez peu d'employeurs étrangers.

Mme Colette Horel .- C'est vrai. Les étrangers ne sont pas employeurs : ils fournissent des salariés à des employeurs qui sont plus ou moins complices.

M. Bernard Frimat .- Ils le sont souvent beaucoup.

M. Georges Othily, président .- Madame le préfet, nous n'avons plus de questions à vous poser. Je vous remercie donc de votre exposé et des réponses très claires que vous nous avez apportées.

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