Audition de M. Marc-Philippe DAUBRESSE, député du Nord, ancien ministre délégué au logement et à la ville, et de M. Eric RAOULT, député de la Seine-Saint-Denis, ancien ministre de la ville et de l'intégration (22 mars 2006)
Présidence de M. Alex TÜRK, président.
M. Alex TÜRK, président .- Je tiens à remercier MM. les Ministres Marc-Philippe Daubresse et Eric Raoult d'avoir bien voulu répondre favorablement à notre invitation.
Je ne vais pas perdre de temps à leur expliquer le fonctionnement du système : ils le connaissent et ce n'est sans doute pas la première fois qu'ils sont amenés à faire ce genre d'exercice. De manière très classique, nous souhaitons vous donner la parole pour que vous puissiez nous dire quelle est votre vision des problèmes qui sont l'objet de la compétence de notre mission, après quoi l'ensemble des membres et notre rapporteur pourront vous poser des questions.
M. Bartolone n'étant pas là, je donne la parole tout d'abord à M. Daubresse et je la donnerai ensuite à M. Raoult.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Merci, monsieur le Président. J'interviens sur la problématique de la suite de la crise des banlieues et de la politique de la ville sur laquelle Eric Raoult et moi avons été amenés à travailler.
Je suis devenu ministre délégué à la ville en novembre 2004, six mois après être entré au gouvernement. Je n'ai pas pris ce dossier tout de suite, mais j'ai été chargé assez vite du dossier de la rénovation urbaine et j'ai été frappé au départ par le contraste qui existait entre, d'une part, une politique de la ville en termes de rénovation urbaine, c'est-à-dire de modification en profondeur du tissu urbain dans lequel travaillent et vivent les habitants des « banlieues », dans le cadre d'une mécanique très structurée qui avait fait l'objet, en août 2003, de la loi Borloo sur la rénovation urbaine, et, d'autre part, un paysage très mal organisé, très peu efficient et peu cohérent en ce qui concerne ce que l'on pourrait appeler la reconstruction humaine. Cela veut dire en clair que le volet humain des politiques de la ville qui devait accompagner le volet urbain de métamorphose des banlieues n'était pas très au point.
Je dis cela d'emblée pour préciser que ce qu'on a appelé « la crise des banlieues » est à mon avis une crise globale de sens. Certes, des problèmes d'ordre public et de jeunesse en quête d'un certain nombre de choses se sont posés, mais, d'une manière générale, je pense que c'est avant tout un problème de politique de peuplement.
Pendant des années, quels que soient les gouvernements, on a laissé se poursuivre des politiques de peuplement qui ont concentré des populations en difficulté aux mêmes endroits et qui ont provoqué une désespérance sociale avec plutôt des remèdes palliatifs qui tentaient de traiter les conséquences de ces disfonctionnements sociaux que des remèdes structurels qui essayaient de trouver des réponses aux causes profondes.
C'est le premier point du diagnostic.
A partir de là, il faut examiner les politiques de la ville qui ont été menées depuis des années. Je considère pour ma part, comme je l'ai dit quand j'étais en charge, que les ministres qui se sont succédés ont fait des politiques intéressantes, quels qu'ils soient, mais que, d'une part, il n'y avait pas d'effets de levier suffisants et que, d'autre part, on n'essayait pas de répondre à ce problème de politiques de peuplement et de mixité sociale.
En parcourant au moins une cinquantaine de quartiers dits en grande difficulté en France, j'ai constaté qu'au début des années 70, lorsque l'architecture à la mode venait de la charte d'Athènes, ce n'est pas tellement une architecture de ce type, avec des tours et des barres, qui a provoqué les dysfonctionnements : j'ai rencontré de nombreux habitants de ces quartiers qui y vivaient heureux à l'époque, qui avaient un emploi et dont l'environnement général était assez intéressant et plutôt favorable, avec souvent une surface importante. C'est en fait le peuplement et l'évolution de la politique de peuplement dans ces quartiers, avec notamment les marchands de sommeil qui sont arrivés petit à petit dans certains quartiers et qui ont entraîné l'apparition et la concentration de populations en situation de plus en plus précaire et présentant toute une série de caractéristiques et de difficultés, qui ont provoqué la crise.
Voilà ce que je peux dire sur le diagnostic.
C'est alors que deux rapports ont été confiés, l'un au rapporteur général de cette commission et le second à M. Henri Ségard, qui m'a remis son rapport, celui-ci n'ayant finalement pas été publié parce que mes successeurs n'ont pas jugé utile de le faire, bien qu'il s'agisse d'un rapport intéressant.
Notre idée était la suivante : si on veut traiter les causes, il faut, d'une part, mettre en place une vraie politique de mixité sociale dans les grandes agglomérations, puisque c'est plutôt dans ces lieux que ces problèmes se produisent et, d'autre part, avoir une politique de reconstruction humaine, comme je l'ai appelée tout à l'heure, qui accompagne la politique de rénovation urbaine. Grâce à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), nous mettons en oeuvre des moyens considérables avec des effets de levier importants et avec une gouvernance intéressante. Certes, on peut se plaindre de la lourdeur technocratique et de la lenteur de l'ANRU dans un certain nombre de domaines ; il n'empêche que sa gouvernance est une gestion partenariale de la complexité assez intéressante puisque, autour de la table, on retrouve des représentants du monde parlementaire, des associations d'élus locaux, du 1 % Logement, de tous les partenaires sociaux, des principaux acteurs de la chaîne du logement et des collectivités territoriales (régions, Etat, départements, etc.)
Puisqu'on arrive à mobiliser des moyens importants sur une action de métamorphose en profondeur du tissu urbain, pourquoi ne pas essayer de mettre en place, avec le même type de gouvernance et les mêmes effets de levier, des politiques territorialisées sur le volet humain de la question ?
Partant du plan de cohésion sociale qu'avait élaboré Jean-Louis Borloo, notre idée était de territorialiser ces politiques, c'est-à-dire de faire des effets de levier. Dans des quartiers que je connais bien sur le secteur de Roubaix-Tourcoing, dans la métropole lilloise (mais je pourrais dire la même chose de beaucoup de villes de Seine-Saint-Denis), on voit bien que si on pouvait décider d'amener 150 contrats d'avenir dans telle ville concernée ou des dispositifs d'insertion prioritaire des jeunes et faire en sorte qu'avec les immenses chantiers de bâtiment qui sont devant nous et les nombreuses offres d'emploi non pourvues avec, de l'autre côté, des personnes sans emploi, on accorde une priorité à des actions d'insertion sur ces quartiers tout en signant en dernier lieu une sorte de convention territoriale dans laquelle, à côté de l'opération de rénovation urbaine qui se déroule sur une dizaine d'années, on réalise une opération humaine dans laquelle on utilise tous les outils de la cohésion sociale et de l'égalité des chances, y compris des outils de lutte contre toutes les formes de discrimination, on pourrait obtenir des résultats intéressants. Cela permettrait de « laseriser » l'action sur les territoires les plus en difficulté alors que le plan de cohésion sociale a d'abord dû être mis en oeuvre et s'est déroulé ensuite sans que l'on prenne le temps d'accorder des priorités fortes à ces actions sur tel ou tel territoire. C'était l'idée majeure.
La deuxième idée aurait été mais les députés ne l'ont finalement pas votée , d'utiliser la réforme de la dotation de solidarité urbaine (DSU) pour être certain que les effets de levier apportés par les crédits supplémentaires qui arrivent de la DSU puissent se combiner avec cette action territorialisée qui traiterait en profondeur les causes de la détresse humaine telle qu'on peut la connaître.
La troisième action aurait été d'essayer de faire du fonds d'intervention sur la ville (FIV), dont chacun sait qu'année après année, gouvernement après gouvernement, il a toujours fait l'objet d'une tentative de racket de la part du ministère des finances (en supposant que l'on mette les moyens du plan de cohésion sociale et de la DSU dans le cadre de chartes territoriales de cohésion sociale, qui figurent d'ailleurs dans la loi de cohésion sociale), une sorte d'outil pour faire de la prévention dans les quartiers qui sont au bord de tomber dans la problématique des zones urbaines sensibles (ZUS) ou des zones d'éducation prioritaire (ZEP).
Il s'agirait donc de faire du FIV un outil de prévention tout en gardant un certain nombre de moyens pour faire un peu de recherche et de développement. En effet, on sait que la Délégation interministérielle à la ville (DIV) a toujours fait deux types d'action : des actions territoriales, d'un côté, et des actions de recherche et de développement sur de nouveaux types de politiques à mener en matière éducative ou en matière de prévention santé.
Cela aurait dû nécessairement déboucher sur une nouvelle forme de gouvernance et une nouvelle organisation des principaux leviers de cette action, qu'il s'agisse de la DIV, du FACILD ou de tout ce qui était mené dans le cadre de la cohésion sociale, et sur la nécessité de mettre en cohérence les actions menées par l'ANRU et les actions de cohésion sociale.
On a abouti à ce que le gouvernement actuel, dans le cadre de la loi sur l'égalité des chances, propose une Agence nationale de cohésion sociale. Elle a un intérêt si on lui donne véritablement des moyens supplémentaires et si elle permet de gérer avec d'autres partenaires intéressants la réussite éducative, par exemple. On voit bien l'intérêt de faire réfléchir les CAF, les conseils généraux et l'éducation nationale sur ce point, mais on risque de complexifier la machine si on juxtapose deux agences, l'ANRU et l'Agence nationale de cohésion sociale, en faisant de celle-ci un organisme de plus qui ne fait que fusionner des actions existantes sans amener les effets de levier, de cohérence et de transversalité nécessaires.
Je résume les choses de la façon suivante : premièrement, il faut s'attaquer aux causes de la crise ; deuxièmement, pour s'y attaquer, il faut territorialiser les actions.
Une autre politique serait d'apporter une aide aux personnes plutôt qu'aux territoires, mais cela supposerait de changer aussi tout le reste, y compris la rénovation urbaine, et je le dis devant le président de l'Agence nationale de rénovation urbaine. Je suis donc plutôt partisan d'une mise en cohérence d'un volet humain et urbain dans une même agence avec une force de frappe et une territorialisation des actions et avec la possibilité de faire de la prévention dans les quartiers connexes aux quartiers en grande difficulté afin d'éviter de retomber dans des phénomènes de spirale dans telle ou telle agglomération.
Tout cela se trouve en partie dans le rapport du rapporteur, dans le rapport Ségard (que vous ne connaissez pas et sur lequel, si le rapporteur le souhaite, je pourrai donner quelques éléments) et dans un certain nombre de propositions que nous avons faites au premier ministre au moment de la crise des banlieues et dont il a fait ce qu'il a jugé devoir faire.
M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Je passe la parole à Eric Raoult, après quoi nous pourrons engager le débat commun.
M. Eric RAOULT .- On nous a dit qu'il fallait faire le témoignage d'une expérience et qu'il fallait donner une interprétation d'une crise et avancer des améliorations à apporter. Je vais essayer de respecter ce plan en trois parties en étant moins sévère à l'égard de mes successeurs que Marc-Philippe a pu l'être il y a quelques instants. En effet, il ne vous a pas échappé qu'il y a une grande consensualité entre les différents responsables ministériels.
Je comprends qu'aujourd'hui, Bernard Tapie ne soit pas là (il est en tournage) et je ne parlerai évidemment pas à sa place, mais il y a eu, de Michel Delebarre à Catherine Vautrin, une grande continuité d'action et je commencerai par ce point.
En 1995, lorsque Alain Juppé m'a appelé pour me dire : « Voilà, c'est toi qui t'en occupes », je lui ai demandé s'il parlait de la ville et comme il m'a répondu : « Non, de l'outre-mer », je lui ai dit que je souhaitais m'occuper de la ville. En l'espace de trois minutes, j'ai donc eu un changement d'affectation.
En 1995, comme cela avait été marqué par Simone Veil, on arrivait dans une période de relance et non pas de revanche parce que, de 1993 à 1995, il y avait déjà eu l'action des grands projets de ville, alors qu'en 1986, il y avait eu une certaine incompréhension.
La politique urbaine n'était pas la tasse de thé de la droite. Quand Jacques Chirac a été nommé premier ministre en 1986, il a viré Roland Castro et il a supprimé les crédits de Banlieues 89. Certes, Banlieues 89 était une structure qui ne ressemblait pas à l'ANRU et Roland Castro est un personnage assez atypique, mais ce qui est important, c'est qu'entre 1993 et 1995, on a relancé ce qui a pu déjà être mis en place dans les années passées.
De 1995 à 1997, l'ordre de mission du chef de l'Etat n'était pas forcément de poursuivre ce qui avait été mené auparavant ou de ne rien supprimer, mais de voir ce qui pouvait être le chaînon manquant. Suite à deux périples que nous avons effectués à Los Angeles avec le chef de l'Etat, nous avons compris que ce qui avait pu être mené en matière de revitalisation économique, et non pas simplement de perfusion sociale, était plutôt bien ressenti dans l'idée que se faisait le chef de l'Etat.
Le président de la République m'avait dit : « Il faudrait changer de rubrique. Pour le moment, les quartiers difficiles sont à la rubrique "faits divers" ; ne pourrait-on pas essayer de changer de rubrique et de les mettre dans la rubrique "chambre des métiers" ou "chambres de commerce", c'est-à-dire de faire en sorte qu'ils soient vus comme des quartiers comme les autres, du moins quand ils étaient encore en activité ? »
La mission qui nous a donc été confiée, Jean-Claude Gaudin et moi, a consisté à faire un effort dans le domaine de la revitalisation des quartiers : sur les emplacements des garages à vélos, il pouvait y avoir des commerces quelques années auparavant. Avec Jean-Claude, nous nous sommes toujours demandé quelle était la réalité du quartier quand, avant la charte d'Athènes, on avait des commerçants et un certain nombre de personnes qui travaillaient et vivaient sur place.
Il n'est pas facile de faire le bilan d'une expérience de deux ans, mais, en l'occurrence, ce que nous avons laissé à nos successeurs, avec Jean-Claude Gaudin, c'est plutôt la satisfaction de ne pas avoir vu les zones franches urbaines supprimées, malgré un rapport de l'Inspection générale des finances qui le prévoyait, et d'avoir eu un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales qui le proposait.
De 1997 à 2002 (je ne parlerai pas à la place de Claude Bartolone qui enverra sûrement une contribution écrite), ce que nous avons mis en place a été poursuivi à partir de cette idée de revitalisation économique. Nous avions essayé de le faire dans une certaine consensualité. Comme le président André le sait, nous n'avions pas préparé l'attribution de ces zones franches dans le secret d'une formation politique, mais, tout au contraire, en allant sur place, en parcourant les quartiers et en essayant de prendre en compte d'abord ce que les maires pouvaient nous indiquer.
Les ZFU ont été une aventure intéressante, à tel point que l'on est venu de onze pays à travers le monde pour voir ce que nous avions fait. La Commission européenne a dit : « Les Français ont proposé des choses qui ne sont pas idiotes », en autorisant la Lituanie à le faire et la Grande-Bretagne à le poursuivre. Il n'est pas facile de dire que ce qu'on a fait est extraordinaire, mais, en l'occurrence, c'était plutôt une bonne idée.
Avec Jean-Claude Gaudin, nous avons également essayé de poursuivre la logique que Mme Veil avait mise en place avec les grands projets de ville. Alors qu'il existe en France de nombreux quartiers sensibles et de nombreux quartiers d'habitat social, la situation des « chênes pointus » à Clichy-sous-Bois ou des Bosquets à Montfermeil est bien plus compliquée que celle de bien d'autres quartiers. Une action ciblée, « lasérisée », comme le dit Marc-Philippe (et je n'utilise pas d'autres termes) est importante et doit donc être menée à bien.
Voilà ce que je peux dire en ce qui concerne mon expérience.
Après la dissolution et notre renvoi à nos chères études, j'ai eu le plaisir de constater que le pacte de relance pour la ville a été poursuivi, même s'il avait été critiqué.
J'en viens à mon deuxième point, qui concerne mon interprétation de la crise des banlieues.
Avec le maire de Clichy-sous-Bois, je suis l'un des deux élus qui est arrivé sur place tout de suite. J'ai donc pu constater le sentiment que deux jeunes électrocutés, lorsqu'il y a suffisamment d'incompréhension entre la police, les pompiers et un certain nombre de jeunes en déshérence scolaire, peuvent susciter sur une ville, ce qui n'aurait peut-être pas été le cas à Montreuil ou à Aulnay-sous-Bois. Je veux dire par là que, dans une ville où il n'y a plus véritablement d'écoute et de dialogue, il y a eu le drame que nous avons connu et l'embrassement qui a été suscité.
Je ne veux pas être polémique, parce que ce n'est pas le lieu, mais s'il y avait une ville où il aurait fallu faire le couvre-feu dès le premier soir, c'était bien là-bas. Il aurait fallait dire en effet à tous les jeunes : « Vous rentrez chez vous et nous verrons demain, avec l'IGS, ce qui s'est passé ».
Malheureusement, cela n'a pas été mené à bien. Pour avoir vu les choses se développer, je pense que, lorsqu'une grenade lacrymogène tombe devant une mosquée, on est tenté de mieux expliquer aux policiers comment se servir des grenades lacrymogènes. On serait tenté aussi d'expliquer parfois que, lorsqu'on est le maire d'une ville, il n'est pas judicieux de déconseiller à la famille de rencontrer le ministre de l'intérieur parce que, en l'occurrence, il est un moment où le militant doit se cacher derrière le dirigeant.
Je crois que cette crise des banlieues a eu une sorte de logique d'embrasement dans le département qui est le mien, parce que, malgré le travail des maires, des chefs de projet, du préfet, des policiers et de tous les acteurs de la politique de la ville, comme l'a dit Laurent Fabius dans l'un de ses ouvrages, c'est ici que tout est concentré et que tout est compliqué.
Pour moi, la crise des banlieues est aussi une interprétation qui permet de voir que, même si on explique à des jeunes qui viennent de perdre deux de leurs copains que l'on fait beaucoup pour eux, ils n'ont pas l'impression d'avoir en tête le chiffrage de ce qui est mis pour la réalisation du désenclavement d'une cité. A mon avis, on n'explique pas suffisamment, dans un bon nombre de quartiers, que tout a un coût, que pour faire en sorte que le tramway qui est à Bondy et Aulnay puisse se poursuivre sur Clichy et Montfermeil, cela implique de dépenser 273 millions d'euros, c'est-à-dire une somme qu'on ne visualise pas lorsqu'on est à la mission locale pour l'emploi.
Quelles peuvent être les avancées possibles en termes d'amélioration ?
Je pense que l'action qu'a menée Marc-Philippe Daubresse sous l'autorité de Jean-Louis Borloo pour la création de l'ANRU est la bonne idée je tiens à en féliciter aussi l'actuel président que nous avions déjà en tête, Claude Bartolone, Michel Delebarre et moi. On y avait réfléchi et on l'avait rêvée, mais elle n'avait été mise en place que sur un endroit. Le fait d'avoir, comme bon nombre de maires s'en rendent compte, cette espèce de jury devant lequel on vient expliquer son projet, est un élément de responsabilité et de visualisation de tous les efforts qui doivent être menés à bien.
Par ailleurs, je pense que la poursuite de cette logique de réactivation de la vie dans les quartiers et de la revitalisation économique va incontestablement dans le bon sens. Il faut vraiment que ces quartiers soient comme les autres. Lorsqu'on entre dans un quartier pour se rendre à tel ou tel endroit parce qu'on y a remis de la vie, il est préférable de le faire avec une camionnette et une voiture qu'avec des dealers. Dans un bon nombre d'endroits, les zones franches urbaines ont permis de changer complètement l'état d'esprit, dans le sens d'une sorte de banalisation de l'argent économique, et on assiste petit à petit à la mise de côté de l'économie parallèle qui pouvait exister avec l'argent de la drogue.
Le fait d'avoir créé quarante, puis aujourd'hui cent zones franches urbaines au total permet d'avoir une continuité dans cette action.
Le troisième point que je souhaite développer repose sur une sorte de triptyque de réussite de la politique de la ville.
Il faut tout d'abord de l'activité. Tout ce qui peut créer de l'activité, notamment la relance des Missions locales pour l'emploi et tous les types de contrat (mais je ne veux pas être trop polémique par rapport à ce qui se passe dans la rue), est important. Quand Charles-Edouard a un emploi en sortant de ses études (c'est un exemple que je donne au hasard), si Mouloud et Mohammed peuvent avoir le même espoir d'avoir un contrat, cela peut permettre de placer cette activité, sous quelque forme de contrat que ce soit, dans bon nombre de quartiers.
Il faut ensuite faire un effort d'autorité. J'espère que nous n'aurons pas à le recenser en termes électoraux, mais les 45 833 voitures qui ont brûlé pendant les événements de novembre ont été un tsunami social parce qu'on n'a pas parlé de ces gens-là. Il faudrait peut-être se demander pourquoi, aux « chênes pointus », on a brûlé d'abord les voitures des Antillais et des Portugais. Lorsque, dans bon nombre d'endroits, on a oublié qu'aujourd'hui, le gymnase Armand Desmet de Clichy-sous-Bois n'est pas encore reconstruit ni remboursé, certes, mais que beaucoup des personnes dont la voiture a brûlé ne l'ont pas été pour autant, cela pose aussi un problème non négligeable dont on doit tenir compte, parce que celui qui voit sa voiture brûlée dans le centre-ville peut se la faire rembourser, ce qui n'est pas toujours le cas dans les quartiers populaires.
En dernier lieu, je crois que nous devons reforger l'identité d'un certain nombre de villes. Lorsqu'on a l'impression que, pour pouvoir gérer sa commune, il faut toujours consacrer des moyens d'exception et essayer d'obtenir ici tel label, là tel crédit, lorsque la politique de la ville n'est pas « urbano-dégradable », c'est-à-dire lorsque, au bout d'un moment, on ne dit pas, pour tel quartier de Lille, de Perpignan ou de Saint-Quentin : « Bravo monsieur le Maire », on trouve une solution différente. En l'occurrence, vous avez réussi.
Je pense que la politique de la ville met des collèges en ambition de réussite, mais qu'elle doit être aussi cataloguée comme pouvant recevoir des moyens moins importants quand on a réussi quelque chose à l'intérieur d'un quartier ou d'une cité d'habitat social.
Voilà ce que je souhaitais dire, monsieur le Président et monsieur le Rapporteur.
J'ajouterai simplement que, dans les différents dossiers traités par le ministère de la ville, avec Jean-Claude Gaudin, de 1995 à 1997, nous avons essayé, avec beaucoup d'humilité (c'est peut-être une qualité que les gouvernements n'ont pas toujours), dans la fonction qui était la nôtre certains ont pu en être témoins , d'écouter, d'apprendre et de ne pas dire ce qu'il fallait faire aux autres. Quand nous sommes retournés, lui et moi, dans nos villes respectives, nous nous sommes dit que l'action qui avait pu être menée avait été plutôt dans le bon sens puisqu'elle était reconnue par le nombre de messages que nous ont envoyés les maires des villes que nous avions traversées, maires qui nous ont réinvités ensuite à venir voir ce qui avait pu changer.
Voilà, monsieur le Président, le modeste témoignage que je souhaitais apporter.
M. Alex TÜRK, président .- Merci. Je passe la parole à notre rapporteur et je la donnerai ensuite à tous ceux qui souhaitent intervenir.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Messieurs les Ministres; en vous écoutant et ce serait la même chose avec M. Bartolone , nous avons vraiment l'impression, pour une raison ou une autre, qu'il s'agit d'une symphonie inachevée, mais que nous pouvons essayer de construire ensemble la suite. C'est un peu l'objet du rapport de notre mission.
Je ne vais pas revenir sur tous les points qui ont été abordés : je laisserai le soin à mes collègues de poser des questions. Je souhaite néanmoins m'adresser à Marc-Philippe Daubresse pour connaître son avis sur la territorialisation. Je connais bien son discours sur ce sujet ainsi que sur la « laserisation », mais ne doit-on pas à l'avenir se poser des questions sur la politique de la ville ? En effet, on s'aperçoit que les villes en difficulté sont certainement celles qui ont le plus besoin du renforcement des politiques de droit commun qui s'adressent à toute la ville et de mesures très spécifiques pour les quartiers les plus en difficulté.
Les réponses qui sont apportées aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'ANRU, qui frappe fort là où il faut frapper, de la nouvelle Agence nationale de cohésion sociale, dont nous n'avons pas encore toute la lisibilité nécessaire, des nouveaux contrats de cohésion sociale ou de l'augmentation substantielle de la DSU, dont on parle trop peu, visent à rendre la politique de la ville beaucoup plus lisible. Faut-il donc continuer à avoir une politique qui prévoit un zonage géographique fort, avec tout ce que cela comporte, ou faut-il au contraire renforcer encore les politiques sur tel ou tel territoire ?
J'ai une deuxième question à vous poser : le ministère de la Ville, qui est le plus interministériel des ministères, n'a-t-il pas vocation à être directement une délégation du premier ministre ? C'est à votre expérience que je fais appel.
J'en viens à un point qui n'a pas été tellement soulevé. La mission se rend demain à Bruxelles. Pouvez-vous donc nous dire un mot des relations que vous avez eues avec la Commission et de l'attitude de la France sur les politiques de la ville au niveau européen, notamment sur les grands contrats européens Urban, dont on sait qu'ils vont être très prochainement renégociés ?
Voilà un certain nombre de questions que je vous pose par rapport à votre expérience et pour savoir comment vous ressentez la place du maire dans la politique de la ville.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Je vais développer la première question, qui était plutôt l'objet de mon propos, et Eric dira ensuite ce qu'il pense devoir dire.
A mon avis, il ne faut pas confondre le territoire pertinent d'action avec une certaine force de frappe et le dispositif des politiques de la ville successives. Je ne critique pas mes prédécesseurs et je suis de l'avis d'Eric Raoult : j'ai été rapporteur du budget de la ville quand Claude Bartolone était ministre et j'ai dit du bien de la politique de la ville, sans faire de politique politicienne. On peut retrouver mes rapports. Je pense donc qu'il y a une cohérence de ces politiques depuis un certain nombre d'années.
Cela dit, je constate que, depuis des années c'est un élément indépendant des ministres , le dispositif prime l'efficience. Nous sommes en présence d'une usine à gaz avec des ratios, des distributions de fonds d'intervention sur la ville et une sorte de « technocratisation » de ces dispositifs dans lesquels on a créé une bureaucratie de la ville qui prime sur l'efficience. Je pose ce préalable pour dire qu'il ne faut pas répondre à la question de la territorialisation au vu de ce dispositif bureaucratisé. Il y a deux philosophies qui ont d'ailleurs toutes les deux leur cohérence : une philosophie de territorialisation et une philosophie d'aide personnelle aux personnes qui sont en difficulté sur des territoires donnés. Il s'agit d'aider plutôt la personne que le territoire, mais les deux éléments ont leur cohérence et on peut donc trouver une synthèse entre les deux.
A partir du moment où on décide de faire l'ANRU, dont on connaît la force de frappe (on peut toujours faire de la politique, mais l'ANRU est l'un des plus gros dispositifs qu'on n'a jamais mis en place pour métamorphoser les quartiers en profondeur et quand Jean-Louis Borloo parle de plan Marshall des banlieues, c'est bien le cas), et où la philosophie de ce dispositif repose sur la territorialisation, il n'est pas cohérent d'avoir, à côté, un dispositif humain qui n'accompagne pas le dispositif de l'ANRU dans la même cohérence. Pourquoi mettre 35 milliards d'euros d'un côté avec une logique de territoire et avoir une autre logique d'un autre côté qui va encore complexifier un dispositif déjà hyper compliqué ?
Cependant, faut-il continuer à avoir des ZUS et des dispositifs qui (la différence est là et je réponds en ce sens à la deuxième question du rapporteur), peu ou prou, avec des ratios et des règles à calcul, y compris dans l'attribution de la DSU, ne sont pas d'une grande équité entre différents territoires ? Je prends un exemple chez moi : Roubaix a des ZUS importantes alors qu'un territoire exactement analogue sociologiquement de Tourcoing ou de Wattrelos, n'étant pas en ZUS, a un différentiel de 1 à 10 dans les moyens dont il dispose.
Quand j'étais ministre, on m'a dit qu'il fallait refaire la carte des ZUS, comme on a dû le dire à Eric et à d'autres, mais je ne suis pas partisan de cette logique. Pour ma part, je suis sur une logique d'agglomération.
Nous avons fait les Assises de la ville (le maire de Perpignan était présent, de même que Thierry Repentin et beaucoup d'autres) dans un silence assourdissant de la presse. Des journalistes sont venus me dire : « Vos Assises de la ville ne nous intéressent pas ; nous serons intéressés si jamais il y a une explosion dans les banlieues ». Nous l'avons eue peu de temps après. Or les Assises de la ville ont été assez consensuelles et ont dégagé des solutions. Pierre Mauroy est venu expliquer que si nous voulions être efficaces, il fallait une politique d'agglomération, comme je le pense profondément.
La politique de la ville ne se fait pas en Corrèze (même si le maire de Brive a demandé à bénéficier de l'article 6 de l'ANRU, mais c'est une boutade), mais essentiellement dans les agglomérations françaises. Suite à la révolution institutionnelle qu'a été la loi Chevènement, les agglomérations sont désormais toutes structurées avec des gouvernances qui fonctionnent plutôt bien et je pense donc, comme Pierre Mauroy, que c'est plutôt à l'échelle de l'agglomération qu'il faut réfléchir à cela et que si on décide de faire un contrat de ville c'était l'idée du rapport Ségard , celui-ci doit être une contractualisation entre une agglomération et l'Etat à partir d'une boîte à outils dont on connaît aujourd'hui l'ensemble des composantes : c'est le plan de cohésion sociale, avec la reprise des zones franches urbaines en matière d'activité, les équipes de réussite éducative, qui représentent des moyens importants, et l'ensemble des politiques de prévention en matière de santé, de délinquance, etc. On aurait dû avoir également dans ce panier la dotation de solidarité urbaine consacrée à des actions de ce type, ce qui n'est pas le cas dans toutes les villes qui la perçoivent, comme vous le savez.
Dans la mesure où on a fait des contrats d'agglomération, pourquoi une grande agglomération ne pourrait-elle pas éclaircir ces problèmes en mettant plus d'argent sur tel ou tel point et en déterminant elle-même les quartiers sur lesquels elle veut agir soit de manière prioritaire, soit de manière préventive pour éviter qu'un certain nombre de quartiers rentrent eux-mêmes dans une certaine spirale ? C'est mon idée.
Quand je parle de territorialisation, je parle d'un territoire pertinent d'actions sur lequel il faut faire confiance aux élus locaux, avec une boîte à outils qui existe, et je pense qu'il faut effectivement prioriser les actions du plan de cohésion sociale vers les populations les plus en difficulté, plutôt que de le faire dans un système bureaucratique dans lequel je demande au préfet de mettre en place le plan de cohésion sociale, lui-même s'adressant au DDTE, à l'inspecteur d'académie, au sous-préfet à la ville ou au préfet délégué à la cohésion sociale, dispositif dans lequel on a beaucoup de perte d'énergie en ligne. En clair, si la politique de la ville s'identifiait à un réfrigérateur, pour prendre cette comparaison, on créerait plus de chaleur à l'extérieur que de froid à l'intérieur.
Je pense que le rôle de l'agglomération est fondamental. En revanche, Martine Aubry, pour vous donner un exemple de différence d'appréciation, n'a pas du tout la même opinion que Pierre Mauroy et moi, ce qui ne vous surprendra pas. Elle pense que c'est l'Etat et la ville qui doivent en être chargés alors que, pour ma part, je pense que c'est l'Etat et l'agglomération qui sont les niveaux pertinents. L'agglomération est d'autant plus pertinente que, bien souvent, elle vient en accompagnement de l'ANRU du fait des problématiques de voirie, d'éclairage et d'aménagement qui ressortent de l'agglomération, et qu'elle a une force de frappe qui lui permet d'agir dans bien des domaines.
Quant à l'aspect interministériel de la politique de la ville, j'ai constaté qu'il ne fonctionnait pas. En gros, le ministère de la jeunesse et des sports et le ministère de l'éducation nationale disent : « On y consacre des crédits, mais débrouillez-vous parce que vous nous les avez enlevés ! » Ce n'est pas un vrai niveau interministériel.
Le fait de nommer un délégué interministériel sous l'autorité du premier ministre (je suis en train d'écrire un bouquin sur l'impuissance publique et la crise de gouvernance de la France et c'est l'un des éléments que j'évoque) ne marchera pas. On a nommé un délégué interministériel au logement, un monsieur remarquable que je connais bien et qui fait le travail qu'il peut faire dans le cadre qu'on lui a fixé, mais on ne lui donne pas les moyens de son action. Le ministère de la ville est une action politique et il faut donc, à mon avis, un grand ministère de la ville.
A une époque, il a été avec le ministre de l'aménagement du territoire et, avec moi et Jean-Louis Borloo, il était avec le ministre de la cohésion sociale, ce qui me semble un peu plus cohérent, mais je pense qu'il faut donner une force politique à ce ministère parce que, par définition, il agit sur tous les sujets que nous avons évoqués l'un et l'autre.
Enfin, je conclus sur Bruxelles. Les contacts que j'ai eus avec Bruxelles ont concerné essentiellement les zones franches urbaines puisqu'on préparait leur plan d'extension, et nous n'avons pas eu beaucoup d'autres contacts en dehors de cela. Nous avons discuté essentiellement d'Urban ou de sujets de ce type avec les fonds structurels européens, mais quand on voit l'impact de ces sujets en termes financiers et en matière d'effet de levier, ce n'est pas grand-chose. Je pense donc qu'aujourd'hui, l'Europe est très absente de ce débat en dehors de la discussion sur les zones franches urbaines, qui est d'ailleurs beaucoup plus fiscale que sociale.
Comme j'ai essayé de l'exprimer au cours d'un Conseil des ministres européens à Prague, les pays d'Europe centrale étant plutôt en ligne sur ce point, l'idée serait de consacrer une partie du Fonds social européen à des actions de reconstruction humaine qui accompagnent les actions de rénovation urbaine qui sont en train de se faire dans beaucoup de pays européens.
M. Eric RAOULT .- Il y a toujours une très forte concordance d'esprit entre ce que dit Marc-Philippe Daubresse et moi-même, mais je vais me permettre d'ajouter quelques précisions.
Le ministre de la ville est coincé quelque part entre le ministre des affaires sociales et le ministre de l'intérieur, mais comme il doit avoir une disponibilité propre et importante, il est évident que le meilleur des ministres de la ville est le premier ministre, mais qu'il n'a pas toujours la disponibilité de se rendre sur place sans caméras. En fonction de cela, de 1995 à 1997, j'avais le bienveillant intérêt et le soutien du premier ministre.
J'ajouterai que, lorsqu'on donne un coup de téléphone au conseiller de l'urbanisme et du logement du président de la République, cela facilite les choses. Il ne faut pas le faire trop souvent avant un remaniement, mais, en l'occurrence, il peut être utile d'avoir le premier ministre et le président de la République dans la continuité du soutien.
J'en viens aux relations avec l'Europe. Marc-Philippe en a eu l'expérience avec un nouveau commissaire européen. Avec Jean-Claude Gaudin, nous avions été les premiers à défendre les zones franches urbaines devant un commissaire européen belge qui avait la préoccupation de sa région et des dossiers industriels. Quand on lui disait que, pour nous, il s'agissait d'abord de rouvrir les garages à vélo, il avait plutôt en tête les cheminées de la sidérurgie ou les filières du textile plutôt qu'une intervention.
Je vous livre une anecdote amusante : pour notre première rencontre avec le commissaire Karel Van Miert, nous avons présenté un rapport que Jean-Claude Gaudin avait imagé en disant : « Je ne souhaite pas que les zones franches urbaines soient, en France, des Hong-Kong ou des Macao », mais l'un de nos collaborateurs s'était trompé et avait remplacé « Macao » par « Monaco », ce qui a déstabilisé en partie notre explication. Van Miert s'est penché vers l'un de ses collaborateurs en lui demandant pourquoi nous parlions de Monaco...
L'Europe a effectivement un rôle particulièrement important à jouer, d'autant plus qu'au total, les expériences françaises ont été clonées dans d'autres endroits. Notre interrogation, c'est que Sarcelles et Montfermeil restent des communes très riches par rapport aux réalités d'un certain nombre de pays entrants. On ne brûle pas de voitures en Roumanie, mais il est vrai qu'au point de vue du développement social et urbain, ces pays sont dans une situation de très grande pauvreté par rapport à ce que nous pouvons connaître.
Nous devons donc nous battre becs et ongles pour essayer sinon de maintenir le calibrage des PIC Urban successifs dont nous avons bénéficié, du moins de continuer à obtenir un certain nombre de crédits.
La place du maire est primordiale. Quand, hier, le centre commercial Attac (bien nommé), à Montfermeil, a été assailli par 150 mômes qui sont venus tout casser à l'intérieur en emportant d'abord les confiseries avant les chaînes hi-fi, ce qui a permis à la presse locale de relativiser l'événement, celui qui était présent le plus rapidement, c'est le maire, qui a effectivement un rôle particulièrement important à jouer.
Il y a un couple idéal dans la politique de la ville : le maire et le préfet ou le maire et le ministre, mais rien ne peut se passer sans que le maire soit présent.
A cet égard, je tiens à prendre la défense du maire de Brive-la-Gaillarde, car il faut bien savoir, mon cher Marc-Philippe, que, dans la région de Brive...
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Je ne l'ai pas attaqué.
M. Eric RAOULT .- ..., du fait des difficultés de l'industrie automobile, on a fait venir pendant des années un très grand nombre de familles marocaines de la région d'Oujda. C'est ce qui fait que nous avons maintenant, à Brive, des problèmes particulièrement importants, ce qui montre qu'il n'y a pas des bouts de banlieue simplement à Clichy-sous-Bois.
M. Alex TÜRK, président .- J'ai une demande d'intervention de Mme Voynet et de M. Repentin.
Mme Dominique VOYNET .- Merci, monsieur le Président. Je pense que Marc-Philippe Daubresse a eu raison d'insister sur la continuité des politiques qui ont été conduites au fil du temps avec des tonalités différentes, d'un ministre à l'autre, qui ne sont pas tant liées à une diversité d'approche idéologique ou politique qu'à la volonté de s'adapter au terrain et d'observer ce qui se passe, sachant que nous sommes, paradoxalement, dans une politique peu idéologique et très pragmatique.
Je constate que vous nous avez invités à ne pas être polémiques et que vous avez insisté sur cette continuité, cette distance et cette sagesse, qui sont peut-être plus faciles à observer quand on se situe dans le temps que lorsqu'on considère la proximité géographique. A cet égard, je constate qu'Eric Raoult n'en a pas fait preuve exagérément en qualifiant d'une façon que je considère comme peu acceptable le travail d'un maire qui m'est proche et qui fait partie de mes amis.
D'une façon plus générale, je pense que l'on doit se garder de juger de façon lapidaire de situations complexes, même quand on considère qu'on les a sous le nez, parce que personne ne peut ici apporter de garantie quant à l'absence d'explosion à la suite de circonstances accidentelles difficiles à vivre comme celles qui ont été vécues à Clichy.
Il se trouve que j'avais demandé la parole avant la deuxième intervention de Marc-Philippe Daubresse et que j'ai été heureuse de l'entendre évoquer l'organisation du territoire, notamment l'importance de la montée en puissance des dynamiques d'agglomération. Cependant, je souhaiterais que l'on aille un peu plus loin sans forcément se demander à quel ministère doit être rattaché le ministère de la ville. Intellectuellement, il pourrait être cohérent de le rattacher à l'aménagement du territoire, mais ces deux politiques si transversales, si interministérielles et dotées de si peu d'administrations de rattachement ne seraient pas forcément un cadeau à donner aux missionnaires chargés de ce genre de tâche.
Il pourrait peut-être se rattacher au ministère des affaires sociales ; il pourrait se justifier aussi qu'il soit rattaché à un gros ministère aménageur, mais le débat est sans doute secondaire par rapport à la nécessité de voir toute la chaîne des cohérences territoriales.
Ma question sera double.
Le premier aspect concerne la refonte plus globale de la fiscalité locale. La réforme de la DSU était bienvenue, mais elle ne représente qu'environ 5 % des dotations. A l'issue de cette expérience ministérielle, vous êtes-vous forgé des certitudes, des convictions ou des intuitions quant aux pistes que nous pourrions poursuivre concernant une meilleure péréquation et une plus grande solidarité interurbaine et interrégionale ?
Le deuxième aspect de ma question concerne les outils de contractualisation. Les contrats de plan Etat-Région (peu importe le fait qu'on les appelle « contrats de plan » ou « contrats de projet ») lient l'Etat, les régions et les collectivités territoriales avec une visibilité pluriannuelle bienvenue et une décision a été prise de concentrer les fonds sur des projets plus lisibles et plus importants. Il me semble donc qu'il pourrait être intéressant d'étoffer un volet territorial permettant une contractualisation entre l'Etat, les régions et les agglomérations autour des grands objectifs de la politique de la ville.
Il est vrai qu'il pourrait être plus facile de convaincre la Commission européenne de s'engager si on était capable d'afficher cette politique, qu'il s'agisse de l'utilisation du Fonds social européen ou des fonds Urban, qui sont quand même relativement marginaux dans les transferts arrivant de l'Union européenne, pour essayer de donner de la lisibilité et de la cohérence à cette politique.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Je reviens sur l'agglomération, dont je suis un militant. Cela étant, je mesure, comme tout ministre vous l'avez été, madame Voynet que l'Île-de-France est prégnante, y compris médiatiquement, et qu'il est donc difficile d'expliquer une logique d'agglomération dans une région qui a un retard considérable, à mon avis, en matière de structuration en agglomérations. Quand, dans le cadre de la politique de la ville, l'Île-de-France est un dossier dans le dossier, de même que la Seine-Saint-Denis, puisque c'est vraiment dans le 93 que l'on a concentré le plus de problèmes difficiles, et quand on considère en outre que, dans ce département, nous avons un phénomène d'agglomération qui existe trop faiblement, on ne peut que se poser des questions.
A la communauté urbaine de Lille, qui compte 1 million d'habitats, vous pouvez penser que nous savons agir et que nous avons une force de frappe considérable, ce qui n'est pas le cas des petites agglomérations. Evidemment, cela repose le problème des départements, des régions et de leur gouvernance dans lequel je n'entre pas. Je pense simplement que l'un des handicaps qui a freiné beaucoup le fait que l'on puisse faire une politique territoriale guidée par une logique d'agglomération, c'est ce problème de l'Île-de-France.
Il est évident que la fiscalité locale est au centre de cette problématique. Avec Jean-Louis Borloo, nous avons essayé de faire la réforme de la DSU en décidant d'écrêter une partie de la dotation globale forfaitaire pour la « laseriser » sur les communes les plus en difficulté et je pense que nous avons bien réussi là-dessus, mais nous n'en sommes qu'à l'échelle de 5 % et il faudrait poursuivre cette péréquation.
Notre difficulté réside dans le ratio. En effet, autant je pense que cette réforme (mais je l'ai portée ici, au Sénat, et à l'Assemblée et je ne vais donc pas la renier) est bonne dans les redistributions, autant je pense que les ratios sur lesquels on l'a faite pour trouver un consensus, en écoutant les élus de tous les bords, sont discutables.
Le rapport entre le pourcentage de la population d'un territoire en ZUS et celui de la population d'une ZFU peut créer un effet levier qui aboutit à ce que la ville de Roubaix, par exemple, puisse obtenir 20 millions d'euros de plus qu'auparavant, c'est-à-dire une augmentation de 600 % de la DSU. Cela produit dans les ratios des effets qui ne sont pas bons.
Si on veut aller plus loin, et je pense qu'il faut le faire, dans cette péréquation et cette redistribution des richesses, il faut trouver des paramètres de redistribution un peu plus objectifs, ce qui pourrait être possible à l'échelle de l'agglomération, quand elle existe. Autrement dit, ce n'est pas forcément l'Etat qui doit être le redistributeur. De même que l'on fait des dotations de solidarité communautaire, on peut imaginer, peut-être avec des majorités des deux tiers pour éviter les risques de politisation de ces affaires, que l'agglomération elle-même trouve des formes de péréquation beaucoup plus importantes que ce qui existe aujourd'hui.
Sur les autres contractualisations, même si je ne devrais pas le dire dans cette enceinte), je pense que, philosophiquement, en termes de gouvernance de l'Etat, les deux grandes instances d'avenir sont la région et l'agglomération, la région ayant vocation à s'occuper de la politique de la ville et étant l'un de nos partenaires essentiels pour l'ANRU.
Je mets à part l'Île-de-France parce que sa situation est plus compliquée : il faudra trouver pour elle un système binaire, mixte ou composite avec les départements, sachant que, faute de ce consensus, on n'arrivera jamais à rien.
En dehors de ce sujet, je pense que la région pourrait être une force organisatrice assez intéressante en liaison elle-même avec les agglomérations, ce qui permettrait d'aboutir à des contrats qui utilisent toute la force des politiques de ces nouveaux contrats de ville, de ces nouveaux contrats de projet et du plan de cohésion sociale qui s'intégreraient dans une dynamique régionale portée elle-même territorialement par les agglomérations. C'est plutôt ma vision de l'organisation.
Pour être encore plus iconoclaste, j'ajouterai que, dans le rapport Ségard je réponds ici à Mme Voynet , nous avions envisagé un ministère des affaires territoriales qui aurait regroupé l'aménagement du territoire et la politique de la ville et qui aurait justement essayé de porter toutes ces politiques territoriales dans une vision assez décentralisatrice.
Mme Dominique VOYNET .- Nous voudrions avoir ce rapport.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Ce rapport n'a pas été remis officiellement au ministre. Il m'a été remis le lendemain de mon départ.
Mme Marie-France BEAUFILS .- Il faudra le mettre à notre disposition.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Je l'ai travaillé personnellement et je suis d'accord pour vous en donner une synthèse. Cela étant, c'est un avis qui n'engage pas mon groupe politique et qui se fonde sur mon expérience.
M. Eric RAOULT .- Je vais essayer de répondre le plus pragmatiquement et le plus politiquement possible à Mme Voynet en lui rappelant que la proximité est non seulement idéologique mais aussi géographique. Je connais mieux Clichy-sous-Bois qu'elle, mais c'est normal pour les raisons qu'elle sait.
Mme Dominique VOYNET .- Moins bien que le maire de Clichy, quand même.
M. Eric RAOULT .- C'est vrai, mais comme le maire de Clichy a habité Le Raincy pendant trois ans, nous avons pu échanger.
Mme Dominique VOYNET .- Votre argument est grandiose !...
M. Eric RAOULT .- En ce qui concerne le contrat de plan, il y a en effet une spécificité de l'Île-de-France, comme l'a dit Marc-Philippe, et je suis heureux que, depuis plusieurs contrats de plan, l'Île-de-France, au travers de son conseil régional et des différentes majorités qui s'y sont succédé, a participé très précisément au contenu et aux élaborations des contrats de ville, ce qui est un point très important.
Il faut aussi être logique, madame Voynet. Lorsqu'on demande, dans le cadre du prochain contrat de plan, d'étendre la ligne de train-tram vers Clichy-Montfermeil pour un coût estimé à 273 millions d'euros et qu'on alourdit ce contrat de plan par un certain nombre de ces demandes, même si elles sont justifiées, il est important qu'il puisse y avoir parfois un relais. Or je tiens à lui rappeler que, pendant quinze ans, le département de la Seine-Saint-Denis, au travers de son conseil général, n'a apporté aucun moyen aux différents contrats de ville de ce département, mais elle ne connaissait peut-être pas cette spécificité à l'époque.
Pour ce qui concerne la réforme de la dotation de solidarité urbaine, je rappelle que le fonds de solidarité de la région Île-de-France (FSRIF), en 1996, comme Marc-Philippe le soulignait tout à l'heure, et en 2004, au titre de la nouvelle réforme de la dotation de solidarité urbaine, a permis d'obtenir les plus forts abondements dans le département de la Seine-Saint-Denis. Certes, on n'atteint pas 600 % comme à Roubaix, mais quand même 470 % pour Clichy-sous-Bois et, malheureusement, seulement 43 % pour la ville de Montfermeil.
A mon avis, cette réforme de la dotation de solidarité urbaine doit être désormais considérée comme un acquis qu'il convient d'évaluer, mais il faut aussi parfois justifier l'utilisation des abondements. Je veux bien que, dans un département comme celui dont nous sommes les élus, on puisse dire qu'il y a un désengagement de l'Etat à travers un certain nombre de dotations, mais, en l'occurrence, il me paraît important de souligner que cette dotation de solidarité urbaine, vis-à-vis de cette population, doit être désormais justifiée dans son utilisation.
Je rappelle à Mme Voynet que, dans l'origine de la dotation de solidarité urbaine, il y avait un rapport annuel d'utilisation présenté devant le conseil municipal, ce qui n'est pas fait dans toutes les collectivités locales.
M. Thierry REPENTIN .- Messieurs les Ministres, je commencerai par vous prier de m'excuser d'être arrivé en retard et par dire que je suis ravi de revoir Marc-Philippe Daubresse sur ce dossier. Nous n'avons pas toujours partagé les mêmes analyses, mais nous avions en tout cas en vous quelqu'un qui connaissait le sujet et, du coup, les choses pouvaient avancer dans le dialogue républicain qui, par ailleurs, a toujours fait partie de votre pratique politique. Je ne le dis pas pour M. Raoult puisque je n'ai jamais eu à travailler avec lui en tant que parlementaire.
Je suis ravi d'entendre qu'il y a une analyse ou une approche assez identique des différents ministres de la ville pour traiter ce sujet depuis le premier ministre de la ville. Cependant, très franchement, pour ma part mais je n'ai sans doute pas assez d'expérience , cela ne m'apparaît pas d'une façon aussi flagrante chez les différents ministres, dans une famille de pensée comme dans d'autres, certains ayant eu une approche très pragmatique et d'autres peut-être moins. Ce constat étant fait, je serais ravi que cette analyse de ma part soit erronée.
J'aurai par ailleurs trois remarques à faire plutôt que des questions à poser.
La première concerne l'intercommunalité. Je rejoins totalement l'analyse de M. Daubresse en disant que c'est sans doute là que l'on doit trouver les solidarités qu'on ne peut pas trouver sur une seule commune, avec une autre locomotive qu'est l'Etat, sans conteste. J'ajoute qu'à terme, le couple idéal en termes de collectivités territoriales est celui que constituent les régions et les agglomérations. Vous pouvez le dire aussi dans cette maison, puisque bon nombre de sénateurs pensent que l'avenir est sur ce couple, même s'il peut y avoir débat entre nous. Cela étant, dans l'intercommunalité telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, a-t-on des outils législatifs suffisamment incitatifs pour que la politique de la ville soit portée à cette échelle ?
A partir du moment où la compétence politique de la ville a été transférée, la DSU elle-même ne doit-elle pas être ciblée sur l'intercommunalité ? Les règles de la dotation de solidarité communautaire ne doivent-elles pas prendre en compte, pour une partie, la problématique politique de la ville, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui ?
Vous avez été aussi ministre du logement. Y a-t-il suffisamment de systèmes incitatifs en termes de politique de la ville pour arriver à une réelle solidarité ? Sur ce sujet, je m'étonne que l'on oppose toujours ceux qui veulent convaincre à ceux qui veulent contraindre. A travers ce débat, n'y a-t-il pas aussi une solution de facilité, au niveau national, pour ne pas entrer dans un débat difficile à mettre en place dans chacune des familles de pensée politique ? Pour ma part, je pense que la solidarité n'étant pas dans les gènes humains ni dans ceux des élus, il faut qu'à un moment ou un autre, l'Etat soit plus contraignant qu'il ne l'est. J'aimerais avoir votre analyse sur ce point.
Voilà ce que je voulais dire sur l'intercommunalité.
J'en viens à mon second point. Marc-Philippe Daubresse dit que le dispositif prime souvent sur l'efficience. J'ai à mes côtés le président de l'ANRU, qui me connaît suffisamment pour savoir que si j'égratigne l'ANRU, je ne vise pas son président mais l'évolution du dispositif lui-même. Autant j'applaudis des deux mains l'analyse qui est faite de la part de partenaires (l'Etat, les collectivités territoriales, le monde HLM et le monde de l'entreprise à travers le 1 % Logement), autant je me demande pourquoi on n'a pas pensé d'emblée à faire une agence qui permet de mêler l'urbain et l'humain et pourquoi on a donc créé en plus une agence de cohésion sociale.
Si j'ai une critique à faire en tant qu'ancien membre du conseil d'administration de l'ANRU, c'est qu'à mon avis, on parle beaucoup d'urbain et très peu d'humain. Vous avez dit qu'il fallait aider la personne et le territoire. Or j'ai le sentiment que l'on aide le territoire mais non pas la personne. Cela me semble être une dimension essentielle. A l'origine, ces territoires n'avaient pas les problèmes qu'ils ont aujourd'hui parce que les ménages qui venaient sur les ZUP avaient une activité professionnelle, c'est-à-dire une vie comme nous espérons tous en avoir. Aujourd'hui, on continue à aider le territoire à travers l'ANRU, mais non pas les personnes qui y sont. Il est vrai qu'en travaillant sur l'urbanisme, on améliore l'environnement quotidien, mais on n'améliore pas la vie des habitants.
Pourquoi, finalement, ne pas faire une seule agence et pensez-vous que l'on prend suffisamment en compte la situation des personnes qui vivent sur le territoire ?
Vous avez initié une loi qui prévoyait une intervention sur 189 quartiers à l'origine et quand je suis parti, nous devions en être à 1 000 quartiers concernés.
M. Jean-Paul ALDUY .- Il ne faut pas exagérer, quand même.
M. Thierry REPENTIN .- Entre les priorités 1 et les zones 2 et 3, on n'est pas loin de 1 000 quartiers si on accorde toutes les dérogations demandées. Pourquoi cette explosion ? C'est la question que je pose.
Enfin, vous avez été l'un et l'autre en charge d'un ministère difficile à piloter puisqu'il est basé sur l'interministérialité. Quand il s'agit d'aider la personne au quotidien, cela dépend aussi des décisions de vos collègues du gouvernement, notamment en ce qui concerne l'éducation nationale, la santé ou la police. Compte tenu de votre expérience, vous semble-t-il crédible qu'un premier ministre convaincu de la politique de la ville puisse faire en sorte que son ministre de la ville, chaque année, sur les effectifs des différents ministères, puisse avoir son mot à dire dans le budget ? L'éducation nationale, la santé et la police me semblent être des éléments, en tout cas dans nos interventions, qui reviennent très souvent comme des maillons manquants et des faiblesses, et mon constat porte sur quinze ans et donc sous différentes majorités.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Sur l'intercommunalité, je suis partisan, philosophiquement, d'une sorte de dotation de solidarité communautaire qui consoliderait la DSU sur des critères dans lesquels on laisse une certaine liberté à l'agglomération, avec un certain nombre de paramètres à prendre en compte comme le nombre de logements sociaux, par exemple. Je pense qu'il serait bien de procéder de cette façon. On contractualiserait avec l'agglomération, on lui donnerait une somme et, à partir de là, on pourrait s'occuper de sa répartition en tenant compte des opérations de mutation urbaine et d'aménagement qui se produisent sur le territoire : il est évident qu'on a besoin de plus d'argent pour insuffler une dynamique au moment où on transforme le quartier que dans d'autres périodes.
J'insisterai sur l'ANRU, qui est le sujet de votre deuxième question. Ce n'est pas parce que je suis devant son président que je le dis, mais je pense que c'est une grande réforme. Je ne suis pas un fanatique des agences, mais le grand intérêt de l'ANRU, c'est, d'une part, l'effet de levier du financement et, d'autre part, ce que j'ai appelé tout à l'heure la gestion partenariale de la complexité. Il s'agit en effet de mettre autour de la table des partenaires qui vont partager une stratégie et une répartition de l'argent que nous avons pu collecter de manière plus large en les amenant au même moment, au même endroit et sur les mêmes objectifs, ce qui crée des effets de levier intéressants.
Par exemple, dans le département du Nord, que connaît bien le président Türk, la ville d'Aumont, qui avait besoin de 100 millions d'euros pour faire sa mutation urbaine et qui n'avait pas un sou pour cela dans son budget, a pu faire l'opération grâce à une DSU de 1 million d'euros supplémentaires par an (sachant que son apport est de 10 millions d'euros sur 100 millions d'euros en tout), compte tenu des effets de levier de l'ANRU et sans que cela lui coûte un euro de plus dans son budget. Je dis cela parce que les chiffres sont ronds et que c'est facile à comprendre : 100 M€, 10 % payés par la ville et un emprunt sur vingt ans d'un million d'euros par an apportés justement par la DSU.
L'ANRU a cette logique centralisatrice indispensable en amont. Pour autant, si j'avais un conseil à donner, je pense qu'il faudrait instaurer une logique décentralisée en aval. En effet, l'arrivée des dossiers s'est faite tout doucement au début, mais il y a aujourd'hui un effet d'entonnoir terrible parce que les maires ont commencé à comprendre ce que cela impliquait. Il faut donc résorber le bouchon ! Cependant, si on pouvait territorialiser les choses en aval, on pourrait faire des opérations intéressantes.
Pour ma part, je suis pour une seule agence de rénovation urbaine et de cohésion sociale, parce que nous avons à peu près les mêmes partenaires autour de la table et que l'on pourrait ajouter d'autres effets levier en mettant dans les partenaires l'éducation nationale, les représentants du monde associatif, notamment dans le domaine de la prévention de la délinquance, les représentants de la santé et ceux de la jeunesse et les sports, ce qui nous donnerait une forme interministérielle.
En revanche, je ne crois pas à un premier ministre chargé de ces questions, même si tout premier ministre est capable de faire de grandes choses. J'ai vécu de façon proche de Jean-Pierre Raffarin qui, en tant que premier ministre, était convaincu de la décentralisation et qui m'avait dit qu'il voulait piloter cela en direct parce que c'était sa conviction. En définitive, quel qu'il soit, le premier ministre est pris par ses problèmes et sa gestion, ce qui fait que, même s'il veut prendre en charge personnellement un sujet en direct, qui est un sujet de longue haleine et qui ne se règle pas en faisant une loi, il n'y arrive pas.
Je ne crois donc pas au rattachement à un premier ministre directement, pas plus qu'à un délégué ministériel. Je pense qu'il faut un grand ministère de la ville et j'ajoute que le noeud de cette affaire, sur le terrain (c'est pourquoi je parlais du ministère des affaires territoriales), c'est le préfet. On arrive à mettre à peu près en place le plan de cohésion sociale sur le terrain parce qu'on mobilise les réseaux de préfets. J'ai fait trois fois le tour de France et j'ai mobilisé les préfets en France.
La politique de la ville a besoin de préfets. Pour autant, faut-il des préfets délégués à la cohésion sociale ? Je pense que le préfet lui-même, avec son autorité, a les moyens de mobiliser l'interministériel et qu'on y arrivera en décentralisant l'ANRU en aval tout en gardant l'organisation centralisée et en y liant la cohésion sociale.
Vous m'excuserez d'avoir été long, mais c'est un sujet que j'aime bien.
M. Roland MUZEAU .- Je ferai un premier constat très bref : moi qui pratique la politique de la ville depuis 1982, avec les premiers quartiers Dubedout, je peux témoigner que je n'ai pas connaissance d'exposés des motifs si différents. Au terme des constats effectués ministère après ministère, tout le monde reconnaissait que cela n'allait pas très bien et que les choses ne s'arrangeaient pas. Au-delà de cette appréciation, il y avait, comme le disait mon collègue, plus ou moins d'humain, ce qui est assez important au bout du compte, voire très important, ou plus ou moins d'urbain, l'urbain étant toujours la primauté des politiques, même si c'était bien sûr indispensable.
Je pense donc que nous ne pouvons pas vraiment nous chercher des noises parce que le constat est plutôt partagé.
Cependant, c'est en ce qui concerne l'humain que les choses ne vont plus bien. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur Daubresse, l'humain est aujourd'hui différent de ce qu'il était hier dans les lieux mêmes dans lesquels on est en train de travailler sur les bâtiments. Dans ma ville, il y avait des bâtiments qui, il y a trente ans, fonctionnaient parfaitement parce qu'il n'y avait pas de chômeurs dans le pays pas plus que dans la ville. Il y avait un taux de chômeurs résiduel, il n'y avait pas de problèmes, ces bâtiments fonctionnaient bien et le lien social y était fort.
La crise s'accentuant et les taux de chômage devenant gigantesques, c'est là que sont apparus les problèmes. Je précise qu'il s'agit d'une ville d'immigration depuis quatre-vingts ans, c'est-à-dire depuis 1924, avec l'arrivée des Marocains, et que plus de la moitié de la population est d'origine étrangère. Ce ne sont pas des phénomènes marginaux.
C'est donc bien la crise qui est à la source des problèmes des villes et non pas les bâtiments en soi, même s'ils sont moches et trop concentrés, toute ces choses étant à régler par ailleurs. Or le problème qui se pose sur ce point, c'est que nous n'avons probablement pas les mêmes appréciations ou, du moins, la même envie de toucher à ce qui fait mal.
Quand je regarde le mal que se donnent les missions locales et les programmes locaux d'intégration par l'emploi pour placer x jeunes dans l'année, je me rends compte que ce sont des boulots terribles et nous sommes tous très contents quand quelques dizaines trouvent une solution à leurs difficultés. Malheureusement, quand, du fait des difficultés dans l'automobile, comme cela a été le cas à Aulnay il y a quelques semaines, la mission d'intérim de 600 jeunes est arrêtée du jour au lendemain, cela fait 600 jeunes au tapis d'un coup, et on peut multiplier les exemples.
On voit bien la masse des difficultés qui sont devant nous et face auxquelles les dispositifs qui existent ne sont que des palliatifs, même s'ils sont nécessaires et s'il s'agit de politiques nécessaires à mener, à des années lumières des problèmes posés.
On veut toucher aux mécanismes qui fondent notre économie. Nous n'allons pas débattre du CPE aujourd'hui, mais la question de la précarité est clairement posée quand on sait que 80 % des emplois dans la grande distribution sont de la précarité et du temps partiel. Ce sont des salaires de misère qui font que les gens, rentrés chez eux, vivent tellement mal que tout le reste s'ensuit, notamment le délitement de la vie familiale.
Nous en sommes là et c'est probablement dans un certain nombre de propos que vous avez pu tenir, monsieur Daubresse, que je retiens les choses les plus intéressantes. En effet, même si la mise en pratique ne s'est pas faite, vous avez évoqué ces questions.
De la même manière, comment ne pas s'interroger sur une société qui fabrique mille pauvres de plus par jour selon les données européennes, comme l'indique un rapport qui vient de nous tomber et qu'en est-il des phénomènes induits par les départs massifs d'entreprises de production qui génèrent les licenciements dans les PME et les TPE ?
Je suis d'accord avec vous sur la nécessité des politiques territoriales, mais je suis contre l'outil de l'agglomération avec les dispositifs que vous avez annoncés, comme quoi on a le droit d'être amis et de ne pas être d'accord sur certains sujets. Je trouve en effet que nous devrions nous arrêter quelques instants sur l'agglomération, même si le président nous a dit que nous n'avions pas beaucoup de temps.
Par ailleurs, j'aimerais avoir votre opinion, monsieur Daubresse, sur les questions de peuplement que vous avez abordées au début de vos propos. Que pensez-vous du fait que tant de maires continuent à refuser d'avoir 20 % de logements sociaux sur leur territoire, ce qui n'est pas un chiffre énorme et comment réagissez-vous à ce type de situation ? On sait que cela ne se réglera pas par des phénomènes d'agglomération qui consistent à mélanger les choux et les carottes et à aboutir à une moyenne de 20 % qui fait que tout le monde est content. C'est aussi de cette manière que les choses se traduisent alors que le territoire communal ne peut pas trouver de bonne moyenne avec les territoires situés à côté. C'est un vrai problème et je voudrais avoir votre appréciation sur cette question.
Enfin, je voudrais avoir votre sentiment sur l'adoption, à l'Assemblée nationale, de l'amendement Ollier qui vient torpiller la loi SRU sur ce même sujet. Cela va revenir au Sénat et j'espère que nous aurons le courage de le refuser, mais c'est un vrai problème. J'aimerais donc avoir votre opinion sur ce point.
Voilà, messieurs les Ministres, ce que je souhaitais vous dire.
M. Alex TÜRK, président .- Je pense qu'il vaut mieux que nous regroupions les questions, sans quoi je crains que nous ayons des difficultés d'organisation. Je propose que plusieurs orateurs s'expriment et que la réponse soit globale.
M. Jean-Paul ALDUY .- Je vais être bref, d'autant, monsieur le Président, que vous m'avez annoncé qu'il y aurait une audition de l'ANRU sur la base des questions qui sortiraient précisément des auditions. De plus, Marc-Philippe Daubresse est l'un des pères de l'ANRU et le sujet a été largement amendé.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Quand le bébé est beau, il ne manque pas de pères pour le reconnaître...
M. Jean-Paul ALDUY .- Vous me permettrez quand même de vous reconnaître dans cette filiation.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Le premier père, c'est Jean-Louis Borloo.
M. Jean-Paul ALDUY .- Vous vous êtes mis à deux là-dessus, quand même... (Rires.)
Cela dit, on a beaucoup abordé le problème de la complexité administrative française. J'habite dans une zone frontalière et je peux faire la comparaison entre Perpignan et Gérone, et entre ce qui se passe à Barcelone et ce qui se passe dans les grandes villes millionnaires françaises : c'est la nuit et le jour en termes de mécanismes de décision et donc de capacités d'action. Pourtant, la mondialisation tape en Espagne autant que chez nous, de même que les délocalisations et les difficultés des jeunes. La différence, c'est qu'à Barcelone, le taux de chômage est de 7 % alors qu'à Perpignan, il est de 15 et que le taux de chômage des jeunes est aux environs de 8 % à Barcelone alors qu'il est de 25 ou 30 % à Perpignan.
Je crois profondément que la complexité administrative française est l'un des éléments centraux de l'incapacité que nous avons à gérer la crise urbaine.
Je m'adresse donc à nos deux ministres, qui l'ont vécue de près, pour avoir leur point de vue sur trois réflexions.
Premièrement, je crois que la région Île-de-France est un cas en soi et qu'à la limite, il faut un ministre de la région Île-de-France. Il y en a eu un : il s'appelait Delouvrier. Certes, la décentralisation n'était pas là, mais il s'est passé beaucoup de choses à cette époque parce qu'il y avait une autorité qui faisait de la coordination des actions de l'Etat. Dans une autre vie, j'ai été directeur général d'une ville nouvelle de la région parisienne, celle de Saint-Quentin-en-Yvelines, j'ai été aussi directeur de l'IAURP, qui s'appelle aujourd'hui IAURIF, j'ai vécu cela de près (Delouvrier était mon premier patron) et je crois que la région Île-de-France en soi est un sujet très différent des autres. On n'arrivera jamais à trouver des méthodes administratives qui s'appliquent à la fois à la région parisienne, à Perpignan ou à Roubaix et cette course nous amène systématiquement à l'échec, du moins de l'un ou de l'autre. Je crois donc qu'il faut traiter la région parisienne de manière différente sur le plan de la décision de l'Etat.
Deuxièmement, Marc-Philippe, le fait d'avoir mis pour la première fois dans un même ministère à la fois l'emploi et le logement, puisque cela revenait finalement à cela, est à mon avis le très bon périmètre de la ville. Cependant, je ne suis pas sûr qu'en augmentant le périmètre, on gagne en efficacité, d'autant que, lorsqu'on a ce bon périmètre en termes de décisions politiques, si on met en place un outil d'exécutif du style agence, selon l'exemple de l'ANRU, on peut rassembler les partenaires et les autres ministères.
Nous sommes d'accord tous les deux : le fait d'instituer deux agences complique le mécanisme et nous sommes à peu près sûrs que cela ira à l'échec, sans vouloir faire de pronostics (cela ne sortira peut-être pas d'ici, mais je dis ce que je pense), pour de nombreuses raisons, y compris humaines et de conflits.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Si c'est dans le rapport, cela sortira d'ici.
Mme Marie-France BEAUFILS .- Il ne sortira pas avant l'automne prochain...
M. Jean-Paul ALDUY .- Nous partageons en tout cas la même analyse.
J'ai une autre proposition à faire, et celle-ci fera rire tout le monde. Je constate que l'on donne deux ans aux ministres de la ville, ce qui est une erreur : on devrait interdire de changer de ministre de la ville sur un mandat. C'est ce que je me dis quand je vois qu'au bout de deux ans, Marc-Philippe est devenu parfait et qu'on l'a fait partir à ce moment-là. Je suis donc pour que l'on fasse un texte de loi obligeant de garder les ministres de la ville sur un mandat.
Il faut en effet de la durée pour s'approprier ce sujet. Vous avez eu cette expérience et vous voyez bien comment vous l'avez vécue. Au bout de deux ans, vous avez fait le tour de la France, vous avez repéré la complexité du mécanisme et toutes les difficultés ministérielles, vous vous êtes confrontés au ministère des finances, avec ce que cela suppose de difficultés, et vous commencez à avoir une vraie capacité politique. Je constate que, depuis vingt ans, la durée moyenne d'un ministre de la ville doit être d'environ un an et demi ou deux ans. S'il y a vraiment une tâche ministérielle qui implique un peu de durée dans l'action compte tenu de la complexité de la tâche de coordination administrative, il me semble que c'est bien celle là.
Par ailleurs, je voudrais poser une question à Marc-Philippe sur une chose que j'ai mal vécue. A un moment donné, vous avez eu le choix d'augmenter la DSU en disant que c'est en l'augmentant que l'on pourrait financer les associations et donc que l'on pouvait réduire le budget d'aide aux associations. Je crois que cela a été une énorme erreur parce que la plupart des maires qui ont eu la DSU l'ont utilisée à tout sauf à la politique de la ville.
M. Eric RAOULT .- Pourtant, ils l'avaient réclamée.
M. Jean-Paul ALDUY .- Entre le discours et la réalité, il faut toujours voir ce qui se passe.
Je crois profondément que l'erreur a été double. En premier lieu, il aurait fallu transférer la DSU aux agglomérations pour les dynamiser et leur offrir la capacité d'être vraiment les autorités organisatrices de la politique de la ville, ce qu'elles ne sont pas aujourd'hui pour de nombreuses raisons : dans la plupart des cas, elles n'ont même pas cela dans leurs compétences. Nous avions là un levier financier intéressant.
Mme Marie-France BEAUFILS .- Attention : les DSU nous ont baissé nos DCTP de façon énorme.
M. Jean-Paul ALDUY .- Voici la question que je pose à nos deux ministres : ne croyez-vous pas qu'en l'occurrence, nous avons raté l'occasion de transférer la DSU aux agglomérations pour faire de celles-ci l'autorité organisatrice de la ville et, en tout état de cause, de ne pas faire cette sorte de siphonage entre le FIV et la DSU qui a été très mal perçu sur le terrain et a démobilisé un ensemble d'associations ?
Je résume mes deux questions. Premièrement, comment vivez-vous cette coordination interministérielle avec le cas particulier de la région Île-de-France ? Deuxièmement, comment peut-on, demain, faire des agglomérations l'autorité organisatrice de la ville si on ne joue pas sur les mécanismes financiers, notamment la DSU, le FIV, etc. ? Enfin, il reste la question de savoir pourquoi on a fait deux agences au lieu d'une, mais la réponse a déjà été donnée.
M. André VALLET .- Monsieur le Président, messieurs les ministres, je voudrais évoquer quatre ou cinq points que vous avez indiqués dans vos interventions.
Premièrement, monsieur Daubresse, vous avez parlé d'une politique de mixité sociale qui devrait être beaucoup plus forte. La volonté de tous les maires est en effet d'éviter que ces quartiers constituent des ghettos. Cependant, ces quartiers ayant une très mauvaise image dans les villes considérées et les médias ont bien favorisé les choses à cet égard , il n'est pas simple de changer cette image et ce n'est pas seulement le maire qui peut y parvenir. Préconisez-vous des moyens incitatifs qui permettraient de changer les choses ? J'aimerais que vous puissiez dire un mot de cela.
Mon deuxième point concerne la DSU. Tout à l'heure, notre collègue Alduy a dit que les maires l'ont souvent utilisée à autre chose. Je plaide coupable : je l'ai utilisée à autre chose moi-même, mais je l'ai fait parce que mon préfet m'a dit : « Si vous voulez un nouveau commissariat de police, je n'ai pas l'argent pour le subventionner. En revanche, si vous le prenez sur vos crédits de la ville, ce sera possible. » Cela a été catastrophique parce que ces ressources ont manqué ensuite sur les quartiers qui avaient besoin de cet argent. De plus, nous avons eu l'obligation d'implanter ce commissariat dans ces quartiers et ceux-ci n'étant pas au centre-ville, la population n'a pas compris que nous puissions situer un commissariat de police de manière aussi excentrée. Autrement dit, ces crédits ont trop souvent été utilisés, à notre corps défendant, à des investissements qui n'avaient rien à voir directement avec la politique de la ville.
Troisièmement, vous avez évoqué, monsieur Raoult, le problème des missions locales et vous avez même dit que vous souhaitiez leur relance. Pourriez-vous faire un point sur le fonctionnement des missions locales et considérez-vous qu'elles donnent satisfaction globalement ? En matière de relance, sur quels points aimeriez-vous aujourd'hui un nouveau souffle pour ces missions locales ?
J'en viens à un dernier point qui a été évoqué plusieurs fois : le rôle du maire. Nous avons réuni aujourd'hui un consensus quasi général, à droite et à gauche, sur l'idée selon laquelle, si on place bien le maire dans un dispositif, bien des choses peuvent s'arranger. Je ne nie pas la place du maire, mais il n'est pas seul dans la commune et les problèmes de fonctionnement que j'ai pu avoir et qui doivent être partagés avec d'autres sont ceux de la liaison avec les services de l'Etat dans la commune. Je parle notamment du commissaire de police, de l'éducation nationale, de la santé et même des pompiers, qui ne sont plus communaux mais départementaux.
Il est bien de vouloir situer le maire au centre du dispositif, mais mieux vaut-il encore lui permettre d'avoir une liaison beaucoup plus forte avec les services de l'Etat qui refusent parfois une collaboration superficielle, sans doute, ou profonde, ce qui n'est pas le cas de tous les fonctionnaires.
Mme Raymonde LE TEXIER .- Je vais essayer d'être brève, monsieur le Président.
Monsieur Daubresse, je souhaite vous interroger sur deux points que vous avez évoqués plusieurs fois sans insister : les politiques de peuplement et les discriminations diverses et variées. Sur ces deux points à mon avis fondamentaux, j'aimerais que vous soyez un peu plus explicite.
La politique du peuplement a été évoquée tout à l'heure par l'un de nos collègues qui a dit que les moyens de contournement de la loi SRU faisaient que, finalement, on continue de construire des logements sociaux là où il y en a déjà pléthore. C'est le cas dans ma ville, Villiers-le-Bel, une ville du Val-d'Oise de près de 30 000 habitants située à côté de Sarcelles, où il y a 100 % de logement sociaux et où on essaie de les faire intelligemment, c'est-à-dire qu'au lieu de les construire par paquets de mille dans les champs de luzerne, on les fait par paquets de trente en centre-ville, avec des petites opérations ici et là.
Cependant, quand le maire peut loger quinze familles originaires de la ville, le préfet en envoie quarante qui viennent d'ailleurs et qui sont toutes plus en difficulté les unes que les autres. C'est donc un souci. On continue ainsi d'appauvrir les villes et on assiste à une paupérisation par tous les bouts. Vous connaissez le problème : les familles qui ne croulent pas sous les difficultés et qui ont la possibilité d'aller vivre ailleurs s'en vont et on en arrive à ce qu'on ne voudrait pas avoir en France mais qu'on a quand même (nous sommes en plein dedans) : la ghettoïsation. Je voudrais connaître vos suggestions sur ce problème qui me paraît fondamental.
Il en est de même pour les discriminations que nous vivons à plein tous les jours et sur lesquelles je reviendrai en posant quelques questions à M. Raoult.
Vous avez dit également, monsieur Daubresse, qu'il fallait aider la personne plutôt que le territoire. S'il s'agit de mettre un tutorat individuel pour aider un enfant en difficulté scolaire, cela revient à aider la personne et j'applaudis des deux mains, mais s'il s'agit de donner un peu plus aux pauvres pour les aider à payer leurs factures d'électricité, même si je caricature, cela m'intéresse moins parce que ce n'est pas ainsi que l'on réglera le problème.
Je souhaiterais donc que vous précisiez un peu votre pensée sur ces deux points : le peuplement et l'aide à la personne.
Je reviens sur le problème des discriminations. Monsieur Raoult, vous avez utilisé tout à l'heure une formule que j'ai retenue : « Il est important, dans le quartier, que Charles-Edouard et Mouloud sachent l'un et l'autre qu'ils vont pouvoir bénéficier d'un contrat ». Tout d'abord, il n'y a plus de Charles-Edouard chez nous. Avez-vous une astuce pour qu'ils reviennent ? Quant à Mouloud, vous avez dit également que, si les jeunes n'ont pas en tête le chiffrage de ce qu'on fait pour eux, c'est une erreur, et vous avez pris l'exemple du tramway.
Je trouve très intéressant que les jeunes, les moins jeunes et les citoyens en général, si on veut qu'ils soient citoyens, sachent ce qu'on fait, non pas pour eux mais avec eux, et combien cela coûte. C'est la base minimum du fonctionnement citoyen, justement, d'un maire avec ses habitants.
Malheureusement, si vous allez expliquer aux jeunes de la commune de Villiers-le-Bel : « Ce qu'on fait pour vous, cela coûte tant et votre tramway, c'est le pompon ! », ils vont vous répondre que c'est bien mais que leur souci est ailleurs. Je reviens à Mouloud : il va vous expliquer qu'alors qu'il suit une formation, par exemple, de carrosserie ou de boulangerie, il est obligé de l'arrêter parce que, fin décembre, il n'a toujours pas trouvé de patron de stage, les patrons auxquels il s'adressent voulant du bleu banc rouge !
(Réaction de M. Raoult.)
Je savais que vous alliez réagir là-dessus, mais c'est dit dans un rapport et c'est une formule que j'entends dans ma ville, où on ne se gêne même plus pour employer cette expression ! Quand je me déplace en personne pour essayer d'aider un jeune, on me répond : « Madame Le Texier, moi, je veux du bleu blanc rouge !... »
M. Eric RAOULT .- Dans ce cas, faites appliquer la loi Gayssot et appelez le préfet.
Mme Raymonde LE TEXIER .- Ce n'est pas une réponse parce que cela se passe tous les jours. Je parle là du gamin en apprentissage. Il va vous dire aussi : « Je n'arrive pas à trouver de patron et mon frère qui, lui, a fait des études supérieures, n'obtient jamais de réponse à ses CV. Je ne m'étendrai pas sur ce problème que vous connaissez. C'est la réalité que vivent nos jeunes issus de l'immigration et quand je dis « issus de l'immigration », vous savez de quoi je parle : ils sont nés ici, la plupart d'entre eux n'ont jamais mis les pieds dans leur pays d'origine et c'est la deuxième et même parfois la troisième génération, étant précisé qu'à cet égard, ni la droite ni la gauche n'ont bien su quoi faire.
Le fond du problème est là. Quand les voitures brûlent, il ne faut pas s'étonner : ces gamins sont dans un sentiment de révolte que l'on peut comprendre.
Je terminerai sur l'une de vos phrases qui m'a un peu surprise, s'agissant de ce rejet et de cette discrimination que vivent les jeunes en permanence. Vous avez dit que, lorsque les problèmes ont commencé le premier soir à Clichy, il aurait été bien que l'on décrète tout de suite le couvre-feu. On aurait ainsi mis tout de suite le couvercle sur la cocotte minute, mais ce qui me paraît être le fond du problème, à savoir les politiques de peuplement, le fait de concentrer la misère au même endroit et la discrimination, serait resté entier.
Enfin, vous n'avez évoqué ni l'un ni l'autre les problèmes d'école et d'échec de la formation et de la scolarisation des gamins, peut-être parce que vous ne voyez pas vraiment comment on peut s'en sortir. Je ne vois pas très bien non plus, mais je sais que cela ne marche pas dans ces quartiers. Chez nous, dans l'est du Val-d'Oise (Sarcelles, Garches, Villiers-le-Bel), quelle que soit la couleur politique des municipalités, seulement 42 % des enfants ont leur brevet. Or ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas tout à fait blancs ni tout à fait riches qu'ils ont deux neurones en moins. Il y a donc quelque chose qui ne va pas.
M. Eric RAOULT .- Ce n'est pas ce que j'ai dit.
Mme Raymonde LE TEXIER .- Bien sûr, et je ne vous agresse pas du tout. Je vous demande simplement si, compte tenu de votre expérience, vous avez des propositions concrètes à faire en matière de politique de peuplement et de discrimination et en ce qui concerne l'école et l'aide à la personne, s'agissant de M. Daubresse.
M. Alex TÜRK, président .- M. Raoult pourra répondre dans quelques instants. Il reste à entendre M. Mahéas et Mme Hermange.
M. Eric RAOULT .- Comme j'ai une capacité de mémorisation sûrement beaucoup plus faible que celle de Marc-Philippe ou de vous tous, ne serait-il pas possible, monsieur le Président, que nous commencions déjà à répondre sur cette série de questions ?
M. Alex TÜRK, président .- Vous allez donc répondre à cette série de questions assez rapidement pour qu'ensuite, M. Mahéas et Mme Hermange aient le temps de poser leurs questions et que vous puissiez leur répondre.
M. Eric RAOULT .- Je proposerai, monsieur le Président, de reprendre une fois par an le débat sur la création de la dotation de solidarité urbaine, ce qui a été dit et ce qui a été proposé afin de pouvoir retrouver ce qu'a été l'esprit de la loi.
Je souhaiterais aussi que l'on puisse travailler sur les travaux du Conseil national des villes concernant la réforme. Je suis stupéfait de voir que l'on peut proposer quelque chose dans une instance de concertation, puis prendre en compte l'ensemble des propositions qui ont été avancées pour les critiquer ensuite. Il s'agit d'une certaine défausse intellectuelle qui fait que, concrètement, on peut s'interroger sur la réalité de ce que représente cette dotation de solidarité urbaine.
La dotation de solidarité urbaine a été fondée sur la genèse entre villes riches et villes pauvres et la liberté d'action à partir de l'augmentation des dotations. Tout à l'heure, j'ai entendu ce qui a été dit sur le fonds interministériel de la ville et les crédits de la DSU, mais ils ne sont pas abondés sur la même chose.
C'est d'ailleurs le problème d'une instance comme le Conseil national des villes : la réflexion est riche, cela part dans tous les sens, mais, à la fin, il faut quand même faire un compte rendu. Le but est donc aussi de voir que l'on a amélioré la dotation de solidarité urbaine telle qu'elle avait été demandée.
En ce qui concerne la relance des missions locales pour l'emploi, je pense qu'avec toutes les missions supplémentaires qui ont été données depuis trois ou quatre ans en matière de jeunes en difficulté, pour autant que ces missions locales pour l'emploi aient été créées partout et qu'elles maillent maintenant très largement les quartiers en zones urbaines sensibles, ce sont tout de même des réussites. En fonction de cela, au niveau intercommunal, comme je le vois dans mon secteur, où la situation politique est parfois tendue, nous nous retrouvons toujours dans le conseil d'administration de la mission locale. En l'occurrence, nous mettons tous nos étiquettes dans nos poches et nous essayons de trouver un certain nombre de solutions.
Le souhait du premier ministre et des différents ministres du travail ou ministres de la ville qui se sont succédés depuis 2002 est de donner un coup de pouce pour pouvoir en faire le bilan au bout de plus de vingt ans et pour voir comment on pourrait refaçonner les missions locales pour l'emploi et leur donner une sorte de seconde vie qui leur est nécessaire dans un certain nombre d'endroits.
J'en viens à la question sur le rôle du maire. Je suis stupéfait de votre témoignage et de celui de Mme Le Texier. Si un chef d'entreprise met « BBR » sur une annonce, madame le Sénateur-Maire, vous ne faites pas votre travail si vous n'appelez pas le préfet !
Mme Raymonde LE TEXIER .- Il ne l'écrit pas, évidemment, mais il me le dit dans le creux de l'oreille ! Vous aurez toujours beau saisir la justice, cela ne changera rien.
M. Eric RAOULT .- Pour ma part, peu de personnes me disent des choses comme cela dans le creux de l'oreille, mais nous n'avons peut-être pas la même oreille, vous et moi...
Mme Raymonde LE TEXIER .- Vous savez bien que c'est la réalité, quand même !
M. Eric RAOULT .- Si c'est la réalité, on ne doit pas s'en satisfaire et si on a des exemples précis, il faut saisir une instance qui avait été souhaitée par François Mitterrand, qui a été réalisée par Jacques Chirac et qui s'appelle la Haute autorité de lutte contre les discriminations. Donnez-lui du travail ! Un certain nombre de personnalités qui viennent d'y être nommées connaissent bien le monde de l'entreprise. Je vous propose que nous nous voyions dans les jours qui viennent pour rencontrer ensemble M. Schweitzer à qui nous pourrons dire d'intervenir rapidement à Villiers-le-Bel.
Mme Raymonde LE TEXIER .- Excusez-moi, mais ce n'est pas sérieux. Je ne passe pas ma vie à cela et la plupart des gamins ne viennent pas me le dire. Ils prennent simplement cela sur la tête et ils vivent avec ! Voilà le problème !
M. Eric RAOULT .- Quant au propos de Mme Le Texier sur Charles-Edouard, je répondrai simplement que c'est un prénom, étant membre de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, auquel j'ai pensé tout de suite. Quant au prénom Mouloud, je l'ai retenu parce que j'ai rencontré Mouloud Mammeri ce matin. Ce n'était donc pas prévu à l'avance.
Sur ces problèmes de discrimination, nous ne valorisons pas suffisamment (mais ce n'est pas une question qui se pose seulement aux élus) la réalité sociologique de ces quartiers au niveau des chefs d'entreprise. Lorsqu'on veut développer son activité vers le Maghreb, il vaut mieux avoir quelqu'un qui s'appelle Mouloud que quelqu'un qui s'appelle Charles-Edouard. C'est ce que je voulais dire.
J'avais l'impression, monsieur le Président, que j'étais devant une mission d'information et non pas une commission d'enquête. En l'occurrence, j'ai vu que la totalité de mes propos ont été pris très largement en compte avant même que le sténotypiste les ait retranscrit, mais, en l'occurrence, il est important que, sur ce domaine de la discrimination, nous soyons attentifs à une particularité que nous pouvons positiver : la diversité. Si nous ne la prenons pas en compte, je pense que nous passerons à côté d'un certain nombre de réalités.
Je termine par un point important, madame Le Texier : on peut avoir des idées qui ne sont pas les vôtres tout en étant antiraciste et en ayant du coeur.
Mme Raymonde LE TEXIER .- Je ne vous fais absolument pas ce procès. Il y a un malentendu : je vous demandais ce que vous proposiez pour mettre fin à ce genre de situation.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Sur ce qu'a dit Jean-Paul Alduy, je n'ai pas de problème puisque je suis d'accord à 100 % avec toutes les remarques qu'il a faites, sachant que j'avais déjà introduit le sujet.
En ce qui concerne ce qu'il a dit sur la région Île-de-France, je laisserai plutôt Eric Raoult répondre, mais je pense quand même que c'est une vraie difficulté. En effet, le fait que nous ayons une structuration de collectivités territoriales qui est mal fichue et qui ne fonctionne pas bien handicape tout le pays alors que, partout ailleurs, en province, le phénomène d'intercommunalité fonctionne bien. Les agglomérations marchent bien, quelles que soient les personnes qui les dirigent et il en est de même des structurations dans ces agglomérations. Le fait de n'avoir pas pu trouver une gouvernance entre la région et les départements d'Île-de-France est un vrai problème.
La réponse aurait pu être apportée par un développement du phénomène d'agglomération, mais ce n'est pas le cas ou cela se fait trop faiblement et dans des tailles qui ne sont pas pertinentes. Il faudra donc bien trouver une solution entre la région et les départements.
A-t-on raté l'affaire de la DSU au moment de la décision de la créer ? Pour dire les choses clairement, les arbitrages sur la réforme de la DSU ont été pris par le ministère des libertés locales et donc par la DGCL et le ministre de la ville a eu un mal fou à faire admettre un certain nombre de choses sur ce point. Pour ma part, je voulais que la DSU s'appelle dotation de cohésion sociale (DCS) et qu'elle soit mise en ligne avec le plan de cohésion sociale. Mon ami Christian Decocq a déposé un amendement à l'Assemblée nationale (j'ai fait plus que le soutenir puisque je l'ai en fait suscité : je ne fais pas de langue de bois) parce que nous étions tous les deux convaincus qu'il fallait que le maire rende compte de l'utilisation de cette dotation et que l'on donne la possibilité au préfet, le cas échéant, de ne pas la reconduire l'année suivante si on constatait qu'elle n'était pas utilisée sur des actions de cohésion sociale.
Comme l'a dit Eric Raoult, la loi Delebarre qui prévoit un rapport annuel n'est pas appliquée et c'est un vrai problème. Certes, ce ne sont pas les mêmes crédits : la DSU est de la péréquation de la DGF par rapport au fonds d'intervention sur la ville (FIV). Pour autant, il est vrai que la tentation existe depuis des années, de la part des finances, de prélever une partie du FIV, la DSU pouvant servir d'argumentaire pour ce faire. Je répète mon point de vue : si on avait mis dans le même panier, à l'échelle d'une agglomération ou, peut-être, d'un syndicat mixte réunissant région et départements d'Île-de-France, la DSU et les moyens du plan de cohésion sociale, on aurait eu de quoi faire des vrais contrats de cohésion sociale et on aurait pu reconvertir le FIV pour faire des actions préventives. De même, en logement, on a, d'un côté, de la rénovation urbaine et, de l'autre côté, de la réhabilitation à faire dans certains quartiers pour éviter qu'à terme, ils retombent dans de la rénovation urbaine.
C'est une idée que j'ai défendue. Finalement, dans les arbitrages interministériels sur la logique de la DSU, pour des questions liées à l'organisation colbertiste de la France et de la gouvernance française qui est totalement obsolète, c'est la DGCL qui a eu le dernier mot.
Il en est de même du contingent préfectoral. J'ai plaidé (Thierry Repentin le sait puisqu'il l'a voté au Sénat) pour que le préfet garde un oeil sur le contingent préfectoral, mais en même temps, on essaie de le définir à l'échelle d'une agglomération qui est l'échelle pertinente. Sinon, on aboutit à ce que décrit Mme Le Texier : nous avons un certain nombre de personnes en situation difficile, généralement d'origine étrangère, qui arrivent sur le territoire, le préfet ne sait pas comment faire et il les met ici et là sans cohérence, alors que si cela entrait dans une politique harmonieuse de peuplement sur un territoire pertinent avec le concours des élus, les choses seraient faites plus intelligemment.
J'ai plaidé pour cela et cet amendement a été voté au Sénat sur les bancs de la droite comme de la gauche. Ensuite, il y a eu un arbitrage qui a abouti à dire le contraire alors qu'il ne venait pas du ministre du logement de l'époque, comme vous le savez.
M. Thierry REPENTIN .- Il est venu de la région parisienne.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- J'en viens à la question sur l'article 55 et à ce qu'ont dit M. Muzeau et Mme Le Texier sur la politique de peuplement. Je pense que l'on a une vraie difficulté quand on présente à l'échelle d'une ville des projets ANRU qui sont faits normalement pour oxygéner des quartiers en difficulté, les aérer et y mettre un peu plus d'accession sociale et les dédensifier, ce qui suppose qu'on ait de quoi faire une politique harmonieuse de peuplement sur l'échelle d'un territoire plus large, c'est-à-dire d'une agglomération.
Je pense que la réponse à la politique de peuplement passe par le programme local de l'habitat (PLH). Ce programme local peut prévoir des évolutions sur une harmonisation des différents types de population qui peut se faire de manière négociée et concertée avec des élus, parce que, évidemment, cela ne consiste pas à dire : « Je prends 300 habitants de Clichy et je les mets au Raincy puisque, d'ailleurs, le maire du Raincy n'a pas les moyens de les construire du fait d'un manque de moyens et de place.
M. Roland MUZEAU .- C'est parce qu'il construit de l'accession. Il n'a qu'à construire du social !
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Je ne suis pas d'accord, et je l'ai vérifié moi-même. De toute façon, vous ne résolvez pas fondamentalement le problème parce que cela ne se passe qu'à doses homéopathiques.
Maintenant, sur l'amendement Ollier, puisque vous m'interrogez sur ce point, je dis que vous arriverez difficilement à me convaincre qu'une personne qui gagne un SMIC par mois, qui veut accéder à la propriété et qui peut le faire parce qu'un dispositif le lui permet ou parce qu'elle utilise un PSLA et fait donc de la location qui se transforme en accession changera fondamentalement de nature sociologique selon qu'elle est en accession ou en locatif. Je ne vois pas pourquoi une personne se trouverait stigmatisée comme non sociale quand elle est en accession et comme sociale quand elle est en locatif, et je vois encore moins pourquoi une personne qui est dans le locatif public est sociale alors qu'une personne qui est dans le locatif privé, dans lequel les conditions de vie sont bien plus précaires que dans le locatif public, ne serait pas sociale.
Dans ma ville, j'ai 45 courées qui sont dans une situation bien plus difficile que les habitants du quartier HLM. Il faudrait donc qu'on m'explique pourquoi les personnes des courées ne sont pas comptabilisées en loi SRU alors que les habitants des HLM le sont. On vous explique ensuite qu'il y a des maires hors la loi, mais je suis désolé : les maires ne sont pas hors la loi quand ils respectent la loi et donc quand ils ont mis en place un plan dans le temps pour rattraper un retard : cela correspond à l'article 55 de la loi SRU, qui demande de rattraper chaque année x % du retard que l'on a par rapport au principe des 20 %.
J'étais rapporteur de mon groupe au moment de la loi SRU de M. Gayssot. Nous avons été d'accord sur l'objectif des 20 % à atteindre, mais nous disions, et nous le répétons aujourd'hui, qu'on est beaucoup plus efficace dans une gestion des flux que dans une gestion des stocks.
Considérons cet article 55. On constate que 90 % de l'objectif à atteindre par la loi Gayssot est atteint mais qu'à l'intérieur de ces 90 %, les communes qui étaient à proximité des 20 % rattrapent rapidement leur retard pour éviter d'avoir à payer l'amende, que celles qui sont juste au-dessus de 20 % en font également un peu plus et qu'en revanche, toute une série de communes qui sont en dessous de 10 % ne font pas grand-chose, certaines parce qu'elles ne le peuvent pas elles n'ont pas de foncier et d'autres parce qu'elles ne le veulent pas, sachant qu'on ne fait pas de différence entre toutes ces communes.
Je suis plutôt partisan d'une gestion de flux qui consisterait à encourager une ville à faire 150 ou 200 logements sociaux et à lui donner une aide significative, par exemple en en faisant l'un des éléments de la DSU. En effet, le système actuel a obligé beaucoup de monde à bouger, mais il atteint ses limites aujourd'hui dans son efficience.
Je suis donc pour une réflexion là-dessus et je pense que l'accession sociale à la propriété ne change pas la nature de la personne. Ce n'est pas en fonction de l'habitat qu'elle occupe que l'on doit considérer qu'une personne est sociale ou non mais en fonction de la nature de ses ressources et des moyens dont elle dispose.
Sur la question du peuplement et du territoire, je pense qu'il faut trouver un système composite entre les deux éléments puisque l'efficience d'une politique de la ville serait de mettre en cohérence cohésion sociale et rénovation urbaine (c'est le territoire), mais il faut en même temps avoir les moyens d'aider spécifiquement des personnes selon l'exemple des équipes de réussite éducative. C'est bien au niveau de la personne et d'un certain nombre de jeunes en déshérence qu'on a pu repérer dans les écoles que l'on peut faire des actions spécifiques qui nécessitent peut-être d'aller plus loin sur des actions d'aide à la parentalité. Je ne suis donc pas pour une philosophie unique mais pour un système qui mélange les deux approches.
En ce qui concerne la discrimination et la HALDE, je n'insisterai pas car Eric Raoult a répondu.
Sur la formation, je continue à penser qu'on sera efficace le jour où on aura apporté de l'activité dans les quartiers en difficulté. Il suffit de considérer ce que représente la manne financière du bâtiment et des postes que ce secteur propose. Lorsque la Fédération du bâtiment fait des publicités pour dire : « Nous avons besoin de 200 000 personnes » et qu'on n'arrive pas à trouver des personnes pour les pourvoir, il y a peut-être quelque chose à faire pour ouvrir massivement les voies du bâtiment (je cite cet exemple parce qu'il est facilement créateur d'emplois) à une série de populations qui sont en difficulté et le mettre dans les chartes territoriales de cohésion sociale.
L'apprentissage est aussi une voie à suivre et quand j'entends dire que l'apprentissage à 14 ans est un scandale, je peux vous dire, parce que j'y étais, que cela s'est décidé dans le bureau du premier ministre, à la suite de la crise des banlieues, sur la proposition d'un député communiste de la région lyonnaise qui a dit : « Mesdames et messieurs, je pense qu'il faut revenir à l'apprentissage à 14 ans parce que c'est la solution ».
M. Roland MUZEAU .- S'il l'a dit, c'est une bêtise.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- C'est parce que cette proposition a été faite que cette décision a été prise. J'étais présent, de même que Manuel Valls et d'autres.
M. Roland MUZEAU .- Vous n'étiez pas obligés de la suivre.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Je ne veux pas citer de noms, mais vous voyez de qui je parle. C'est d'ailleurs un collègue pour lequel j'ai beaucoup d'estime.
M. Alex TÜRK, président .- Si vous le voulez bien, je passe la parole à M. Mahéas.
M. Jacques MAHÉAS .- Je commencerai par faire une petite remarque au passage : les foyers SONACOTRA ne sont pas considérés comme des logements sociaux.
La politique de la ville est tellement difficile que je ne lancerai la pierre à personne. Le problème et les difficultés sont tels que les républicains doivent effectivement se fédérer pour essayer de le résoudre et que, malgré les sommes investies, il y a peu de réussites pointées. C'est la réalité.
Je souhaite par ailleurs faire quatre remarques.
Premièrement, sur les moyens, vous avez beaucoup parlé de la DSU et c'est très bien, mais ce qui est intéressant pour les communes, ce sont les dotations globales et les compensations d'Etat. Or que se passe-t-il ? Je donne ma ville en exemple : depuis quatre ans, si on fait l'addition des compensations de l'Etat et des DSU, on s'aperçoit systématiquement soit que les sommes sont négatives, soit qu'elles progressent en dessous de l'inflation. Pour la DSU, sur une ville pauvre comme la mienne, il y a deux ans, j'avais 4 % d'augmentation et l'année dernière 5 %. Il a fallu que j'attende cette année pour que, miracle, j'atteigne environ 20 %. Malheureusement, la dotation globale de fonctionnement n'a augmenté que de 1,013 %. Cela veut dire qu'au total, on va se retrouver avec une somme globale négative.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Avez-vous fait le calcul sur les cinq ans du plan de cohésion sociale ?
M. Jacques MAHÉAS .- J'ai fait le calcul sur les quatre dernières années.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Normalement, vous devez monter à chaque fois.
M. Jacques MAHÉAS .- Ma question est la suivante : ne faut-il pas faire une réforme globale de cette fiscalité et de ces dotations pour que les maires et les conseils municipaux y comprennent quelque chose et puissent vérifier les choses, afin d'aller vers la simplification des critères et ne plus avoir tous ces critères qui s'entrecroisent ? Que pensez-vous d'une telle proposition ?
J'en viens à une deuxième idée : la coordination entre ce que vous avez appelé le travail sur l'urbanisme et le travail sur l'humain. Je viens d'avoir une zone franche sur le tiers de la ville (12 000 habitants). En même temps, deux collèges qui étaient en zone d'éducation prioritaire se trouvent en diminution notable d'horaires. C'est un cas concret et ce sont des choses qui devraient être impossibles. Quelles propositions peut-on faire pour garantir cette coordination, que je crois absolument nécessaire, sur la réforme de l'urbanisme, mais aussi sur l'effort qu'il faut faire à l'égard de l'éducation nationale, ce qui me paraît le plus important ?
Troisièmement, vous avez dit qu'il y a eu quelques réussites sur cette politique de la ville. A-t-il été établi, suite à votre expérience, un thermomètre qui permette de juger de cette efficacité et avons-nous un moyen de la mesurer ? Je vous rappelle d'ailleurs, monsieur le Président, que j'avais demandé qu'on écrive à l'ensemble des préfets pour qu'ils nous donnent l'ensemble des sommes dépensées sur la politique de la ville et des quartiers, si possible depuis l'existence de la politique de la ville, mais au moins sur les dix dernières années, de telle sorte que nous ayons une idée du rapport qualité/prix qui existe en cette matière.
Quatrièmement, je suis interrogatif sur les missions locales parce que je pense que, lorsqu'il y a une offre d'emploi quelque part, compte tenu du contexte économique, il sera pourvu. Sur le problème du travail éducatif, je suis entièrement d'accord, mais pourquoi avoir fait cette idiotie qui consiste à avoir d'un côté l'entité de la politique de la ville et, d'un autre côté, des missions locales sur deux, trois ou quatre villes ? De même, pourquoi les villes qui ont des zones franches n'ont-elles pas la possibilité d'avoir une mission locale quelque peu autonome, sachant que les problèmes qu'elle rencontre seront forcément très différents de ceux d'une autre ville qui n'est même pas classée en ZUS ? Je parle bien ici de l'outil que sont les missions locales.
Voilà les trois ou quatre petites questions que je souhaite vous poser.
Enfin, en ce qui concerne l'Île-de-France, je pense également que c'est un problème particulier mais que, dans l'Île-de-France, il y a un problème encore plus particulier qui s'appelle la Seine-Saint-Denis.
Mme Marie-Thérèse HERMANGE .- La première question que je souhaite poser à Marc-Philippe Daubresse est la suivante : dans la construction du système entre régions et agglomérations, où affectez-vous les missions de la politique de prévention actuellement confiées aux départements ?
Deuxièmement, je reviens sur ce qu'ont dit à la fois Mme Le Texier et Paul Alduy sur les problèmes de coordination et d'aide à la personne. Lorsque j'ai travaillé sur les questions de sécurité des mineurs pour Dominique de Villepin quand il était ministre de l'intérieur, nous nous sommes trouvés un jour dans une réunion à Dreux dans une structure réunissant 50 personnes parmi lesquelles on trouvait l'ensemble des intervenants, de la psychiatrie à la politique de la ville, et tous les partenaires sociaux. Il se trouve que, lorsque nous avons demandé si, dans cette structure, il arrivait des situations individuelles pour mieux les prévenir, on nous a répondu par la négative en précisant : « Ici, on se réunit trois fois par an et on ne fait que de la statistique pour examiner de façon générale l'ensemble des problèmes et les stratégies », alors qu'il y avait là tous les partenaires.
Si je dis cela, c'est parce que, à Paris, j'avais en charge à la fois les questions sociales et les questions sanitaires, qu'à Paris, nous sommes à la fois conseillers généraux et conseillers municipaux et que ces problèmes de coordination n'existant pas, nous pouvions essayer de porter des politiques en faisant abstraction des problèmes de coordination, non seulement parce qu'il n'y avait pas de différence politique entre l'ensemble des institutions, mais aussi parce que les objectifs étaient les mêmes et que l'on pouvait porter des dossiers. Il me paraît très important que l'aide à la personne se situe très en amont et que l'ensemble des structures qui se coordonnent entre elles de façon administrative puissent changer de point de vue et traiter dans une forme de secret partagé des situations qui éviteraient un certain nombre de drames.
J'ai une troisième question à vous poser : en tant que ministres de la ville, avez-vous eu des réflexions sur ce qui se passe à la sortie des dispositifs des 150 000 ou 300 000 enfants (cela dépend de la façon dont on les compte) qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance et qui sont jetés à 16 ans en dehors des dispositifs ? Personne n'y pense, ils sont pendant seize ans dans des structures, bien cadrés et bien parqués, et ils sortent tout d'un coup dans la ville. Avez-vous travaillé en amont sur ce point ?
La quatrième observation que je voudrais faire s'adresse plutôt au président de notre mission. Il me semble qu'un certain nombre d'initiatives sont à valoriser, y compris dans des quartiers difficiles et dans des banlieues, et qu'à côté des insuffisances de la politique de la ville, nous aurions peut-être intérêt à présenter quelques exemples significatifs qui témoignent aussi d'un certain optimisme, ce qui est aussi nécessaire si on veut faire avancer un certain nombre de dossiers.
M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie et je me tourne vers M. Raoult et M. Daubresse.
M. Eric RAOULT .- Sur la DSU, je comprends ce que notre collègue Jacques Mahéas a indiqué sur les trois ans passés, mais je pense qu'il ne devrait pas se contenter de regarder en arrière ce qui concerne l'augmentation de la DSU mais ce qu'il y a devant lui. En fonction de cela, pour essayer de rééquilibrer les choses, il peut inscrire ses craintes dans un certain espoir de progression substantielle dans les cinq ans qui viennent.
Deuxièmement, je reviens sur ce qu'il a dit au sujet du zonage. La zone franche urbaine de Neuilly-sur-Marne correspond non pas simplement à l'intérêt que l'Etat a pu avoir pour cette ville mais à des critères objectifs de difficultés urbaines et sociales. Pour autant, il a raison de souligner qu'il est parfois incohérent de fermer une classe ou d'avoir une affectation horaire insuffisante dans le cadre d'une zone franche urbaine. En fait, l'actuel gouvernement comme les précédents, du moins sur une certaine période, ont essayé de considérer la particularité d'une zone franche urbaine comme une sorte de sanctuaire de zonages prioritaires. Sur un certain nombre de situations, notamment sur le plan scolaire, on a considéré que les zones franches urbaines devaient être parfois déterritorialisées par rapport à des difficultés qui pouvaient intervenir.
Par conséquent, en ce qui concerne la baisse des moyens de l'éducation prioritaire en secteur 2 ou 3 dont il a parlé, il devrait se rapprocher de l'inspecteur d'académie pour que nous puissions examiner ce problème, sachant que cela n'a pas été pris aux mêmes dates.
M. Jacques MAHÉAS .- Il reste encore un petit espoir.
M. Eric RAOULT .- Je suis persuadé que le député de la circonscription ou le sénateur du département pourra intervenir auprès du ministre.
Pour ce qui est du thermomètre, il existe et vous l'avez même voté : c'est l'Observatoire national des zones urbaines sensibles.
M. Jacques MAHÉAS .- C'est un gros bouquin.
M. Eric RAOULT .- Peu importe que ce soit un gros ou un petit bouquin. Le contact que vous pouvez avoir avec le responsable de cet observatoire, M. Yazid Sabeg, vous permettrait d'avoir un certain nombre d'éléments d'information.
Quant aux missions locales pour l'emploi, comme je l'ai dit, elles datent d'un certain nombre d'années. Elles ont été créées du temps de M. Schwartz et de M. Dubedout, c'est-à-dire il y a 25 ans, à une époque où il n'y avait pas toutes les mesures qui ont été prises ensuite. C'est la raison pour laquelle, quand on fait une mission locale pour l'emploi sur Neuilly-sur-Marne, elle est particulièrement utile grâce aux moyens qui peuvent être donnés par la région ou la ville, mais, du fait de l'existence d'un certain nombre de dispositifs supplémentaires, il faut revoir la répartition et la globalité des moyens.
J'en viens à ce qu'a dit ma collègue Marie-Thérèse Hermange sur l'aide sociale à l'enfance. La politique de la ville n'est pas toute la politique sociale. Durant la période 1995-1997, sous l'autorité d'Alain Juppé, nous avons fait en sorte qu'à chaque fois qu'on abordait un dossier, on accorde une sorte de priorité ou de spécificité "ville".
Au sujet de ce qu'elle a indiqué sur ce que je pourrais nommer « le guide des réussites », nous avons tous les dysfonctionnements et toutes les difficultés, mais, au total, on n'a jamais quantifié ce qu'il y aurait eu si tout cela n'avait pas été fait. Lors des émeutes qui se sont produites à Los Angeles, il y a eu 59 morts dans les trois premiers jours. Nous avons eu trois semaines d'émeutes urbaines et, heureusement, nous n'avons pas eu les mêmes drames humains. Je crois aussi qu'il faut mettre maintenant une autre facette en avant : banaliser l'expérimental et expérimenter le banal. Beaucoup de choses qui ont réussi peuvent être mises en avant et dupliquées dans beaucoup d'endroits. Mis à part les témoignages des anciens combattants de la politique de la ville que nous sommes, Marc-Philippe Daubresse et moi-même, il faut voir tout ce qui a pu être réussi. A cet égard, je pense que le Sénat peut mettre en avant des initiatives comme « Talents des cités » ou d'autres actions qui ont pu être menées dans un département sensible à ce sujet.
La politique de la ville est un peu comme les piles Wonder quand on ne s'en sert pas.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Je répondrai très rapidement parce qu'Eric a dit l'essentiel. Je persiste à dire que, lorsqu'on additionne, dans la durée du plan Borloo, DSU et DGF, au final, les communes sont gagnantes.
Mme Marie-France BEAUFILS .- Sauf si vous prenez en compte la DCTP, je le répète, parce que nous avons des chutes importantes de la DCTP à cause de la DSU qui est prise sur ces crédits. Je le vis moi-même très fortement.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Il faudrait faire l'expérience sur cinq ans.
Mme Marie-France BEAUFILS .- C'est le cas : j'ai fait mes calculs.
M. Marc-Philippe DAUBRESSE .- Deuxièmement, sur l'incohérence entre ZFU et ZEP, c'est la démonstration que l'interministériel ne fonctionne pas : on prend des décisions de ZFU, de plans de cohésion sociale ou de mise en ANRU d'un quartier et il n'y a pas, en face, des décisions cohérentes du ministère de l'éducation nationale. Je ne critique pas le ministère ; je critique un système interministériel qui ne fonctionne pas. Si on territorialisait ces actions dans le cadre d'un contrat programmé sur plusieurs années, on serait obligé d'avoir cette cohérence.
Je rejoins Eric sur l'Observatoire des ZUS, dont s'occupe Bernadette Malgorn et dont le premier rapport a été discuté à l'Assemblée à mon initiative. Ce rapport est très complet, mais je lui reproche de ne pas montrer l'évolution dans le temps, et je rejoins Mme Hermange sur ce point. Pour avoir quelque chose de plus positif, il faudrait prendre l'état d'un quartier en difficulté à un instant t et voir son évolution en fonction des moyens qui ont été injectés.
J'en ai visité une cinquantaine et je constate intuitivement, même si je n'ai pas vérifié les choses par la suite, que c'est lorsqu'on a utilisé en même temps tous les outils et mis un effet de levier important sur des procédures d'égalité des chances, de lutte contre les discriminations, d'emploi, de logement et d'insertion au moment où le territoire se métamorphosait que l'on obtenait des résultats.
Je prends un exemple que je connais bien : Montereau, où on a obtenu incontestablement des résultats parce qu'on a mis le paquet en même temps et au même moment, avec un effet levier considérable.
Il serait bien que les parlementaires demandent à Mme Malgorn et à l'Observatoire des ZUS d'avoir cette lecture pour vérifier cette hypothèse. Des politiques se sont succédé avec une continuité d'objectifs à atteindre. Le fait que les ministres passent ou non n'est pas le problème : il faut mesurer ce qui se passe sur une longue période pour vérifier si cet effet de levier fonctionne ou non et quand il a plus ou moins bien fonctionné. A cet égard, l'ANRU est un élément déclencheur, mais évidemment insuffisant.
Mme Hermange m'a demandé ensuite à quel niveau j'intégrais la prévention dans mon schéma : je le fais au niveau de l'agglomération. Il s'agit de l'appel à compétences qui, selon l'article 101 de la loi de décentralisation, permet à une agglomération de faire appel à la compétence de prévention, le département ne pouvant refuser que sur avis motivé (j'ai écrit le texte moi-même et je m'en souviens à peu près). A Paris, évidemment, c'est le département Ville de Paris qui s'occupe de cela.
Quant à la sortie des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance, nous y avions réfléchi avec Jean-Louis Borloo au moment où nous avons préparé les dispositifs sur les équipes de réussite éducative et de prévention, notamment en ce qui concerne tout le dispositif de prévention de la délinquance qui devait sortir dans le cadre du plan que le ministre de l'intérieur va établir. Mme Sylvie Smaniotto, qui est maintenant au cabinet du ministre de l'intérieur et qui a été avec moi dans le cabinet Borloo, pourra vous en parler dans le détail. C'est un sujet que nous avions travaillé et qui a été calibré ensuite en fonction des moyens que nous avons obtenus.
M. Alex TÜRK, président .- Je voudrais vous remercier au nom de toute la mission, puisque je confirme qu'il s'agit bien d'une mission d'information et non pas d'une commission d'enquête. J'ajoute que, si vous avez des informations ou des éléments écrits à nous faire passer, nous en sommes évidemment preneurs. Merci beaucoup.