Table
ronde, avec la participation de :
M. François ASENSI, maire
de Tremblay-en-France,
M. Serge DASSAULT, maire de
Corbeil-Essonnes,
M. Gérard GAUDRON, maire
d'Aulnay-sous-Bois,
M. Xavier LEMOINE, maire de
Montfermeil,
M. Jacques MAHÉAS, maire de
Neuilly-sur-Marne,
M. Claude PERNÈS, maire de
Rosny-sous-Bois,
M. François PUPPONI, maire de
Sarcelles,
M. Gilbert ROGER, maire de
Bondy
(8 mars 2006)
Présidence de M. Alex TÜRK, président
M. Alex TÜRK, président - Je remercie les maires d'avoir répondu à notre invitation. Je vous propose que nous arrêtions nos travaux vers 16h15 car certains ont d'autres obligations ensuite, ce qui nous laisse une heure trois quarts pour débattre. Chacun commencera par s'exprimer pour donner son sentiment, son témoignage, ses réflexions et ses propositions, puis notre rapporteur et l'ensemble des membres de la mission vous poseront des questions et un débat pourra être engagé. Je vous propose de conserver l'ordre alphabétique qui avait été fixé pour cette table ronde. Je donne donc tout d'abord la parole à Monsieur François Asensi, maire de Tremblay-en-France.
M. François ASENSI - Je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre invitation. Après les événements de novembre 2005, il est intéressant de prendre du recul pour considérer la manière dont ils se sont déroulés et observer la situation depuis lors dans les quartiers sensibles des villes.
Tout le monde est informé de ce qui s'est produit durant les événements. L'élément déclencheur a été l'événement de Clichy-sous-Bois. A mes yeux, cette situation ne constitue pas une surprise. Je connais bien la Seine-Saint-Denis, puisque j'y suis parlementaire depuis plusieurs années. J'ai également eu l'occasion d'avoir une activité sociale et militante dans l'ensemble du département. Je connais bien les villes d'Aubervilliers, la Courneuve ou Aulnay-sous-Bois, dont j'ai été le parlementaire pendant dix ans. Je connais également les villes de ma circonscription, comme Villepinte et Sevran. Même Tremblay-en-France, qui n'a pourtant pas signé de contrat de ville, connaît de grandes difficultés.
J'ai étudié la législation de la politique de la ville depuis quinze ans et j'ai pu constater qu'elle était fournie : une quinzaine de lois, une vingtaine d'arrêtés et de circulaires et une quinzaine de dispositifs. Cette profusion de lois pose problème quant à la pérennité de l'action publique en matière de politique de la ville, dans la mesure où certains dispositifs tendent à modifier sensiblement les actions précédemment entreprises. Or, pour les collectivités locales, il est important de travailler dans la durée et d'avoir une visibilité à moyen ou long terme sur les moyens dont elles disposent pour sortir ces quartiers des difficultés.
En Île-de-France, les quartiers difficiles subissent des inégalités sociales par rapport aux autres territoires. Celles-ci proviennent en particulier d'une inégalité fiscale, qui est, à mes yeux, l'une des plus grandes injustices. Je le dis d'autant plus facilement que ma ville bénéficie d'un potentiel fiscal élevé, puisqu'elle jouit des retombées de l'aéroport d'Orly. Les problèmes se posent donc différemment dans ma circonscription. Tremblay compte malgré tout un quartier en grande difficulté, qui, sans être classé en contrat de ville, a toutes les caractéristiques d'une zone urbaine sensible (ZUS). Nous avons connu, lors des événements, des véhicules brûlés et des actes de vandalisme, qui sont des actes criminels. Il ne faut pas avoir peur des mots, car le fait de mettre le feu à une école ou à une crèche conduit à mettre la vie de nos concitoyens en danger. Il s'agit donc bien d'actes criminels.
Je ne suis pas étonné par ces événements car ils sont la manifestation d'une poudrière qui existait antérieurement. Malgré les politiques publiques mises en oeuvre depuis une vingtaine d'années, sous différents gouvernements, malgré le vote de quinze lois, ces quartiers ont continué à être des lieux de relégation et de ségrégation sociale, comptant de nombreux jeunes déscolarisés et désocialisés, qui se retrouvent dans des situations difficiles.
Pour parler de la situation depuis la fin des événements, je me concentrerai sur la ville de Sevran, que je connais bien. J'avais eu à faire en 2001, non pas à des émeutes comme celles de novembre, mais à des actes de vandalisme. La police nationale et l'équipe municipale avaient alors agi de concert pour essayer d'éradiquer les trafics, ce qui avait donné lieu à des interpellations. Celles-ci avaient aussitôt conduit les « caïds » à réagir. La ville a alors connu de graves incidents, puisque des écoles ont été brûlées, des policiers agressés et un certain de personnes terrorisées.
Ces événements se sont reproduits différemment en novembre 2005. A Sevran, le total des dégâts s'élève tout de même à 2,5 millions d'euros. Les assurances font aujourd'hui pression sur les collectivités pour qu'elles accroissent les effectifs de police municipale. La franchise qui est imposée à Sevran est de 90 000 euros pour un certain nombre d'actes dont les coûts sont inférieurs à cette somme. La commune devra débourser au final 600 000 euros. Alors que l'équipe municipale travaille aujourd'hui à l'élaboration de son budget, elle constate un déficit de 3 millions d'euros. Le maire a écrit au Président de la République pour demander le classement de l'ensemble de la ville en ZUS, afin que la contractualisation qui en découle puisse donner lieu à des recettes supplémentaires.
Le potentiel fiscal de Sevran est faible. Il semble que dans les quartiers difficiles, une spirale tire l'ensemble de la société vers le bas, avec, en particulier, des résultats scolaires médiocres. Le lycée Blaise Cendrars atteint ainsi 60 % de réussite au bac, soit largement moins que la moyenne de l'académie et encore moins que la moyenne française. Les maires se trouvent confrontés à des dégâts considérables et sont dans l'impossibilité de reconstruire sans une aide substantielle de l'Etat. Une solidarité nationale s'impose. Le moral des maires est particulièrement bas. Ils font face avec courage, mais les difficultés s'accumulent. Ils produisent des efforts constants pour créer du lien social, pour limiter les affrontements et favoriser la diversité sociale dans la ville, en évitant que celle-ci se « déstructure » entre les zones résidentielles (même si elles ne sont pas riches), d'une part, et les quartiers en grande difficulté, d'autre part.
Les quinze dernières années de politique de la ville ne se sont pas traduites par quinze années d'échec. Elles n'ont pu, cependant, empêcher que se forme une spirale qui tende à accroître sans cesse les difficultés, à faire perdurer, voire à accentuer, les zones de relégation, et à renforcer les difficultés sociales de jeunes désocialisés et déscolarisés. Cette situation ne justifie certes pas les actes que nous avons connus, mais l'avenir est, à mes yeux, relativement pessimiste si l'on ne recrée pas, en Île-de-France, des solidarités. Une véritable réforme de la fiscalité doit être mise en oeuvre pour favoriser l'égalité des citoyens dans ces territoires. Une ville dont le potentiel fiscal est faible n'a pas la possibilité d'appliquer des dispositifs tels que le soutien scolaire, ou des mesures tendant à renforcer le lien social, comme la présence d'intervenants culturels et sportifs dans les écoles. L'Île-de-France est ainsi marquée par des inégalités flagrantes entre les villes sur le plan des ressources fiscales.
La région connaît également un aménagement du territoire en radiales, qui est avantageux pour la capitale, mais constitue un handicap fort pour les communes située en périphérie, en ce qu'il accentue les difficultés de mobilité et d'accès à l'emploi pour leurs habitants. Par exemple, l'aéroport d'Orly étant situé sur le territoire de Tremblay-en-France, la commune a été obligée de créer un service de transport (Allobus) pour permettre aux salariés travaillant en horaires décalés de s'y rendre. Les pouvoirs publics et Aéroport de Paris n'avaient en effet prévu aucun dispositif de transport 24h/24, ce qui empêchait les familles en difficulté, qui ne possèdent pas deux voitures, de s'y faire embaucher. De manière générale, plus les citoyens vivent loin de la capitale, plus ils paient cher leur abonnement de transport, puisqu'ils sont contraints de prendre quatre ou cinq zones. Ce système parisien, qui reflète l'esprit jacobin des Français, conduit à concentrer tous les avantages au centre (dans le domaine de la culture, des écoles, etc.) et à accentuer les difficultés pour les zones qui s'en éloignent.
Parmi les propositions que la mission pourrait avancer, j'estime que la réforme de la fiscalité est une mesure indispensable. Il convient ensuite de réfléchir à la manière de garantir une offre scolaire de qualité. Chacun sait en effet que le parcours résidentiel des Franciliens est marqué par la qualité de l'école maternelle, de l'école primaire, du collège et du lycée dans les différents territoires, car les citoyens choisissent leur zone de résidence en fonction des résultats des établissements scolaires. Il faut, enfin, que des villes comme Sevran puissent avoir un budget suffisant pour pouvoir, par exemple, rénover leurs gymnases - certains sont de véritable taudis, alors que les jeunes viennent y pratiquer leur sport tous les soirs et tous les week-ends. Certaines villes n'ont même pas les moyens de réhabiliter leurs écoles. La situation actuelle est en complet décalage avec les besoins.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Dassault.
M. Serge DASSAULT - Il existe de nombreux problèmes dans les quartiers : celui des enfants qui sont sans occupation, celui des logements inadaptés, celui des familles qui ne s'occupent pas de leurs enfants et celui du chômage qui frappent les parents. Les parents étant pauvres, ils ne s'occupent pas de leurs enfants et ceux-ci étant mécontents, se mettent à voler. A Corbeil, nous avons mené une politique d'ouverture auprès de tous les habitants des quartiers, y compris les musulmans, et nous avons réussi à nouer des contacts avec plusieurs associations de jeunes qui travaillent avec nous - celles-ci ont tendance à se multiplier. Nous les aidons régulièrement à partir en vacances, à faire des stages ou à avoir leur permis de conduire, ce qui leur permettra plus tard de trouver un emploi. Les relations sont bonnes. Nous avons également des maisons de quartier qui proposent des activités. Nous nous occupons de la population. Je suis en effet convaincu que l'origine des révoltes réside dans le fait que les individus, quels qu'ils soient, se sentent abandonnés, délaissés, et, comme des enfants qui se mettent à pleurer lorsque personne ne s'occupe d'eux, ces jeunes cassent et brûlent. Chacun a besoin de savoir que quelqu'un s'occupe de lui. Dans les communes, c'est le rôle du maire - avec les moyens dont il dispose.
Dans la mesure où les jeunes font des bêtises car ils ne trouvent pas à s'occuper, n'ayant rien appris à l'école et n'ayant pas d'emploi - c'est là le premier problème -, j'ai déposé une proposition de loi pour promouvoir l'apprentissage. Elle n'a cependant pas été adoptée comme je l'aurais souhaité, puisque le choix de s'orienter vers l'apprentissage est laissé à la discrétion des parents et des enfants. Or il faudrait que la décision appartienne aux professeurs, car eux seuls savent si un élève est capable de poursuivre ses études. Il conviendrait en particulier d'instituer un examen obligatoire à partir de la cinquième qui permette d'orienter les jeunes, en fonction de leur niveau, soit vers des études plus poussées, soit vers l'apprentissage. Il ne faut pas considérer l'apprentissage comme déshonorant. Il ne s'agit pas d'une « sous-activité », au contraire, puisqu'elle permet aux jeunes de trouver un emploi et de gagner de l'argent rapidement. Lorsque ces jeunes poursuivent des études supérieures, parfois quatre ans après le bac, ils ne font souvent que perdre leur temps puisqu'ils ne trouvent pas de travail à la sortie, personne ne s'intéressant à ce qu'ils ont appris.
L'apprentissage devrait ainsi être obligatoire de 14 à 18 ans. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Le drame actuel est qu'après 18 ans, l'Education nationale ne se préoccupe plus de l'avenir de ces jeunes et que ceux-ci ne trouvant plus alors à s'occuper, font n'importe quoi. Il convient donc de les prendre en main, soit par l'apprentissage, soit par un autre biais, comme le service civil. Cette dernière idée n'est pas mauvaise, à condition que celui-ci ne soit pas volontaire. Là encore, il serait préférable que cette orientation soit obligatoire pour tous les jeunes qui n'ont ni emploi, ni formation. Si elle est volontaire, certains ne la choisiront pas. Or il n'est pas logique de laisser le choix à des individus qui ne sont même pas responsables de leurs actes. Auparavant, le service militaire avait la vertu d'être obligatoire pour tous les jeunes hommes à partir de 18 ans. Celui-ci ayant été supprimé, le service civil peut être une solution de remplacement. S'il n'y avait plus de jeunes entre 16 et 18 ans en errance dans les quartiers, il y aurait moins de problème, car ils ne seraient pas tentés de vendre de la drogue ou de brûler et de voler des voitures.
Il convient en outre de s'occuper des familles. Nous avons commencé à le faire, en apportant une aide qui passe notamment par l'apprentissage de la langue et l'aide aux devoirs. Ce sont autant d'éléments complémentaires qui permettent d'intégrer les enfants en leur donnant une activité.
Il faut également mélanger les quartiers, car chacun doit vivre et travailler ensemble. Nous organisons de nombreuses activités qui le permettent, en particulier des activités sportives. Elles sont l'occasion pour les habitants d'avoir le souci de leur commune - ce qui constitue la première forme efficace de « nationalisme ». Nous nous occupons ainsi des associations, des pères et des mères. Nous aidons leurs enfants à chercher du travail grâce à une maison de l'emploi active, qui nous permet de trouver un emploi à environ 600 jeunes par an.
Nous avons ainsi réussi à réduire les problèmes, et ce, bien avant les événements de novembre. Ceux-ci ont d'ailleurs été moins importants aux Tarterêts qu'ailleurs. Lorsque l'on me demande pourquoi, je réponds que je m'occupe des habitants depuis dix ans, je parle avec eux, ils m'appellent parfois sur mon portable lorsqu'il y a un problème, je vais les voir dans leurs maisons de quartier. En bref, ils savent que quelqu'un s'occupe d'eux. Ce n'est pas toujours simple à gérer, mais c'est essentiel car les gens se révoltent lorsqu'ils se sentent abandonnés et qu'ils ne voient pas d'issue. Je suis d'accord pour les aider, mais je leur dis qu'ils doivent faire des efforts par eux-mêmes, qu'ils doivent apprendre à travailler. Quand on demande aux jeunes pourquoi ils brûlent des voitures, alors qu'ils ont par ailleurs des centres d'intérêt comme la peinture ou la mécanique, on constate qu'ils sont perdus, délaissés. Il faut donc les aider.
Une excellente proviseure, qui a été responsable principale d'un collège de Viry-Châtillon pendant dix ans, a raconté dans un livre qu'elle avait « sauvé » de nombreux jeunes qui étaient déboussolés et ne s'intéressaient pas aux études, en les prenant en main et en les orientant vers une activité professionnelle. Aujourd'hui, ils ont un emploi et sont heureux. En les laissant poursuivre leur scolarité jusqu'au collège, alors qu'ils en sortent, paraît-il, sans savoir lire, ni écrire - ce qui est un comble étant donné les sommes qui sont consacrées à l'Education nationale - et en ne s'occupant plus d'eux après, les problèmes sont inévitables.
Personnellement, j'agis essentiellement par intuition. Mes « recettes » méritent sans doute d'être rationalisées pour être applicables ailleurs. Il faut, quoi qu'il en soit, profiter des expériences réussies par d'autres. L'Etat doit, quant à lui, agir sur la formation professionnelle, l'apprentissage et le service civil.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Gérard Gaudron, maire d'Aulnay-sous-Bois.
M. Gérard GAUDRON - Je vous remercie, Monsieur le Président. Contrairement à François Asensi, nous n'avons pas vu arriver les événements de novembre 2005. Aulnay-sous-Bois a été la deuxième commune à être touchée après Clichy-sous-Bois. Elle a d'ailleurs été beaucoup filmée par la télévision.
Le plus inquiétant dans ces événements est que la commune met en oeuvre une politique de la ville depuis 1983. Elle a utilisé tous les dispositifs mis à sa disposition. Elle y a consacré les moyens nécessaires et est allée à chaque fois au bout des possibilités offertes. A cet égard, la Cité de l'Europe, ancienne Cité Emmaüs, est emblématique. Elle compte tout d'abord une maison de jeunes entièrement rénovée, qui propose des activités d'informatique ou de cinéma. Un local d'activités nocturnes fonctionne par ailleurs toute la nuit pour éviter que les jeunes squattent les halls d'immeuble. Il compte une salle de sport de qualité, un bar sans alcool et une salle de télévision. Les jeunes y sont encadrés par une association. La Cité compte également un centre social et un grand nombre d'associations diverses. Pourtant, ce quartier a été le plus touché par les incidents, notamment avec l'incendie du concessionnaire Renault, situé à proximité. Tout ceci me laisse interrogateur car je ne vois pas ce que nous pourrions faire de plus. Le collège a été rénové pour une valeur de 30 millions d'euros, tandis que le gymnase est magnifique. Le fait que le quartier se soit malgré tout embrasé pose la question des limites du système. C'est probablement ma plus grande inquiétude pour l'avenir car nous n'avions pas prévu une telle explosion de violence. Plusieurs élus de terrain, qui connaissent bien ces quartiers, n'avaient pas envisagé, malgré quelques incidents relativement graves qui s'étaient produit dans le passé, que de tels événements puissent survenir. Rien ne dit, d'ailleurs, qu'ils ne se reproduiront pas.
Tous les dispositifs précédemment évoqués par Serge Dassault sont déjà mis en oeuvre à Aulnay-sous-Bois. Les quartiers difficiles sont classés en PRU, après avoir bénéficié d'autres mesures comme le GDU ou le DSQ. Nous consacrons d'importantes sommes à ce dispositif via le contrat de ville. De nombreuses opérations sont conduites, en particulier pour soutenir la fonction parentale et favoriser l'éducation à la citoyenneté. Nous avons conclut un contrat local de sécurité. Nous dispensons des cours d'alphabétisation et des cours de maîtrise du français. Nous avons une maison de l'économie et de l'emploi qui vient d'obtenir le label Borloo. Elle a volontairement été créée au sein de ces quartiers et n'a d'ailleurs pas été dégradée durant les événements de novembre.
Nous nous interrogeons par conséquent sur les raisons qui ont conduit à ces événements, en particulier dans le but de savoir quelles opérations devraient être réalisées à l'avenir. Nous sommes face à de réelles difficultés, car lorsque l'on entend des enfants de 13 ans qui justifient leurs actes par le problème du chômage, il est difficile de savoir quelles leçons en tirer. Il existe probablement une multitude de causes, mais, compte tenu des actions que nous avons menées et dont l'intérêt est reconnu par les habitants des quartiers eux-mêmes, ces événements ont constitué une énorme surprise.
Ils coûteront à la ville 1,1 million d'euros, dont une franchise à la charge du budget municipal de 300 à 400 000 euros. Tous les bâtiments publics ont été remis en état, à l'exception d'un foyer de personnes âgées, dans lequel étaient menées, avec succès, des actions intergénérationnelles, et pour lequel l'appel d'offres est en cours.
Dans le domaine scolaire, nous avons également mis en oeuvre, dans le cadre de la politique de la ville, un panel classique de mesures d'accompagnement, telles que des cours de remise à niveau le soir ou de préparation au bac pendant les vacances scolaires.
Je suis très inquiet car nous nous trouvons aujourd'hui dans une impasse. Mon inquiétude porte également sur la population de la partie pavillonnaire de la ville, qui représente 70 % de la commune. Alors que nous essayons de remettre les quartiers en difficulté à la même vitesse de développement, pour éviter tout effet de ségrégation au sein de la ville, la population des quartiers dits traditionnels commencent à considérer que les investissements que nous avons effectués dans ces quartiers pèsent outre mesure sur le budget communal, c'est-à-dire sur les impôts qu'ils paient. Ces critiques avaient disparu et commencent à réapparaître, ce qui représente également une source d'inquiétude.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Xavier Lemoine, maire de Montfermeil.
M. Xavier LEMOINE - Merci, Monsieur le Président. Je présenterai tout d'abord la ville de Montfermeil. Le quartier des Bosquets, où se sont déroulés une partie des événements, représente 3 % du territoire de la ville, soit 15 hectares sur 550, un tiers de la population et 50 % des jeunes de moins de 20 ans. Sur les 6 000 habitants que compte le quartier, 600 sont inscrits sur les listes électorales. La politique de la ville a débuté en 1983. Monsieur Dauge en a été l'un des précurseurs à Montfermeil en 1987. Je suis moi-même présent à Montfermeil depuis 1987.
Je pense que les événements qui se sont produits sur notre territoire étaient relativement prévisibles, car les actions ministérielles de Monsieur Sarkozy et de Monsieur Borloo avaient gravement perturbé le fonctionnement auquel étaient habitués ces quartiers. Je prétends que la solution de la politique de la ville ne passe plus par des moyens supplémentaires, mais par une réorientation de sa finalité, car l'enjeu n'est plus d'ordre social, économique ou urbain. Ces politiques de rattrapage sont sans doute utiles et nécessaires. J'accepte d'ailleurs volontiers les 400 millions d'euros que Monsieur Borloo s'apprête à injecter dans la ville de Montfermeil. Pour autant, si, comme je le lui ai affirmé, nous ne posons pas les vraies questions, ces 400 millions d'euros ne serviront pas à résoudre les problèmes.
Trois acteurs sont actuellement perturbés par la politique des PRU. Il s'agit tout d'abord d'un certain nombre d'associations, qui fondent leur discours sur la victimisation des habitants des quartiers et mettent en cause le libéralisme, la mondialisation, la colonisation ou le racisme. Ces jeunes entendant depuis l'enfance que la société leur doit réparation, en déduisent qu'ils n'ont aucune responsabilité dans ce qui leur arrive, si bien qu'en se présentant sur le marché du travail, ils font face à des déconvenues. Je pense ensuite qu'il convient de ne pas sous-estimer le fondamentalisme religieux, notamment musulman, qui, dans ma ville, fait du porte-à-porte chez toutes les familles pour enjoindre les parents et leurs enfants à revenir à une pratique religieuse, qui, si elle est infiniment respectable en tant que telle, est dangereuse quand elle devient fondamentaliste. Ces prosélytes sont très présents et ont tout intérêt à ce que le tissu social se désagrège, afin de pouvoir se proposer en recours, à la fois vis-à-vis des autorités - ce fut parfois le cas lors des événements et quelques maires y ont succombé - et vis-à-vis des familles. Enfin, le dernier élément de cette trilogie réside dans la force de l'économie souterraine, dont les ramifications sont larges et puissantes. Alors que l'on me faisait l'éloge depuis quelques mois des compétences d'un animateur sportif qui encadre 500 licenciés de football aux Bosquets, celui-ci a été retrouvé sur un parking de Strasbourg, tué par deux balles dans la tête. La perturbation, voire l'opposition affichée par ces trois acteurs à la mise en place du PRU constitue l'une des explications des événements.
Au-delà de ce premier élément, il faut constater que depuis 25 ans, la société prône le droit à la différence et estime que tous les comportements se valent. Les adolescents ont ainsi été maintenus dans un monde virtuel. Le fait d'abaisser les notes du bac en Seine-Saint-Denis pour en améliorer les résultats et de ne pas le prendre en compte dans les statistiques, renforce ce monde virtuel. Or, lorsque ces jeunes frappent à la porte des employeurs et se confrontent au monde réel, c'est-à-dire à un bilan, un chiffre d'affaires et des parts de marché, la sanction est immédiate et cruelle. Comme tous les citoyens français, ces jeunes aspirent à fonder une famille et à avoir un logement, ce qui nécessite d'avoir un emploi. Pour cela, ils ont besoin d'un savoir-faire, c'est-à-dire de six mois à deux ans de formation, mais aussi d'un savoir-être, ce qui ne peut être que le fruit d'une éducation, c'est-à-dire de 20 ans de travail. Cette dernière composante est souvent sous-estimée, ce qui occasionne de cruelles déconvenues pour ces jeunes à la recherche d'un emploi.
Nous ne devons pas non plus sous-estimer le fait qu'une partie importante de la population des quartiers est d'origine ou de confession musulmane et que leur structure psychologique n'est pas la même que celle que nous avons en Occident. En Occident, chacun détient une responsabilité individuelle, alors que dans le monde musulman, une personne n'existe que par son appartenance à une communauté, ce qui induit des réflexes de vie en société différents. Je ne porte pas de jugement de valeur, mais je fais état de deux visions de l'homme qui conduisent à des positionnements différents. Lorsque ces populations sont confrontées au monde occidental et moderne de l'économie et de la performance, elles peuvent rencontrer des difficultés dues à ce décalage et, pour certains, être tentés par un repli qui leur permet de se retrouver dans un environnement qui leur est plus familier.
Même si les politiques publiques doivent répondre aux conséquences, j'ai essayé en préambule de distinguer quelques causes, qui sont essentiellement d'ordre culturel.
Depuis quelques années, le contrat de ville de Montfermeil est axé sur trois priorités. La première est l'apprentissage du français, non pas pour les primo-arrivants (le taux de turn over de la résidence des Bosquets sur une mandature n'est plus que 2 %, contre 50 % il y a dix ans), mais pour les parents de ces jeunes qui, après parfois 25 ans de présence sur notre territoire, ne parlent toujours pas le français. Cet axe concerne plusieurs centaines de personnes, souvent des mères de famille - l'impact pour les enfants est important, notamment en termes de suivi de la scolarité. La deuxième priorité est celle de l'aide à la parentalité. Ces personnes sont en effet souvent déracinées par rapport à leur culture d'origine. En Afrique, l'éducation de l'enfant est confiée au village et la polygamie est en quelque sorte l'équivalent de la CAF et de la Sécurité sociale. En France, les parents seuls sont responsables de l'éducation de leurs enfants. Une intermédiation culturelle est donc nécessaire. La troisième priorité est celle de la connaissance des grandes oeuvres de la culture française. Nous organisons ainsi des visites aux Invalides, au Sacré Coeur, au Panthéon, à Notre-Dame de Paris, au musée Grévin, etc., afin que ces personnes perçoivent, à travers les chefs d'oeuvre de notre civilisation, ce qui constitue notre culture et ne se replient pas dans un communautarisme, qui gangrène, de fait, certains de ces quartiers.
Je pense que le calme actuel est très précaire. Si deux mondes distincts arrivaient encore à se parler et à espérer l'un dans l'autre, il me semble que nous sommes désormais face à deux mondes qui n'ont plus envie de dialoguer et qui suivent leur logique propre, ce qui est extrêmement dangereux.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Jacques Mahéas, maire de Neuilly-sur-Marne.
M. Jacques MAHÉAS - Monsieur le Président, je suis en quelque sorte à la fois témoin assisté et enquêteur, puisque je fais partie de votre mission d'information, ce qui me met dans une situation quelque peu paradoxale. J'essaierai d'être synthétique.
Lors de ces violences urbaines, j'ai fait cinq constats et remarqué deux attitudes.
Les constats sont les suivants : les violences urbaines n'étaient pas organisées ; les médias, la télévision en particulier, ont été une caisse de résonance néfaste et certains élus ont été piégés ; les incendiaires ont pénalisé leur propre quartier, en brûlant la voiture de leur voisin, leur école et leur gymnase ; un Ministre a, par les propos qu'il a tenus, allumé la mèche qui a conduit à cette explosion et en a recueilli immédiatement une certaine popularité ; dans bien des villes, la mobilisation des élus, des services publics et de la population a permis de limiter les dégâts.
A partir de là, les responsables ont adopté deux attitudes - sans rapport avec leur appartenance politique : certains ont prôné la répression maximale, le couvre-feu, voire l'intervention de l'armée, tandis que d'autres, dont je fais partie, ont constaté que cette crise, plus encore que la révélation d'une misère sociale, était la conséquence d'une faillite éducative et exigeait de redoubler les efforts, en créant partout des lieux éducatifs, en luttant contre les discriminations, en favorisant le développement de l'emploi et de l'insertion, en construisant des logements sociaux et en réclamant le retour de la police de proximité et des aides financières pour les associations de quartier.
Habitant la Seine-Saint-Denis depuis toujours et ayant été enseignant dans de nombreux établissements du département, puis principal de collège, je constate une évolution manifeste, plutôt négative, de certains quartiers. La politique de la ville a cependant eu le grand mérite de retarder ces crises et de sauver certains quartiers. Si tous les quartiers ne cumulent pas les mêmes difficultés, dans nombre d'entre eux, nous constatons un développement de la pauvreté et une certaine stagnation culturelle. Le niveau culturel n'a pas régressé, grâce aux moyens supplémentaires que lui ont consacrés de nombreuses communes, notamment par le biais des emplois jeunes ou par la création de zones d'éducation prioritaire. Les deux collèges de Neuilly-sur-Marne ont bénéficié de ces mesures et obtiennent aujourd'hui des résultats supérieurs à la moyenne. Il faut reconnaître cependant que l'offre culturelle est souvent médiocre dans ces quartiers et que celle de la télévision est abêtissante pour ces populations qui ne choisissent pas leurs programmes. L'Education nationale n'a pas non plus réussi à envoyer dans ces collèges - qui sont le maillon faible du système - les professeurs les plus performants, malgré le léger supplément qui leur est accordé en termes de carrière et de rémunération lorsqu'ils acceptent ces postes. Il est également vrai que dans certains de ces quartiers s'est développé un communautarisme, mais aussi des idées d'extrême droite et des religions extrémistes. La crise de l'emploi a par ailleurs contribué au développement des marchés parallèles - ceux-ci se concentrant le plus souvent sur la vente de drogues douces. Les petits commerces se sont en outre délabrés, si bien que les commerçants qui étaient des professionnels, ont été remplacés par d'autres, ouverts tôt le matin et tard le soir. La crise du logement est par ailleurs manifeste et le nombre d'hébergés n'est pas négligeable. Certains quartiers manquent, enfin, d'équipements publics, souffrent d'une trop faible mixité sociale et voient le nombre de familles monoparentales croître fortement.
La politique de la ville doit prendre à bras le corps toutes ces difficultés, or ce n'est pas simple car elles sont en grand nombre. Je tenterai toutefois d'avancer quelques pistes qui permettraient à la commission de faire des propositions.
Je me dois tout d'abord de souligner, à l'instar de mes collègues, que les communes ont des potentiels financiers si différents, que la politique de la ville ne peut être la même partout. Là où Clichy-sous-Bois, par exemple, peut dépenser 1 euro, Tremblay-en-France dispose de 5 euros. Les dotations entre les villes riches et les villes pauvres doivent être améliorées pour rétablir un certain équilibre. J'en parle en connaissance de cause puisque ma commune n'est pas riche et qu'elle se situe à l'avant-dernier rang des villes les moins dépensières de Seine-Saint-Denis, après Clichy-sous-Bois. Or, depuis quatre ou cinq ans, toutes les dotations de l'Etat qui lui ont été versées pour compenser sa situation ont été négatives par rapport à l'inflation.
M. Philippe DALLIER - Pour certaines villes, comme la mienne, c'est le cas depuis 10 ans.
M. Jacques MAHÉAS - Sous le Gouvernement de Lionel Jospin, elles étaient au-dessus de l'inflation entre 3 et 7 %. Je vérifierai si ce n'est pas le cas dans votre commune, mais cette tendance n'en demeure pas moins générale.
M. Philippe DALLIER - Vous avez raison, sous Lionel Jospin, elles avaient connu une forte croissance.
M. Jacques MAHÉAS - Depuis le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin globalement, Neuilly-sur-Marne a perdu environ 7 % de dotation de la part de l'Etat. La dotation globale forfaitaire, par exemple, n'obéit même pas à ce qui était inscrit dans la loi de finances, puisque ma ville a reçu 1,013 % d'augmentation. Cette répartition de crédits doit donc être révisée pour améliorer le potentiel fiscal des villes les plus démunies.
L'ANRU devrait en outre contribuer à développer les logements dans ces quartiers, en offrant des possibilités de petites accessions à la propriété ou de loyers libres.
S'agissant des zones d'éducation prioritaires (ZEP), je conseille vivement au Gouvernement de les maintenir, au lieu de créer des zones de réussite scolaire qui se traduisent par des réductions de postes dans les ZEP. Les deux collèges de ZEP de Neuilly-sur-Marne se sont déjà vu retirer des postes, tandis qu'à Noisy-le-Grand, le collège de ZEP compte aujourd'hui huit postes en moins. Cette réorganisation conduit ainsi à pénaliser les ZEP, y compris les plus anciennes, ce qui n'est pas logique.
En matière d'emploi, deux difficultés doivent être résolues. La formation des jeunes, tout d'abord, ne correspond pas toujours aux compétences recherchées dans les pôles d'emplois. Les pôles d'emplois, qui conduisent à concentrer dans un même lieu tous les emplois, constituent cependant également une aberration qu'il convient de stopper. Il convient en effet de retrouver un équilibre dans chaque ville entre le nombre d'actifs et le nombre d'emploi - au minimum à 0,8. Il sera alors plus facile pour les familles monoparentales - pour les mères le plus souvent - de travailler et de s'occuper de leurs enfants en même temps.
L'objectif des 20 % de logements sociaux dans toutes les communes doit par ailleurs être poursuivi. Il faut toutefois éviter, lorsque les logements d'une zone urbaine sensible (ZUS) sont démolis, de reloger les familles dans une autre ZUS. C'est ce qui s'est passé à Neuilly-sur-Marne pour quelques foyers dont les logements venaient d'être détruits dans une ZUS du nord de la commune.
Pour résoudre la crise qui a mené aux événements de novembre, la principale clé reste, selon moi, l'éducation qui, seule, permet d'inculquer un comportement citoyen. Je ne crois absolument pas aux vertus de la répression car ces jeunes sont arrivés à un degré de révolte tel qu'ils font tout pour se confronter à l'ordre établi. J'ai été témoin sur le terrain de ces violences urbaines. Or j'ai vu des garçons très jeunes mettre le feu à plusieurs voitures avec une rapidité déconcertante. Il s'agissait de jeunes collégiens qui souhaitaient faire mieux que ceux des villes voisines, qu'ils avaient vu agir à la télévision. Si nous acceptons d'entrer dans un rapport de force avec eux, nous n'obtiendrons qu'une guérilla urbaine et nous aurons échoué dans ces quartiers. Nous ne gagnerons que le combat de l'intelligence.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Claude Pernès, maire de Rosny-sous-Bois.
M. Claude PERNÈS - Merci. Chacun vient ici avec sa propre expérience et sa part de vérité, mais tous les éléments finissent par traduire une même réalité. J'ai eu la chance de participer à de nombreux colloques sur ce sujet, lorsque j'étais rapporteur de la commission de la ville à l'association des Maires de France, le plus souvent après chaque poussée de fièvre des banlieues. Je ne sais plus aujourd'hui par quel biais prendre le problème. En effet, tous les maires ont, à des degrés divers, appliqué dans leur commune l'ensemble des dispositifs que les ministères qui se sont succédés ont proposés pour accueillir les populations et apporter des réponses à celles qui sont les plus exposées à l'insécurité.
A mes yeux, les propos que vient de tenir le maire de Montfermeil sont les plus proches de ce qui doit être dit aujourd'hui. Il est important en effet de parler des situations réelles et de les nommer clairement. Il fut un temps où certaines paroles n'étaient pas de mise car le politiquement correct était imposé. Il faut pourtant oser reconnaître que la politique de la ville est « en compétition » avec les difficultés économiques que traverse notre pays et, plus largement, avec celles liées à la mondialisation - 4 milliards d'être humains souhaitent en effet atteindre notre niveau de vie, ce qui pèse sur notre marché de l'emploi. La politique de la ville se heurte également à la transformation sociologique de nos villes. S'il faut éviter d'être excessif, il faut admettre que les cours d'école des villes de banlieue ont beaucoup évolué depuis 20 ans et que cela explique en partie les difficultés quotidiennes des municipalités, qui doivent faire en sorte que les différences puissent coexister.
Il existe aujourd'hui deux catégories distinctes de population. La première est composée de la partie de la population sur laquelle les politiques de la ville peuvent peser (en matière de formation, de scolarité, de logement ou d'accompagnement à la vie sociale). Des moyens sont disponibles et chacun s'efforce d'y consacrer des sommes importantes. Chaque ville, en fonction de ses richesses, conduit ensuite des politiques qui lui sont propres. L'autre catégorie rassemble la partie de la population qui se trouve totalement hors de portée de nos politiques. Chacun s'accorde à reconnaître que les événements de novembre sont le fait d'un petit nombre - d'une dizaine ou d'une quinzaine de personnes et d'un meneur un peu plus virulent. Depuis 1983, ces générations de jeunes ont fui les politiques qui leur étaient destinées. Ils n'entrent plus dans les centres sociaux et sont donc hors de portée des éducateurs sociaux ou des animateurs de rue. Ils vivent dans un autre univers. Ceux que j'ai rencontrés au cours des nuits explosives de novembre ne se préoccupaient d'ailleurs pas des propos de Nicolas Sarkozy - même s'ils avaient entendu parler du « karcher » et de la « racaille » - ou des problèmes du CPE. Pour les élus, l'enjeu est donc d'arriver à pénétrer dans leur univers, en s'adressant à chacun de ces jeunes pour investir sur leur personne, à travers des programmes de formation visant à les rendre « employables » et à les resocialiser, afin d'être en mesure de renouer le dialogue avec eux, celui-ci étant aujourd'hui brisé. Dans l'état actuel des choses, il suffit d'une nouvelle étincelle, que les médias ne manqueraient pas de répandre, pour provoquer une nouvelle flambée de violences et aboutir aux mêmes conséquences. Ces actes sont devenus une sorte de jeu pour ces jeunes, qui, nuit après nuit, se sont rendus progressivement compte qu'ils pouvaient brûler des voitures en toute impunité.
En conclusion, je pense, comme Xavier Lemoine, que nous devons poursuivre nos politiques de la ville. Nous devons continuer à construire plus de logement social et favoriser la mixité - même si celle-ci est de plus en plus difficile à obtenir car les familles des classes moyennes ou supérieures refusent d'aller vivre dans certains quartiers, ce qui entraîne une ghettoïsation de fait entre les pauvres, d'un côté, et les « bourgeois », de l'autre. Je suis favorable à la création des préfets délégués à l'égalité et à la lutte contre les discriminations, mais je pense que nous devons également investir sur ces jeunes, qui, faute d'avenir et de projet, sont prêts à recommencer, demain, ce qu'ils ont fait en novembre.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur François Pupponi, maire de Sarcelles.
M. François PUPONNI - Je suis heureux d'être parmi vous et je vous remercie de me donner la parole.
Nous vivons dans un pays particulier, puisque, depuis 50 ans, la France ghettoïse ses catégories les plus défavorisées, en particulier celles issues de l'immigration, dans certains quartiers et certains grands ensembles. Nous fêtons le cinquantième anniversaire de Sarcelles. A la fin des années 50, le pays a en effet constaté qu'il manquait de logements et a construit les grands ensembles. Progressivement, y ont été reléguées les classes sociales les plus défavorisées, souvent issues de l'immigration. Se sont ainsi développés des ghettos sociaux et ethniques.
Il y a deux ans, j'ai inauguré un collège avec le Président du Conseil général du Val d'Oise. Ayant visité quelques classes, celui-ci a fini par s'étonner de voir soudain un enfant blanc. Je lui ai indiqué que ce garçon était en réalité turc. Cet exemple illustre le fait que les écoles publiques des quartiers sont le résultat des ghettos sociaux et ethniques que nous avons créés. Dans nos villes, la seule manière de conserver une part de mixité sociale est d'avoir des écoles privées, où les enseignants des écoles publiques inscrivent d'ailleurs souvent leurs enfants. J'ai personnellement deux enfants qui vont à l'école publique à Sarcelles. Ils ne sont pas en difficulté, mais nous nous demandons avec leur mère, qui est par ailleurs enseignante, si nous devons les y laisser car nous craignons de les pénaliser. Étant dans une classe où de nombreux enfants connaissent de grandes difficultés, ils attirent moins l'attention de leur enseignant, qui passe plus de temps - ce qui est normal - avec ces derniers. Nous nous trouvons ainsi dans une situation ubuesque où nous nous demandons si au nom de nos convictions, nous pouvons courir le risque de pénaliser nos enfants. De très nombreux habitants de nos villes se posent la même question.
Ces quartiers se trouvent ainsi stigmatisés. Sarcelles se trouve à égale distance entre Paris, Roissy et La Plaine Saint-Denis, une zone qui connaît le plein emploi et représente, à ce titre, l'un des fleurons des villes européennes. En 2005, Roissy, qui se trouve à 7 km de Sarcelles, a créé 3 500 emplois, or notre ville connaît un taux de chômage de 21 %, soit le double de la moyenne nationale. Cette situation est inadmissible et ne peut plus perdurer. Si Sarcelles était située dans une zone rurale, où le chômage sévit partout, tout le monde se ferait une raison, mais les habitants savent que de très nombreux emplois sont créés.
Les événements de novembre ne sont qu'un début. Le week-end dernier, Sarcelles a fait l'actualité pour des faits qui n'en sont que la continuation. En novembre, les esprits s'étaient échauffés à l'occasion d'un événement à Clichy. Depuis, cela n'a pas cessé, même si cela prend une autre forme. En quarante ans de vie à Sarcelles, je n'ai jamais connu autant d'agressions violentes, qui, soit sont gratuites, soit accompagnent de petits larcins (un vol de sac ou de téléphone portable) et touchent aussi bien les jeunes isolés que les personnes âgées, les femmes enceintes que les enfants. Ce week-end, trois jeunes de la communauté juive qui se promenaient dans Sarcelles ont été agressés, dont deux pour la seule raison qu'ils étaient juifs. Le lendemain, leurs agresseurs seront capables d'agresser une femme âgée et le surlendemain, un policier. Ces jeunes, qui sont en pleine dérive, en situation d'exclusion totale, ont basculé depuis le mois de novembre dans une délinquance aggravée.
J'ai tenté de trouver une explication. A Sarcelles, ces jeunes ne représentent qu'une vingtaine de personnes sur 50 000 habitants et 18 000 élèves. Ils ne sont donc qu'une infime minorité de la jeunesse. Je pense qu'ils ont analysé les événements du mois de novembre comme l'autorisation qui leur était donnée d'agresser, de voler et d'attaquer. Je fais référence à la manière dont les médias ont géré le problème. Un jeune qui est en situation d'échec, qui a des troubles du comportement - de ce point de vue, la régression du nombre de psychiatres pour prendre en charge les comportements déviants et répondre à cette grande souffrance est à mettre d'urgence à l'ordre du jour -, qui voit tous les soirs ceux qui mettent le feu passer à la télévision, voudra nécessairement commettre les mêmes actes pour passer à la télévision. Les agressions antisémites de ce week-end - qui sont à traiter avec autant de poids que les agressions racistes, xénophobes et sexiste qui se multiplient également - sont la conséquence directe du drame d'Ilan Halimi et de l'arrestation de Youssouf Fofana. Lorsqu'un jeune passe dans tous les journaux télévisés, parce qu'il a torturé pendant trois semaines une personne parce qu'elle était juive, et fait le signe de la victoire en compagnie de sa petite amie, un esprit faible peut vouloir faire pareil. Nous sommes par conséquent confrontés à une situation dramatique.
Il y a quelques années, les jeunes s'agressaient entre eux. C'était le phénomène des règlements de comptes entre bandes. Depuis quelques mois, ils ont décidé de s'attaquer aux biens de leurs voisins. Je pense que la prochaine phase, lorsqu'ils auront un peu plus réfléchi, sera de s'attaquer aux beaux quartiers, là où l'argent est encore plus visible. Leur violence accompagne en effet une volonté d'acquérir des biens. Ce phénomène a commencé il y a deux ans lors de la manifestation des lycéens à Paris. Je suis convaincu qu'il est appelé à prendre de l'ampleur.
Ce constat dramatique est le résultat de cinquante ans d'une politique de stigmatisation et de ghettoïsation, menée par des gouvernements de tous bords. Sur les 38 000 habitants de Sarcelles vivant dans les grands ensembles - dans la plus grande ZUS de France -, on compte 3 000 hébergés, qui viennent du monde entier et sont entrés en France illégalement. Je ne leur en veux d'ailleurs pas, car si je connaissais les mêmes difficultés et que je savais que je peux offrir un avenir meilleur à mes enfants en quittant mon pays, je le ferais. C'est la fierté de la France de les accueillir. Dans la mesure, cependant, où personne ne veut les reconnaître, il revient aux élus locaux de les accueillir et d'assumer seuls leur présence, en particulier en recevant leurs enfants dans les écoles publiques, en payant la cantine aux plus démunis, etc. Les conséquences financières et sociales de ces hébergés ne sont jamais prises en compte dans les dotations de l'Etat car ils n'apparaissent pas dans les statistiques du recensement. Dans la mesure où ils n'ont pas de bail, ils ne sont pas inscrits au rôle des contributions directes. Ils ne paient donc pas d'impôt et la municipalité est seule à les assumer.
Il faut donner à ces communes le moyen d'avoir les recettes suffisantes pour s'occuper dignement de ces populations. Aujourd'hui, le budget de Sarcelles provient à 60 % des dotations de l'Etat et à 40 % de la fiscalité. L'autonomie fiscale, qui est invoquée par certains Parlementaires, n'a pas de sens pour une ville dont moins de la moitié du budget dépend de ses impôts. Ceux-ci proviennent à 40 % des entreprises et à 60 % des ménages. Pour un petit pavillon acheté à crédit sur 25 ans, avec 400 m 2 de terrain, un habitant paye 3 000 euros d'impôts locaux par an. Dans ce schéma fiscal, nous sommes obligés de surtaxer ceux qui peuvent payer l'impôt. Il est urgent que le pays prenne conscience de la gravité de la situation et donne à ces communes les moyens de stopper les dérives qui les handicapent.
L'un des moyens seraient de mieux répartir la dotation de solidarité urbaine (DSU). Alors que les communes les plus pauvres se battent depuis plusieurs années pour l'augmenter, elles n'ont obtenu qu'une hausse de quelques pourcents. La DSU ne représente pourtant que 3 % des dotations de l'Etat. Or on nous a refusé de la faire passer à 5 %. De plus, sur l'augmentation obtenue, de grandes villes, comme Strasbourg, Toulouse et Nantes, prennent 600 000 euros. Il n'est pas normal que Toulouse, qui n'a aucun endettement et dont les impôts sont faibles car elle bénéficie des recettes de la taxe professionnelle, soit éligible à la solidarité nationale. Il serait préférable d'aider davantage les villes pauvres qui n'ont que des quartiers pauvres et de demander au maire de Toulouse d'augmenter sa fiscalité pour aider le quartier du Mirail. Je rappelle que les communes les plus en difficulté ne sont qu'au nombre de 300 en France, soit 1 % des communes. Il faut que l'Etat les aide à s'occuper dignement de leurs populations en difficulté.
Je souhaiterais enfin insister sur la nécessité d'abandonner tout discours sur la mixité sociale. Je constate tout d'abord que ceux qui en parlent le plus, ne la veulent en général pas pour leur ville. Que les responsables politiques qui ne voudraient pas habiter dans ces quartiers, ne proposent pas aux autres ce qu'ils n'accepteraient pas pour eux-mêmes ! Ensuite, dans une ville comme Sarcelles, 80 % de la ZUS est composée de logements sociaux et 20 % de copropriétés. Ces dernières accueillant souvent les populations issues de l'immigration clandestine, il faut en réalité dénombrer 90 % de logements sociaux. Pour réaliser une véritable mixité sociale, il faudrait donc évacuer la moitié de ces habitants, c'est-à-dire 15 000 personnes. Lorsque je le leur propose, ils me répondent qu'il n'en est pas question et finissent par me demander pourquoi je ne veux plus d'eux et s'il est honteux d'être pauvre. Quand bien même je souhaitais mettre en oeuvre cette politique, je serais bien embarrassé pour savoir où les reloger. Et quand bien même je raserai la moitié des logements sociaux pour les remplacer par des logements intermédiaires, je suis certain que les personnes auxquelles ceux-ci seraient logiquement destinés n'en voudraient pas. Cette solution est donc non seulement irréaliste, mais elle est stigmatisante et traumatisante pour des quartiers comme ceux de la ZUS de Sarcelles. Je pense par conséquent que la mixité doit être préconisée et appliquée dans les zones où elle est possible, car un certain équilibre préexiste. Dans les 300 communes les plus pauvres, qui comptent plus de 70 % de logements sociaux, elle est impossible à court terme. Ce serait, de surcroît, une fierté pour notre pays que nous nous occupions enfin dignement de ces quartiers.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Gilbert Roger, maire de Bondy.
M. Gilbert ROGER - Je vous remercie de nous recevoir et de nous écouter. Je partage particulièrement les propos que vient d'exprimer mon ami François Pupponi. Nous passons notre temps à expliquer notre situation dans de nombreuses commissions et je serais heureux que nous entendions enfin quelqu'un dire : « Je vous ai compris, nous allons vous aider ».
A Bondy, j'ai passé onze nuits dans la rue à essayer de rétablir le calme pour éviter qu'un drame humain ne se produise. Dans ma commune, au cours de ces nuits de violence, seul un bâtiment a été abîmé (un pavillon d'accueil dans un parc paysager). Aucune école, aucun gymnase, aucun centre social n'a été touché. De nombreuses épaves de voiture ont, en revanche, été incendiées, ainsi que 35 véhicules appartenant à des particuliers. Je me demande pourquoi ma ville a été plus épargnée que d'autres.
Le quartier nord de la ville a connu tous les dispositifs qui ont été évoqués. Il est classé en zone franche urbaine et son collège est en ZEP. J'y ai été élève et j'y ai placé ma première fille. Le passage entre le collège et le lycée s'est cependant tellement mal passé pour elle que j'ai décidé que je n'y mettrai pas ma dernière fille. En 22 ans, la situation s'est fortement dégradée.
Plus de 50 % du patrimoine de la ville est par ailleurs classé en logement social. Or les familles sont trop nombreuses dans ces logements. S'il est agréable de voir de temps en temps ses parents ou ses grands-parents, il n'est pas tenable de vivre avec eux 24 heures sur 24. Ce problème doit être résolu. On note également l'absence des services publics. Le quartier nord de Bondy compte entre 12 et 14 000 habitants, l'équivalent d'une ville de province. Il a une église, une mosquée et une synagogue, mais n'a plus de permanence EDF, plus de CPAM et plus de CAF. Il n'y a plus non plus de policiers pour contrôler ce qui se vend sur le marché non sédentaire, ce qui entraîne une grande impunité pour tous les trafics. On y trouve aussi bien des yaourts dont la date de péremption est dépassée, que des faux bipers qui tirent des balles (et ont l'avantage de passer sous les portiques de sécurité). Alors que la police municipale ne peut régler ces problèmes, car elle n'est pas armée et n'est pas formée à ces réglementations, les préfets qui se succèdent refusent d'intervenir. Le quartier ne compte pas non plus de banque et un seul distributeur, où les gens ne peuvent retirer plus de 60 euros à la fois. Ceci explique pour partie que des parents ferment les yeux lorsque leur enfant leur rapporte quelques billets - obtenus généralement dans le cadre de l'économie parallèle.
L'un de nos chevaux de bataille est de faire en sorte que le droit commun soit appliqué à nos communes, or il ne l'est pas. De ce point de vue, la politique de la ville n'est que la « cerise sur le gâteau », car elle devrait permettre de prendre des mesures supplémentaires pour effacer certaines inégalités territoriales. Force est de constater, cependant, que lorsque l'Etat consent à nous donner certaines sommes dans le cadre de la politique de la ville, il nous retire par ailleurs celles qui nous reviennent de droit commun.
Alors que nous avons connu onze nuits d'émeute urbaine à Bondy, le Parlement vient de voter une loi sur l'archéologie préventive qui oblige aujourd'hui la mairie à verser 2,2 millions d'euros à l'Etat pour prendre en charge les fouilles de 3 000 m 2 du centre-ville, qui est classé « site national ». La municipalité se trouve ainsi contrainte d'emprunter de l'argent pour payer l'INRAP, car l'Etat a abandonné cette responsabilité. Il est inadmissible que les collectivités locales soient traitées de la sorte. J'ai demandé à la DRAC de pouvoir bénéficier du fonds national pour l'archéologie préventive, mais il m'a été répondu que le Parlement avait oublié, en adoptant la loi, d'abonder le fonds, si bien que la ville ne peut compenser une partie des 2,2 millions d'euros qu'elle a dû verser.
Le recensement constitue une autre source de difficulté. Les gouvernements successifs en ont modifié le mode de calcul. Alors que le nombre d'habitants de Bondy était évalué à 47 000 en 1999, il est vient d'être révisé à hauteur de 57 400, soit la plus forte augmentation de la Seine-Saint-Denis. Or la révision des dotations, qui devrait correspondre à 1,2 million d'euros supplémentaires, n'interviendra qu'en 2009. En dix ans, l'Etat aura économisé environ 10 millions d'euros. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'adaptation des modalités de calcul des dotations est effectuée avec tant de retard.
Bondy compte par ailleurs un policier pour 630 habitants, que la ville partage avec la commune dont Philippe Dallier est le maire. A Paris intra muros, les effectifs sont de 1 pour 200. Lorsque je fais ce constat, on me répond en général que la situation de Paris est particulière et que la comparaison ne vaut pas. Je le concède, mais je ne demande pas à avoir le même nombre de policiers. Je serais satisfait si je pouvais compter au moins sur la moitié de la différence. Durant les émeutes, le 3 novembre 2005, un certain nombre de maires de Seine-Saint-Denis, notamment Serge Dassault et Gérard Gaudron, ont été reçus par le Premier ministre. La veille, un match de football opposant Lille à Manchester se tenait au Stade de France. Le commissaire de police de Bondy, celui de Tremblay-en-France et un troisième étaient de service aux abords du stade, alors que la situation dégénérait dans leur commune. Du fait de cette affectation, ils étaient en repos le lendemain. C'est finalement la commissaire de Romainville-les-Lilas qui a eu à gérer les problèmes de Noisy-le-Sec, de Bondy et d'une partie de Bobigny. Même si le stade est une fierté pour la France, il ne peut justifier de « dépouiller » les commissariats locaux pour en assurer la sécurité car il constitue une problématique de niveau national. Les citoyens des communes voisines ont également droit à la sécurité.
Nous devons par ailleurs accompagner les familles monoparentales, en particulier les femmes qui sont généralement celles qui assument la responsabilité du foyer quand le mari est parti. Ces femmes acceptent souvent d'occuper des emplois difficiles (de caissière, de femme de ménage, etc.), qui les obligent à travailler en horaires décalés. Si elles laissent effectivement leurs enfants seuls à la maison, elles ont le mérite de les nourrir, tout en culpabilisant de ne pas être présentes. Il convient donc de les soutenir, au lieu de les stigmatiser.
J'aimerais également vous faire part d'une proposition visant à restaurer la dignité des populations immigrées de nos quartiers. Je suis volontaire pour qu'une expérimentation soit menée dans ce sens à Bondy. Si dans la commune, de nombreux jeunes sont d'origine maghrébine, ils sont avant tout français. Leurs parents ne le sont, en revanche, pas toujours. Ils sont ainsi amenés régulièrement à renouveler leur permis de séjour. L'organisation actuelle de la procédure les oblige à arriver à 5 h du matin à la préfecture et à faire la queue pendant des heures, qu'il pleuve ou qu'il vente, pour obtenir un rendez-vous, qui leur est souvent fixé plusieurs mois après. Or c'est une honte pour ces jeunes de voir leurs parents, qui sont en France depuis des dizaines d'années, être bafoués ainsi dans leur dignité. Je propose donc que, comme c'est le cas pour tout citoyen qui souhaite faire renouveler son passeport, ces personnes puissent déposer leur dossier à la mairie. Celle-ci n'a pas à juger de l'opportunité du renouvellement. Elle n'instruirait donc pas les dossiers, mais les recevraient en dépôt. Une fois le dossier instruit par la préfecture, soit il ne pose pas de problème et la mairie envoie une lettre à l'intéressé pour qu'il vienne chercher sa nouvelle carte de séjour, soit la préfecture a besoin de plus de renseignements et elle contacte la personne pour un rendez-vous.
Si vos assistants en ont le temps, je les enjoints par ailleurs à aller visiter le site « Bondy blog », créé par L'Hebdo, un journal suisse, car son contenu est à la fois instructif et dramatique. Ces journalistes avaient utilisé ce site pour juger la situation réelle de la ville. Ils annoncent aujourd'hui partir « proprement », en laissant le matériel et en le confiant à quelques jeunes auxquels ils ont dispensé une petite formation. Or certains s'imaginent qu'ils sont devenus des journalistes, tandis que d'autres estiment impossible d'avoir aucun contact avec des responsables politiques et s'enferment peu à peu dans la radicalité. De fait, la violence a été libérée par les émeutes. Le nombre d'agressions physiques gratuites et de véhicules incendiés augmente fortement. Nous aurons besoin d'en discuter avec les autorités chargées de la sécurité car un phénomène très grave est en train de se produire.
Pour ne dire qu'un mot de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, je mentionnerai simplement le fait que j'ai déposé mon dossier en décembre 2004, et que, par chance, je passerai devant le comité national d'engagement de l'ANRU le 16 mars 2006 après-midi... J'espère que les réalisations ne tarderont pas trop, car toutes les communes ont des projets d'aménagement ou de construction.
Je citerai également, parmi les problèmes, une petite mesquinerie. Lorsque le Ministre de l'Intérieur a octroyé 150 euros de prime exceptionnelle aux policiers, pour les récompenser du travail qu'ils avaient effectué durant les émeutes, j'ai voulu faire de même pour mes collaborateurs qui n'ont pas non plus compté leurs heures au cours de ces nuits - notamment les femmes qui ont été obligées de faire appel à des nourrisses - et qui n'avaient pas droit aux heures supplémentaires du fait de leur statut. Cette mesure vient pourtant d'être déclarée illégale et a été annulée. J'estime que cette décision est mesquine, car le personnel municipal a passé des nuits entières à travailler avec les responsables des communes pour être utiles à la paix sociale.
J'aimerais enfin poser une question, qui m'interpelle. Lorsque les jeunes de nos quartiers jouent au football, ils savent qu'ils doivent faire avec un terrain, deux buts, un ballon, deux équipes de 11 joueurs et un arbitre. Personne n'a jamais vu une équipe de Montfermeil arrivée à 300 sur le terrain pour affronter 150 joueurs de Bondy. On peut se demander pourquoi ces jeunes acceptent parfois de respecter les règles communes - comme celle de porter un uniforme - et sont également capables de tuer quelqu'un parce qu'il porte une montre qui leur fait envie. Le jour où nous serons capables de trouver la réponse, je pense que nous aurons fait de grands progrès.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Il est 16h15. Il nous reste un certain temps pour le débat. Je constate une convergence des points de vue sur la gravité de la situation et sur la possibilité que le feu reprenne à tout moment. Les approches pour y remédier sont, en revanche, très diverses - ce qui est très intéressant pour la commission. Je passe la parole à notre rapporteur.
M. Pierre ANDRÉ - Mes chers collègues, sénateurs et maires - je suis moi-même maire d'une ville de 65 000 habitants, qui a connu les mêmes difficultés que les vôtres -, je m'associe à l'ensemble des propos qui viennent d'être tenus. Ils sont si forts et enrichissants pour l'ensemble des membres de la mission d'information que je ne reviendrai pas longuement dessus. Jusqu'à la fin de nos travaux, nos débats devront être permanents. Il sera également intéressant, comme nous y autorise notre Président, d'aller parfois nous rendre compte de la situation sur le terrain. Je ferai quelques observations.
Si Claude Pernès dit vrai lorsqu'il rappelle que la politique de la ville a fait l'objet de très nombreux colloques depuis plusieurs années, les événements ont eu au moins le mérite de montrer à la France entière que les maires étaient au coeur de ces politiques. Les reportages tournés à cette occasion ont en effet montré que les maires étaient en première ligne. Ils doivent également être en première ligne pour faire valoir les besoins de leurs collectivités.
A cet égard, deux types de problème ont été soulevés : d'une part, l'indemnisation des communes pour les dégâts occasionnés ; d'autre part, l'engagement d'une réflexion sur la manière de conseiller les responsables en charge de la politique de notre pays. C'est le rôle qu'entend jouer cette mission d'information.
La politique de la ville exige d'être menée dans la continuité. Elle ne peut remplacer pour autant les politiques de droit commun de l'Etat (dans les domaines de la formation, de la sécurité, de la justice etc.) qui nécessiteraient d'être davantage développées dans nos villes. A cet égard, les maires pourraient fournir des conseils utiles pour les appliquer dans leurs quartiers difficiles. Au moment des événements, loin d'un « trop plein » d'Etat, les maires ont ressenti la grande absence de celui-ci, qui ne saurait être représenté uniquement par le biais de la police. Alors qu'il leur fallait régler des problèmes au jour le jour, ils avaient peu d'interlocuteurs, en particulier dans les communes où il n'y a ni sous-préfet, ni préfet à la ville. Ce sujet mérite réflexion.
S'agissant de la DSU, Xavier Lemoine a déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un problème de moyens. Tel est pourtant le cas pour nos communes qui sont parmi les plus pauvres. Je souhaiterais attirer l'attention sur le problème prépondérant de la péréquation. J'avais fait, dans le cadre de la loi de finances qui a été votée il y a deux ou trois ans, une proposition d'amendement pour qu'un nombre moins élevé de communes puissent en bénéficier. J'avais alors suscité un tollé général sur les bancs du Sénat. Lors du dernier débat parlementaire, qui a eu lieu il y a deux jours, un amendement prévoyait que la DSU soit applicable aux communes rurales. Le problème est donc loin d'être réglé. J'estime que pour les 300 ou 400 villes les plus démunies, une nouvelle clé de répartition des fonds doit être trouvée.
J'ai par ailleurs été frappé par les propos de Gérard Gaudron, car j'ai moi-même reçu, pour la première fois depuis dix ans que je suis maire, une dizaine de lettres anonymes dénonçant les sommes dépensées pour les quartiers en difficulté qui seraient inefficaces et donc inutiles. Je pressens des manoeuvres politiques prochaines qui prendront prétexte de ces déclarations.
Les contrats de ville seront par ailleurs à nouveau négociés dans les mois qui viennent. Le comité interministériel à la ville, qui se réunit demain, prendra certaines dispositions qui détermineront l'argent dont nous disposerons pour mener les politiques de la ville au cours des quatre à cinq années à venir. Nous devront y réfléchir pour indiquer clairement ce que les élus souhaitent sur le terrain, car si les contrats de ville ne permettent pas de répondre aux problèmes qui se posent réellement, nous allons vers un échec.
Je terminerai mon intervention, non pas en déclarant « Je vous ai compris », mais en soulignant que nous devons tous ensemble nous faire comprendre.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je donne la parole à André Vallet.
M. André VALLET - J'ai apprécié les exemples concrets qui ont été présentés pour nous éclairer sur les difficultés vécues sur le terrain et qui seront enrichissants pour le travail de la mission. Je souhaiterais revenir sur quelques points, notamment pour avoir votre point de vue sur certaines questions qui n'ont pas été abordées.
Je reviendrai tout d'abord sur le problème des images télévisées. En tant qu'élu du sud de la France, je sais combien la reprise des images des incendies de forêt par la télévision chaque été peut être dévastatrice dans l'esprit de personnes dérangées, qui sont alors amenées à franchir le pas. Je souhaite savoir ce que vous en pensez et si vous souhaitez qu'un débat soit organisé avec les médias pour leur demander d'observer une retenue dans certains cas.
J'aimerais également que vous nous parliez des rapports que ces jeunes entretiennent avec la police. Je me demande s'il existe réellement un conflit ouvert, comme l'affirment les médias, et si certaines villes connaissent des expériences heureuses en la matière.
S'agissant des enseignants, chacun a dit qu'ils faisaient tout leur possible pour que les enfants dont ils s'occupent reçoivent la meilleure éducation possible. Je me demande toutefois s'ils s'impliquent dans la vie de leur quartier ou s'ils le quittent immédiatement, une fois le cours terminé.
Enfin, le maire de Montfermeil a déclaré que certaines associations avaient une attitude négative. J'aimerais savoir si d'autres maires partagent ce constat et s'ils estiment que ces associations sont en partie responsables des troubles dans leur quartier.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je précise que les membres de la mission poseront d'abord leurs questions, puis les maires présents pourront répondre à celles qu'ils souhaitent.
M. Thierry REPENTIN - Je souhaiterais indiquer en préambule que les sénateurs présents se sont portés candidats pour participer à cette mission et travailler sur ce sujet, soit parce qu'ils s'y intéressent, soit parce qu'ils vivent eux-mêmes ces difficultés.
Vous avez la « chance » d'être situés en région parisienne et d'être donc plus proches des médias que nous ne le sommes en province. Nous avons connu des événements similaires dans certains quartiers de villes de province au mois de novembre, mais les journaux en ont moins parlé car les déplacements des équipes de télévision sont moins faciles à gérer. Ceci n'était par pour nous déplaire car en voyant les reportages faits dans vos villes, nous espérions grandement ne pas être à la une des médias et éviter ainsi que les mêmes événements se produisent dans les nôtres. La situation y est pourtant tout aussi instable. Dans la ville où je suis élu, par exemple, les transports publics sont en grève depuis une semaine dans un quartier à cause d'une agression, mais les médias sont heureusement occupés par d'autres sujets, tels que le Chikungunya et le CPE.
Monsieur Pupponi et Monsieur Roger ont par ailleurs évoqué leurs interrogations sur l'école, se demandant si, en bons républicains, ils devaient continuer à jouer le jeu de la mixité sociale. Étant moi-même confronté à la même question, je puis vous assurer qu'il est difficile de savoir comment réagir lorsque, au moment d'inscrire ses enfants au collège, des représentants de l'Education nationale, voyant votre nom, vous demandent si vous êtes certain de ne pas vouloir une dérogation pour les inscrire dans l'établissement d'un autre quartier.
Nous avons constaté au moment des événements que les maires étaient en première ligne, car ils sont les derniers à être en contact avec la population de ces quartiers. J'aimerais savoir si, dans le cadre de prochaines évolutions législatives, vous souhaiteriez obtenir davantage de pouvoir en matière d'application des règles de justice et de sécurité et de modulations des prestations sociales pour les familles, afin de favoriser le dialogue avec les citoyens.
Nombre d'entre vous ont par ailleurs insisté sur la formation des jeunes, l'éducation et les services publics. Je me demande si, dans le cadre des dispositifs de la politique de la ville auxquels vous êtes candidats, vous estimez que les cahiers des charges qui vous sont demandés en échange prennent suffisamment en compte ces différents aspects ou si vous pensez que l'Etat devrait vous demander de vous associer davantage à la mise en oeuvre de ces actions au quotidien. Autrement dit, j'aimerais savoir si vous avez identifié des carences dans le cahier des charges des dispositifs de la ville, sur lesquels il conviendrait d'insister davantage.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Dominique Braye.
M. Dominique BRAYE - Merci, Monsieur le Président. A la suite de ces interventions, je suis frappé par la manière dont les maires ont réagi. Je suis Président de la communauté d'agglomérations de Mantes-en-Yvelines, où se trouve Mantes-la-Jolie. Je me suis particulièrement retrouvé dans le discours du maire de Montfermeil. Je souhaiterais poser un certain nombre de questions.
Il existe certainement plusieurs difficultés qui expliquent que nous en soyons arrivés aux événements de novembre. François Asensi déclare toutefois ne pas avoir été surpris, tandis que Gérard Gaudron affirme ne pas les avoir vu venir, estime que tout avait été tenté et se retrouver aujourd'hui devant un mur. Je m'excuse par avance d'être un peu caricatural, mais je crois franchement que l'heure n'est plus aux demi-mesures et aux déclarations polies ou politiquement correct. Je dirai ainsi à Jacques Mahéas qu'il faut balayer d'un revers de main ces débats éculés entre prévention et répression, car, comme l'a indiqué Gilbert Roger, les deux politiques ont leur place. Si nous prenons à nouveau pour point de départ ce vieux débat, nous n'avancerons jamais. Nous devons nous efforcer de trouver de nouvelles solutions.
Comme Xavier Lemoine, je pense que nous n'insisterons jamais assez sur l'état d'esprit de ces jeunes. A force de les victimiser - même si nous avons tous notre part de responsabilité dans cette situation -, ceux-ci finissent par penser que la société leur doit réparation, ce qui tend, selon eux, à légitimer leurs actes de violence. J'entends régulièrement sur le terrain de tels propos. L'une des principales revendications est celle de l'emploi. Si des enfants de 13 ans qui brûlent des voitures ne sont pas à la recherche d'un emploi, leur père ou leur grand frère sont souvent au chômage. J'ai demandé à des chefs d'entreprise pourquoi dans un bassin qui créée 3 500 emplois, le chômage ne diminue pas, pourquoi au Val Fourré, alors que le taux de chômage du département est très inférieur à celui du reste de la France, il ne diminue jamais chez les jeunes et est toujours concentré dans ces quartiers. Ces chefs d'entreprise, à qui tous les maires adressent des jeunes en recherche d'emploi, me répondent que le problème vient essentiellement d'un manque de savoir-être. Ils affirment qu'il ne leur faut pas cinq minutes pour voir, à la manière dont ils se présentent, s'ils ont une chance d'être embauchés. Comme le déclarait le maire de Montfermeil, il existe un grave problème d'éducation et de formation. De la même façon, si la télévision peut être mise en cause dans la part qu'elle a joué au moment des événements, toutes les études de pédopsychiatrie montrent que les individus sont d'autant moins sensibles à ces images que leur esprit critique a été formé pour les analyser et pour les regarder avec recul. Lorsque nous constatons que les enseignants de ces quartiers, qui sont souvent socialistes et manifestent pour l'école publique, mettent leurs enfants dans des écoles privées car ils ne veulent pas sacrifier leurs enfants à leurs idées, je suis d'autant plus convaincu que tout le problème vient des lacunes de l'éducation que nous donnons à ces jeunes. J'aimerais avoir votre avis sur le sujet.
Je suis par ailleurs en désaccord avec les propos du maire de Sarcelles sur la manière dont a été traité l'assassinat d'Ilan Halimi. Il me semble trop facile de conclure qu'il s'agit d'un acte antisémite, au lieu de s'interroger sur les raisons pour lesquelles la société génère des jeunes capables de produire de tels comportements. Les élus ne doivent pas tomber dans ce piège, car il est indispensable de s'accorder sur le bon diagnostic afin d'être en mesure d'apporter le bon traitement. Je souhaiterais donc demander aux maires présents s'ils pensent que les diagnostics qui sont faits sont parfois trop simplistes car ils sont plus faciles à expliquer aux citoyens, alors qu'ils sont finalement excessivement dévastateurs.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Claude Pernès.
M. Claude PERNÈS - Pour répondre à votre question sur la victimisation, je dirai tout d'abord qu'ayant récemment été auditionné par votre mission en tant que membre de l'AMF, un sénateur m'a déclaré : « Tout ce qui s'est passé est bien normal, compte tenu de tout ce que vous leur avez fait ! ». Je lui ai répondu que je ne leur avais rien fait, depuis 23 ans que je suis au service de la population. Je ne leur dois donc rien. Nous constatons pourtant aujourd'hui ces comportements.
S'agissant des médias, je dispose d'un exemple particulièrement frappant. Le deuxième jour des émeutes, une équipe d'Envoyé Spécial s'est rendue à Aulnay-sous-Bois. Elle a filmé pendant trois nuits. Chaque jour, on m'annonçait que tel bâtiment public serait brûlé en présence de ces journalistes et je mettais donc tous les moyens pour le protéger. J'ai écrit à la Direction générale de France 2, Patrick de Carolis, et à Arlette Chabot, responsable d'Envoyé Spécial, qui ont justifié la présence de ces journalistes en expliquant qu'ils remplissaient leur devoir d'information. Il est tout de même ennuyeux de constater qu'ils arrivaient parfois avant les pompiers. Lorsque l'on sait qu'ils avaient l'obligation de produire des images, on comprend que 86 voitures aient brûlé en leur présence, contre 30 à Bondy, et ce, alors que la sociologie de population de ces deux communes est la même. Le commissaire d'Aulnay a même été convoqué devant la police des polices car il avait embarqué des journalistes. Cette production d'images a ainsi entraîné une véritable surenchère. Il faut aussi souligner que les journalistes ont systématiquement sélectionné les images les plus négatives de la ville, par exemple quelques sacs poubelle qui n'avaient pas été ramassés devant un immeuble HLM. Ils ont également recueilli des propos qui étaient systématiquement hostiles à la municipalité, en floutant les jeunes interviewés. J'ai indiqué à la Direction de France 2 que les journalistes auraient dû recueillir les réponses du maire pour vérifier les allégations portés contre lui, ce qui aurait permis de préciser toutes les actions positives que nous mettons en oeuvre. Il n'en a rien été. Je pense par conséquent qu'une réflexion doit être menée avec les médias.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je donne la parole à Serge Lagauche.
M. Serge LAGAUCHE - Ayant entendu l'intervention de Monsieur Braye, je souhaite qu'une partie de ses déclarations soient mentionnées au compte rendu comme étant énoncées par lui en tant que maire et non en tant que membre de la commission. Les membres de la commission sont là dans un premier temps pour interroger les maires. S'ils exercent par ailleurs des fonctions de maire, ils doivent garder leurs distances par rapport à leur propre expérience. Ils en discuteront entre eux dans un second temps pour rédiger leur rapport. Nous avons choisi d'interroger Monsieur Mahéas, mais celui-ci a d'emblée précisé qu'il était membre de la commission et qu'il s'exprimait en séance en tant que maire. Ce point me paraît important à rappeler dès à présent, pour éviter des polémiques ultérieures.
Je comprends par ailleurs les déclarations qui ont porté sur le rôle des médias. Il est sans doute illusoire de penser que nous pourrons les contrer. J'ai également entendu ce que les uns et les autres ont dit sur le problème du chômage, or les médias n'y sont pour rien. Il nous faut donc peser le pour et le contre dans nos propos. Le fait de faire porter excessivement la responsabilité sur les médias, même s'ils peuvent avoir des torts, me paraît déséquilibré. Il me semble plus utile de nous interroger, par exemple, sur les raisons pour lesquelles les communes proches de Roissy ne profitent pas des emplois qui y sont créés.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je passe la parole à Monsieur Xavier Lemoine.
M. Xavier LEMOINE - Les médias suivent une logique commerciale, qui les conduit à ne rapporter que les mauvaises nouvelles. Ils sont un acteur public majeur, dont il n'est pas possible de ne pas tenir compte. Je me suis personnellement opposé à certaines interviews et à certaines images que j'estimais inappropriées. Il appartient à chaque maire de gérer au mieux les médias afin d'éviter que, sans le savoir, ceux-ci ne produisent une catastrophe.
Je répondrai ensuite à la question qui a été posée sur les rapports entre les jeunes et la police. A la suite du décès de deux jeunes à Clichy et des brûlures d'un troisième, ce sont tout d'abord des collégiens qui sont descendus dans la rue. Or je suis convaincu que leur violence était due, pour moitié, à la rancoeur qu'ils avaient accumulée à l'égard de la BAC. Si la brigade anti-criminalité est nécessaire, elle ne concerne, comme son nom l'indique, que les affaires criminelles et ne doit pas s'occuper des contrôles d'identité. Notre expérience de la police de proximité avait montré qu'une connaissance mutuelle des jeunes et des policiers avait permis d'instaurer un sentiment de reconnaissance, qui était propice à la paix sociale. Avant la police de proximité, la BAC, à partir de 16h, n'intervenait plus aux Bosquets, y compris dans le cas d'agressions physiques. Lorsque la police de proximité était présente, la BAC intervenait à toute heure du jour et de la nuit, avec l'assentiment et la coopération de la population. Depuis le départ de la police proximité et de la BAC, personne n'intervient plus le week-end. Lorsque je suis au courant d'un problème, j'en suis réduit à menacer d'intervenir moi-même. La BAC finit donc par venir. J'ai demandé à Nicolas Sarkozy de réviser le mode opératoire de la police dans ces quartiers, afin de ne pas laisser les jeunes seuls avec la BAC au quotidien. Il faut une vraie police de proximité, qui effectue quand il le faut des rappels à l'ordre. C'est la seule manière d'éviter de plus grosses interventions.
S'agissant du rôle ambigu joué par les associations, l'Etat a commencé à y voir plus clair. Si les cahiers des charges des contrats de ville étaient parfois défaillants sur ce point, nous avons clarifié les critères et avons ainsi réussi à mettre de côté les associations les plus tendancieuses.
Quant à savoir si les maires souhaitent obtenir davantage de pouvoir, je répondrai que je n'y suis pas opposé, tant que l'Etat nous apporte les moyens afférents.
M. François PUPPONI - Si je suis, pour ma part, favorable au maintien des contrats de ville, je souhaiterais qu'ils soient désormais opposables. J'ai eu la chance de signer un grand projet de ville (GPV) et je crois encore à la signature de l'Etat. Celui-ci a été signé par le préfet, le Président du Conseil régional, le Président du Conseil général, le TPG et le Directeur régional de la Caisse des Dépôts. Ces cinq institutions s'étaient engagées à investir entre 2000 et 2006 dans la réfection des écoles. Un jour, un ministre m'a déclaré que ce document n'avait plus de valeur. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que les élus locaux puissent avoir confiance dans l'Etat et les autres institutions ? Il m'a été rétorqué que l'ANRU avait été créée. Elle l'a cependant été trois ans après et ne porte son action que sur les logements et non sur les écoles. Je souhaite donc que les contrats soient désormais opposables et que celui qui le rompt soit traduit en justice et paie ce qu'il doit. J'ajoute que dans tous ces dispositifs, les élus locaux ont l'impression de devoir chaque année mendier pour obtenir ce qui leur a été promis. Les élus n'attendent pourtant qu'une seule chose : que l'Etat leur donne les moyens de conduire sur leur territoire les politiques de droit commun.
Lorsque les jeunes sont par ailleurs accusés de ne pas « savoir être », je tiens à souligner qu'à Sarcelles, 90 % des jeunes sont employables immédiatement et savent s'exprimer et se tenir. Ils ne sont pas embauchés pour autant dans les 3 500 emplois créés chaque année à Roissy, parce qu'ils s'appellent Mohamed et qu'ils habitent un quartier en difficulté. Ils sont tout simplement victimes de discrimination. Seuls 10 % d'entre eux ne sont pas employables et la ville doit les aider. La municipalité de Sarcelles a ainsi mis en place avec ADP un dispositif grâce auquel ces jeunes sont pris en charge pendant six mois pour régler leurs problèmes de logement, de santé et de papiers, avant de les faire embaucher. Ces dispositifs sont efficaces, mais ils ne peuvent rien contre la discrimination. La seule solution est d'obliger les entreprises du site à les embaucher, par exemple en créant des « emplois francs », c'est-à-dire des exonérations de charges sociales pour ces jeunes.
Par ailleurs, alors que les élus locaux se sont battus pendant dix ans pour améliorer l'image du territoire autour de Roissy et convaincre des promoteurs de construire des logements d'accession à la propriété sur les terrains qu'avaient achetés les communes, un plan d'exposition au bruit a été voté qui interdit toute nouvelle construction. Ces terrains valaient 10 millions d'euros et ne sont plus aujourd'hui constructibles. Je me demande jusqu'à quand la France continuera à stigmatiser ces quartiers et à leur faire subir toutes les humiliations.
S'agissant de l'antisémitisme, il convient de lever toute ambiguïté. Il existe des actes antisémites mais les agressions dont sont victimes au quotidien les citoyens ne se réduisent pas à un antisémitisme larvé, qui est le fait d'une infime minorité de délinquants. Il me paraît important de ne pas faire croire que l'antisémitisme serait la seule cause de la recrudescence de la violence. Il n'est pas normal, en particulier, que Nicolas Sarkozy envoie des CRS pour protéger les juifs de Sarcelles et qu'il ne fasse rien pour les autres citoyens qui sont également victimes de ces violences quotidiennes. Il faut dénoncer l'antisémitisme, mais sans pour autant banaliser les autres formes de violence. Toutes les violences sont graves et tous les citoyens ont droit à la sécurité. Le fait que les médias réduisent ce phénomène à des actes antisémites est problématique.
Si je souhaite par ailleurs pouvoir inscrire mes enfants à l'école publique, il faut aussi que l'Education nationale lui donne les moyens de bien éduquer les enfants de la ville. Le fait pour une école d'être composée à 80 % d'enfants issus de l'immigration, devrait lui donner droit à des moyens supplémentaires par rapport à une école de Neuilly-sur-Seine. Il nous faut inventer une école publique qui sache accueillir les enfants du monde entier pour en faire des citoyens de la République française. Pour l'heure, les enseignants ne disposent pas des moyens adéquats. De plus, alors que le PRE, qui a été négocié pendant un an, vient d'être signé, un bureau d'étude est déjà envoyé par la DIV pour contrôler notre travail, alors que celui-ci n'a pas encore commencé. Je revendique le fait que l'école constitue un enjeu majeur pour ces quartiers et qu'elle doit donner lieu à des pôles d'excellence. Il ne faut toutefois pas penser que les enseignants de l'école publique ne font par leur travail, alors que leurs efforts sont exceptionnels et qu'ils disposent de peu de moyens.
Je tiens enfin à affirmer que les associations n'ont pas joué de rôle dans les événements. Au contraire, elles ont le mérite de participer à la politique de la ville. Je suis d'ailleurs persuadé que les communes qui ont connu le plus de dégâts en novembre sont celles qui ont le moins investi dans la politique de la ville.
M. Alex TÜRK, président - Je passe la parole à Monsieur Gilbert Roger. Je demanderai aux derniers intervenants d'être le plus concis possible car le temps imparti au débat est maintenant écoulé.
M. Gilbert ROGER - Pour répondre à la question sur le rôle des médias, il est certain que les images télévisées ont amplifié les événements au fur et à mesure, y compris dans la presse, qui donnait chaque jour la carte des statistiques des voitures incendiées. Le Journal du Dimanche a même publié un article sur les produits qui permettent d'enflammer les voitures. Je doute que la presse souhaite répondre à votre commission, mais je suis prêt à participer à un débat avec leurs représentants.
Je suis par ailleurs d'accord avec Xavier Lemoine : si l'Etat confère plus de pouvoirs aux collectivités locales, il faut qu'il leur donne les moyens correspondants.
Les rapports entre la jeunesse et la police constituent en outre un réel problème. Les policiers se sont montrés courageux durant ces événements, car ils avaient souvent peur eux-mêmes. Nous devons cependant réapprendre aux plus jeunes d'entre eux l'attitude correcte à observer en toute circonstance : en particulier, dire bonjour, vouvoyer les personnes, se montrer respectueux. Chacun peut concevoir que le fait d'être contrôlé plusieurs fois par jour à cause de la couleur de sa peau finisse par créer des tensions. Comme mon collègue, j'estime que la présence de la BAC a également un effet négatif, d'autant que ces policiers finissent par être connus dans les quartiers et les jeunes réagissent rapidement à leur arrivée, en s'appelant par téléphone portable.
S'agissant des associations, la plupart des maires sont capables d'indiquer aux préfets lesquelles sont sérieuses et lesquelles ne le sont pas. Parfois, seul un membre de l'association est en cause. Il ne faut donc pas stigmatiser l'ensemble.
Je souhaiterais enfin proposer que, dans des départements comme celui de la Seine-Saint-Denis, les responsables de la haute administration (préfets, sous-préfets, Directeurs), qui sont souvent des républicains convaincus, restent en poste plus longtemps. A l'heure actuelle, le taux de turn over est extrêmement élevé, si bien que les élus sont obligés de sans cesse réexpliquer le contenu de leurs dossiers. Une présence plus stable de ces responsables permettrait de travailler mieux ensemble sur ces quartiers.
M. François ASENSI - Je ne pense pas que les maires aient besoin de pouvoirs nouveaux. Ils jouent déjà les rôles d'assistante sociale et d'éducateur, il n'est pas nécessaire de leur confier également ceux de juge et de policier. Il serait plus utile d'accroître les moyens qui sont conférés aux communes les plus pauvres, notamment de la part de l'Etat, pour renforcer les capacités des collèges des quartiers stigmatisés ou pour aider les populations en difficulté. Si le déterminisme social continue à marquer la vie de ces quartiers, la vie sociale ne peut que s'y dégrader davantage.
Le rôle des maires est de travailler à la cohésion de leur ville, de garantir la laïcité et de favoriser le dialogue entre les populations. Les maires doivent continuer à jouer ce rôle et l'Etat doit, pour ce faire, leur donner des moyens supplémentaires.
Comme le précédent intervenant, j'estime que la « valse » des représentants de l'Etat est caricaturale et empêche les élus de travailler correctement. Il existe sans doute aussi un problème de formation des élites. Je serais en effet curieux de savoir comment la vie des banlieues est abordée à l'ENA.
M. Gérard GAUDRON - Je ne peux que souscrire globalement à tout ce qui a été dit.
Le problème des associations est essentiellement celui des associations cultuelles. Un maire connaît en général les associations de sa commune et sait avec lesquelles il peut ou non travailler. Au cours des événements, j'ai fait appel à un certain nombre d'associations, qui ont fait sur le terrain un travail considérable pour calmer les esprits.
S'agissant du rôle des médias, je citerai le cas d'un journaliste de France 2 dont la voiture a été brûlée car il avait promis à des jeunes qu'il voulait interviewer qu'ils passeraient au journal du soir, or ce n'était pas vrai. Un journaliste de RTL qui a visité la ville m'a cependant déclaré que certains de ses confrères commençaient à se rendre compte qu'ils ne devaient pas franchir certaines limites. Il peut être utile de le leur rappeler. Le fait de globaliser le nombre de voitures au lieu de faire des statistiques par ville a, de fait, permis de calmer le jeu.
Les enseignants sont, pour leur part, de plus en plus sur le terrain et s'investissent dans la durée pour améliorer la vie de leur quartier, ce qui n'était pas le cas il y a quinze ans.
Lors des négociations du contrat de ville, il est vrai par ailleurs que les élus ont l'impression de mendier lorsqu'ils doivent répondre aux mille questions qui leur sont posées par un aréopage de fonctionnaires d'Etat... pour justifier une subvention de 500 euros. Ma municipalité a, en 2005, investi dans la politique de la ville à hauteur de 1,140 million d'euros. Seuls 11,3 % des fonds sont venus de l'Etat. Il nous a fallu pourtant passer un temps considérable pour les obtenir. De plus, les arrêtés de subventions arrivent au mieux en juin, au plus tard en septembre.
Je précise enfin que lorsque j'ai déclaré que je ne savais plus quoi faire, je parlais des possibilités du maire. Je suis convaincu que de nombreuses mesures peuvent encore être entreprises par l'Etat pour améliorer la situation des quartiers difficiles, notamment en matière d'éducation.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie. Je vous annonce que deux suites sont envisagées à cette table ronde. La première est d'affiner notre stratégie d'audition au fur et à mesure de ce que nous rapportent les intervenants. Vos témoignages nous permettront par exemple de mieux préparer les questions que nous aurons à poser aux médias ou à d'autres acteurs. La deuxième est de nous rendre sur le terrain. Nous reprendrons ainsi contact avec certains d'entre vous pour organiser des visites in situ. Je vous remercie à nouveau pour votre participation, qui a donné lieu à des exposés très enrichissants.