Table ronde consacrée à l'éducation :
M.  Alain BOISSINOT, recteur de l'académie de Versailles,
M. Bernard SAINT-GIRONS, recteur de l'académie de Créteil,
M. Pierre POLIVKA, délégué national à l'éducation prioritaire,
M. Nicolas RENARD, président de l'Observatoire des zones prioritaires,
Mme Anne-Marie HOUILLON, vice-présidente chargée de l'éducation,
et M. Arnold BAC, responsable du secteur éducation à la Ligue de l'enseignement
(3 mai 2006)

Présidence de M. Alex TÜRK, président.

M. Alex TÜRK, président .- Madame et messieurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à venir présenter vos positions et vos observations et à participer, avec les membres de notre commission, à un débat consacré aux problèmes de l'éducation dans le domaine de compétence qui est celui de notre mission commune relative aux perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté.

Je vous propose d'entrer dans le vif du sujet et de procéder comme nous le faisons régulièrement depuis quelques mois dans le cadre de cette mission, c'est-à-dire de vous donner la parole successivement dans un ordre que je ne choisis pas et qui nous a été proposé pour la table ronde. Chacun pourra s'exprimer, si possible, en une dizaine de minutes, après quoi nous pourrons vous poser des questions et le débat pourra s'engager.

Je passe la parole à M. Boissinot, recteur de l'académie de Versailles.

M. Alain BOISSINOT .- Je commencerai par quelques mots pour présenter l'académie puisque c'est un point important pour le sujet qui nous intéresse. L'académie de Versailles est la première académie de France, elle représente environ 10 % du système éducatif et elle compte 1 200 000 élèves, 600 établissements du second degré et 3 500 écoles.

La masse de l'académie est connue et reconnue, mais ce qui est peut-être encore plus important par rapport au sujet qui nous intéresse, c'est l'extraordinaire diversité et l'hétérogénéité de l'académie qui fait que, sur son territoire, coexistent à peu près tous les types de situation que l'on peut rencontrer au sein du système éducatif, depuis les grands lycées et les grands établissements classiques de prestige qui fonctionnent sur un modèle assez traditionnel, jusque tous les problèmes de banlieue et de zones difficiles que l'on connaît, ainsi que certains secteurs qui relèvent plutôt de la ruralité.

Nous avons donc à peu près toute la gamme des situations possibles et tout cela coexiste sur des périmètres géographiques souvent très étroits : par exemple, il n'y a pas un département qui, plus que les autres, porterait le poids de la difficulté sociale. A l'intérieur de chacun des quatre départements (Hauts-de-Seine, Val-d'Oise, Yvelines et Essonne), on trouve les différents types de sociologie scolaire que je viens d'évoquer, et souvent sur des secteurs géographiques très proches.

Le problème de la prise en compte de cette diversité et de la manière d'aborder la question des secteurs difficiles est donc particulièrement complexe dans l'académie de Versailles.

Si on regarde, historiquement, la façon dont ce problème a été pris en compte, il est intéressant de noter qu'au début du lancement de la politique des zones d'éducation prioritaire (ZEP), au début des années 1980, l'académie de Versailles avait été très modeste dans la définition des secteurs relevant de l'éducation prioritaire et que cette attitude de relative modestie par rapport aux choix nationaux s'est complètement inversée au fil du temps. En effet, le phénomène, bien connu au niveau national, d'accroissement progressif du nombre des secteurs classés en éducation prioritaire s'est vérifié dans l'académie de Versailles dans des proportions beaucoup plus importantes qu'ailleurs. C'est ainsi que, désormais, le poids de l'éducation prioritaire est particulièrement lourd dans notre académie : nous avons actuellement 20 % des écoles, 25 % des collèges et, ce qui est une particularité de l'académie et ce qui pose d'ailleurs un certain nombre de problèmes, presque 20 % des lycées classés dans le domaine de l'éducation prioritaire.

J'ai donc tendance à penser qu'à Versailles encore plus qu'ailleurs, nous nous sommes trouvés confrontés depuis quelque temps à ce constat, qui a été fait au niveau national, que l'extension de l'éducation prioritaire finissait par remettre en cause le principe même de l'éducation prioritaire et qu'inévitablement, nous assistions à une espèce de dilution de l'effort collectif au fur et à mesure que s'était accru le nombre d'établissements classés en éducation prioritaire.

C'est ainsi que, ces dernières années  c'est également un constat qui est largement partagé  on essayait d'entretenir les projets d'un certain nombre d'équipes, de les accompagner et d'entretenir les différents partenariats qui sont l'une des facettes importantes de l'éducation prioritaire, mais cela manquait inévitablement de lisibilité au niveau de l'académie et il était difficile de se remobiliser sur un projet clair.

J'ajoute que le problème n'était pas simplement quantitatif : là comme ailleurs, au fil du temps, des décalages qui s'étaient creusés faisaient qu'un certain nombre d'établissements présentant de réelles difficultés n'étaient pas forcément classés en éducation prioritaire alors que, a contrario, d'autres qui continuaient à l'être par la force des habitudes ne relevaient peut-être plus stricto sensu de cette logique.

Dans une académie comme celle dont j'ai la responsabilité, la clarification qui a été engagée depuis quelques mois était absolument indispensable pour tenter de redonner une véritable dynamique à l'éducation prioritaire. Nous sommes donc en train, comme ailleurs, de tenter d'aborder la réorganisation en partant de la définition des « réseaux ambition réussite » et en essayant ensuite d'identifier, parmi les autres, les secteurs qui continueront de relever de l'éducation prioritaire et ceux qui, éventuellement, pourraient en sortir.

Arrivé à ce niveau du constat, je rencontre immédiatement l'autre difficulté que posent tous ces problèmes qui sont, je le pense, dans vos réflexions : la territorialisation de l'éducation prioritaire et des limites, à Versailles peut-être encore plus qu'ailleurs vu la diversité que j'évoquais tout à l'heure, d'une réflexion qui fonctionnerait d'abord sur la tentation ou la tentative de définir des secteurs géographiques pour entrer dans la problématique que pose la prise en compte de la difficulté.

L'extrême hétérogénéité des situations fait que, me semble-t-il, on a intérêt  comme le permet la réforme actuellement en cours  à raisonner au moins en termes de prise en compte des établissements et non pas simplement de zones géographiques. Dans l'académie de Versailles, nous avons des exemples innombrables d'établissements qui ne sont pas classés en éducation prioritaire mais qui sont en très grande difficulté et qui obtiennent des résultats très décevants. A contrario, des établissements classés en éducation prioritaire ont opéré des redressements spectaculaires et obtiennent des bons résultats. L'un des lycées de mon académie qui obtient les meilleurs résultats au baccalauréat professionnel est un lycée de Corbeil qui est très difficile et qui connaît de grandes difficultés de recrutement, mais qui a opéré ces dernières années, sous la houlette de chefs d'établissement remarquables, un redressement tout à fait impressionnant.

Il me semble donc que nous avons besoin, au moins du point de vue de l'analyse des résultats scolaires, qui n'est évidemment qu'une composante du problème, d'avoir une réflexion fine, école par école et établissement par établissement, et de pouvoir moduler notre accompagnement des établissements de façon beaucoup plus fine que sur la base de la prise en compte un peu binaire de leur appartenance ou non à un territoire classé comme relevant de l'éducation prioritaire.

Je suis parfaitement conscient du fait qu'il s'agit là d'une logique qui vaut pour une analyse des performances scolaires. La référence au territoire garde probablement sa signification dans une logique plus péri-éducative qui veut que le territoire soit le lieu privilégié d'un certain nombre de partenariats avec les collectivités, par exemple. On rencontre ici la problématique de la réussite éducative, qui est complémentaire de celle de l'éducation prioritaire mais que, me semble-t-il, on a tout intérêt à ne pas confondre avec celle de l'éducation prioritaire.

Voilà les éléments d'analyse, résumés très sommairement pour essayer de dégager des lignes de force, sur lesquels on peut se fonder dans une académie comme celle de Versailles pour tenter de procéder à une relance de l'éducation prioritaire.

Celle-ci s'organise actuellement autour des 21 « réseaux ambition réussite » qui ont été définis dans l'académie et qui représentent, dans ses quatre départements, ceux des établissements, collèges et écoles qui sont objectivement, au vu de critères parfaitement transparents, les plus en difficulté de l'académie. Bien évidemment, il faudra, pour procéder à une vraie relance de l'éducation prioritaire, aller au-delà de ces 21 « réseaux ambition réussite » et il y aura à définir un bon étiage de l'éducation prioritaire dans l'académie. Dans mon esprit, il devra être en deçà des quelque 25 % qu'elle représente actuellement pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure. C'est un chantier évidemment délicat auquel, comme ailleurs, nous aurons à nous attaquer à partir de la rentrée scolaire prochaine. Le premier temps de la réflexion consiste à essayer de réussir la relance de la dynamique de l'éducation prioritaire sur la base des « réseaux ambition réussite ».

J'ai le sentiment que c'est probablement la dernière opportunité que nous ayons de relancer la logique de l'éducation prioritaire réaménagée dans l'esprit que je viens d'évoquer. Si nous ne réussissons pas cette relance et cette nouvelle approche de l'éducation prioritaire, il faudra faire le constat que la logique traditionnelle du début des années 1980 doit être repensée encore plus profondément. A ce moment-là, s'ouvrira le débat, qui est dans l'air du temps, sur la question de savoir comment il faut apprécier les difficultés rencontrées au sein du système scolaire, s'il faut les apprécier au niveau des territoires, des établissements ou des élèves pris individuellement. C'est un débat d'actualité qui n'est pas simple.

En tout cas, il me semble que la démarche actuellement engagée permet de dégager une voie qui, en s'organisant prioritairement autour des établissements, sans exclure, évidemment, les partenariats avec les différentes collectivités concernées, peut redonner un sens à l'effort de discrimination positive tel qu'il avait été imaginé au début des années 80 et tel qu'il s'est dilué au fil des années jusqu'à la période récente.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Je passe la parole à M. Saint-Girons, recteur de l'académie de Créteil.

M. Bernard SAINT-GIRONS .- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, dans le prolongement de ce que vient de dire mon ami Alain Boissinot, je vais vous indiquer quelques éléments qui caractérisent l'académie de Créteil et la distinguent de sa voisine.

Je résumerai ma présentation de l'académie de Créteil autour d'une formule : celle de tous les défis. En effet, compte tenu des populations qu'elle accueille, on peut considérer que l'école constitue pour elle un enjeu majeur, même si celui-ci n'est pas immédiatement et clairement perçu.

Il s'agit d'une académie dans laquelle, au-delà de l'éducation prioritaire, se pose la question de l'accueil de jeunes néo-arrivants qui ne maîtrisent pas le français et qui, pour une part non moins significative, n'ont pas nécessairement eu, avec l'école, un premier contact dans leur pays d'origine. Ils ont donc une double acclimatation à acquérir : d'une part, au contexte dans lequel ces élèves sont accueillis et, d'autre part, au cadre scolaire dans lequel ils sont appelés à se développer.

Parallèlement, je tiens à insister sur le fait que les zones d'éducation prioritaire dans l'académie de Créteil sont nombreuses : nous avons 110 ZEP et 34 % des écoles de l'académie sont en zone prioritaire. C'est sans doute un effet partiel de la situation de la Seine-Saint-Denis, mais c'est aussi, au-delà de la Seine-Saint-Denis, le constat d'un certain nombre de situations de territoire qui, sans être complètement à l'identique des territoires les plus en difficulté de la Seine-Saint-Denis, présentent avec eux un certain nombre de similitudes.

Face à ces défis, comment l'école s'emploie-t-elle à réagir ?

Premièrement, elle le fait par la mise en place de dispositifs qui permettent à celles et ceux qui ne maîtrisent pas la langue française d'acquérir les outils nécessaires au développement de leur parcours. Ce sont les classes d'insertion ou les classes d'accueil, qui sont conçues comme des dispositifs transitoires avant une scolarisation en milieu ordinaire et qui, par conséquent, ont vocation à permettre qu'une fois que l'élève est arrivé au terme de cette acclimatation, il puisse se retrouver très rapidement aux côtés de ses autres camarades.

Il s'agit de dispositifs qui sont innovants sur le plan pédagogique et qu'il s'agit nécessairement de concevoir de manière souple, si on veut bien considérer que l'arrivée de ces jeunes élèves ne correspond nullement au calendrier scolaire : il y a des montées de demandes à certaines périodes de l'année, singulièrement au mois de janvier. Par conséquent, ces dispositifs sont conçus pour fonctionner davantage à la demande que dans une logique d'offre qui serait ouverte au fil de l'année.

Le deuxième élément de cadrage, ce sont les éléments liés au développement de l'éducation prioritaire de l'école au collège et du collège au lycée, avec des efforts particuliers consentis pour améliorer l'encadrement : pratiquement 1 200 postes de professeurs du premier degré supplémentaires par rapport à l'application des taux habituels que l'on relève sur le premier degré et pratiquement 600 professeurs du second degré supplémentaires qui sont liés à l'effet de l'éducation prioritaire et à l'engagement d'un encadrement plus important.

Ces dispositifs sont naturellement soumis à évaluation et, à ce point de vue, je rejoindrai certaines analyses que développaient Alain Boissinot il y a un instant : il faut nous donner les indicateurs de l'évaluation de ces moyens que nous nous mobilisons. De ce point de vue, le développement du dispositif des « réseaux ambition réussite », avec la démarche de contractualisation qu'il induit et, par ailleurs, la démarche LOLF et le plan académique de performance qu'elle impose doivent nous donner, dans chaque cas, les outils d'une contractualisation et d'une évaluation.

Cela veut dire que, pour les 21 « réseaux ambition réussite » de l'académie de Créteil, nous sommes en train de travailler sur ce dispositif qui n'a pas vocation à rester circonscris aux établissements en question, mais à être sans doute un élément de contamination positive sur l'ensemble du territoire.

Ce dispositif doit aussi, au-delà de la classe elle-même, s'accompagner de deux mesures qui la prolongent.

La première est l'aide à la grande difficulté scolaire, avec le développement des programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE) qui permettent à la fois, à partir d'une évaluation de l'élève, puis d'un partage de ces éléments d'évaluation avec lui et sa famille, de dégager les éléments d'un parcours balisé qui permettent aussi de mesurer le chemin parcouru.

La deuxième mesure est une vision très structurée de la vie scolaire avec, pour une académie comme celle de Créteil, un double enjeu : le traitement de l'absentéisme et le traitement du décrochage scolaire, singulièrement dans les filières d'enseignement professionnel, lorsque l'orientation s'est faite par défaut soit pour des raisons géographiques, soit pour des raisons thématiques. Ce sont des éléments qui, par conséquent, doivent aussi outiller l'égalité des chances dans un dialogue complètement construit.

Rien de tout cela n'a évidemment de sens si on n'y ajoute pas un volet important de formation des personnels, qu'il s'agisse des personnels enseignants, des personnels de direction ou des personnels éducatifs. Cet effort est tout à fait particulier et d'autant plus nécessaire pour l'académie de Créteil qu'il s'agit d'une académie de début de carrière pour nombre d'enseignants venus d'ailleurs et qui découvrent à la fois un environnement auquel ils n'étaient pas nécessairement préparés et un contexte pédagogique pour lequel ils sont parfois désarmés, d'où la nécessité de développer un dispositif d'accompagnement de l'entrée dans le métier non seulement théorique, mais adossé à ce que des professeurs expérimentés peuvent apporter, à la condition aussi que des temps puissent être ménagés à ces jeunes professeurs pour qu'ils aient, entre eux, des échanges de pratiques et d'interrogations pour sortir d'une solitude dans laquelle ils se sentent parfois. S'ils sortent de cette solitude ou de leur isolement (réel ou ressenti : ce n'est pas le problème ici), ils seront peut-être portés à rester davantage, ce qui devrait ralentir aussi le taux de rotation qui rend parfois difficile la continuité pédagogique.

Voilà quelques éléments de réflexion qui sont à la fois trop longs et trop succincts.

M. Alex TÜRK, président .- Merci. Je passe la parole à M. Polivka, délégué national à l'éducation prioritaire.

M. Pierre POLIVKA .- Monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, les recteurs Alain Boissinot et Bernard Saint-Girons ont naturellement présenté l'essentiel de la politique que le ministre souhaite relancer dans le cadre de l'éducation prioritaire. Je me contenterai donc de rappeler les axes de travail du ministre et les principales mesures qu'il a souhaité mettre en oeuvre.

Trois axes de travail ont présidé à la relance de l'éducation prioritaire.

Le premier axe est la remise à plat de la carte de l'éducation prioritaire, qui obéit à plusieurs raisons simples.

En premier lieu, nous avions assisté à une extension non pilotée du dispositif au point que nous étions partis, en 1981, de 5 % des élèves à 21 % après les événements de 1998.

En deuxième lieu, cette extension non pilotée avait conduit à un saupoudrage des moyens, ce qui faisait que nous donnions trop peu à de trop nombreux élèves.

En troisième lieu, nous constations un manque de dynamisme et d'évaluation.

Enfin, nous observions un sentiment de relégation qui pouvait affecter les personnels qui travaillaient dans l'éducation prioritaire.

Le deuxième axe de travail est une réflexion sur la réforme nécessaire de la formation des enseignants de l'éducation prioritaire.

Le troisième axe est la reconnaissance nécessaire du mérite et l'aide à apporter aux élèves qui réussissent dans les établissements des quartiers difficiles.

Après une phase de concertation de plusieurs mois, comme vous le savez, le ministre a présenté ce plan de relance de l'éducation prioritaire qui se fonde sur une nouvelle logique et qui vise à répondre aux besoins des publics, et non plus des zones, et, surtout, à apporter une réponse pédagogique et didactique aux difficultés rencontrées.

Tout d'abord, le ministre a souhaité ainsi que soit restauré un vrai pilotage national de l'éducation prioritaire, avec les déclinaisons académiques telles qu'elles ont été définies, et qu'une évaluation des effets de la politique engagée soit annuellement conduite avec une adaptation des moyens aux besoins.

En deuxième lieu, il a demandé la définition d'une nouvelle carte de l'éducation prioritaire. Après concertation, le ministre a souhaité que les efforts se concentrent sur les « réseaux ambition réussite », comme cela a été rappelé, c'est-à-dire sur les collèges et écoles de rattachement qui concentrent les plus grandes difficultés scolaires. Ce sont ainsi 249 « réseaux ambition réussite » qui ont été définis. Ils accueillent 132 000 collégiens et 246 000 écoliers. Nous en revenons ainsi à un ciblage sur des populations, ce qui rappelle ce qui avait été fait au début des années 1980.

Le ministre a souhaité en outre définir trois ensembles.

Le premier est le niveau EP1, qui rassemble ces 249 « réseaux ambition réussite ».

Le deuxième comprend les établissements prioritaires, dits EP2, qui réunissent tous les établissements qui accueillent des élèves vivant dans les conditions sociales les plus difficiles.

Le ministre a annoncé un troisième secteur, ce qu'il convient d'appeler le niveau EP3, qui comprend les établissements accueillant des élèves qui, aujourd'hui, ne relèvent plus des populations les plus défavorisées. Il ne faut pas oublier, comme cela a été rappelé par les recteurs Saint-Girons et Boissinot, que l'éducation prioritaire a aujourd'hui plus de vingt-cinq ans. Or, en vingt-cinq ans, la sociologie urbaine a profondément changé et des secteurs géographiques ont vu des mouvements importants de population, de telle sorte que des collèges classés aujourd'hui en zones d'éducation prioritaire accueillent des élèves de milieux plutôt favorisés.

Mais la priorité sous-jacente est bien d'accorder l'essentiel aux apprentissages fondamentaux. A cet égard, le ministre a rappelé que le premier objectif de l'éducation prioritaire doit être d'ordre didactique et pédagogique, c'est-à-dire qu'il doit apporter les réponses scolaires que les élèves sont en droit d'attendre car nous considérons que ces élèves ont vocation à réussir comme tous les élèves de France. Pour ce faire, le ministre fixe des objectifs extrêmement simples : la maîtrise des apprentissages fondamentaux. Tout élève sortant de CP dans les « réseaux ambition réussite » et en éducation prioritaire doit maîtriser la lecture et, s'il ne le fait pas, une évaluation est conduite en CE1 et des moyens sont accordés pour répondre aux difficultés constatées.

Enfin, tous les élèves de l'éducation prioritaire qui, dans la mesure du possible, doivent conduire leur parcours scolaire sans redoubler, devront maîtriser le socle commun des connaissances et des compétences.

Cette réforme pédagogique s'appuie sur la volonté de renforcer la continuité école/collège, d'où les « réseaux ambition réussite » tels qu'ils ont été définis et sur lesquels je ne reviendrai pas puisque les recteurs Saint-Girons et Boissinot les ont clairement définis.

En conclusion, le ministre a souhaité effectivement relancer toute l'éducation prioritaire en recentrant le travail sur les apprentissages fondamentaux, mais il a voulu donner un modèle à cette relance : les « réseaux ambition réussite », dont les modalités peuvent se définir de la façon suivante :

- acquérir et maîtriser les savoirs fondamentaux dès l'école primaire,

- créer les conditions d'un environnement de réussite, c'est-à-dire réduire les inégalités après la classe (on citera à cet égard l'école ouverte, les internats de réussite éducative ou la charte de l'égalité des chances qui verra plus de 100 000 étudiants accompagner 100 000 élèves des écoles et collèges « ambition réussite ») ;

- réduire la fracture culturelle ;

- améliorer le projet d'orientation.

L'objectif que se fixe le ministre est de concentrer les efforts là où la difficulté est la plus grande et, pour bien montrer cette volonté, il a décidé, dès la rentrée prochaine, de mettre à disposition des « réseaux ambition réussite » milles enseignants supplémentaires et 3 000 assistants pédagogiques. Ces moyens sont mis à disposition des réseaux, grâce à l'intervention des recteurs, dans le cadre d'une politique contractuelle. Sous l'autorité des recteurs, les responsables des « réseaux ambition réussite » ont défini un projet qui a permis d'ouvrir les postes nécessaires pour répondre aux difficultés des élèves. Les postes seront affectés sur ces établissements et écoles dans le cadre d'un profil strictement défini et, bien entendu, les administrations académiques s'engagent à conduire une évaluation pour que, chaque année, on puisse percevoir les bénéfices retenus par les élèves.

Il s'agit donc d'un accompagnement, d'une évaluation et d'une remédiation adaptée.

Pour bien montrer la volonté du ministre de conduire cette politique, chaque « réseau ambition réussite » sera accompagné par un inspecteur général qui aura vocation à apprécier l'efficacité du dispositif. Il a donc bien la volonté de concentrer les efforts sur les publics les plus en difficulté.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Je passe la parole à M. Nicolas Renard, président de l'Observatoire des zones prioritaires (OZP).

M. Nicolas RENARD .- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, je représente l'association Observatoire des zones prioritaires, une association loi 1901 que nous avons constituée en 1990 lors de la première relance des ZEP avec la conviction, à l'époque, que l'éducation prioritaire était vraiment un dispositif intéressant mais qu'il manquait de pilotage et qu'il avait besoin d'être amendé et impulsé de façon nouvelle. Depuis quinze ans, nous réunissons, une fois par mois à Paris et une fois par an au niveau national, des acteurs de ZEP, qu'ils soient enseignants, coordonnateurs, cadres, chefs d'établissement, inspecteurs ou chercheurs.

Je commencerai par revenir sur le bilan de la politique des ZEP pour redire deux ou trois éléments qui peuvent avoir des incidences aujourd'hui.

Sur la question du bilan, qui a déjà été abordée, je commencerai par dire que les ZEP ont donné un souffle intéressant au moins dans deux domaines.

Le premier est celui des liaisons inter-degrés et des partenariats avec l'extérieur, une chose que l'éducation nationale pratiquait peu ou mal. Les ZEP ont été souvent l'occasion d'un nouveau souffle, notamment entre l'école primaire et le collège, alors qu'il s'agit de traditions culturelles et de méthodes d'apprentissage assez différentes : un bon élève passe facilement d'une marche à l'autre alors qu'un mauvais a beaucoup plus de difficultés. Il y a un très gros travail à faire à cet égard et il est loin d'être mené à son terme. Pour autant, les ZEP ont ouvert cette perspective et permis un travail intéressant dans ce domaine.

Le deuxième domaine intéressant est celui des partenariats avec l'extérieur. Là aussi, c'est une nouveauté de pouvoir travailler avec les acteurs de la politique de la ville, les mairies, les associations locales ou la police. Nous ne sommes évidemment pas au coeur du métier qui est d'enseigner et qui relève des apprentissages, mais il est important d'avoir une politique assez cohérente et suivie des jeunes des quartiers dans le domaine de la santé et de la prévention des violences, ce qui rejoint évidemment les continuités que l'on peut instaurer dans le domaine des apprentissages.

Les ZEP ont donc amené une nouveauté dans ce domaine et il ne faut pas l'oublier.

Toujours dans le cadre du bilan, on a souligné le manque de résultats de l'éducation prioritaire qui apparaissent dans les statistiques quand on les compare aux autres établissements. A ce propos, on évoque souvent le fait que la situation se serait dégradée socialement et que les ZEP ont peut-être permis d'avoir des résultats plus mauvais encore. Je n'en sais rien.

L'OZP a le sentiment qu'il y a eu un certain gaspillage des moyens qui ont été utilisés, notamment en matière d'enseignants, dans les ZEP depuis plus de vingt ans. En effet, la plupart du temps, les enseignants qui y ont été affectés l'ont été pour diminuer les effectifs des classes. On a ainsi abouti à une sorte de diminution mécanique des effectifs des classes qui sont passées de 27 à 25. Parfois un peu moins, ce qui ne produit rien du point de vue pédagogique. Cela allège les enseignants et cela peut créer un peu de confort, mais cela ne change pratiquement rien à la question première : celle de l'échec scolaire.

Je pense donc qu'une partie de l'aspect négatif du bilan vient de cette utilisation trop mécaniquement distribuée des enseignants et de l'absence de réel investissement pédagogique sur la question de l'échec scolaire.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Les personnes qui sont intervenues avant moi ont très bien dit l'essentiel. Il y avait un problème de carte qui est effectivement pris en main. Avec cette carte, on aboutissait à une chose qui n'avait plus de sens car elle a été élargie de façon non maîtrisée après les assises de Rouen en 2000. Il fallait donc remettre un peu d'ordre en direction des sites prioritaires qui ont vraiment besoin d'un effort particulier et abandonner certains sites qui n'ont plus de raison, aujourd'hui, d'être en éducation prioritaire.

J'insisterai un peu plus sur la deuxième question : celle du pilotage, une question à mon sens très sensible dans l'éducation nationale. Ce pilotage s'exerce à la fois au niveau du dispositif global des ZEP et au niveau des enseignants et de leur accompagnement.

J'ai l'impression que l'éducation nationale a toujours un peu de mal à accompagner véritablement les dispositifs qu'elle met en place. Dans l'intention et l'objectif, ils sont tout à fait louables, mais nous avons beaucoup de mal à les inscrire dans la réalité.

C'est le cas du dispositif des ZEP. Beaucoup de cadres des ZEP, chefs d'établissement, inspecteurs ou coordonnateurs, se sont trouvés un peu démunis et insuffisamment accompagnés pour pouvoir donner aux acteurs de ces établissements des moyens de se réunir et de réaliser des évaluations régulières. Cet accompagnement est nécessaire.

C'est vrai aussi pour les enseignants. Si je prends l'exemple du dispositif des projets d'aide individualisée aux élèves, dit PPRE, qui a été lancé récemment dans la loi Fillon et qui est une nécessité absolument fondamentale, nous manquons là encore d'accompagnement. De quoi s'agit-il en deux mots ? Nous avons beaucoup de mal, aujourd'hui, à faire face à la difficulté scolaire et, en particulier, à bien diagnostiquer les difficultés que rencontrent les élèves. Globalement, nous avons un système  je ne veux pas être caricatural, mais c'est un peu vrai  dans lequel des enseignants viennent enseigner une matière. Ils ont un groupe classe et ils font leur cours. Cela passe pour la majorité des élèves, mais, pour des élèves en difficulté, cela ne suffit pas et il faut pouvoir diagnostiquer ce qui se passe de façon très fine.

Pour chaque élève, nous avons alors des profils qui peuvent être très différents, c'est-à-dire des difficultés différentes et donc des types de remédiation qui ne doivent pas être les mêmes. En particulier, il serait à mon avis important de faire une distinction entre des élèves qui sont dans une difficulté relativement ordinaire, que l'on peut aider et qui vont s'en sortir, et des élèves qui sont en grand échec. On voit arriver en 6 e des élèves qui sont aujourd'hui totalement dépassés parce qu'ils ne maîtrisent pas un certain nombre de fondamentaux. Pour ceux-là, il faut faire autre chose et arriver à percevoir les difficultés pour savoir ce qu'on va faire avec eux.

Cet enjeu me semble absolument fondamental. La relance qui est faite aujourd'hui est intéressante parce qu'elle prend en compte cet aspect pédagogique, mais le champ de travail est absolument énorme et il faut vraiment faire un investissement d'ordre qualitatif pour que l'éducation prioritaire aille bien au-delà de ce qu'elle a produit jusqu'ici.

Pour terminer, je tiens à rappeler, même si c'est une évidence, l'importance de l'échec scolaire pour un certain nombre de jeunes et, en particulier, l'importance de la dévaluation de l'élève par lui-même quand il est en vrai échec. Un élève qui est en échec depuis le CP et que tous ses copains traitent d'idiot pendant dix années de suite intériorise lui-même parfaitement cette affaire et je pense que c'est une clé pour comprendre la difficulté d'insertion d'un certain nombre de jeunes aujourd'hui.

La question de l'échec scolaire me semble donc absolument centrale. La relance actuelle est intéressante, mais il y a un énorme travail à faire.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Je passe la parole à Mme Anne-Marie Houillon, vice-présidente chargée de l'éducation à la Ligue de l'enseignement.

M. Anne-Marie HOUILLON .- Dans un premier temps, je tiens à vous remercier d'avoir invité la Ligue de l'enseignement à participer à cette table ronde. La Ligne de l'enseignement, créée en 1866, est le plus ancien mouvement d'éducation populaire de ce pays. Il n'est pas le seul, évidemment, mais nous sommes toujours près de l'école et avec l'école, nos militants étant eux-mêmes des enseignants.

Je suis vice-présidente déléguée, je suis élue au conseil d'administration et j'ai un passé dans l'éducation nationale puisque, en 1981, année où se mettaient en place les ZEP, j'étais nommé directrice d'école normale et qu'en 1991, époque de la relance des ZEP, j'étais directeur adjoint de l'IUFM de Bourgogne. Je suis maintenant en retraite, tout à fait dévouée à la Ligue de l'enseignement, et M. Bac, qui m'accompagne, est permanent à la Ligue de l'enseignement.

La Ligue de l'enseignement a bien conscience que, lorsqu'on parle des ZEP, il faut regarder deux axes.

Le premier, qui a été évoqué, est l'axe historique. Les ZEP ont 25 ans, soit un quart de siècle. Je ne pense pas qu'au moment où on les a mises en place, on pensait qu'elles allaient durer autant. Or non seulement elles durent, mais certaines situations semblent s'aggraver. Je pense notamment aux violences dans les écoles, qui intéressent des enfants de plus en plus jeunes : j'ai vu des violences en maternelle. La déstructuration de la personnalité des enfants commence encore plus tôt que le CP.

Des efforts ont été faits pour les ZEP, mais ils l'ont été par à-coups alors qu'il faudrait un effort en continu sur une durée significative par rapport à une scolarité complète, ce qui n'a pas été le cas pour l'instant.

La deuxième façon de considérer ce travail des ZEP consiste à prendre une situation globale et à les situer dans le contexte actuel. On ne peut pas parler de ZEP sans parler du reste de l'institution scolaire. Dans la loi SRU, il y a le mot « solidarité ». Or qui dit solidarité dit politique générale de distribution ou de redistribution des moyens et des aides à tous les échelons de l'action publique.

Dans cette logique globale, on ne peut qu'avoir à l'esprit les stratégies de contournement de la carte scolaire. C'est vrai pour les enfants de familles qui connaissent bien notre système, notamment les enseignants, qui mettent tout de même leurs enfants dans l'école publique, mais c'est vrai aussi pour des familles modestes (je pense à celles des Minguettes, près de Lyon) qui vont mettre leurs enfants dans l'école privée parce qu'elles ne veulent pas les mettre dans le collège de la ZEP dont elles dépendent. En l'occurrence, nous avons affaire à une fuite de notre école qui doit nous inquiéter et nous interroger.

Certes, il y a des réussites en ZEP  MM. les Recteurs en ont cité quelques-unes et cela fait plaisir à entendre , mais elles ne sont pas tout à fait à la hauteur des espérances. De nombreux chercheurs ont fait d'éminentes études sur les tenants et aboutissants de ce qui apparaît comme un relatif échec. Tous disent  et nous serons tous d'accord autour de cette table pour le dire avec eux  que ce n'est pas qu'une question de moyens. Certes, il faut des moyens, on le voit bien et MM les Recteurs sont prêts à en mettre dans leur académie, mais ce n'est pas seulement une question de moyens.

On voit des écoles et des collèges en ZEP qui réussissent mieux que d'autres à public identique et à moyens égaux. Cela pose donc bien la question des pratiques pédagogiques et on constate souvent, quand on peut les analyser, que ce sont des pratiques assez nouvelles, plutôt coopératives, qui rendent l'enfant acteur de ses apprentissages et non pas liées à des enseignants qui viennent déverser leur savoir.

Cela dit  c'est peut-être la force de la Ligue de l'enseignement de le dire encore très fort , l'école seule ne peut pas tout et le travail qui est conduit va au-delà des murs.

En ce qui concerne les relations avec les parents d'élèves, on ne convoque pas les parents d'élèves ; on les invite. On ne leur donne pas une leçon sur la façon d'éduquer un enfant ; on les écoute. Quand on aura déjà fait ce travail, on s'apercevra que les choses iront mieux.

M. Bac va donner des exemples de tout ce que l'on peut faire dans le cadre du projet éducatif territorial qui nous semble une très riche solution, comme l'a dit M. Renard.

Je tiens par ailleurs à attirer votre attention sur l'importance de l'établissement. On commence à parler d'un « effet établissement ». Ce point a été évoqué par MM. les Recteurs pour les chefs d'établissement, mais cela concerne aussi tous ceux qui composent l'équipe éducative. Suite aux travaux d'un professeur de l'IUFM de Dijon, on sait qu'il y a un « effet maître » et nous pouvons tous dire sans risque de nous tromper qu'un enseignant motivé qui a envie que les enfants apprennent réussit à les faire apprendre. Vous allez me dire que les enseignants sont motivés, ce qui est certainement le cas, mais tous ne sont pas capables de travailler avec des élèves qui leur ressemblent aussi peu.

En effet, il y a un fossé  et cela s'est encore aggravé depuis la mise en place des IUFM  entre le milieu social des enseignants qui sortent de formation et le milieu des enfants des familles défavorisées qui leur seront confiés. Il est fini le temps où l'enseignant retrouvait en face de lui des enfants qui ressemblaient à l'enfant qu'il avait lui-même été.

Il faut donc effectuer tout un travail de formation, ne serait-ce que pour corriger les représentations que se font les uns et les autres. Ce travail n'est pas fait suffisamment et on comprend bien pourquoi : les IUFM manquent de temps et ils ne vont va pas, dans l'année où ils ont des stagiaires, les mettre tout de suite en difficulté : ils ont d'autres choses à caler dans des situations un peu plus confortables et moins périlleuses.

Je ne dis pas que les IUFM ne font rien. Nombreux sont ceux qui font beaucoup de choses, mais ils ne peuvent pas passer vraiment au réel, au vrai ; cela reste très théorique. Entre la présentation par les mots de ce que sont les zones difficiles et la rencontre avec ces zones, il y a toute la différence entre l'aspect intellectuel et le vécu, le sensible, l'affectif et la souffrance.

C'est ainsi que l'on voit de jeunes enseignantes, puisque la profession continue à se féminiser, qui sont nommées en ZEP à la sortie de l'IUFM, quelquefois parce qu'elles l'ont demandé (elles voulaient être en ville sans bien savoir ce qu'elles allaient trouver) et qui, après quelques mois, sortent déprimées, parfois suicidaires et en tout cas fatiguées, ce qui entraîne des congés maladie. Cela existe toujours et j'ai vérifié ce point avant de vous l'indiquer.

Il ne faudrait nommer en ZEP que des enseignants qui ont un peu de métier et après qu'ils ont fait un passage en tant que remplaçants dans les classes afin de vérifier qu'ils savent bien ce qu'ils font.

Il pourrait s'agir de postes à profil  je sais que je vais me faire mal voir parce que ce n'est pas dans l'air du temps  et des équipes pourraient se constituer autour de projets et non plus au seul hasard du barème.

A l'évidence, il y a donc un problème de choix des enseignants à nommer dans ces zones, en faisant notamment en sorte qu'il n'y ait pas que des femmes, et un problème de formation. La mixité des équipes pourrait constituer, pour les enfants, des modèles qui leur permettent de mieux se construire. Je pense à certaines cours de récréation dans lesquelles il y a heureusement un collègue masculin de temps en temps.

On peut imaginer aussi qu'au bout de quelques années, les enseignants puissent changer de poste. Le fait qu'ils gagnent des points pour participer au mouvement dans presque toutes les académies est une bonne chose, mais cela ne permet pas toujours d'obtenir un poste dans la même localité. De même, si les indemnités peuvent être attractives quelques années en ZEP, cela peut être une arme à double tranchant : j'ai des exemples d'enseignants qui prennent l'indemnité mais qui, ne s'impliquant et ne s'engageant pas, ne font guère avancer la qualité de l'école. Les solutions ne sont pas seulement extérieures à l'école ; elles sont aussi internes.

Il faudrait imaginer d'autres façons de rendre les postes attractifs : peut-être moins d'heures de classe, plus de présence dans l'établissement, des possibilités de formation continue, régulière et obligatoire à un haut niveau, des lieux de parole, des rencontres avec les chercheurs, etc.

La Ligue de l'enseignement a rédigé un petit livret, que nous avons apporté, pour dire quelle école elle veut demain, sachant bien que l'école est une institution de la République et qu'à ce titre, elle se doit d'être son propre recours, notamment dans les cas difficiles.

Je vous propose que M. Bac nous présente maintenant quelques prolongements de ce que je viens de dire.

M. Arnold BAC .- Merci de me donner la parole après les intervenants précédents. Je commencerai par me présenter, parce que je pense que ce que je vais dire n'est pas indépendant de cette présentation. Je suis d'origine instituteur spécialisé en Seine-Saint-Denis, j'y ai vécu la création des ZEP dans les années 1981, j'ai ensuite été à l'administration centrale du ministère de la jeunesse et des sports, où j'ai travaillé sur les politiques éducatives territoriales, puis à la délégation interministérielle à la ville, où je me suis penché sur cette question, et je suis maintenant à la Ligue de l'enseignement.

Une idée paraît importante à la Ligue de l'enseignement : celle qu'aujourd'hui, entre le système éducatif et un certain nombre de jeunes ou d'enfants et leur famille, il existe une rupture qui est de l'ordre d'une perte de confiance réciproque entre les uns et les autres, et qu'il est important de rétablir cette confiance réciproque, qui est souvent malmenée, pour redonner l'espoir, l'espérance et l'appétence à apprendre, pour montrer toute l'utilité de travailler à l'école, pour le dire de façon simpliste. C'est une idée qui est battue en brèche aujourd'hui par les réalités que vivent un certain nombre de jeunes et de leurs familles et il faut lui redonner vie.

Cependant, cette idée ne peut pas être, dans la situation actuelle, le seul fait de l'école. Elle a besoin de travailler avec d'autres, comme cela a été dit par les intervenants précédents. A cet égard, je ferai référence à ce qu'on appelle l'éducation partagée. Les personnels de l'éducation nationale, les services déconcentrés de l'Etat, les associations, les familles, les parents, les jeunes eux-mêmes et les collectivités territoriales ont à unir leurs efforts autour de l'objectif que j'ai évoqué il y a un instant avec des stratégies adaptées suivant les territoires.

Il faut être conscient du fait qu'un certain nombre d'acteurs de terrain vivent les dispositifs qui existent, qu'ils émanent de l'éducation nationale ou du ministère de la ville, comme des choses qui se superposent ou se juxtaposent et dans lesquelles ils ont un peu de mal à se retrouver. Ce n'est pas forcément toujours un sentiment justifié, mais il existe et il faut en tenir compte. Il importe donc de rendre plus visible le sens de ces dispositifs et l'utilité de fédérer les énergies des acteurs que je viens d'évoquer en espérant ne pas en avoir oublié.

Par rapport à cette fédération des énergies, il est à mon avis nécessaire de réaffirmer ici que le cadre de cohérence fédérateur est le projet éducatif territorial, qui doit aboutir à ce que les réalités constatées en termes d'inégalité et de difficulté scolaire soient transformées dans un sens positif. A cet égard, il me paraît important de se dire aussi que toutes les parties prenantes du projet éducatif territorial, quel que soit leur statut, doivent pouvoir voir leurs objectifs reconnus comme légitimes.

Ce ne sont pas forcément les mêmes en termes strictement identiques, même s'ils se rejoignent quelque part, mais ils doivent pouvoir être reconnus parce que, ne serait-ce qu'en termes d'horizon dans le temps, ces objectifs particuliers ne sont pas forcément les mêmes. On peut dire en effet que la vision du temps de l'élu local, de la famille ou d'un service déconcentré de l'Etat qui met en place tel ou tel dispositif n'est pas la même chose mais qu'ils rejoignent tous le même objectif : celui de faire évoluer la situation et de faire en sorte que la démocratie soit réelle, vécue et partagée par tous.

Il me paraît donc important que ces partenaires divers et variés acquièrent une culture commune. Je sais que c'est évoqué par rapport à d'autres problématiques, mais l'idée de la culture commune me paraît extrêmement importante. De même, l'idée de méthodes de travail qui seraient à peu près les mêmes facilite ou faciliterait beaucoup les choses.

A mon avis, le point de départ de tout cela est d'avoir, entre tous ces partenaires, dans lesquels je mets évidemment les acteurs de l'éducation nationale, un diagnostic partagé leur permettant de dégager un certain nombre de besoins et de stratégies pour répondre à ceux-ci, qu'ils soient d'ordre éducatif, culturel ou social.

Ce sont des choses qu'il me paraît important de mettre en place dès le départ avec, là aussi, l'idée de programmer dans le temps la manière dont ces objectifs peuvent être atteints ainsi que le délai dans lequel ils peuvent l'être et de préparer des modalité d'évaluation et de régulation pour regarder ce que l'on fait, s'en distancier et prendre des mesures de correction et sortir de cette impression qu'ont certains acteurs de continuer à faire la même chose tout le temps sans en voir les résultats, sauf à se heurter un beau jour à une étude ou un article de journal qui semble remettre en cause ce qu'ils font de plein fouet, ce qu'ils prennent très mal, comme je peux parfaitement le comprendre.

L'idée de se doter de méthodes d'évaluation et de régulation me paraît donc très importante.

Je pense également qu'il faut mettre en place un lien très étroit avec les projets d'école, les projets d'établissement du second degré et les projets de ZEP et de REP.

Nous vivons parfois (sans doute trop souvent, mais je suis peut-être pessimiste) avec, d'un côté, des établissements scolaires du premier et du second degrés (avec la ZEP et le REP) et, de l'autre, le projet éducatif territorial qui essaie de faire le lien alors que tout cela pourrait être mis en synergie si on acceptait un cadre de cohérence commun que j'ai appelé le projet collectif territorial parce qu'il permet de tracer des pistes de développement et de travail commun.

Il se pose aussi  cela a été évoqué pour les ZEP  la question du pilotage du projet éducatif territorial. Même si cela ne paraît pas facile à mettre en place, c'est à mon avis une condition de réussite. Il faut arriver à un pilotage tripartite entre les collectivités territoriales, l'Etat et  je ne le dis pas seulement parce que j'en fais partie  le monde associatif, avec ce qu'il peut apporter en termes de souplesse, d'adaptabilité et de créativité.

Autre point important : la question de la pérennité des financements. Vous savez bien que l'un des grands problèmes des collectivités territoriales et des associations vient de la pérennité des financements et de leur programmation pluriannuelle. A cet égard, il y a quelque chose à inscrire également pour que, dans le cadre d'une évaluation de la régulation (il ne s'agit pas de créer des rentes de situation), on puisse sécuriser sur une certaine durée  une durée de trois ans ne me paraîtrait pas mauvaise  les ressources financières qui sont apportées pour mettre en place et installer ces politiques.

J'évoquerai aussi le fait que certains acteurs des projets éducatifs de territoire ont parfois le sentiment d'être traités en intervenants de seconde zone. Leurs représentants ne sont pas ici, mais je pense aux parents et aux familles. D'après ce qu'ils disent sur leur vécu et leur implication dans ces politiques ainsi que sur leur présence dans les conseils d'école ou les conseils d'administration de collèges ou de lycées, ils ont l'impression d'être traités un peu à part et d'être mis de côté. Il est très important, notamment dans les quartiers exposés à des difficultés, de trouver des stratégies pour mettre en avant leur rôle et leurs apports, même si ce n'est pas toujours très facile. Je pense que c'est une donnée importante.

Il en est de même pour les associations locales, qui ont l'impression d'être traitées comme la cinquième roue du carrosse alors que les associations, notamment celles qui sont fédérées et qui ont une histoire, un passé et une expérience, peuvent apporter beaucoup au développement éducatif territorial à partir de ce qu'elles ont pu mutualiser depuis des années et de ce qu'elles peuvent mutualiser en temps réel à travers d'autres lieux que celui où elles exercent par le seul fait qu'elles sont membres d'une même organisation, quelle qu'elle soit.

Un autre point me paraît très important : la politique de formation. Dans les ZEP, il y avait au départ une dimension extrêmement intéressante et prometteuse qui n'a pas pu vraiment se mettre en place : celle des formations communes des acteurs. Sans du tout mésestimer la nécessité de formations spécifiques  les IUFM en sont un bon exemple , il est important que, dans le cadre des politiques éducatives territoriales, il y ait des moments communs de formation entre les différents acteurs, quelle que soit leur origine professionnelle, en y incluant les bénévoles et même les élus et coordonnateurs de politiques éducatives territoriales. Ce sont des moments extrêmement importants et fructueux et je pense que c'est un aspect qui est trop négligé aujourd'hui. Les formations liées aux besoins recensés auprès des personnels et des acteurs présents sur un territoire ne doivent pas être mises de côté.

Je tiens également à évoquer l'aspect du temps des personnels de l'éducation nationale. Je pense que les personnels de l'éducation nationale n'ont pas vraiment vu inscrit dans leur temps de service celui qui permet de travailler avec d'autres acteurs, comme cela a été dit tout à l'heure. C'est un point extrêmement important dont on ne peut pas faire l'économie, si ce n'est en continuant à regretter de temps à autre le peu de moments consacrés au travail commun entre les personnels de l'éducation nationale et les autres acteurs.

Je conclurai par un dernier point qui concerne les différentes têtes de réseau qui existent autour de ces politiques éducatives territoriales et autour des ZEP, c'est-à-dire aussi bien les administrations centrales des ministères que les organismes comme la Caisse nationale d'allocations familiales, le FASILD, les têtes de réseau associatives ou les associations d'élus. A mon avis, il importe que ces réseaux mettent leurs efforts en synergie pour créer des outils communs d'aide et d'outillage pour les acteurs locaux et pour valoriser ce qui se fait sur le terrain afin que l'on puisse sortir du pointillisme avec lequel, de temps à autre, un organe de presse, à l'occasion d'un événement, met en exergue telle ou telle réalisation positive alors qu'en général, on en parle peu. Je pense que cet effort ne peut aboutir que si les têtes de réseau dont j'ai parlé unissent leurs efforts en cette matière.

M. Alex TÜRK, président .- Merci. Comme nous avons prévu de terminer nos travaux à 16 h 30, il nous reste une heure pour le débat. Je suggère donc que chacun puisse poser des questions pour que le débat puisse s'engager.

M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Monsieur le Président, nous n'avons entendu que des interventions brillantes et intéressantes, mais elles ne correspondent pas à ce que j'attendais en tant que rapporteur. Nous avons assisté à un discours interne à l'éducation nationale, mais notre problème est de savoir ce qui s'est passé dans les banlieues, ce qui s'est encore passé hier et ce qui risque de se passer demain.

Depuis vingt ans, nous avons eu l'éducation prioritaire, la réussite éducative, l'ambition éducative, les ZEP et je peux dire que, parfois, nous ne vous comprenons pas quand vous parlez de certaines choses à votre niveau.

Lorsque, en tant que maire, comme beaucoup d'élus qui sont présents ici  je suis pour ma part maire d'une ville de 70 000 habitants , on entend ce que j'ai entendu à Vénissieux, à Strasbourg ou dans d'autres villes, on n'est pas étonné de la grande coupure qui existe entre l'éducation nationale et nous-mêmes qui sommes aux postes de commande pour faire en sorte que les choses se passent bien dans nos villes, nos départements ou notre pays.

Il est bien de dire qu'il faut faire appel aux partenaires extérieurs. Quel beau discours vous avez là ! Mais quelle est la réalité lorsque nous sommes sur le terrain ? En ce qui concerne les rapports qu'on nous apporte, c'est bien souvent l'inspecteur d'académie qui vient nous dire qu'il va fermer une école dans tel ou tel secteur, qu'il n'a pas d'enseignants pour les manifestations patriotiques ou qu'il faut appliquer les normes qui sont fixées continuellement, notamment le fait qu'il ne faut pas plus de vingt enfants dans un bus pour aller à la piscine ou telles autres choses qui coûtent des fortunes aux communes.

Quand j'ai commencé ma carrière professionnelle, pour recruter une bonne secrétaire qui sache écrire le français, on prenait une fille qui avait un CAP. Désormais, il faut au minimum un BTS, sachant que, même dans ce cas, on n'a pas forcément le même niveau.

J'ai bien entendu M. Bac, qui, de par ses antécédents professionnels, a une démarche plus proche du terrain, mais, comme mes collègues auront l'occasion de le dire, pour tous les contrats éducatifs et autres que nous voulons mettre en place, il n'est pas facile de mettre autour d'une table les élus, l'Etat et l'éducation nationale. Certes, celle-ci fait partie de l'Etat, mais quand on constate combien les relations entre les préfets, les sous-préfets et l'éducation nationale sont difficiles, on se demande si on appartient au même monde. J'ajoute que, lorsqu'on veut travailler sur des activités extra-professionnelles ou extra-scolaires, il faut, en plus,  ô scandale !  mettre la DDJS dans le coup. Vous avez parlé des financements pluriannuels tout à l'heure, mais il faudrait maintenant des financements au minimum triennaux pour que nous commencions à avoir une réponse dans un délai de deux ans sur les actions que nous voulons monter dans nos communes.

Je ne suis peut-être pas gentil avec vous, mais je ne suis pas là pour l'être.

M. Bernard SAINT-GIRONS .- Nous non plus...

M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Je suis là pour comprendre et nous sommes là pour essayer d'apporter des réponses.

M. Alex TÜRK, président .- Voilà une entrée en matière vivante. Je passe la parole à M. Mahéas.

M. Jacques MAHÉAS .- Je suis un élu de Seine-Saint-Denis, maire de Neuilly-sur-Marne. Nous sommes d'ailleurs ici plusieurs élus de Seine-Saint-Denis. C'est dire, monsieur le Recteur, que nous sommes partie prenante à cet égard. Nous pensons que l'éducation est en effet au coeur de la citoyenneté et, par là même, absolument nécessaire pour l'équilibre de notre société.

Cela dit, une chose m'a frappé : vous avez pratiquement tous parlé du collège. Ma première question sera donc simple : est-ce vraiment le maillon faible ?

Deuxièmement, que fait-on dans nos établissements pour évoluer vers une éducation citoyenne qui ferait que l'on respecte vraiment les autres et nos institutions et que l'on ne tombe pas dans des violences urbaines comme celles qui ont été commises par des jeunes de collège ? Je vous signale que, dans ma ville, c'étaient des jeunes de collège et c'est la même chose à Montreuil ou chez M. Dallier. On en parle depuis 30 ou 40 ans et on ne voit toujours pas venir véritablement cette éducation citoyenne dans nos programmes.

Certes, les classes des écoles primaires et maternelles se déplacent en mairie et viennent nous interroger, mais personnellement, en trente ans de mandat de maire, je n'ai quasiment jamais vu de classes de collège venir demander comment fonctionnent une mairie, interroger les élus, etc.

J'en viens à ma troisième question. Je lis dans les statistiques de l'ANPE que l'on manque d'informaticiens, de cadres techniciens du BTP, de techniciens en électricité et en électronique, de techniciens de l'industrie de process, d'ouvriers qualifiés du bâtiment et des travaux publics, d'ouvriers qualifiés travaillant dans le formage du métal, d'ouvriers qualifiés du bois et de professionnels de l'action sociale, culturelle et sportive. C'est vraiment terrible ! D'un côté, nous connaissons un chômage extraordinaire et, d'un autre côté, nous avons un manque d'adaptation aux formations.

Je sais bien que la première chose, pour l'éducation, est de développer l'intelligence et d'apprendre à apprendre, mais, au niveau le plus bas, où nous avons 150 000 jeunes d'une classe d'âge qui quittent l'école sans formation, n'est-il pas possible de mieux s'adapter à la réalité économique du pays ?

Je précise que j'ai été moi-même dans l'éducation puisque j'ai été principal de collège. Je me souviens que l'on a arrêté de former des corsetières en 1981 et je suis d'accord sur ce point, mais, pour d'autres métiers, nous sommes exactement dans le même cas.

Je vais vous poser une question qui va vous paraître bizarre : quels sont vos adversaires éducatifs ? Nous avons besoin de le savoir. Est-ce la grande pauvreté ? Est-ce la télévision ? Est-ce la rue, les jeux vidéo, les familles monoparentales ? Pouvez-vous les uns et les autres compléter tout cela ?

M. Renard nous a dit qu'il y avait maintenant une ouverture vers l'extérieur. J'aimerais bien, comme le dit notre rapporteur, qu'une telle ouverture existe, mais je peux vous citer l'exemple de Neuilly-sur-Marne, qui passe d'un quartier en restructuration urbaine à un quartier en zone franche. Cela veut dire que les choses ne se sont pas améliorées, bien au contraire. En même temps, dans les deux collèges en zone d'éducation prioritaire, on supprime des heures de cours pour les mettre en « réseaux ambition réussite ». Il n'y a donc pas du tout de coordination. D'un côté, un ministère dit que c'est une zone franche et, d'un autre côté, le ministère de l'éducation nationale dit que, bien que l'autre ministère ait trouvé que cela va de moins en moins bien, on va faire un transfert aux mille postes des « réseaux ambition réussite ».

Enfin, malgré le retour en arrière actuel du ministère de l'éducation nationale, je voudrais savoir si, très franchement, vous faites, comme moi, un bilan extrêmement positif de ce qu'ont été les emplois jeunes, même s'ils n'ont pas toujours été admis par les enseignants au démarrage. J'ai eu 52 emplois jeunes dans les écoles primaires et maternelles de ma ville, j'en ai eu pratiquement autant dans les collèges et je peux dire que non seulement ils étaient positifs pour ces jeunes, mais qu'en outre, ils ont permis, dans bien des cas, de ramener un certain calme et de faire de l'éducation citoyenne.

M. Alex TÜRK, président .- Je passe la parole à Mme Le Texier.

Mme Raymonde LE TEXIER .- Même si nous avons l'air critique, ce qui est facile, notre rapporteur ayant donné le ton, il n'est pas inutile de vous rappeler que, si nous sommes ici en tant qu'élus, ce n'est pas parce que nous pensons avoir la science infuse, mais parce que, les uns et les autres, là où nous sommes élus, nous nous confrontons à cette politique de la ville sur laquelle nous nous interrogeons beaucoup et que nous nous demandons en gros pourquoi elle ne fonctionne pas. Il est vrai que, pour arriver à avoir une réponse et des projets plus efficaces quant à leurs résultats, il faudrait que nous sortions de notre langue de bois et que nous arrêtions de nous justifier les uns et les autres en disant : « La soupe est bonne, mon général ! »

Je m'interroge à haute voix devant vous s'agissant du bilan des ZEP. Je suis élue dans le val d'Oise depuis une trentaine d'années à Villiers-le-Bel et je partage l'analyse qui a été faite sur le saupoudrage des ZEP. Les « réseaux ambition réussite » devraient régler en partie le problème, mais, s'agissant des collèges et des « réseaux ambition réussite » qui sont retenus dans mon département, je ne sais pas comment se sont faits les choix parce que je n'y retrouve pas mes petits. Le potentiel fiscal de Villiers-le-Bel se situe entre la Corse et les Antilles : c'est la ville la plus pauvre d'Île-de-France.

M. Bernard SAINT-GIRONS .- Non. C'est Clichy-sous-Bois.

Mme Raymonde LE TEXIER .- Nous sommes peut-être battus par Clichy-sous-Bois, mais je vous assure que c'est une ville très pauvre, multiethnique, dans laquelle il n'y a que des logements sociaux et qui est en ZEP, naturellement. Les « réseaux ambition réussite » lui étant passés sous le nez, j'aimerais qu'on nous explique un jour comment se sont faits les choix. Comme je ne suis pas du tout paranoïaque, je n'ai pas de mauvaise pensée, mais je regrette que nous ne soyons pas retenus et je ne comprends vraiment rien à cela.

Toujours sur ce bilan des ZEP, je partage assez les analyses que vous avez faites les uns et les autres. Vous avez évoqué le gaspillage que représentait le passage de 27 à 25 élèves sans investissements pédagogiques en face. Effectivement, le bât blesse sur ce point : cela ne sert à rien et ne relève que d'un niveau symbolique. Vous avez parlé également de problèmes de formation ainsi que de la difficulté et de la déprime des enseignants. Tout cela soulève le problème de la formation. Je pense qu'un jeune enseignant peut tout à fait tenir le coup dans une ZEP à condition qu'il soit formé et soutenu et qu'il puisse prendre du recul avec d'autres professionnels qui ne sont pas confrontés au quotidien à l'enseignement.

Tout cela m'amène à vous demander ce que vous pensez des expériences qui sont conduites dans certains pays d'Europe du nord, notamment aux Pays-Bas, au Canada et même aux États-unis, où, au lieu de mettre 8 % de moyens supplémentaires dans une multitude d'écoles en ZEP, on a ciblé les écoles qui avaient besoin d'être en éducation prioritaire et on a mis entre une fois et demie et deux fois plus de moyens dans ces écoles que dans les écoles ordinaires. Que pensez-vous de ces pays qui se donnent les moyens, dans ces écoles en difficulté situées dans des quartiers en difficulté, d'avoir non pas 25 élèves au lieu de 27 mais 15 élèves et trois adultes par classe ?

Il est possible que la solution soit là, que les résultats seraient sans doute meilleurs et que les déprimes des enseignants qui n'ont qu'envie d'aller ailleurs et de respirer ne se poseraient pas de la même manière.

S'agissant des adversaires éducatifs, question qui a été posée par mon collègue, et de ces écoles en ZEP, que pensez-vous du fait (vous n'avez pas évoqué la problématique parce qu'elle est peut-être évidente à vos yeux) qu'elles sont situées dans des quartiers difficiles ? Je pense à certaines expériences conduites aux États-unis où, à chaque fois que l'on a pu extraire des enfants pauvres, scolarisés dans une école pauvre, vivant dans un quartier où il n'y a que des pauvres, pour les mettre dans un quartier plus favorisé, on est arrivé à des résultats spectaculaires.

Je pense à une expérience que vous devez connaître par coeur : 130 enfants de 4 et 5 ans séparés en deux groupes : un groupe témoin qui continue de vivre sa vie et l'autre dont les enfants sont scolarisés avec non pas trois mais quatre adultes par classe pendant deux ans, ces adultes enseignants ayant chaque semaine un contact avec la famille des enfants avec laquelle ils expliquent ce qui s'est passé avec l'enfant dans la semaine et ce qu'eux, les parents défavorisés, peuvent faire avec leurs enfants. En l'occurrence, il s'agissait d'enfants noirs de 4 ou 5 ans vivant dans des quartiers pauvres. Ces enfants ont maintenant 27 ou 28 ans. Les trois quarts des enfants du premier groupe sont en prison avec au moins cinq condamnations et peu travaillent alors que, parmi ceux du groupe qui a été pris en charge de la manière que j'ai évoquée, deux sont en prison mais les autres travaillent et gagnent tous un minimum de 2 000 dollars par mois.

Que pensez-vous de ces problèmes et de l'influence du quartier ? La solution ne serait-elle pas d'extraire un peu ces enfants de leur quartier ? On retombe sur le problème de la carte scolaire parce que, finalement, c'est le nivellement par le bas et tout le monde s'entraîne vers le fond.

J'ai envie de vous interroger là-dessus : comment consacrer de vrais moyens aux quartiers et aux écoles qui en ont vraiment besoin ? Vous pouvez nous répondre, mais il restera à voter cela, à donner l'argent et à décider. J'aimerais avoir votre position sur ce point de façon théorique.

M. Roland MUZEAU .- Je suis tenté de réagir suite à vos interventions successives qui m'ont bien évidemment intéressé mais qui m'ont laissé sur ma faim. En effet, je m'attendais à ce que vous me disiez quels étaient votre sentiment professionnel, parce que c'est la raison de votre présence ici, mais aussi votre expérience et ce qui vous est remonté du terrain quant aux raisons qui ont rendu possible ces événements de novembre, après les précédents et avant ceux de demain, dans la mesure où, malheureusement, je suis peu rassuré, comme vous probablement, sur la suite de ces graves événements.

Par ailleurs, quand la société va mal, on entend comme une vérité révélée : « Mais que fait l'éducation nationale ? Si la situation est aussi mauvaise, c'est bien parce que l'éducation nationale est bancale. L'éducation nationale fabrique des délinquants, des chômeurs et des gens qui n'ont envie de rien et qui sont des asociaux ! » Je ne force pas beaucoup le trait : c'est ce que nous entendons en permanence.

M. Bernard SAINT-GIRONS .- Certains titres d'ouvrage vont même beaucoup plus loin que cela.

M. Roland MUZEAU .- Cela étant dit, si je me tourne vers vous uniquement pour vous demander ce que sont les dispositifs qui existent aujourd'hui, cela n'a que peu d'intérêt parce que je les connais non pas parfaitement mais assez bien. Dans mon département ou ma ville, je travaille avec l'académie et nous avons organisé récemment des réunions qui m'interrogent énormément et qui m'ont apporté des éléments qui m'ont surpris. Par exemple, une étude de l'inspection académique, sur une longue période, concernant les collèges de ma ville, Gennevilliers, nous indique que le retard scolaire constaté à l'entrée en 6 ème , faute d'évaluation en fin de primaire pour les raisons que vous connaissez, se trouve résorbé à la fin du collège.

Pour nous, ce résultat est assez surprenant. Nous avons beaucoup travaillé avec les enseignants et les principaux de collège qui, depuis des années, ont utilisé toutes les ficelles des dispositifs divers et variés qui existaient et qui ont pu nous montrer que certains avaient été très efficaces et que d'autres les avaient abandonnés au profit d'autres choses et qu'il y avait eu beaucoup d'innovations, même si cela se faisait dans des règles assez figées au demeurant, à l'intérieur des établissements. Comme l'un de vous l'a dit tout à l'heure, entre un établissement et un autre, à moyens identiques, il y a aussi des valeurs humaines qui sont notablement importantes.

J'ai aussi envie de vous entendre dans un second tour sur la manière dont vous ressentez ces événements de novembre.

J'en viens à quelques remarques qui pourront peut-être vous faire réagir. Depuis plusieurs années, j'ai la conviction, et ces derniers mois l'ont renforcée, que la formation professionnelle est trop souvent considérée comme une punition pour un certain nombre d'élèves : on met les mauvais en orientation professionnelle et les bons suivent le cursus de l'enseignement général. Je ne veux pas refaire un discours sur la dévalorisation de nos métiers manuels, que beaucoup disent archaïques ou vieillots ; toujours est-il qu'aujourd'hui  M. Mahéas vient de donner quelques chiffres , quelques centaines de milliers d'emplois ne sont pas pourvus du fait d'un manque de main-d'oeuvre et de compétences. Cela vaut d'ailleurs également pour les reprises d'entreprise chez les artisans.

Je voudrais donc savoir quel constat vous en faites et quelles corrections il vous apparaît indispensable de mettre en oeuvre.

De la même manière, quelle est votre appréciation sur la quasi-disparition de la médecine scolaire et l'absence dramatique des psychologues scolaires dans des quartiers comme ceux de ma ville où la misère sociale est très forte ? Sans cet accompagnement, il est extrêmement difficile de considérer un seul instant qu'il puisse y avoir un parcours scolaire normal. De très nombreux gamins relèvent d'un soutien médical et psychologique parallèlement à leur présence dans l'école et à leur parcours scolaire. C'est un désert assez effarant que nous subissons en matière de santé à l'école.

Je souhaiterais aussi avoir votre réaction, même si je peux la pressentir, sur un fait qui ne cesse de m'énerver : chaque année, nous avons le concours, non pas des balcons fleuris, mais des lycées qui réussissent le mieux, ce qui constitue chaque année un appel ouvert à ne surtout pas aller dans le lycée géographique référent ou même à se détourner des métiers qui y sont enseignés, c'est-à-dire, surtout, un appel à se sauver et à ne pas aller à certains endroits. Cela amène d'ailleurs de nombreuses personnes à faire des erreurs monumentales puisque, à l'intérieur même de ces établissements, il se pratique des disciplines d'excellence avec des résultats remarquables. Il s'agit là d'un paquet cadeau qui est fait à un certain nombre d'établissements et qui fait un mal de chien aux efforts de l'éducation nationale !

Ce n'est peut-être qu'une goutte d'eau parmi d'autres, mais, dans ma ville, j'en vois les conséquences sur l'évitement dès le collège : 30 % des élèves d'une classe d'âge sortant de l'école primaire ne sont pas allés dans leur collège de secteur et sont partis de la ville. La famille est restée, mais les parents soit ont trouvé d'autres moyens de domiciliation, soit se sont tournés vers des établissements privés, dans lesquels les résultats ne sont d'ailleurs pas meilleurs que ceux du collège qu'ils évitent, ce qui tout à fait extraordinaire.

Ce sont des questions qui me paraissent extrêmement importantes et sur lesquelles j'aimerais avoir votre opinion.

Je dirai un dernier mot pour conforter ma collègue du val d'Oise, parce que je ne sais pas quelle concertation a pu avoir lieu sur la définition des établissements qui relèvent des 240 dispositifs, mais, très sincèrement, on a découvert dans la presse que tel établissement était retenu et que tel autre était placé dans d'autres catégories de dispositifs prioritaires. Il y a eu probablement une concertation, mais elle ne s'est pas faite avec le terrain ou, plutôt, avec les élus locaux. Je ne dis pas qu'il appartient aux élus locaux de décider des dispositifs qui doivent être mis en place, mais il faut au moins qu'on les écoute afin de mieux prendre les décisions.

M. Serge LAGAUCHE .- J'irai dans le sens de M. Muzeau et je compléterai ce qu'a dit notre rapporteur quand il vous a un peu agressés.

Dans le Val-de-Marne, à Créteil, j'ai fait l'effort d'aller vous voir fréquemment, monsieur le Recteur, ainsi que les inspecteurs d'académie, quand ils changeaient, et j'ai constaté que vous aviez énormément d'informations et de renseignements et que vous connaissiez bien vos établissements, mais que si je n'y étais pas allé, je ne les aurais pas eus. Cette coupure qui existe entre les élus et l'éducation nationale est terrible.

Les conseils d'administration des collèges ou des lycées ont des représentants parmi les élus, qui se demandent les uns et les autres qui va y aller ou non, qui craignent de se faire reprocher les travaux qui ne sont pas faits et qui se font agresser en général unanimement dès qu'ils arrivent : les parents d'élèves suivent les enseignants parce que, pour leurs petits chéris, il faut évidemment des conditions optimales. C'est un jeu de massacre, ce qui décourage un peu les élus qui se sauvent s'ils n'ont pas de vrais contacts. S'ils sont enseignants et parents d'élève en même temps, c'est encore plus terrible parce que les collègues savent bien les tourner du côté où il faut aller.

On fait la décentralisation avec l'éducation nationale, on est revenu sur les académies pour pourvoir les postes et on n'a pas de contacts. Voyez la manière dont se passent les élections : les plus malins des enseignants désignent eux-mêmes les parents qui vont être dans le conseil d'administration, surtout en primaire et maternelle, ce qui est beaucoup plus facile, et d'autres ne le font même pas et disent : « Ils ne sont pas venus ; je l'ai demandé et cela n'a pas été entendu », ce qui règle le problème. On choisit ses dates avec les fameux samedis libérés et les responsables d'établissement, suivant leur niveau  on a le personnel qu'on a, bien évidemment  choisissent de parler des problèmes techniques et surtout pas de l'école parce qu'il faut éviter de parler de ce qui se passe à l'intérieur.

Quand les collectivités territoriales veulent faire des choses, il reste le planning des cars, qui est très important, avec les chauffeurs qui attendent à un endroit différent en oubliant de prévenir les enseignants, ce qui meuble bien les conversations mais n'apporte aucun résultat dans la collaboration que l'on devrait avoir.

Ne vous serait-il pas possible de nous passer une information et de nous dire comment faire pour que les contacts s'établissent ? Certes, les enseignants nous disent qu'après la journée qu'ils ont passée, ils ne se voient pas discuter encore avec des parents qui sont des enquiquineurs parce qu'ils ne pensent qu'à leurs petits chéris. Le temps consacré par les enseignants à discuter avec les parents est un vrai problème, mais quand les parents les attendent à la sortie de l'école, ce n'est pas facile non plus pour eux, dont beaucoup se sauvent ou évitent de sortir par la même porte parce que certains parents sont ennuyeux : nous savons dans nos permanences que les relations avec les citoyens ne sont pas faciles. Pour autant, si nous pouvions travailler ensemble, je pense que nous arriverions, surtout dans les zones difficiles où il faut faire appel aux associations et à tout le monde, à établir des programmes en commun et à nous défendre contre cette administration centrale que je retrouve à la commission éducation du Sénat et qui m'explique, comme vous l'avez dit, qu'il y a trop de monde, qu'on a saupoudré et qu'on a mal utilisé les crédits, ce sur quoi je ne peux pas être d'accord.

On n'a ni saupoudré, ni mal utilisé les moyens. Il y avait tellement de demandes que je sais bien comment font les recteurs ou les inspecteurs : ils essaient de répondre au maximum, mais ils le font en fonction des moyens. S'il y a une épidémie de grippe, on sait bien qu'il n'y a pas de remplaçants. On va alors jusqu'au bout et on sait ce qu'il en est. Or, quand il n'y a pas de remplaçants, cela met les parents en colère, cela pose de nombreux problèmes, on nous demande d'ouvrir un centre aéré parce qu'il y a une épidémie... C'est arrivé !

Face à tous ces problèmes qui existent, si on se regroupait et se voyait plus fréquemment et si l'éducation nationale dégageait du temps pour permettre aux enseignants de rencontrer d'abord les élus seuls, puis les élus et les parents, on pourrait peut-être construire des choses ensemble.

Ma question sera simple : que nous proposez-vous et comment faire pour acter cette décentralisation dans nos communes, nos départements et nos régions ?

Je connais le niveau de concours des enseignants. Dans notre académie, comme vous le savez très bien, des gens ont été reçus parce que nous en avions besoin alors qu'ils n'étaient pas toujours d'un niveau suffisant, ce qui vous a valu des toiles de tente devant le rectorat depuis au moins six mois...

M. Bernard SAINT-GIRONS .- Je vous rassure : ils n'y couchent pas !

M. Serge LAGAUCHE .- Peut-être, mais il y a parfois du monde.

M. Bernard SAINT-GIRONS .- Je vous rappelle qu'un préfet avait réglé le problème d'une autre manière.

M. Serge LAGAUCHE .- Cette histoire de niveau de recrutement est un point essentiel. Depuis un certain temps, on a recruté largement en dessous du niveau parce que, dans cette académie, il y avait un énorme besoin et qu'on ne pouvait pas faire autrement. Quand on veut enseigner, ce n'est pas facile non plus, et il faut aussi savoir que l'on a dit à certains enseignants qu'on ne pouvait pas les garder. C'est ainsi que l'administration de l'éducation nationale a trouvé des passerelles pour faire en sorte que ces gens qu'on ne peut pas conserver dans l'éducation nationale parce qu'ils ne conviennent pas du tout puissent être mis ailleurs et récupérés, mais on laisse finalement le recteur se débrouiller avec ce problème et ils campent devant les rectorats ou ils font des manifestations devant les conseils généraux.

Je pense que vous devez avoir des idées sur tous ces problèmes, sur la manière de mieux travailler ensemble avec les élus en se rencontrant dans le cadre de la décentralisation et de mieux faire fonctionner ces conseils d'administration. Sinon, autant les supprimer : beaucoup d'enseignants seront d'accord pour le faire sans problème !

Nous sommes surtout intéressés par ce que vous nous proposez, en particulier dans les milieux difficiles, pour que nous puissions travailler vraiment en harmonie et nous sentir solidaires des enseignants.

M. Alex TÜRK, président .- Je souhaite que chacun essaie de poser ses questions de la manière la plus brève possible, parce que quatre sénateurs ont encore demandé d'intervenir et que la moindre des choses est que les personnes qui ont bien voulu venir à cette réunion puissent répondre. Je passe la parole à M. Dauge.

M. Yves DAUGE .- J'interviendrai sur deux champs d'interrogation qui ont déjà été évoqués par certains mais que je souhaite repréciser.

Le premier est celui qui concerne l'école dans la cité  après tout, c'est le sujet , c'est-à-dire la politique de la ville et les quartiers en difficulté. On a abordé des questions comme la police de proximité dans les quartiers, alors qu'elle a disparu, en nous disant qu'elle était mauvaise et je constate qu'aujourd'hui, on nous dit que les ZEP ne sont pas la priorité. C'est possible, mais que fait-on à la place pour que l'école dans le quartier soit une contribution à la politique de la ville, de même que l'hôpital, dans le domaine de la santé, doit s'inscrire dans le quartier et sortir de ses murs pour faire notamment des consultations en pédopsychiatrie ? Comment l'école sort-elle de ses murs pour être une contribution dans la cité ?

Je sais que c'est difficile parce que la vision est globale, comme vous l'avez dit, et qu'à l'origine, la politique de peuplement s'est faite à partir d'une ségrégation qui s'est constituée autour de certaines populations et de la pauvreté, l'école étant au milieu de tout cela, mais il n'en reste pas moins que, dans la stratégie du ministre, je souhaiterais que l'on dise plus clairement que l'école va être une contribution à cette grande bataille et comment on va le faire. C'était l'idée des années 1980 et vous en faites peut-être le bilan, mais il faut revenir sur ces questions fondamentales, étant précisé que j'aborde ici le problème de manière positive.

Mon deuxième champ d'interrogation, en m'appuyant sur ce que vous avez dit les uns et les autres, c'est que vous avez beaucoup de mal à diagnostiquer la véritable difficulté d'élèves en situation d'échec grave, ce qui est encore lié aux problèmes du peuplement. La question est de savoir comment on va régler cette difficulté. En effet, si on se contente de dire que l'on a une grande difficulté à diagnostiquer cette situation, ce ne sera pas un constat entièrement nouveau. Le fait que vous le disiez est une bonne chose, mais il faut trouver une réponse à cela et cela pose immédiatement des questions qui ont été évoquées et que je repose : quelle pédagogie faut-il appliquer pour cette catégorie ?

Nous ne sommes plus dans le zoning mais dans l'identification d'enfants, de populations extrêmement difficiles et de problèmes de langage et il est certain que le droit commun appliqué à tous ne marche plus, même s'il faudrait y revenir. Sur cette difficulté, il faut absolument apporter une réponse précise et je ne suis pas sûr que les « réseaux ambition réussite », bien qu'ils soient séduisants, puissent aller dans ce sens. En tout cas, si c'est le cas, il faut le dire clairement parce que c'est une question centrale.

Cela pose enfin le problème de l'affectation des personnes : qui est compétent pour faire ce travail ? Comme certains l'ont dit, si on envoie les enseignants ici ou là sans y réfléchir plus précisément, on travaille les yeux bandés alors qu'en l'occurrence, il faut éclairer le chemin d'une manière tout à fait particulière si on veut obtenir un résultat et arriver quelque part. A mon avis, l'éducation nationale travaille les yeux bandés, comme d'autres services, et on ne peut pas s'étonner alors de déboucher un jour sur la révolte.

Ce n'est pas un procès que je vous fais en particulier. Comme cela a été dit, c'est l'analyse d'une situation globale de laquelle il faut absolument sortir. Je pense que l'école, plus encore que l'hôpital ou la police, a un rôle considérable à jouer. J'ai le sentiment qu'elle est enfermée et je voudrais donc que l'on tisse autour d'elle tout un réseau autour du sport et de la culture pour que les jeunes ne s'ennuient pas à l'école. Beaucoup nous disent qu'ils s'embêtent et qu'ils ne s'intéressent donc à rien. Comment les intéresser ? C'est une question de pédagogie mais aussi d'articulation avec la vie locale, dans le cadre de projets territoriaux et de projets d'école. C'est difficile à faire, mais si nous travaillons sur le sujet, c'est aussi pour essayer de trouver des réponses à ces questions.

Mme Dominique VOYNET .- Je commencerai par un point que nous avons déjà identifié : dans ce pays, il y a environ 63 millions de spécialistes de l'éducation. Nous avons tous été élèves, nous sommes tous parents et les enseignants sont tellement nombreux que nous avons tous un ami ou un beau-frère qui nous explique ce qu'il faut penser du sujet. Evidemment, nous n'échappons pas à cette tentation. Pour ma part, je vais revenir sur quelques-unes de vos formules.

Sans vous reprocher le fait que trois intervenants ont consacré l'essentiel de leur intervention à la défense et à l'illustration du nouveau dispositif voulu par le ministre de l'éducation, je ne suis pas sûre que le sujet était celui-là parce que nous avons tous lu le dossier de presse du ministère. Ce qui m'aurait intéressée, c'est que vous nous disiez ce qui fonctionne ou non et pourquoi cela fonctionne ou ne fonctionne pas en essayant d'en tirer le sel.

M. Boissinot a insisté sur la volonté de mettre un terme à la dilution de l'effort et sur la volonté ministérielle de donner une véritable dynamique à l'éducation prioritaire, mais je n'ai pas entendu d'éléments satisfaisants qui me permettraient d'être convaincue que l'on va vraiment mobiliser des moyens supplémentaires sur le réseau « ambition réussite ». J'entends plutôt que l'on va prendre à ceux qui ont peu et qui avaient des besoins pour donner à ceux qui ont encore moins et qui ont encore plus de besoins. Je ne suis pas satisfaite de cette façon de travailler qui ne consiste pas à redéployer les moyens, en ayant l'intuition qu'il est sans doute plus facile de fonctionner dans une classe de lycée Henri IV avec 35 élèves que dans une classe de Versailles ou Créteil avec 15 ou 20 élèves.

Par ailleurs, M. Saint-Girons a évoqué les académies de début de carrière. Il se trouve qu'il y a quelques semaines, nous avons reçu ici des responsables de la police nationale qui ont évoqué leurs difficultés quand ils étaient confrontés à des jeunes policiers inexpérimentés et sortants de l'école. Je ne suis pas du tout convaincue que des échanges entre jeunes professeurs puissent permettre de rompre leur solitude, qu'elle soit réelle ou ressentie, comme vous l'avez dit. Même si cela ne fait pas plaisir à ceux qui ont surmonté ces premières années difficiles et qui ont le sentiment que le moment est venu pour eux de vivre dans des conditions moins acrobatiques, je pense que l'on doit formuler des propositions qui nous permettent de faire naître une réelle mixité dans les équipes.

J'ai entendu des pistes comme le fait d'avoir moins d'heures d'enseignement et plus de temps passé à l'école. Cela me convient, à condition que cela ne se passe pas dans la « salle des profs », comme l'écrit François Bégaudeau, mais que ces heures soient réellement consacrées à la formation et au soutien scolaire, car je ne me résigne pas à l'idée que le soutien scolaire se fasse en dehors des heures de classe et aux frais des familles. Cela suppose qu'il y ait des bureaux pour permettre aux professeurs de travailler, des lieux dans lesquels ils puissent accueillir les familles et les élèves afin qu'ils puissent pousser la porte d'un professeur pour lui dire qu'ils n'ont pas compris quelque chose ou qu'ils ont un problème sans que ce soit dramatique.

Au-delà, je pense que l'on doit travailler sur la mobilité des enseignants, dans la mesure où il y a beaucoup de catégories de fonctionnaires dans lesquelles on admet et on organise la mobilité. Je comprends que l'on ne va pas dire à un enseignant qui est installé dans les Alpes-de-Haute-Provence que, tous les quinze ans, il doit faire trois ans en Île-de-France ou dans le Nord/Pas-de-Calais, mais, au sein d'une même académie, je pense que l'on devrait organiser cette mobilité et faire en sorte qu'elle s'organise y compris entre les métiers au sein de l'éducation nationale. Vous n'avez pas dit un mot sur tous les dispositifs que constituent les réseaux de soutien aux enfants en difficulté ou en très grande difficulté, les CLIS, les UPI, les classes de primo-arrivants, l'accompagnement des enfants handicapés, etc. J'ai l'impression qu'il y a de plus en plus de catégories au sein de l'éducation nationale.

Certes, des structures de coopération et de concertation sont mises en place, mais je ne suis pas sûre que l'on ait garanti une réelle mobilité dans les métiers au gré des différentes étapes de la vie professionnelle.

Je serai aussi très curieuse de la réponse que vous apporterez à Jacques Mahéas concernant les emplois jeunes.

Enfin, parmi les sujets qui nous intéressent particulièrement, figure la cohérence dans les politiques de la petite enfance. Pour les enfants très jeunes et tout petits, les différents dispositifs (assistantes maternelles, gardes d'enfants à domicile, crèches) existent, mais ils sont payants et parfois précaires, notamment pour les familles les plus en difficulté. Il me semble donc que c'est dans les quartiers en difficulté encore plus qu'ailleurs qu'il faudrait poser la question de la scolarisation précoce, peut-être selon des formes à réinventer. Il ne s'agirait pas de se poser la question de l'école à deux ans ou non mais de réfléchir à des formes d'entrée dans l'école un peu plus souples dans le cadre d'une politique cohérente de la petite enfance. J'aurais aimé avoir votre sentiment à ce sujet.

M. Gilbert BARBIER .- Je ne suis pas de la région parisienne, mais j'ai quand même des problèmes de ZEP. Beaucoup de choses ont été dites, mais l'éducation nationale veut-elle vraiment des relations qui ont été évoquées en dehors des problèmes d'autobus, de locaux et de vie de la ZEP ? J'ai l'impression que c'est une sorte de chasse gardée dans laquelle, en tant qu'élus, nous n'avons pratiquement pas voix au chapitre sur ce qui se fait, sinon à donner encore et toujours plus de moyens. C'est une question qu'il faut poser globalement à l'éducation nationale.

Il sera aussi intéressant que vous répondiez à ce qu'a dit ma collègue Le Texier.

Je poserai une question brutale : ne faut-il pas supprimer les ZEP et, au contraire, faire de la mixité ? Dans un collège qui était en train de péricliter, j'ai réussi, au grand dam des parents, à doubler ses effectifs en amenant des élèves du milieu rural dans cette ZEP, ce qui n'a pas été facile à faire comprendre. Depuis, cela se passe relativement bien. Je pense donc que l'on peut tirer les enfants vers le haut en les mettant avec des enfants qui ont un cursus sensiblement normal.

Je poserai enfin une question iconoclaste : ne pensez-vous pas que les enseignants devraient sortir de leur école ou de leur collège et participer à la vie des quartiers ? Cela doit-il se passer sur leur temps de travail ou, comme cela se passait chez les enseignants de la III e République qui participaient aux équipes de football ainsi qu'au théâtre de la ville ou du quartier, n'est-ce pas la voie pour faire en sorte que ces enseignants ne viennent pas là uniquement pour faire la classe trois, quatre ou six heures par jour, prendre leur voiture et s'en aller ? On s'aperçoit que, lorsque les enseignants restent un peu sur place et viennent parfois le samedi ou le dimanche après-midi quand il y a une fête dans le quartier, des liens et des relations se créent. C'est certainement très difficile à mettre en place, mais je ne pense pas que tout ce que nous pouvons voir aujourd'hui, qu'il s'agisse des « réseaux ambition réussite » ou d'autres contrats soit une solution.

M. Philippe DALLIER .- Monsieur le Président, je vais essayer de faire court puisque beaucoup de choses ont été dites. Nous essayons surtout de comprendre pourquoi cela s'est passé à certains endroits et aussi pourquoi cela a pris à d'autres endroits un caractère beaucoup plus dur qu'ailleurs. Comme vous l'avez dit, pour rapprocher cela de l'éducation nationale, dans certains endroits très difficiles, le collège du coin ne rencontre pas de difficultés particulières, en tout cas quand les choses sont bien gérées, alors que, dans d'autres endroits où les conditions sont moins difficiles socialement, cela ne se passe pas bien.

A-t-on essayé de croiser ces informations avec celles que peuvent nous apporter les autres institutions, notamment lorsque les jeunes s'en sont pris à des écoles, des collèges ou des stades ?

Je ne sais pas s'il y a quelque chose à en conclure, mais le fait de dire qu'ici, le taux de chômage est de 40 % chez les jeunes et de 15 % chez les adultes ne permet pas d'expliquer ce qui s'est passé. Ce travail de recoupement des données et les analyses faites par les différentes institutions vous a-t-il été demandé et, si la réponse est positive, pourrions-nous en bénéficier ?

Ma deuxième question concerne la carte scolaire. Je suis maire d'une commune qui est en plein milieu de la Seine-Saint-Denis et quand j'entends parler des expériences faites aux États-unis dans lesquelles on prend un certain nombre de gamins pour les emmener ailleurs, je pense que c'est très bien à titre d'expérience, mais je me demande comment, dans un département où la quasi-totalité des établissements, à quelques exceptions près, relèverait de moyens supplémentaires, on peut mettre ce genre de chose en pratique.

Pensez-vous que le problème de la carte scolaire peut être abordé de la même manière pour ce qui concerne le primaire et les collèges, d'un côté, et pour ce qui concerne le lycée et l'université, de l'autre ?

Moi aussi, je peux vous parler de la Seine-Saint-Denis parce que c'est ce que je connais le mieux et que j'y ai fait mes études jusqu'à l'université. Comme nous le voyons dans nos villes, le nombre de parents et même d'enseignants qui mettent leur gamin dans le privé dès le primaire devient incroyable. Or, quand on leur demande pourquoi ils mettent leur gamin dans le privé, même en maternelle, la réponse est qu'ils veulent être certains qu'au moment du collège et du lycée, il pourra rester dans cette institution privée. C'est leur première réponse.

Ne pensez-vous pas que, par rapport au lycée et à l'université, le fait que les parents aient ce sentiment de cloisonnement bien réel et disent : « Même quand nos gamins de Seine-Saint-Denis sont très bons, ils doivent aller à la faculté en Seine-Saint-Denis » soit un problème ? Certes, il y a quelques expériences (je dépends du lycée de Bondy, où nous nous sommes retrouvés, monsieur le Recteur), avec l'Institut de sciences politiques, mais ne croyez-vous pas que cette problématique de la carte scolaire et la manière dont on l'aborde aujourd'hui ne font qu'accentuer les problèmes ?

M. Alex TÜRK, président .- Je vous propose que vous preniez maintenant le temps de répondre à ces nombreuses questions en reprenant le même ordre d'interventions.

M. Alain BOISSINOT .- Je ne m'engage pas à répondre à toutes les questions qui ont été posées. Je voudrais simplement évoquer librement trois principes de méthode qu'appelle notre échange.

La première remarque, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est qu'il me semble que notre échange illustre admirablement une chose qui est bien connue et que révèlent toutes les enquêtes qui sont faites sur l'image qu'ont les Français de l'éducation nationale. Depuis un bon nombre d'années, on obtient le même résultat : lorsqu'on interroge nos compatriotes sur l'éducation nationale en général, l'image est absolument calamiteuse et les jugements sont d'une sévérité qui fait tout à fait écho à vos propos, ce qui est normal puisque vous êtes des élus du peuple, mais lorsqu'on les interroge  c'est un peu plus rassurant  sur l'école de leur secteur, sur le collège de leur quartier ou sur le chef d'établissement qui s'occupe de leurs enfants, le jugement devient, heureusement, nettement plus positif.

A l'issue de notre échange, je serais tenté de rejoindre mon rectorat avec le moral passablement dégradé. D'un autre côté, je me souviens que, ce matin, j'étais avec l'une de vos collègues dans un lycée professionnel du Val-d'Oise où, ensemble, nous avons ouvert une journée consacrée à l'illustration des métiers du bâtiment, ce qui rejoint tout à fait vos préoccupations, et où il s'agissait justement de montrer que, pour nos jeunes élèves, y compris pour les jeunes filles, ces métiers offrent de nombreuses perspectives d'avenir. Nous sommes là au coeur de la problématique profonde, que vous avez évoquée, que représente la nécessité de faire évoluer notre offre de formation et il faut vraiment que nous y travaillions ensemble.

Votre collègue me disait sa reconnaissance à l'égard d'un chef d'établissement assez dynamique et extraordinaire, qui, en quelques années, a remonté et restauré l'image de son établissement. C'est ainsi que, d'un lycée professionnel dans lequel personne ne voulait aller, qui perdait des élèves et dont on fermait des sections, on est passé à un lycée qui, au contraire, a une vraie attractivité et dans lequel on peut rouvrir des baccalauréats professionnels, avec un véritable essor de ces formations.

Le constat que j'en tire et que corrobore mon expérience quotidienne, c'est qu'au niveau des politiques nationales en matière éducative, il est difficile de ne pas être très pessimiste. Pour parler diplomatiquement, j'ai eu le privilège d'accompagner d'assez près un certain nombre de ministres, y compris de majorités politiques différentes et je les ai vus les uns après les autres aboutir à des échecs sur des projets de réforme nationale. Il est donc difficile de ne pas avoir le sentiment que ce sont tous les éléments de blocage et toutes les craintes de notre société qui remontent au niveau national, mais, heureusement, au niveau déconcentré et dans les établissements, je pense que l'on arrive davantage à travailler. C'est là qu'il faut chercher des marges d'action et de souplesse.

J'aurai tendance à en tirer un principe de méthode : la réforme des réformes serait peut-être celle qui mettrait suffisamment de souplesse dans nos modes de fonctionnement pour que les réponses qui paraissent inaccessibles et qui ne peuvent pas s'établir de façon consensuelle au niveau national puissent plus empiriquement, dans l'état actuel de notre société, s'expérimenter et se mettre au point au niveau local.

Cela rejoint le problème de prise en compte des zones en difficulté et de l'éducation prioritaire. Par rapport aux réformes en cours  excusez-moi : je croyais que c'était le sujet  j'ai indiqué ma manière de voir l'évolution des choses, mais, pour pousser plus loin la réflexion, j'irai volontiers jusqu'à dire que la politique de l'éducation prioritaire a été imaginée  c'était sans doute une chose nécessaire et bonne  au début des années 1980 à un moment où, en matière de gestion du système éducatif, on savait fonctionner qu'à partir d'une logique binaire pour la répartition des moyens : soit on est en ZEP et on a droit à tant de moyens, soit on ne l'est pas et on est traité autrement.

Depuis, nous avons fait des progrès de gestion et d'accompagnement des établissements considérables et nous sommes parfaitement en mesure de déplacer les curseurs de façon beaucoup plus souple. Par conséquent, la logique binaire qui consiste à se demander si on est en ZEP ou non n'est plus la question. On peut désormais avoir une logique d'accompagnement fin de chaque établissement en fonction d'une identification des situations locales et on peut parfaitement  ou plutôt ou devrait le faire  y travailler en partenariat.

D'une certaine manière, je pense que l'établissement de critères nationaux et de listes nationales est peut-être un état dépassé de la réflexion et qu'il faudrait peut-être penser à une pratique beaucoup plus déconcentrée et souple qui nous permet, au lieu de nous focaliser sur les étiquettes avec les débats passionnés que cela suscite, y compris chez les étudiants, de déplacer très souplement nos modes d'utilisation des moyens en même temps que nos pratiques pédagogiques.

Cela suppose un certain nombre de principes de méthode. Cela suppose par exemple  nous avons tous une part de responsabilité à ce sujet  que l'on réfléchisse aux conséquences que cela peut avoir sur le statut des enseignants et sur les indemnités accordées aux personnes. Vous connaissez l'importance de ce facteur de rigidité dans le système des aides. Pour ma part, je proposerais que les moyens que l'on consacre actuellement à assurer une rémunération supplémentaire sous forme d'indemnités aux enseignants parce qu'ils sont en ZEP de même que les moyens que l'on consacre de façon uniforme à faire des abattements du nombre d'élèves par classe en ZEP, sujet dont M. Renard a parlé tout à l'heure, soient mis beaucoup plus souplement à la disposition de l'établissement de façon globale et que ce soit à lui, en fonction de son projet, de décider de leur utilisation. Plutôt que d'accorder systématiquement une prime ou une indemnité pour chaque enseignant simplement parce que le hasard des mutations l'a amené dans un établissement en ZEP (avec tous les effets pervers que cela peut avoir dans une logique de mercenariat : le plus souvent, il ne songe qu'à accumuler les points d'ancienneté pour en partir le plus vite possible), je propose que l'on mette ces moyens à la disposition de l'établissement pour permettre à celui-ci d'améliorer son mode de fonctionnement et, par là même, d'attirer les enseignants au lieu de les rémunérer pendant quelque temps pour les faire fuir ensuite.

Ce sont des choses sur lesquelles il me semble que l'on pourrait travailler et qui ont pour point commun de reposer sur une logique qui consisterait à renvoyer à un niveau beaucoup plus déconcentré le traitement de ce genre de problème, en gardant au niveau national une définition des grands objectifs et un certain nombre d'outils de régulation et d'évaluation. Il me semble qu'il faudrait réfléchir sur des éléments comme ceux-là.

J'en viens à ma deuxième remarque de méthode. Dans notre échange, ce qui apparaît clairement  plusieurs d'entre vous l'ont dit et nous en sommes parfaitement conscients , c'est que l'on fait porter sur l'éducation nationale des responsabilités énormes et très au-delà, soyons francs, de celles qu'elle est en mesure d'assumer. Il me semble donc qu'il est nécessaire, dans la situation complexe de notre société et dans cette atmosphère de scepticisme à l'égard de l'éducation nationale, de recentrer son action sur un certain nombre d'objectifs essentiels.

Je ne veux pas dire par là qu'il ne faut pas que nous soyons impliqués dans la politique de la ville et qu'il ne faut pas jouer un rôle, mais n'oublions pas qu'il est primordial de faire en sorte que l'on apprenne mieux le français, le calcul et les mathématiques aux élèves, que nous avons des marges de progression dans ce domaine et qu'il faut remobiliser nos enseignants sur ces points, parce que c'est sur notre coeur de métier qu'il faut que nous améliorions nos performances avant tout le reste. C'est d'ailleurs là-dessus que l'opinion publique doit nous demander des comptes de façon très légitime.

Cela m'amène à mon troisième point en réponse à votre très belle question, monsieur le Sénateur : « quels sont vos adversaires éducatifs ? » J'ai beaucoup aimé la formule, même s'il n'est pas facile d'y répondre. Si vous me permettez de tenter une réponse très libre, je dirai que nous avons deux adversaires.

Le premier est le pessimisme social. Il est très difficile de faire fonctionner un système éducatif dans un état de notre société qui pousse le pessimisme à un tel point. Les grandes heures du système éducatif étaient à l'utopie sociale, à la confiance en l'avenir et en la capacité collective des hommes à améliorer leur sort par le savoir. C'est peu de dire que nous ne sommes pas vraiment dans ce type de mentalité dominante. Nous sommes donc en permanence interpellés et pris dans cette ère du soupçon qui caractérise notre époque et, honnêtement, il est très difficile de continuer à faire fonctionner le système éducatif dans ce contexte, si ce n'est en essayant de mettre en évidence des micro réussites, des talents individuels et des choses qui fonctionnent malgré tout pour que les gens ne baissent pas les bras. Cela demande beaucoup d'énergie et d'investissement aux individus et c'est très lourd.

En gros, on demande d'autant plus aux individus que le système et la société leur apporte moins et les aide moins. C'est très exigeant pour tous nos concitoyens et tous les personnels de l'éducation nationale, mais ce n'est pas pour rien dans le sentiment de crise qu'ils expriment souvent.

Notre adversaire n'est pas seulement le pessimisme social ; c'est aussi le pessimisme éducatif, dans lequel nous avons notre part de responsabilité. Je n'ai pas de réponse toute faite sur ce point et je ne sais pas comment il faut expliquer la révolte des banlieues. Il y a à mon avis trop de phénomènes et d'éléments, mais je suis au moins sûr d'une chose, c'est que le pessimisme éducatif génère chez les élèves un sentiment d'échec, que le sentiment d'échec génère la haine et l'agressivité et que tout cela se noue très tôt. A chaque fois que l'on dit à un gamin : « Tu n'y arriveras pas », on apporte sans doute, involontairement, une petite pierre à ce sentiment de désespérance qui, ensuite, nourrira la révolte.

Il est primordial  nous y avons notre part de responsabilité et nous pouvons essayer d'y travailler au sein de l'éducation nationale  de nous battre contre le pessimisme éducatif. Dans mon académie, pratiquement à tous les niveaux du système éducatif, il y a une culture du redoublement très excessive. L'académie de Versailles a des taux de redoublement supérieurs de 2 à 3 % aux taux nationaux. Avec les chefs d'établissement, nous améliorons peu à peu la situation et j'essaie de lutter contre ce pessimisme parce que je suis fondamentalement persuadé que le sentiment de réussir donne les capacités de la réussite et qu'inversement, quand on installe les gens dans une situation d'échec, on provoque tous les comportements et toutes les conduites d'échec et, ensuite, de révolte. Ce sont des choses comme cela qu'il faut essayer de faire modestement et quotidiennement.

Votre compréhension et le soutien des élus n'est pas inutile dans ce travail parce que l'éducation nationale ne peut pas y arriver seule et que, si elle est en butte à la suspicion, il lui devient effectivement très difficile de réussir.

M. Bernard SAINT-GIRONS .- Je voudrais répondre très simplement à une question qui a été clairement posée par le rapporteur sur la manière dont j'ai vécu les événements de novembre. Evidemment, je les ai vécus comme un échec, et tout responsable de l'éducation nationale, à quelque niveau qu'il se situe, ne pouvaient pas le vivre autrement en constatant que des élèves, ou des anciens élèves, étaient dans une posture d'incivisme avérée. Il n'y a donc pas de rupture avec cette réalité. De nombreux enseignants ont vécu cela comme un vrai échec personnel.

A ce point de vue, tout en accueillant un certain nombre de remarques faites à leur encontre, je tiens à souligner que le service public d'éducation est présent au coeur des territoires les plus difficiles. Je renverrai ceux qui en doutent à la visite de quelques établissements de Seine-Saint-Denis. Allons voir le collège Thorez, au coeur du Clos Saint-Lazare ; nous y verrons des enseignants qui vont travailler parfois la peur au ventre et il faut aussi entendre cette inquiétude. Ce n'est pas de la complaisance. Il s'agit simplement de prendre acte du fait que, lorsqu'on regarde ces territoires les plus difficiles, on se rend compte que l'école et le collège y sont et doivent y rester profondément présents.

Le deuxième point que je voudrais évoquer (en étant soucieux, cette fois-ci, de ne pas faire un hors sujet : il arrive même à ceux qui en font leur métier de le commettre) rejoint la question suivante : quel est votre ennemi ? Mon ennemi, c'est que beaucoup de nos jeunes interlocuteurs n'ont plus le sens de l'école, c'est-à-dire qu'ils ne voient pas où l'école peut les conduire parce que, très souvent, ils ont, au coeur de leurs proches, des gens qui ne l'ont jamais fréquentée ou qui, l'ayant fréquentée se retrouvent dans la désespérance qu'évoquait tout à l'heure le recteur Boissinot. C'est ce problème qui est au coeur de toutes nos préoccupations. Comment pouvons-nous faire en sorte que l'école porte de l'espoir, un projet personnel, un projet de vie ?

Je ne voudrais pas stigmatiser la Seine-Saint-Denis, mais nous savons bien que, dans un certain nombre de nos cités, il y a d'autres moyens d'avoir une existence sociale plus rapide que celle qui consiste à passer par l'école. Dans un département où j'étais précédemment, un professeur d'éducation physique issu de l'immigration qui a continué à vivre dans sa cité après être devenu professeur m'a dit : « J'étais l'exemple de la réussite. Aujourd'hui, je suis un pauvre type parce que j'arrive avec ma 4 L alors que je suis entouré de limousines allemandes qui appartiennent à des gens qui n'ont pas du tout suivi le même parcours scolaire ».

Par conséquent, il faut que nous sachions dessiner des parcours qui offrent des vraies sorties. L'un des enjeux fondamentaux, c'est l'orientation. Il ne s'agit pas de dire que les conseillers d'orientation ne font pas leur travail  c'est un autre débat , mais que l'orientation ne va pas au coeur des débats. A l'heure actuelle, il nous est difficile de rendre lisibles certains parcours. Il n'est pas normal que des jeunes gens découvrent un jour, presque au hasard de leur terminale ou de leur 1 ère , qu'il existe la rue Saint-Guillaume ou la rue des Saints Pères et qu'ils ne sachent même pas ce qu'était l'autre côté du périphérique ! C'est dire que nous sommes là dans un déficit majeur.

Si on ne dit pas où les parcours peuvent conduire, quelle envie, quelle appétence pouvons-nous donner à de jeunes élèves d'aller jusqu'au bout d'un parcours au regard duquel ils ne sont pas dans une appétence naturelle ? Peut-être avions-nous nous-mêmes un appétit modéré lorsque nous étions dans les mêmes situations qu'eux, mais nous avions simplement la chance qu'un jour, quelqu'un nous rattrape par la peau du dos.

Il y a un vrai problème de l'orientation et de l'information. Il ne s'agit pas de dire simplement : « Tu peux faire S ou STI » mais : « Voici à quoi cela t'amène » ou bien, ce qui est une autre version de la question : « Si tu as envie d'aller vers tel métier, voici les voies par lesquelles tu peux y arriver ».

Si nous ne retrouvons pas le sens du parcours scolaire et l'attente qu'un parcours scolaire peut résoudre, nous aurons de nouveaux mois de novembre parce que nous aurons des jeunes en déshérence de parcours personnels.

Ma troisième remarque concerne les emplois jeunes, qui ont permis de résoudre certains des besoins de l'éducation nationale, mais qui ont surtout donné à un certain nombre de jeunes gens une nouvelle estime d'eux-mêmes et une nouvelle chance. Il me semble que cela correspond, sous d'autres mots, à ce qu'on retrouve avec les différents CAE ou contrats d'avenir qui sont aujourd'hui dans la réglementation ou la législation. Au-delà des dispositifs en question, il s'agit aussi de rattraper les élèves en grande rupture scolaire qui sont aussi nombreux sur nos territoires.

Comment retrouve-t-on ces jeunes gens, comment les repère-t-on avant qu'ils arrivent avec un casier judiciaire un peu préoccupant, comment peut-on les identifier et les récupérer et comment les remet-on dans des dispositifs d'apprentissage ? C'est un enjeu majeur pour nous. Il faut avoir l'école de la deuxième chance, les missions générales d'insertion, etc. Peu importe : il n'y a pas de recette, parce que, pour le coup, nous sommes dans du traitement individualisé.

Excusez-moi de m'être un peu enflammé, mais il fallait aussi que je réponde.

M. Pierre POLIVKA .- Je partage tout ce qui vient d'être dit et je souhaite répondre très concrètement à deux questions qui ont été posées.

La première concerne la définition des « réseaux ambition réussite ». Je ne veux pas fuir mes responsabilités, mais l'une de mes missions est de proposer au ministre la liste des « réseaux ambition réussite » et je puis vous assurer, madame, que cette liste a été constituée à partir de critères que l'on peut peut-être critiquer mais qui sont objectifs. Je tiens d'ailleurs à saluer ici le recteur Boissinot car, sans son intervention, les collèges du Val d'Oise n'auraient pas été retenus dans la liste initiale.

Je vais vous en expliquer les raisons, comme je l'ai fait à certains de vos collègues qui m'ont écrit pour me demander comment avait été fait ce choix. Nous avons pris des critères objectifs qui sont retenus dans nos bases de données et il y a eu un débat sur les 164 établissements puisqu'il y avait eu une fuite. Nous avons retenu des critères très objectifs : ces critères ont été soumis à l'appréciation des recteurs d'académie qui, connaissant nettement mieux le terrain que nous en administration centrale, nous ont proposé des établissements qui, sans répondre exactement aux critères nationaux, accueillaient des élèves en très grande difficulté. Cela dit, je suis prêt à répondre concrètement à chacun d'entre vous lorsque vous avez des interrogations à ce sujet et je peux vous assurer que je tiendrai mes engagements.

En deuxième lieu, je répondrai à la question intéressante qui a été posée sur le maillon faible. Très longtemps, on a fait porter sur le collège une responsabilité qui n'était pas la sienne. Je crois d'ailleurs que M. Renard l'a très bien rappelé en précisant qu'aujourd'hui, dans les collèges en difficulté que vous connaissez, les principaux et les enseignants accueillent des élèves qui ne maîtrisent par suffisamment les apprentissages fondamentaux. C'est pourquoi il a été décidé de recentrer les efforts sur les premières années de l'école primaire et également sur l'école maternelle, en particulier sur la scolarisation à 2 ans. Il faut effectivement que nos élèves puissent maîtriser la lecture dès le CP. En effet, nous connaissons une grande partie des jeunes qui sont peut-être allés jusqu'à mettre le feu à certains établissements scolaires et qui sont en pleine déshérence et nous pouvons reconstruire leur parcours scolaire. Pour l'essentiel, ce sont des élèves qui, sortant de l'école primaire, ne maîtrisaient nullement les apprentissages fondamentaux et qui ressentaient l'école comme un échec, comme l'a dit M. Renard, l'école étant l'expression même de leur échec dans la société et dans la vie. L'objectif est donc bien le retour aux apprentissages fondamentaux.

Pour autant, je pense que l'une des raisons des difficultés que nous rencontrons doit être trouvée dans le constat que nous faisons dans toutes les études des académies. Comme on le dit très concrètement, les écarts se creusent, c'est-à-dire que les meilleurs élèves progressent toujours et que les élèves les plus en difficulté connaissent de plus en plus de difficultés. A cet égard, nous sommes victimes d'une représentation que nous avons de l'école et je vais vous en donner une illustration : la façon dont notre école maternelle a évolué dans les dernières années.

L'école maternelle française a longtemps été réputée comme la meilleure du monde, peut-être parce qu'elle est souvent l'une des seules, mais l'objectif de l'école par son créateur, Pauline Kergomard, était de préparer les élèves qui ne l'étaient pas dans leur famille à intégrer un parcours scolaire. Aujourd'hui, l'école maternelle a changé de nature  on pourrait développer ce point, mais je n'en ai pas le temps  et, pour beaucoup de parents, l'école maternelle n'est plus une école de la socialisation et de la préparation à la vie mais une préparation à la réussite scolaire et académique.

C'est ainsi que l'un de mes collègues inspecteurs généraux, M. Attali, a pu écrire qu'en France, deux cents écoles maternelles préparaient à l'école polytechnique. Je veux dire par là que l'on a quelquefois perverti le système éducatif et, ainsi, l'élitisme républicain.

Je pense qu'il faut revenir à une conception de l'école maternelle qui prépare les élèves les moins préparés dans leur milieu social à intégrer un parcours scolaire et, ensuite, à acquérir les apprentissages fondamentaux. Il faut donc se recentrer sur l'essentiel, comme l'a rappelé le recteur Boissinot, c'est-à-dire faire vraiment une entrée pédagogique et didactique des problèmes. Des élèves mieux formés à l'école élémentaire pourront mieux intégrer le collège et mieux comprendre les enjeux auxquels ils seront confrontés à l'avenir.

Je terminerai par un mot : comme j'ai pu le constater en tant qu'ancien inspecteur d'académie, je pense qu'en dépit de votre vécu, les relations entre les élus et les représentants de l'administration sont plus sereines et plus complémentaires que vous ne l'avez laissé entendre. J'ai également pu constater dans une autre partie de ma vie que les relations entre les représentants de l'éducation nationale et les élus sont de bonne qualité. Il est vrai qu'à certains moments, il y a des situations de conflits qui sont liées à notre organisation, mais je pense que, globalement, nous pouvons nous féliciter du dialogue qui existe entre l'administration de l'éducation nationale et les élus que vous êtes.

M. Alex TÜRK, président .- Sur ce dernier point, j'ai trouvé mes collègues un peu dubitatifs, pour vous dire la vérité, en les observant une fraction de seconde.

M. Nicolas RENARD .- Je suis principal d'un gros collège dans les Hauts-de-Seine, fort agité dans le passé et très médiatisé. A l'heure actuelle, vers 19 h 15 ou 19 h 30, nous sommes obligés de faire un appel au micro pour permettre aux derniers enseignants qui travaillent encore avec quelques parents de sortir afin qu'on ne les enferme pas le soir. Vendredi dernier, je suis sorti à 19 h 30 et j'avais sur le trottoir quatre collègues qui arrivaient chargés de sacs parce qu'ils organisaient le 31 e repas avec des parents dans le quartier. Cela veut dire que ces enseignants sont venus trente fois au collège, le soir, pour organiser des repas dans un local associatif, afin que les choses soient relativement neutres et les relations gratuites avec les parents.

Je ne vais pas en rajouter : le but n'est pas de vous faire pleurer. Ce que je dis là concerne un grand nombre d'établissements et, grâce aux contacts que nous avons à l'Observatoire des Zones Prioritaires (OZP), où nous voyons beaucoup de monde, nous savons que ce ne sont pas du tout des cas isolés. Ce n'est peut-être pas généralisé, mais nous essayons de faire ce que nous pouvons et je rejoins tout à fait ce que disait le recteur Boissinot tout à l'heure : entre l'image globale de l'Education nationale aujourd'hui et celle que l'on a dans le quartier, il y a un écart absolument énorme sur lequel il est intéressant de s'interroger.

Mme Raymonde LE TEXIER .- C'est la même chose pour les élus ! Nous sommes tous bons à jeter aux chiens, sauf dans notre ville, pour nos électeurs qui nous apprécient !... ( Rires .)

M. Nicolas RENARD .- Le deuxième point que j'aborderai concerne la notion d'adversaire. Pour ma part, je ne parlerai pas d'adversaires mais de points de résistance.

Je commencerai par citer l'échec scolaire. Certes, nous avons parlé un peu des événements, mais on l'a fait sans aborder la question directement. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'une des premières causes, à mes yeux, même si elle est lointaine, c'est le problème d'un certain nombre de parcours d'échec dans le domaine scolaire. Cela dit, je ne pense pas que nous soyons le seul pays au monde aujourd'hui à rencontrer des difficultés dans ce domaine et il ne faut pas non plus s'auto-flageller parce que le défi est énorme et que nous les conditions sociales et culturelles que nous connaissons font que ce problème se pose dans beaucoup de pays, et en particulier chez nous.

Sur cette question, je pense que l'on doit s'interroger véritablement, parce que la question est énorme et que l'éducation nationale a probablement, dans ce domaine, de grandes lourdeurs qui tiennent à l'institution, à des syndicats et à un ensemble de choses. Certes, c'est un sujet complexe et lourd.

Cela dit, on sent un certain nombre de tentatives, mais j'évoquais tout à l'heure la difficulté d'accompagner les dispositifs que nous mettons en place : nous sentons un certain nombre de tentatives qui vont probablement dans le bon sens, mais il est vrai que nous avons probablement du mal à les accompagner.

Enfin, il ne faut quand même pas nous charger de tous les maux de la terre en pensant en particulier aux événements de l'automne. Nous essayons souvent de faire ce que nous pouvons, mais nous nous heurtons à des difficultés qui nous dépassent complètement. Pour parler simplement des problèmes de mixité sociale ou de carte scolaire, nous n'avons, hélas, pas complètement la maîtrise sur cette question.

M. Arnold BAC .- Je tiens à excuser Anne-Marie Houillon, qui a dû prendre un train pour rentrer en province où une autre réunion l'attend.

Je souhaite tout simplement reprendre le sous-titre suivant d'un ouvrage : « Pour que la République démocratique, laïque et sociale tienne ses promesses », en faisant référence à la Constitution de notre République qui parle de « République laïque, démocratique et sociale ». Il faut simplement qu'elle soit vécue comme une réalité et comme quelque chose de palpable pour des couches de la population qui ne la vivent pas comme telle.

Ce que j'ai entendu dans le deuxième tour des prises de parole montre que ce qui se passe sur le terrain est tout à fait prometteur. Le problème, c'est que, trop souvent, nous entendons dire qu'à tel ou tel endroit, il se passe des choses extraordinaires alors que, par ailleurs, ce n'est pas forcément aussi formidable.

La question qui se pose pour nous tous (et je vous y inclus, mesdames et messieurs), porte sur la manière de parvenir aujourd'hui à ce que des collèges comme celui qui a été décrit par mon voisin puissent être extrêmement répandus. Il a dit que ce n'était pas un cas rare et il a raison, mais on ne peut pas dire aujourd'hui que ce type de fonctionnement soit la règle générale. Or on sait bien que ce type de fonctionnement et de lien avec les familles et les jeunes est la façon de permettre que les situations bloquées aujourd'hui se débloquent.

Le problème est donc de trouver les conditions pour le permettre. Je pense que ces conditions relèvent d'un débat et je souhaiterais que ce débat soit au coeur des prochaines échéances électorales, c'est-à-dire qu'on ne parle plus de l'école uniquement en termes de sécurité ou de violence, même si ces problèmes sont une réalité qu'il faut traiter, mais en termes d'espoir, d'avenir et de propositions pour permettre à cette école de tenir ses promesses au même titre que la République. C'est aussi le défi majeur qui nous est lancé.

L'école a su répondre à des défis majeurs au cours de son histoire et, aujourd'hui, elle est confrontée à des défis qui sont ceux de notre période. Je pense qu'elle peut y parvenir si nous arrivons à fédérer toutes les forces, comme je le disais tout à l'heure dans mon propos. Encore une fois, je pense que cette question est au coeur de notre débat, au-delà du travail de cette mission, pour faire en sorte que nous n'ayons pas une caricature de débat, ce qui est trop souvent le cas lorsqu'on parle d'école.

Je pense à des débats  je ne les nommerai pas  qui ont lieu sur les médias télévisés et qui, souvent, pour des raisons que je ne vais pas détailler, contraignent à la caricature alors qu'aujourd'hui, s'il y a une question qui ne doit pas être caricaturée, c'est bien celle de l'éducation et de l'école dans notre pays ainsi que celle de la citoyenneté et de l'emploi, c'est-à-dire ce à quoi elle doit préparer.

M. Alex TÜRK, président .- Je tiens à vous remercier particulièrement parce que vous avez parlé d'un deuxième tour et que vous avez bien voulu, après un premier tour qui ne nous a pas ménagés, apporter des réponses telles que vous les ressentiez à un moment donné. Vous avez dit, monsieur le Recteur, qu'il fallait vous pardonner de vous être enflammé, mais nous sommes ravis que nos interlocuteurs s'enflamment et essaient de faire ressortir ce qu'ils ressentent véritablement.

M. Jacques MAHÉAS .- J'interviens encore une fois pour qu'il n'y ait pas d'équivoque. Nous avons posé des questions qui sont peut-être parfois abruptes, mais, comme je le dis toujours aux enseignants, c'est quand même vous qui réussissez le mieux avec nos élèves. C'est dans cet état d'esprit d'amélioration qu'il faut entrevoir cet échange. Je ne voudrais donc pas que vous partiez avec un moral à zéro et en poussant de grands cris.

Notre groupe, qui a une sensibilité particulière, est très exigeant et veut que notre éducation nationale réussisse pleinement. Ceci explique peut-être cela.

M. Alex TÜRK, président .- Cette sensibilité particulière et néanmoins partagée par tous nous amène à considérer que c'est notre devoir de vous poser des questions et vous avez pensé que c'était le vôtre d'y répondre de la même manière.

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