Table ronde, avec la participation de :
M. Michel BERSON, Secrétaire général de l'Association des départements de France (ADF),
M. François SCELLIER, membre de l'Association des départements de France (ADF),
M. François LANGLOIS, Délégué général de l'Association des régions de France (ARF)
(1er mars 2006)

Présidence de M. Yves DAUGE.

M. Yves DAUGE, président - Il me revient d'assurer la Présidence de cette dernière table ronde.

Notre objectif consiste à revenir sur la politique de la ville et à en discuter très librement. Après les événements du mois de novembre, le Sénat a décidé de mener une réflexion dans le cadre d'une mission d'information.

Nous avons déjà reçu la déléguée interministérielle à la ville ainsi que, ce matin, Bernadette Malgorn, Présidente de l'Observatoire des ZUS. Lors de notre première table ronde de l'après-midi, nous avons également entendu les représentants des fédérations des villes moyennes et grandes. Il vous appartient donc désormais de vous exprimer sur le sujet.

Nous auditionnerons d'autres personnalités qualifiées, puis rendrons notre rapport à la rentrée 2006.

M. Michel BERSON - Je suis Président du Conseil général de l'Essonne et Secrétaire général de l'Assemblée des départements de France.

Si j'ai bien compris, nous devons brièvement exposer notre point de vue, avant de procéder au classique exercice des questions/réponses. Je vais donc essayer de m'exprimer au titre de mes deux fonctions, et m'appuierai tant sur mon expérience de Secrétaire général de l'Assemblée des départements de France que sur celle de Président de Conseil général de l'Essonne, département très urbain touché de plein fouet par les événements de novembre.

Depuis une dizaine d'années, le département de l'Essonne est doté d'une véritable politique de la ville. A ce titre, il dispose de divers services et directions, comme celle du logement. Les actions menées dans l'Essonne ne sont donc pas nécessairement transposables dans l'ensemble des départements, d'autant plus que ces maillons territoriaux ne disposent pas de cette compétence. Cependant, comme le Président du Conseil général du Val d'Oise le confirmera probablement, de nombreux départements sont amenés à abonder, en termes de crédits et de mise en place de dispositifs innovants, les politiques conduites par l'Etat et les communes. Je ne parle pas des régions, dont il sera question plus tard. Nombre d'entre elles ont élaboré une véritable approche originale en complément des actions des communes et de l'Etat, qui restent les deux pilotes de la politique de la ville. Je souhaite insister sur les difficultés rencontrées par les départements qui s'impliquent sur cette question, et vous faire part des solutions que nous avons imaginées pour y répondre. Ces obstacles auxquels nous nous heurtons sont également rencontrés par l'Etat, la région et les communes.

La première difficulté tient aux représentations que la politique de la ville génère. Souvent, lorsqu'il en est question, nous nous imaginons une politique spécifique. En l'occurrence, les succès ou échecs ne sont pas tant imputables à la politique spécifique de la ville qu'à la mise en cohérence des politiques de droit commun, qui, sur un territoire donné, rencontrent des difficultés particulières. La combinaison de ce facteur à l'allocation de moyens supplémentaires à destination de ces politiques de droit commun visant les quartiers nous permettra d'apporter des réponses pertinentes.

La plus-value que peut générer la politique de la ville tient en effet à la prise en compte des spécificités territoriales, mais aussi à la mise en commun des dispositifs de droit commun : politiques sociales, aide à l'enfance, politique éducative (collèges), aménagement urbain... Il convient d'accentuer sensiblement cette orientation.

De plus, nous avons été confrontés au problème suivant : faut-il privilégier l'humain ou le bâti ? Devons-nous en priorité renforcer le lien social ou réhabiliter le bâti ? Bien évidemment, il convient de faire avancer ces deux questions, sans privilégier l'une par rapport à l'autre. Nous n'allons pas entrer dans une polémique sur le choix des différents gouvernements en la matière : tous les élus sont confrontés à cette problématique.

Le département de l'Essonne a mis en place des fonds départementaux d'aide à l'investissement et au fonctionnement. Les crédits de fonctionnement aident à subventionner des projets initiés par des associations ou des communes, contrairement aux fonds d'investissement, qui sont destinés exclusivement aux communes ou aux intercommunalités. Ce transfert de fonds s'accompagne de dispositifs correctifs des disparités et inégalités territoriales et sociales. Les fonds sont distribués sur la base d'équations prenant acte des difficultés rencontrées par tel ou tel quartier. Ainsi, nous décidons, entre deux villes relevant toutes deux de la politique de la ville, de subventionner davantage celle où les difficultés sont les plus importantes. Dans l'aide aux projets relatifs au bâti comme dans l'aide aux projets visant au renforcement de la cohésion sociale, l'approche retenue est celle de la discrimination positive.

Nous avons créé un fonds départemental de solidarité urbaine. Il concerne les communes qui ne relèvent pas de la politique de la ville mais réunissent un ensemble de critères qui auraient dû les faire émarger à ses crédits. Il s'agit de communes où plus de 20 % des logements sont sociaux et qui, sur le plan scolaire, social, et de l'aide à l'enfance, remplissent un certain nombre de critères. Le fait qu'elles ne les remplissent pas tous explique qu'elles ne soient pas éligibles à la politique de la ville. Pour autant, elles ont besoin d'un soutien.

Nous sommes également confrontés au fait que la politique de la ville, depuis 20 ou 25 ans, a subi des coups de balancier successifs de la part des différents gouvernements, qui ne sont pas uniquement liés au phénomène d'alternance. La politique de la ville a subi des infléchissements, parfois de la part d'une même majorité, suite à des changements de Premier Ministre, de Ministre de la Ville ou de l'Intérieur. Cette politique du stop and go a été très dommageable à cette politique.

La réponse du département de l'Essonne à ce problème a consisté à fonder toute sa politique sur des contrats. Cette solution n'est probablement pas la seule viable, mais c'est là l'option que nous avons retenue. En particulier, il existe un contrat entre département et Etat depuis 1999. En la matière, notre département, ainsi que celui du Pas-de-Calais et des Bouches-du-Rhône, a été précurseur. Comme l'Etat et notre département étaient satisfaits de ce contrat, nous l'avons renouvelé en 2003. Ce contrat d'objectifs vise à fixer les règles qui doivent être observées à la fois par les services départementaux et par ceux de l'Etat, de manière à définir une approche globale sans déperdition de crédits. Dans cette logique, a été mis en place un dossier unique de demande de subventions à l'Etat ou au département par les associations ou communes. De même, une évaluation commune est réalisée par les services de l'Etat et du département, et des objectifs prioritaires sont définis conjointement. Ainsi, les communes se retrouvent, pour ainsi dire, en face d'un interlocuteur unique. Nous avons mis ce dispositif en place pour tenter de régler le problème d'augmentation des crédits selon les périodes et années.

Nous concluons également des contrats d'objectifs avec les communes. Ils couvrent une période de trois ans et sont assortis d'une évaluation. Ils définissent les règles des appels à projets, ce qui nous permet de retenir et financer les projets les plus pertinents. Ces contrats comprennent également des mesures d'ordre général, qui ne font pas l'objet d'appels à projets. Ces règles s'appliquent à toutes les villes qui concluent ces contrats d'objectifs.

En outre, la complexité des procédures et l'enchevêtrement des zones d'intervention posent un certain nombre de problèmes. En 2002, la Cour des comptes a remis un rapport mettant en évidence que la politique de la ville se caractérise par l'imprécision de ses objectifs et des stratégies mises en oeuvre. De plus, il soulignait précisément cette complexité des procédures et cet enchevêtrement des zones d'intervention. Pierre André, dans son rapport d'information sur l'avenir des contrats de ville, a établi le même constat, que nous avons, pour notre part, vécu au quotidien. Nous avons donc mis en place des dispositifs communs Etat/département et des procédures de contrat avec l'Etat et les collectivités locales.

Enfin, il convient d'indiquer que les départements sont désormais de plus en plus amenés à territorialiser leurs politiques. Ils peuvent ainsi prendre en compte les spécificités territoriales, notamment celles qui caractérisent les quartiers ou villes relevant de la politique de la ville. La territorialisation des politiques départementales, telles que la politique sociale, culturelle, sportive, éducative, de l'aménagement du territoire, en constitue une des évolutions les plus marquantes, notamment pour les départements les plus urbains.

Cette idée, sur la base de laquelle l'ADF a lancé une grande enquête il y a deux ou trois ans, a abouti à l'époque à la rédaction d'un rapport très novateur sur la manière dont les départements prennent en compte le fait urbain. En effet, les départements sont encore parfois considérés comme des institutions anciennes, plutôt rurales, ce qui n'est évidemment plus vrai. Le fait urbain est désormais davantage pris en compte par les départements, y compris par ceux à dominante rurale. Il s'agit là d'une orientation nouvelle des départements, qui sont mieux armés, à ce titre, pour contractualiser avec l'Etat et les communes dans le cadre des politiques de la ville.

Il existe donc, en substance, un double mouvement de territorialisation des politiques de la ville et d'appréhension croissante du fait urbain de la part des départements.

Je laisse François Scellier, mon homologue de l'Association des départements de France, compléter, confirmer et/ou infirmer mes propos.

M. François SCELLIER - Je suis en désaccord avec vous sur un point. Vous prétendez que l'Essonne a été un des précurseurs en matière de politique de la ville. Or nous avons commencé dès 1994 à y contribuer dans le Val d'Oise, ce dont Raymonde Le Texier pourra témoigner.

La politique de la ville a été lancée au niveau étatique dès 1983, puis le plan « banlieues 89 » a été mis en place, etc. Nous connaissons les difficultés induites par chacun des objectifs retenus par les équipes gouvernementales qui se sont succédé.

Je souhaite vous présenter les actions mises en place dans le Val d'Oise. Pour ne pas être redondant, je ne parlerai que de celles se différenciant des initiatives conduites dans l'Essonne.

Le département du Val d'Oise a rapidement réagi aux obstacles rencontrés par la politique de la ville de l'Etat, rappelés par la Cour des comptes en février 2002. Depuis, l'Etat s'est efforcé de trouver des solutions à ces difficultés, comme l'insuffisance de la coordination interministérielle, l'absence de clarté des objectifs, les lacunes en termes de suivi et d'évaluation des politiques, la complexité et la lourdeur des procédures. D'ailleurs, ce dernier point a été considérablement amélioré ces derniers temps.

Par le passé, les maires, qui connaissaient les besoins de leur territoire municipal, en discutaient avec les représentants de l'Etat. Ils leur demandaient alors des moyens supplémentaires pour réduire les fractures qu'ils avaient pu constater sur leur territoire. Les représentants de l'Etat leur objectaient que ces actions ne rentraient pas dans le cadre prévu de la politique de la ville. Pour bénéficier de ces enveloppes, les élus s'orientaient alors vers les politiques qu'il leur était demandé de mettre en oeuvre, sans pour autant avoir la conviction profonde qu'elles étaient les plus opportunes.

Dès 1994, alors que l'Etat avait déjà lancé sa propre politique de la ville, le département du Val d'Oise a commencé à s'intéresser à ces questions. Nous avons mis en place un contrat de développement urbain, qui tentait de répondre à toutes les difficultés que nous avions déjà rencontrées dans ce domaine. A l'époque, je n'étais pas encore Président du Conseil général du Val d'Oise : il s'agissait de Jean-Philippe Lachenaud, qui m'avait confié le suivi de ces questions.

J'avais souhaité que nous définissions de grands objectifs avec les élus locaux. Il m'avait également semblé essentiel de conclure avec chacun des maires, sur la base de ces objectifs, un contrat pluriannuel, commune par commune, dans lequel était indiqué le montant de l'enveloppe mise à disposition de la collectivité pour qu'elle réalise diverses opérations directement ou en partenariat avec le Conseil général. Nous avions alors, en accord avec les communes, signé une première série de contrats. Ce dispositif avait donné satisfaction aux élus locaux et maires.

En 1999, nous avons lancé une nouvelle procédure, le Contrat initiative ville qualité (CIVIQ). Nous avons tenté de mieux définir les enveloppes, à partir de critères révélant les difficultés propres à chaque commune. L'importance numérique de la commune n'entrait plus seule en ligne de compte : la répartition de sa population par âge devenait déterminante dans l'attribution des crédits. Ce critère paraissait d'autant plus intéressant que le Val d'Oise est, semble-t-il, le département le plus jeune de France métropolitaine.

Nous avons fixé une enveloppe de 15 millions d'euros et avons sélectionné 32 villes pour qu'elles entrent dans ce dispositif, qui touche actuellement à sa fin. Nous réfléchissons aujourd'hui à un troisième dispositif, que nous pensons orienter davantage vers les collèges. Ceux-ci relèvent en effet de notre responsabilité, et nous estimons que les difficultés des ZUS sont en partie imputables à l'échec scolaire. Il convient de ne pas en rejeter la faute sur les enseignants, mais de réfléchir à notre incapacité collective à rénover suffisamment notre pédagogie pour susciter l'attention des élèves. J'ai récemment inauguré un collège et j'ai demandé si tout le monde était content de ces nouveaux locaux. Deux élèves m'ont répondu que cela leur était totalement égal ; l'un d'entre eux m'a indiqué qu'il préférait dormir qu'aller en cours. L'une des difficultés de la formation réside dans le fait d'intéresser les enfants à l'apprentissage : les problèmes des banlieues viennent aussi de là. Dans le Val d'Oise, nous avons donc orienté vers la jeunesse et les collèges les actions menées en matière de politique de la ville. Nous ne disposons pas de compétences en termes de pédagogie, mais souhaitons fortement que des avancées se produisent dans ce domaine.

Par ailleurs, nous aidons les communes en matière d'aménagement du territoire. Il convient de contractualiser ces initiatives, qui viennent en appui de ce qu'entreprend l'Etat.

Michel Berson a indiqué que le département était fortement impliqué, en renfort ou en marge, dans la politique de la ville de l'Etat. C'est également ce que nous avons essayé de faire. Lorsque j'ai été élu Président du Conseil général du Val d'Oise, j'ai rencontré Claude Bartolone, qui venait d'être nommé ministre de la ville, pour que nous conjuguions nos politiques. Nous étions en accord sur les objectifs, mais il n'a pas jugé adéquate la méthode que je lui proposais : j'ai donc choisi de mettre en place des actions en renfort ou à côté de celles initiées par l'Etat.

Nous avons, en outre, accompagné les grands projets de ville de Garges lès Gonesse, Sarcelles et Argenteuil à hauteur de 15 millions d'euros. Je rappelle que nous avons aussi consacré 15 millions d'euros pour subventionner les contrats CIVIQ.

Nous avons prévu de nous impliquer dans l'action de l'ANRU. Nous souhaitons en effet faire avancer la programmation d'un certain nombre d'opérations dans le cadre de dispositifs que nous avons définis de manière très large au niveau du Conseil général. Il ne s'agit absolument pas d'abonder les crédits de l'ANRU. Je fais partie du Conseil d'Administration de l'ANRU. J'avais essayé d'expliquer aux administrateurs que l'ANRU ne pouvait pas demander aux grandes collectivités territoriales que sont la région et le département d'intervenir en renfort pour boucler son programme financier. J'avais souhaité que les départements et régions participent dès le début, sous la responsabilité de la maîtrise d'ouvrage des maires, à la définition de la politique de la ville. Cette proposition n'a pas été retenue, ce que je déplore. En tout état de cause, notre région participera à l'enveloppe de l'ANRU à hauteur de 76 millions d'euros.

Les difficultés de la politique de la ville mise en oeuvre par l'Etat sont en voie de résolution : la coordination interministérielle s'est grandement améliorée, les objectifs sont plus clairs, l'évaluation se met en place... De plus, les délégations de crédits ont allégé les procédures, qui, toutefois, restent lourdes.

Nous pouvons nous interroger sur l'opportunité de remédier à la multiplicité des instances nationales en charge de la ville. En effet, celles-ci sont très nombreuses, ce qui ne favorise pas la visibilité et la cohérence de l'action de l'Etat. Ainsi, il existe la DIV, le Comité interministériel, l'Institut des villes, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles, la future Agence de cohésion sociale, etc.

M. François LANGLOIS - Je suis Délégué général de l'Association des régions de France. J'ai été enseignant en zone sensible, sous-préfet dans une zone difficile, Directeur général des services de la grande ville qu'est Grenoble.

La politique de la ville ne fait pas partie des compétences obligatoires des régions, mais de leurs politiques volontaristes : celles-ci sont souvent critiquées, parce qu'elles sont considérées comme coûteuses pour la région. En ce qui concerne la politique de la ville, la contribution de la région est souvent essentielle dans l'aide aux communes, agglomérations et quartiers les plus défavorisés. Cette politique volontariste entre la plupart du temps dans le cadre des contrats de plan Etat/région. Je vous rappelle que les contrats d'agglomération avaient été inclus dans la dernière génération de contrats de plans Etat/région, qui touche actuellement à sa fin. Ils en constituaient d'ailleurs, en quelque sorte, le volet social : une recherche de cohérence entre les différentes politiques publiques était donc à l'oeuvre.

Les politiques de la ville étaient en effet multiples : l'Etat guidait la politique de la ville ; la région, dans le cadre du contrat de plan, participait à cette politique par le biais de conventions et contrats qui se succédaient en son sein. De leur côté, les contrats d'agglomération, auxquels participaient également les départements et communes concernées, constituaient aussi un aspect important de la politique de la ville. Cette politique volontariste est la plupart du temps menée dans le cadre des contrats de plan. Sur la période 2000-2006, l'ARF a procédé, par le biais d'une enquête auprès des régions, à une tentative de recensement des actions menées. Dans la génération actuelle des contrats de plan, près de 1,160 milliard d'euros sont consacrés par les régions à la politique de la ville, ce qui est plus que substantiel. La moitié de ces fonds sont alloués par le biais du contrat de plan. Ainsi, même s'il s'agit là de politiques volontaristes, les régions prennent part à la politique de la ville, que ce soit par le biais des crédits d'investissement ou de fonctionnement.

L'investissement consiste essentiellement en aménagement urbain, en aides à la rénovation urbaine, en soutien aux offices et sociétés HLM, en soutien aux bailleurs. Cependant, des établissements publics fonciers régionaux ont aussi été créés dans certaines régions, afin de détendre la pression sur le foncier et permettre la création de logements sociaux dans davantage de quartiers. L'objectif final consistait à sortir des ghettos qui s'étaient constitués au fil des années : sur ces communes, le foncier était moins onéreux, et les élus acceptaient d'accueillir sur leur territoire des logements pour les populations les plus défavorisées.

Les régions interviennent également sur les crédits de fonctionnement, ce qui leur a parfois été reproché. Cette intervention a un impact important sur nombre de quartiers relevant de la politique de la ville. Elle se réalise essentiellement par le soutien au milieu associatif et aux initiatives locales dans des domaines très divers : éducation, aide à l'éducation (aide aux devoirs), culture, sport, etc. Elle cherche à développer l'aide aux familles monoparentales : à ce titre, des initiatives ont été menées en Provence Alpes Côte d'Azur. Ces crédits de fonctionnement sont également destinés aux associations aidant les personnes, qu'elles soient jeunes ou non, à trouver une occupation à défaut d'un emploi et/ou un sens à leur vie.

L'intervention financière à destination des milieux associatifs a été largement permise par des initiatives de l'Etat dans les années 1990. Par exemple, lorsque les emplois jeunes ont vu le jour, les régions sont fréquemment venues en soutien de l'Etat pour accompagner et parfois même suppléer ces initiatives. Ainsi, de nombreuses associations ont pu créer des emplois, voire les pérenniser avec le soutien des Conseils régionaux.

Le tissu associatif dense qui a pu voir le jour dans certains quartiers, départements et régions a permis le maintien d'un certain calme lors des émeutes de novembre 2005. En effet, si nous examinons la cartographie des événements, nous nous apercevons que certaines zones ont connu des incidents particulièrement violents, tandis que d'autres, où les populations sont parfois très défavorisées, n'en ont pas été le théâtre. Les quartiers qui n'ont recensé aucun incident sont ceux où le tissu associatif et social a pu être préservé, voire renforcé grâce à l'intervention publique, notamment des régions. Je me permets d'insister sur cet élément, car il permet de construire une certaine cohésion sociale, y compris dans des lieux et avec des populations plus difficiles à accompagner dans ce processus.

Je ne reviendrai pas sur les propos que viennent de tenir les Présidents des Conseils généraux de l'Essonne et du Val d'Oise : je partage largement leur analyse. En effet, les procédures sont complexes, les intervenants multiples, le stop and go dommageable en matière d'intervention dans la politique de la ville. L'effet le plus néfaste de ce stop and go a sans doute été la suppression des emplois jeunes, puis, quelques années plus tard, la réapparition du dispositif sous d'autres formes : entre-temps, l'espérance en la crédibilité des embauches s'était volatilisée. Or de nombreuses années sont nécessaires pour recréer et reconstruire cette confiance.

Au-delà de leur aide en termes de subventions de fonctionnement et d'investissement, les régions contribuent à mettre en cohérence les politiques de droit commun, en intervenant sur leurs domaines de compétence : enseignement au niveau des lycées, formation professionnelle, apprentissage, développement économique. Les régions essaient, par ces interventions diverses, de s'adapter le plus possible aux réalités du terrain. Quoi qu'il en soit, et conformément à la distribution des compétences, elles apparaissent plus en soutien qu'à la base de ces politiques. En effet, c'est souvent le maire, qui, en tant qu'élu de proximité, se retrouve au coeur du dispositif ; à ce titre, c'est lui qui vient solliciter le soutien des autres collectivités et de l'Etat.

Au coeur des difficultés des banlieues se retrouvent trois grandes questions : le logement, l'emploi et l'exclusion sous toutes ses formes. De ce point de vue, la politique nouvelle mise en oeuvre avec l'ANRU me semble difficilement opérante. Seule une petite moitié des régions s'engage dans un processus de conventionnement avec l'ANRU : en effet, elles s'estiment souvent reléguées au rang de simples bailleurs, peu sollicités dans l'élaboration des politiques. Plusieurs Présidents d'exécutifs régionaux considèrent que l'ANRU se situe dans une logique de démolition/reconstruction sans qu'une stricte proportionnalité soit à l'oeuvre. En effet, si 100 logements sont détruits, moins de 100 logements sont reconstruits. Les logements restants seront construits ailleurs. Cette opération excède le cadre de l'urbanisme : il s'agit d'une véritable redistribution des populations, qui doivent déménager pour retrouver un logement dans des conditions similaires. Ces déplacements s'opèrent dans des conditions qui ne paraissent pas toujours socialement et humainement acceptables aux élus qui répugnent à s'engager avec l'ANRU dans ces politiques.

M. Pierre ANDRÉ, rapporteur - Au coeur de la politique de la ville se situent le maire et la municipalité. Une politique de contractualisation est ensuite menée. La deuxième génération de contrats de plan se termine : il va donc falloir réfléchir à la mise en place d'une autre forme de contractualisation dans les mois qui viennent. En effet, l'Etat, quel que soit le gouvernement, utilise la contractualisation pour faire financer par les collectivités territoriales les politiques de droit commun.

J'ai émis un certain nombre de propositions dans un rapport sur les contrats de ville. Elles ont parfois choqué les Conseils généraux ou régionaux.

De mon point de vue, le système actuel est bien trop complexe. Pour être efficaces, il convient de devenir plus réactifs dans l'élaboration des contrats de ville et des actions spécifiques qui se déroulent tout au long de cette période de contractualisation.

Je ne crois pas à la pertinence des financements croisés, qui nous contraignent à de trop lourdes procédures. Avant même la fin de la démarche, nous nous apercevons fréquemment que nous parviendrons difficilement à conclure un contrat satisfaisant.

Par ailleurs, ces contrats de ville ont énormément mis en difficulté le monde associatif. Je ne pense pas que le stop and go au niveau des emplois jeunes ait été l'élément qui a le plus perturbé la vie associative. Lors de l'élaboration du budget d'une association, celle-ci doit inscrire dans ses recettes les subventions des départements, de la région, de la ville et de l'Etat. Or si nous lui donnons notre réponse en fin d'année, les crédits ont déjà été dépensés. L'association s'adresse alors à la ville ou au Conseil général pour combler le déficit.

Je pense que le contrat, éminemment important dans le cadre de la politique de la ville, doit être conclu directement entre ville et département ou entre région et ville. Ainsi, il s'avère plus efficace que les actions directement imposées par l'Etat. C'est d'ailleurs ce que semblent démontrer les expériences entreprises dans l'Essonne et le Val d'Oise.

Je suis un fervent défenseur de l'ANRU : en effet, il importe de mesurer les résultats de cet organisme, qui vient à peine d'être mis en place. En tout état de cause, il est inadmissible que l'ANRU conditionne l'attribution des financements à la signature d'un accord avec le département ou la région. En effet, si ces collectivités ne se décident pas rapidement, la ville peut se retrouver bloquée dans ses réalisations.

Il convient, en ce qui concerne la contractualisation, de laisser l'Etat un peu de côté, et d'explorer des pistes entre collectivités territoriales.

Il est souvent question des responsabilités des collectivités territoriales, en matière, par exemple, d'éducation. Or nous ne disposons, en l'espèce, que du droit de financer des investissements, sans qu'il soit assorti d'un quelconque droit de regard. En particulier, nous ne disposons d'aucun droit de regard en matière de pédagogie, même si nous investissons des sommes considérables dans la réfection des écoles : nous ne pouvons donc pas nous opposer à la décision de l'Inspecteur d'Académie de fermer deux classes. En revanche, les régions ont leur mot à dire sur les questions d'apprentissage et de formation continue.

M. Thierry REPENTIN - Je suis perplexe quant au rôle des départements et régions. En effet, au cours de ces auditions, il a toujours été question de partenariats entre Etat et communes ou intercommunalités : jamais les départements et régions n'ont été spontanément cités.

A mon sens, vous ne semblez pas réellement représentatifs de votre échelon de décision. Dans vos départements, vous affirmez le fait urbain comme une réalité. Or cette idée n'est ni acquise ni vécue au sein du Parlement. Les départements ont encore l'image de collectivités locales tournées vers un aménagement du territoire plutôt rural. Vous êtes, en revanche, deux Présidents de Conseils généraux administrant des départements urbains. Je suis assuré de votre implication et de la véracité de votre expérience, mais je ne pense pas que vous représentiez la majorité des acteurs de la politique de la ville.

Les régions et départements, comme François Langlois l'a souligné, ne sont pas positionnés sur des compétences. Vos institutions ne bénéficient d'aucun statut en la matière : seul le volontarisme permet l'action.

J'ai fait partie pendant 18 mois du Conseil d'Administration de l'ANRU avant d'en démissionner. En examinant le montage financier des dossiers, il apparaît que les subventions apportées par les départements ou les régions représentent, sauf exception, 5 ou 7 % des fonds. Pour les élus locaux, cet apport est considéré comme résiduel. Pour autant, ces sommes permettent de boucler le budget.

Il me semble que l'implication des départements et régions sur leur ligne de droit commun est au moins aussi importante que le volontarisme des élus, mais la lisibilité des attributions et des dispositions dérogatoires que vous auriez mises en place dans le cadre de la discrimination positive est faible.

Par exemple, vous vous situez sur le champ de compétence de l'Education nationale. Or la prégnance des questions scolaires dans la politique de la ville a été très marquée lors des différentes auditions. Comment les départements et régions peuvent-ils être davantage présents, en termes d'implication et de moyens, sur ce créneau ? Au sein de l'ADF et de l'ARF, existe-t-il des études montrant que vous avez investi davantage sur les quartiers en ZUS ? D'ailleurs, l'approche quantitative est-elle nécessairement pertinente ?

Souvent, les collèges en ZEP sont plus grands que les autres. Or le corps enseignant et l'administration nous indiquent que, au-delà d'une certaine taille (400-450 élèves), les collèges deviennent difficiles à gérer. En ZEP, les collèges dénombrent souvent plus de 800 élèves. Comment réagir face à cette situation ?

De même, les politiques sociales relèvent du domaine de compétence des départements. En examinant le nombre d'assistantes sociales par tranches de population, il apparaît que leur pourcentage n'est pas nécessairement plus élevé dans les ZUS qu'ailleurs. Ce reproche est d'ailleurs souvent adressé aux services de l'Etat.

Étant Conseiller général moi-même, j'endosse également la critique. Quoi qu'il en soit, je m'interroge sur l'existence réelle de politiques de discrimination positive dans ces quartiers.

M. Yves DAUGE, président - Il me semble qu'une question mérite d'être adressée à tous les départements et régions. L'ensemble des départements conduit-il une action sociale en matière de prévention de la délinquance, d'enseignement professionnel, d'éducation (lycées et collèges) ? Les départements sont-ils mobilisés sur leurs compétences ?

S'il existe quelques départements exemplaires, qui vont au-delà de leurs attributions (Bouches-du-Rhône, Seine-Saint-Denis...), d'autres se refusent à s'engager sur ces questions cruciales dans le cadre de la politique de la ville, alors même qu'elle relève de leurs compétences.

M. François SCELLIER - Les départements ne sont pas égaux en termes de moyens d'action. Il existe de grandes disparités entre les départements comme les nôtres, qui ne sont pas nécessairement riches, et d'autres. Par exemple, le Val d'Oise compte 1,2 million d'habitants pour un budget de 500 millions d'euros. Nous disposons donc d'une certaine capacité d'action, mais nos dépenses sociales ne sauraient non plus être illimitées.

Je suis entièrement d'accord avec Thierry Repentin lorsqu'il affirme que ce sont dans les quartiers les plus difficiles que les collèges sont de plus grande taille. Nous l'avions constaté, et avions lancé un programme pour faire en sorte que la taille moyenne des établissements soit plafonnée à 600 élèves. Très peu de collèges dénombrent encore 900 ou 1 000 élèves. Certains en comptent 700 ou 750, d'autres autour de 450. Nous avons affiché cette politique, sans toutefois viser en particulier ces quartiers. Reste que de nombreux collèges très peuplés se situaient en ZUS, alors que c'est là où ils devraient être les plus réduits.

Nous connaissons également d'importantes difficultés en termes de recrutement d'assistantes sociales et de prévention de la délinquance, ce dernier élément relevant de notre responsabilité. Nous nous efforçons actuellement, ce qui est extrêmement délicat, de redéfinir la prévention de la délinquance. A notre sens, elle doit être protéiforme en fonction des territoires et impliquer davantage les maires.

Nos compétences sont réduites. Toutefois, le Code général des collectivités territoriales dispose que les Conseils généraux gèrent les affaires des départements.

M. François LANGLOIS - Les régions ont fourni des efforts considérables en termes de rénovation et construction de lycées, y compris dans les quartiers qui étaient largement en attente sur ce plan. Elles continuent d'ailleurs de le faire. Il y a quelques mois encore, j'étais Directeur général des services de la région PACA, où un programme de création de 15 nouveaux lycées est en cours. Ce plan vise notamment à prendre acte de la nouvelle géographie des populations : ainsi, les communes de la périphérie d'Aix-en-Provence, qui se sont largement développées ces dernières années, disposeront de lycées de taille raisonnable. Auparavant, seuls existaient les établissements du centre-ville d'Aix-en-Provence. De même, la rénovation de lycées, notamment professionnels, de la région Aquitaine, nécessite de très lourds investissements en termes de machines-outils et de matériel divers. Une modernisation doit donc être entreprise. Ce matin encore, le Président de la région Aquitaine rappelait que, dans un certain nombre de lycées professionnels du secteur industriel, agricole, ou de services de sa région, les matériels investis étaient à la disposition des professionnels du secteur dans un périmètre géographique assez vaste. Ainsi, ces investissements profitent à tous et sont utilisés au maximum de leurs capacités.

Il est vrai que les régions disposent de compétences qui semblent réduites. Il est également vrai que les élus résistent parfois difficilement à la pression des demandes d'aides de la part de populations ou d'associations en grande difficulté. Les élus sont très fortement incités à être sur le terrain et nouer des relations avec l'ensemble de la société.

Lorsque je vous ai indiqué que 1,160 milliard d'euros avait été investi sur 6 ans au titre de la politique de la ville, je n'ai pas précisé que des écarts existaient entre les régions. Libre à vous de trouver des explications à ces disparités considérables. L'Île-de-France a contribué à la politique de la ville à hauteur de 300 millions d'euros ; le Nord-Pas-de-Calais a investi 237 millions, la région PACA a investi 234 millions ; la contribution de la région Rhône-Alpes s'est chiffrée à 106 millions, etc. En revanche, l'apport de subventions au titre de la politique de la ville de certaines régions s'est révélé quasi inexistant.

Lors de la mandature précédente, aucun effort n'était fourni par la région Auvergne au titre de la politique de la ville. La mandature actuelle a en revanche considéré qu'il convenait de traiter les difficultés rencontrées à Clermont-Ferrand : en Auvergne, une ligne dédiée à la politique de la ville a donc été ajoutée.

Je souhaite revenir sur la question des financements croisés. Je partage votre analyse sur la difficulté que cette procédure, que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de pratiquer, engendre. Je me permets cependant de vous signaler qu'il existe un intérêt au financement croisé. En effet, si l'un des partenaires, quel qu'il soit (Etat, commune, Conseil régional, Conseil général) renonce au projet, et qu'il s'agit du partenaire unique de l'association ou de la commune, le projet échoue. Ce renoncement à l'issue ou au cours du contrat peut être imputable à divers facteurs : conduite financière, politique, humaine du projet, etc. Si le contrat est conclu avec plusieurs partenaires, l'abandon de l'un d'entre eux ne remettra pas le projet en cause : les bailleurs seront sollicités pour compenser la perte. Dans de nombreux domaines, l'existence de financements croisés permet d'équilibrer les risques et assure la pérennité des projets y compris en cas de désistement d'un des co-contractants. Néanmoins, lorsqu'un financement croisé est mis en oeuvre, la désignation d'un seul chef de file et d'une procédure unique dont il est seul responsable est impérative. Cette procédure allierait les avantages de l'unicité de l'interlocuteur et de la multiplicité des financeurs.

M. Jacques MAHÉAS - Comme le rapporteur, je suis farouchement opposé aux financements croisés. Je souhaite également que soit précisée la loi sur les compétences des collectivités.

Les compétences obligatoires des départements et régions y sont assez clairement définies. En revanche, les compétences expérimentales varient d'une collectivité à l'autre. Nous devrions donc veiller à ce que les compétences exercées par le département et la région sur un même territoire soient identiques. De nombreux élus n'ont aucune lisibilité sur les budgets des départements et des régions. Je demande depuis plusieurs années à mon département la mise en place d'une comptabilité analytique par commune. Nous devons prouver au département que nous recevons moins de fonds que nous ne payons d'impôts. Si la situation reste encore acceptable pour les communes structurées, elle se complique encore davantage pour les petites communes.

De plus, lorsqu'une restructuration urbaine est engagée, il incombe à la commune de financer les études. Parfois, les autres collectivités locales et l'Etat acceptent d'y contribuer. Ainsi, j'ai parfois commandité des études que l'Etat acceptait de financer pour moitié.

Cette question des compétences doit donc impérativement être clarifiée. Notre rapport pourrait aller dans ce sens. De plus, une procédure plus légère devrait être définie, afin que les décisions puissent être mises en place plus rapidement. Je suis élu depuis 1976. A cette époque, nous pouvions mettre en oeuvre des actions de manière relativement rapide. Malheureusement, ce qui, à l'époque, nécessitait un an en demande désormais trois ou quatre. Par exemple, si un élu décide de construire un lycée, il faut compter six à sept ans entre le début de la procédure et l'inauguration.

Souhaitez-vous réfléchir à cette clarification des compétences et à l'allégement des procédures ?

M. François SCELLIER - Je suis en désaccord avec vos propos.

M. Yves DAUGE, président - Raymonde Le Texier souhaitait poser une question. Je vous laisserai ensuite la parole.

Mme Raymonde LE TEXIER - Dans vos propos, vous avez fait état des difficultés auxquelles vous avez été confrontés, ce que j'ai trouvé fort intéressant. Vous avez tous trois insisté sur la complexité des procédures : je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point.

François Langlois a évoqué les trois enjeux principaux de tout site sensible : le logement, l'emploi et l'exclusion. De mon point de vue, il manquait un quatrième point, abordé par François Scellier : le problème scolaire. Je partage le point de vue de François Scellier : nous ne pourrons pas trouver d'issue aux difficultés des ZUS tant que nous ne réussirons pas à résorber l'échec scolaire. Je souhaite savoir si, au niveau de vos instances, vous réfléchissiez à ces questions et si vous aviez des propositions à émettre. Ainsi, nous pourrions avancer sur ces points qui compliquent nos missions.

François Scellier nous a affirmé que la politique de la ville est tellement complexe qu'il devient parfois nécessaire de se calquer sur les critères des instances de cette politique pour obtenir des subsides. Les élus doivent alors renoncer aux actions qu'ils jugent prioritaires. Ne pensez-vous pas qu'il arrive également aux villes de monter des dossiers calqués sur les critères définis par l'instance qui attribue les crédits ?

Enfin, disposons-nous du savoir-faire permettant de réaliser des évaluations ? Par exemple, François Langlois a évoqué la supervision des associations en matière de soutien scolaire. Fait-elle l'objet d'une évaluation ? Je pense aux expériences conduites dans ma ville, y compris lorsque j'étais maire. Je me rends compte, avec le recul, que des progrès sont à réaliser en la matière. Des subventions à destination du soutien scolaire dans la langue d'origine sont encore accordées. Or il me semble nécessaire d'axer nos efforts sur la connaissance du français et la lutte contre l'échec scolaire, non de permettre aux enfants de se perfectionner dans leur langue d'origine. Mettez-vous en place des évaluations précises ? Vous arrive-t-il de douter de l'utilité d'une association que vous subventionnez ?

M. François SCELLIER - Vous ne l'ignorez pas.

M. François LANGLOIS - L'évaluation est prévue dans les contrats de plan de la génération actuelle, qui touche actuellement à sa fin. Les contrats de plan étaient en effet adossés aux programmes européens, dans le cadre desquels l'évaluation constitue une nécessité impérieuse.

La démarche d'évaluation, qui a pour ainsi dire débuté avec cette génération des contrats de plan, n'en est qu'à ses balbutiements en France. Il s'agit d'un exercice difficile, qui suppose de définir les objectifs au moment de l'élaboration du budget, et les critères qui permettront de constater in fine si les objectifs fixés ont été atteints ou non.

A cette première difficulté d'ordre méthodologique vient s'en ajouter une deuxième, qu'il convient de ne pas mésestimer. Il s'agit de déterminer si l'évaluation doit être menée par les collectivités qui financent le projet ou par une structure externe. Dans ce dernier cas, il faut choisir soit une officine privée, sachant que certaines d'entre elles se sont spécialisées dans l'évaluation, soit un organisme public comme la Chambre régionale des comptes. J'ajouterai que les officines privées ne sont pas toujours d'une probité irréprochable, dans la mesure où l'évaluation d'une politique constitue une ligne de budget attractive. Par ailleurs, les organismes peuvent évoluer dans leur fonctionnement et leur finalité.

Si l'évaluation s'opère en interne, des soupçons pèsent sur son esprit critique. Lorsque l'évaluation est assurée en externe, j'ai pu, à de nombreuses reprises, constater que tout jugement critique du cabinet était extrêmement mal accueilli. Or il faut bien avouer que la critique est souvent mal perçue par une assemblée d'élus. Une culture et une éducation à l'évaluation sont donc nécessaires, y compris pour ceux qui la prônent. Je suis très favorable à cet exercice, mais je rappelle qu'il est difficile et qu'il doit s'accompagner d'un effort de pédagogie. Nous devons avancer modestement et prudemment dans cette voie.

Mme Raymonde LE TEXIER - Il me semble que l'évaluation menée par un cabinet extérieur est nécessairement critique.

Vous dites qu'une assemblée d'élus reçoit mal la critique : cette remarque est également valable pour les membres d'une association dont les élus contestent le travail.

M. Yves DAUGE, président - Ce matin, Bernadette Malgorn a souligné l'ampleur du matériau à évaluer mais a ajouté que nous manquions d'une grille cohérente permettant de le traiter. Cette situation est très ardue à gérer.

M. Michel BERSON - Je rappelle que l'évaluation est nécessaire. Cette assertion ne saurait suffire : une réelle volonté politique de la mettre en oeuvre doit l'accompagner. Pour que cette évaluation soit effectivement mise en place, il convient de la prévoir avant même de signer le contrat d'objectifs. Celui-ci précise à la fois les objectifs et les indicateurs qui permettent d'en évaluer l'atteinte. Ainsi, par la signature du contrat, les parties acceptent les objectifs, les moyens financiers et les indicateurs permettant l'évaluation. Toute évaluation a posteriori est vaine. En effet, ses modalités ne sont pas fixées par un cadre de référence. Il n'est pas facile de mettre une évaluation en place : des problèmes de méthodologie se posent, puisqu'il faut prévoir l'évaluation dès le début. De plus, les élus ne possèdent pas la culture de l'évaluation. Je constate toutefois que nous progressons dès lors qu'une volonté politique farouche d'évaluer se fait sentir.

Il m'est déjà arrivé de supprimer les subventions de certaines associations car leurs actions nous semblaient inutiles.

En ce qui concerne les évaluations, je ne reviens pas sur ce qui a été exposé par François Langlois.

Par ailleurs, je crois que nous n'échapperons pas aux financements croisés, dont tous contestent pourtant le principe : ils font partie de la culture française. Il convient d'y introduire davantage d'ordre, de désigner un chef de file, d'harmoniser les procédures, les demandes de dossier, etc. Ce chef de file, chargé de superviser l'avancée du projet, en conduit également l'évaluation. C'est ce que nous avons essayé de mettre en place dans le département de l'Essonne. De mon point de vue, l'idée de désigner un chef de file dans le cadre de financements croisés est considérablement plus réaliste que celle de les abandonner. En effet, même si, en théorie, il est préférable de ne plus recourir à cette procédure, elle restera effective.

L'action publique visant à soustraire les quartiers défavorisés aux discriminations territoriales et sociales dont ils sont victimes ne doit pas être uniquement considérée dans l'optique des crédits spécifiques au titre de la politique de la ville. Il s'agirait d'une erreur fondamentale : le succès de la politique de la ville en direction des ZUS ne se mesure pas à l'unique aune des crédits spécifiques, mais aussi à celle des crédits de droit commun.

Par exemple, le quartier des Pyramides à Évry ou celui des Tarterêts à Corbeil-Essonnes sont des quartiers particulièrement difficiles. Lorsque le département décide de reconstruire un collège dans le quartier des Pyramides, ce qui représente un investissement de 15 millions d'euros, ces crédits ne sont pas comptabilisés dans les 70 ou 75 millions d'euros de crédits spécifiques alloués à ce quartier. Or il est impératif de comptabiliser ces fonds au titre de la politique de la ville : le collège constitue en effet un équipement primordial au sein de ces quartiers. Lorsqu'il est question de politique de la ville, la politique éducative du Conseil général n'entre jamais en considération. Tous les dispositifs éducatifs mis en place dans le cadre des crédits de fonctionnement ne sont absolument pas obligatoires : ils ne sont donc pas comptabilisés dans la politique de la ville.

Il en va de même pour les investissements en termes de centres sociaux.

Il convient de considérer à la fois les fonds délivrés au titre de la politique de la ville et ceux engagés dans le cadre de la politique de droit commun dans ses déclinaisons territoriales. Ces quartiers sont l'objet de bien plus d'investissements que les autres.

M. Thierry REPENTIN - Vous concluez sur le fait que les quartiers en ZUS font l'objet de davantage de subventions que les autres. C'est ce que nous avons besoin de comptabiliser.

M. Michel BERSON - Je ne peux pas m'exprimer au nom de l'ensemble des départements, qui présentent une grande diversité, notamment sur le plan sociologique. J'évoquais là le cas de l'Essonne.

Je souhaite m'appuyer sur un deuxième exemple, celui de la prévention spécialisée, compétence de droit commun des départements. Dans ce cadre, nous avons re-découpé le territoire départemental en « territoires d'actions concertées », qui recouvrent les limites des contrats de ville. En effet, ce découpage rejoint celui des quelques communes regroupées dans un même contrat. Ainsi, nous souhaitons mettre en place une politique spécifique en direction des quartiers difficiles, par le biais de nos compétences de droit commun.

Il y a cinq ou six ans, j'ai été favorable à la partition des collèges de 900 à 1 200 élèves en établissements de 400 à 600 élèves dans ces zones. Il s'agit d'ailleurs d'un critère permettant d'identifier un collège comme relevant de la politique de la ville. Sa construction devient alors prioritaire par rapport à celle d'un établissement n'entrant pas dans ce cadre. Or l'objectif d'un collège est de garantir une certaine mixité sociale, ce qui est impossible dans un établissement de 400 élèves. Dans une ZUS, un collège de 400 élèves reste un collège défavorisé. Si nous décidons de séparer un collège de 900 élèves en deux établissements distincts que nous réhabilitons, nous obtiendrons d'un côté un collège favorisé et, de l'autre, un collège défavorisé. Certes, je caricature, mais si, dans un quartier, l'ensemble de la population est défavorisé, il est impératif que les collèges atteignent une taille critique. Lorsque Ségolène Royal était ministre de l'Education nationale, elle a distribué, à titre non obligatoire, des crédits à de nombreux départements construisant des collèges sur la base d'une partition de collèges surpeuplés dans les quartiers sensibles. Il convient de rester très prudents quant à cette orientation.

Enfin, les 20 ou 25 départements qui mènent une politique de la ville sont impliqués à divers degrés dans cette démarche. L'ADF, après avoir effectué des tests, est arrivée à la conclusion suivante. Trois logiques sont à l'oeuvre. Certains départements, à l'instar du Val d'Oise ou du Rhône, adoptent la logique du « faire », et mettent eux-mêmes en place une politique à destination des quartiers en difficulté. D'autres, comme l'Essonne, le Pas-de-Calais ou le Bas-Rhin, agissent très activement selon la logique du « faire avec », ceci par le biais de partenariats et de contrats avec l'Etat, les communes, et parfois les régions. Enfin, certains départements adoptent la politique du « faire faire », comme la Seine-Saint-Denis. Manifestement, c'est ce dernier département qui a le plus à connaître des politiques de la ville ; c'est aussi celui qui dispose des moyens les plus restreints pour faire face à ses difficultés. Par conséquent, il est obligé de s'inscrire dans cette logique de « faire faire » : il impulse, coordonne, sensibilise, mais n'est pas en capacité financière d'agir lui-même ou en partenariat.

M. Jacques MAHÉAS - Par conséquent, il s'adresse au Président de la République.

M. Michel BERSON - Le Président lui a donné raison face à son Premier Ministre, ce qui est un cas de figure plutôt intéressant.

Nous pourrons vous communiquer les conclusions de cette étude très approfondie. Elle met en évidence que le fait urbain est de plus en plus pris en compte par un certain nombre de départements, y compris par les départements ruraux.

Ces départements ont fréquemment un chef-lieu urbain, le reste du département se situant plutôt en zone rurale. Même ces entités, que les pesanteurs sociologiques, historiques et politiques amènent à considérer davantage les politiques d'aménagement et de développement des zones rurales, prennent davantage en compte le fait urbain.

M. Yves DAUGE, président - Je laisse le mot de conclusion à notre rapporteur.

Mme Raymonde LE TEXIER - Il serait intéressant que le Président du Conseil général du Val d'Oise puisse s'exprimer.

M. François SCELLIER - Je serai bref, dans la mesure où nous sommes déjà en retard.

Je n'entrerai pas dans le problème des compétences. Je pense, à l'instar de Michel Berson et François Langlois, qu'il est impératif de désigner des chefs de file tout en laissant une certaine liberté aux acteurs.

Un journaliste m'avait interrogé lors du lancement de la deuxième phase de la décentralisation, et m'avait demandé ce que j'en attendais. Je lui avais répondu que je souhaitais que l'Etat nous laisse continuer à agir dans nos domaines respectifs tout en nous fournissant les moyens d'en faire davantage. Cette réponse, peut-être un peu simpliste, présentait l'avantage de la concision.

Nous devrions nous donner pour objectif de parvenir à terme à nous passer d'une politique de la ville. Cette politique, qui représente la globalité de l'action mise en oeuvre sur nos communes, consiste en une discrimination positive. Il s'agit de verser davantage de subventions pour investir dans tel ou tel quartier, puisque les difficultés y sont plus lourdes qu'ailleurs.

Je ne suis pas d'accord avec le discours de Michel Berson sur la taille des collèges. L'objectif de mixité n'est pas à remettre en cause. Toutefois, le fait de scolariser des élèves d'horizons sociologiques différents dans un collège plus grand ne constitue pas une panacée, d'autant plus que des « fuites » vers l'enseignement privé peuvent se produire.

Je souhaite que les critères de petits établissements soient retenus, dans les limites permettant leur fonctionnement, notamment en ce qui concerne les matières enseignées. De plus, j'aimerais que davantage de moyens soient alloués aux collèges dans lesquels de nombreux enfants sont en difficulté. Ainsi, nous parviendrons peut-être à aider ces élèves, sans que les autres soient entraînés dans une spirale de l'échec.

La discussion reste cependant très ouverte, dans la mesure où les disparités territoriales sont fortes.

Je rappelle que l'évaluation est un exercice difficile. Si Raymonde Le Texier croit avoir senti que l'évaluation de la politique départementale de la ville faisait l'objet des mêmes difficultés que celles que je dénonce pour la politique de la ville de l'Etat, elles ne sont pas de mon fait.

J'ai en effet essayé de faire en sorte que les services du Conseil général évitent d'orienter de manière directive les maires vers telles ou telles actions. Il convient que le contrat conclu entre communes et départements soit l'objet de discussions ouvertes : c'est dans ce sens que je mène mon action.

Mme Raymonde LE TEXIER - Ce genre d'incongruités se produit, parce que les villes sont en situation de grande pauvreté.

M. Pierre ANDRÉ, rapporteur - Nous avons aujourd'hui entretenu un échange très fructueux, qui doit d'ailleurs continuer. Le rapport de notre mission d'information devra tenter d'éclaircir ces questions de relations et de compétences.

Je précise que, lorsque j'ai évoqué la question des financements croisés, je pensais essentiellement aux contrats de ville. En tout état de cause, la conclusion de partenariats est indispensable : il s'agit même d'une nécessité croissante. D'ailleurs, les Conseils régionaux signent généralement des contrats avec les communautés d'agglomérations ou les villes.

Quoi qu'il en soit, il convient, dans le cadre des contrats faisant l'objet d'un financement croisé, de nommer un chef de file. Il doit s'agir de celui qui dispose des compétences.

Le Président du Conseil général de l'Essonne a très justement indiqué, comme nombre d'entre nous, que la politique de la ville consistait également en une politique de droit commun forte. Ensuite viennent les actions spécifiques de la ville, du département et de la région à destination des quartiers difficiles. Cette démarche se vérifie également au niveau des autres collectivités. Par exemple, la politique sociale, directement menée par les départements, fait partie des politiques de droit commun.

J'espère que nous pourrons continuer à travailler efficacement ensemble.

M. Yves DAUGE, président - Je vous remercie.

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