Table ronde consacrée au logement et à l'urbanisme :
M. Roland CASTRO, architecte,
Mme Dominique DUJOLS, directrice des relations institutionnelles et du partenariat,
et Mme Béatrix MORA de l'Union sociale pour l'habitat (USH),
M. Bernard LACHARME, secrétaire général du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées,
Mme Anne PÉRÉ, vice-présidente du Conseil français des urbanistes (CFDU)
(16 mai 2006)

Présidence de M. Alex TÜRK, président.

M. Alex TÜRK, président .- Nous ouvrons cette séance consacrée aux problèmes de logement et d'urbanisme et je vous suggère de procéder comme nous le faisons traditionnellement dans le cadre de nos auditions, c'est-à-dire en donnant la parole à chacun dans l'ordre alphabétique.

Je vous propose de vous exprimer une douzaine de minutes pour faire la synthèse de vos préoccupations en la matière, après quoi chacun pourra vous poser des questions. Vous pourrez ensuite répondre à tel ou tel questionnement en fonction de vos propres préoccupations, ce qui vous permettra de sélectionner les questions qui vous paraissent les plus importantes, dans la mesure où nous ne pourrons évidemment pas toutes les traiter.

Je passe immédiatement la parole à M. Roland Castro, architecte bien connu.

M. Roland CASTRO .- Premièrement, je ne sais pas séparer la question du logement de la question urbaine, et je vais vous en donner quelques illustrations.

Deuxièmement, je ne sais pas séparer la question du logement de la question de la forme de ce logement. A cet égard, je me sens obligé d'évoquer la catastrophe urbaine qui a eu lieu après-guerre avec ce que l'on a appelé les grands ensembles et l'effet des mouvements modernes dans la fabrication de la ville.

Troisièmement, je ne peux pas séparer la question du logement de la question politique et de la position des institutions, ni celle des éléments importants de la vie publique ou culturelle par rapport aux aspects urbains.

Enfin, je ne sais pas séparer la question du logement de celle de la beauté du logement.

Je vais énumérer ces quatre points en commençant par le dernier.

Qu'est-ce que la beauté du logement ? Cela rejoint le sentiment de dignité. Si on habite un beau logement, ce logement n'en rajoute pas sur votre condition. Vous pouvez être chômeur ou vous appeler par un nom impossible à prononcer : le logement peut vous donner ou non le sentiment d'une appartenance. Le beau bâtiment est digne ou indigne. Comme je l'ai vérifié dans les quartiers que j'ai transformés, une fois qu'ils sont transformés et embellis, les habitants reçoivent à nouveau chez eux.

Deuxièmement, je ne sais pas séparer la question du logement de celle du quartier. Certains quartiers donnent un sentiment d'appartenance et d'autres, au contraire, donnent un sentiment de stockage, de non-identité. Quand je considère les choses sous un angle politique entre citoyenneté et citadinité, entre qualité de l'habitat et participation à la vie publique, je constate que, dans certains quartiers extrêmement mal faits et datant de la pire époque, on trouve des taux d'abstention énormes aux élections politiques, indépendamment des étrangers qui ne votent toujours pas aux élections locales dans ce pays. Il y a donc un vrai rapport entre citadinité et citoyenneté.

Troisièmement, il y a un rapport entre la question du logement, la question du quartier et la question de la position des institutions et des grands événements publics par rapport à ce quartier. Pour simplifier, on peut dire que cela rejoint la question des banlieues, qui concentrent un habitat qui ne donne pas ce sentiment de dignité, même si ce n'est pas le cas de tous les habitats : les cités jardins des années 30 fabriquées dans la tradition jauressienne ont été formidables et les HBM situées autour de Paris sont un habitat social admirable. On constate que ce n'est plus le cas soixante ans plus tard. Il y a donc une régression dans l'histoire urbaine et architecturale qui fait que l'on fabrique dans de très nombreux territoires de banlieue un habitat beaucoup moins digne que celui-là : on y fabrique des quartiers enclavés et « paumés ».

En suivant la chronique des émeutes de novembre, on constate que le surenclavement continue de défrayer la chronique. C'est le cas de Montfermeil, qui est enclavée dans l'enclavement, si je puis dire.

Enfin, on trouvera beaucoup moins de services publics dans ces quartiers qu'ailleurs et on ne trouvera aucun signe public d'une présence importante de la République.

A part cela, je peux vous dire qu'il n'est pas assez abondant, qu'il y a une crise très grave dans le logement social et qu'il n'y a qu'une seule solution pour la résoudre : l'organisation de l'abondance. A ce sujet, on pourrait évoquer des procédures un peu angoissantes, plus une pensée écologiste bas de gamme qui raconte des histoires de non-densité, de villes à la campagne ou de villes dans les arbres qui sont complètement débiles, qui produisent de la non-ville et qui sont extrêmement dangereuses sur le plan de la fabrication urbaine ! Je pense donc qu'il faut de l'abondance face aux énormes problèmes du logement social et de son accès social, mais j'imagine que beaucoup de gens l'expriment mieux que moi.

Cela dit, en ce qui concerne la question urbaine et architecturale et celle du logement, que je ne sépare pas, je vais évoquer ce que j'imagine pour Paris et sa métropole, c'est-à-dire sa banlieue. Certains n'aiment pas que j'emploie le mot « grand Paris », mais c'est quand même le territoire de l'ancien département de la Seine.

Au moment des grands projets que François Mitterrand a lancés, je m'étais bagarré pour que la grande bibliothèque soit à l'emplacement actuel du grand stade, ce qui aurait permis d'envoyer un signe extrêmement fort de la République : la mémoire du monde aurait été située entre les rois de France et les Francmoisins, l'un des quartiers les plus difficiles de la Seine-Saint-Denis. Je m'étais également bagarré pour que l'opéra Bastille soit au confluent de la Seine et de la Marne. L'idée était d'envoyer des signes forts de la République pour porter une présence sur le territoire métropolitain, c'est-à-dire dans la banlieue et les coins les plus perdus, et pour obliger tous les citoyens de la métropole à s'y rendre.

C'est une bagarre que j'ai perdue : sous Mitterrand, on a renforcé le grand Paris monarchique. Il reste le miracle de la Défense, avec la grande arche, mais cela correspond à une sorte de privilège d'extra territorialité.

Alors qu'aujourd'hui, la question des banlieues est récurrente et que les mesures qui ont été prises  je demande aux membres de la majorité de me pardonner  sont nullissimes et trop faibles par rapport à l'enjeu des émeutes de novembre, je propose qu'à l'échelle métropolitaine, ce qui peut être valable pour n'importe quelle ville ou n'importe quel type d'agglomération, on opère une révolution copernicienne en quittant Galilée et le renforcement du centre historique et en commençant à envisager une centralité périphérique.

La friche d'une centralité périphérique existe dans la métropole : l'A 86 va être enfin bouclée, le grand tram existe entre Saint-Denis et Bobigny ainsi qu'entre la Défense et le Pont de Sèvres et il peut être bouclé. Une autre ligne avait été déterminée depuis longtemps : celle des quatorze forts situés autour de Paris, des lieux magiques et merveilleux et des Montmartre potentiels et fécondables.

Comme il n'y a aucune raison que le gouvernement ne soit pas au milieu du peuple et comme il se trouve que je fais par ailleurs une campagne présidentielle en tant que citoyen, ma vie n'étant pas coupée entre celle de l'architecte et celle du citoyen, je propose carrément que l'Élysée soit à la Plaine Saint-Denis, Matignon à Saint-Denis, le quai d'Orsay à la Courneuve, la place Beauvau à Rosny-sous-Bois, etc. On déplierait ainsi tout l'appareil d'Etat dans la centralité périphérique de la métropole afin d'envoyer un signe extrêmement fort de réconciliation du pouvoir et des banlieues.

Je suis parti du petit logement pour arriver à ce projet important. J'ajoute que, sur cette ligne, on peut mettre toutes les grandes entreprises publiques et toutes les grandes directions et fabriquer un grand tramway tout autour. J'ai même établi que si l'on vendait au prix du marché les 150 hectares de bâtiments publics de ce type existant dans Paris en gardant 50 hectares pour faire 15 000 HLM dans Paris, il resterait encore 100 hectares, soit 15 milliards d'euros, avec lesquels on peut se payer le grand tram (1,1 milliard), les ministères reconstruits, 30 000 logements HLM et 80 000 logements étudiants, plus le service public du médicament sur le canal de l'Ourcq, qui est très beau !

Tout cela pour dire qu'à mon avis, la question du logement élargie à celle des banlieues est probablement la question la plus grave de la société française, dans laquelle le temps libre commence à l'emporter sur le temps servile. Cette question de « l'habiter » en citoyen est extrêmement sérieuse et n'a jamais été prise à bras le corps. Cela fait 25 ans que tout le monde est alerté sur ce point, 25 ans que les choses ne vont pas, parfois même avec des passages à l'acte graves, 25 ans que l'on se recouche après le passage à l'acte et que l'on s'endort en prenant trois mesures sympathiques et parfois intelligentes.

Seul l'Anru a été fait à l'échelle qui convient. Je pense que l'Anru est le seul moment politique auquel, en France, on a pris à bras le corps la question du logement et des banlieues, même si on a commis l'erreur d'insister sur la démolition, une erreur dramatique sur le plan de la mémoire des gens, d'autant plus qu'on l'a fait dans le mauvais ordre : au lieu de parler de démolition-construction, il faudrait parler de reconstruction avant toute démolition. On a été très dogmatique en ce qui concerne la démolition alors qu'il vaut beaucoup mieux remodeler les choses. Des maires qui me connaissent ici savent que l'on arrive à le faire.

La seule chose qui a été faite à l'échelle de cet enjeu, c'est l'Anru et je pense donc que, si la gauche revient, ce que je souhaite pour ma part, il faut garder l'Anru. Dans notre pays, la politique de la ville a été massacrée par les alternances alors qu'elle devrait être votée au Parlement à l'unanimité et bénéficier d'une très grande continuité.

Dans notre monde qui vit sur l'événement et les aspects médiatiques, les choses valent quinze jours alors que la question urbaine et celle du logement sont des sujets de longue durée. Cela prend du temps et l'échéance dépasse un mandat municipal : il faut au moins deux ou trois mandats pour transformer un quartier. Il est plus facile, pour un maire, de faire une médiathèque, de l'inaugurer et de se faire réélire pour passer au gymnase la fois suivante que de retricoter un quartier. Cela demande une sorte de mobilisation dans la durée qui devrait échapper aux disputes politiciennes avec des budgets similaires à ceux auxquels on a recours quand on fait un porte-avions : des budgets de programmation de longue durée, ce qui est un peu acquis par l'Anru.

Je vous ai dressé un certain tableau, j'ai l'habitude de parler franchement et je pense que la représentation nationale ne devrait pas s'endormir là-dessus, sachant qu'effectivement, tant que rien ne brûle, on s'endort et on s'énerve pour des bêtises ou telle ou telle affaire alors que la nécessité de permettre à la démocratie de trouver le temps de fabriquer la ville est une question très profonde qui rejoint celle de la durée. Je suis persuadé que la perte en ligne des crédits est absolument monstrueuse du fait des changements de bases et de procédures, mais je préfère m'arrêter là pour éviter de tenir un meeting.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie et je passe la parole à Mme Dominique Dujols, directrice des relations institutionnelles et du partenariat de l'Union sociale pour l'habitat.

Mme Dominique DUJOLS .- Sans avoir le talent de Roland Castro, je vais essayer de poursuivre son propos en étant d'accord sur certains points et non pas sur tous.

L'Union sociale pour l'habitat regroupe 850 organismes HLM répartis en cinq familles, les offices publics, les sociétés anonymes, les coopératives et les sociétés de crédit immobilier, qui représentent un total de 4 millions de logements, dont environ 1 million en ZUS, soit approximativement 4 millions de personnes, et 65 000 agents.

Je diverge un peu de l'analyse de Roland Castro, non pas sur sa critique du mouvement moderne, mais sur son idée de catastrophe de l'après-guerre. Je pense en effet que le mouvement de construction de l'après-guerre et son amplification au début des années 60 répondaient à un vrai besoin et ont rendu un vrai service. Certes, ce service est aujourd'hui obsolète, on n'est plus dans la logique dans laquelle on construisait pour cent ou cent cinquante ans et le dispositif a très vite trouvé ses limites. Pour autant, en termes de dignité, cela a permis de loger des gens qui arrivaient soit de la campagne, soit d'au-delà des mers et qui, surtout, n'avaient jamais connu le minimum de confort et de dignité dans leur habitat. Même si cette période a vécu, je pense qu'il faut s'en souvenir.

J'ajoute que tous ces logements ne sont pas de très mauvaise qualité. Ils ont simplement été construits assez loin et ils ont été liés à la perspective de remplir une fonction : les relogements dus à l'exode rural, à la guerre, aux rapatriements et aux mouvements de migration, mais aussi à une logique liée à l'industrie. On cite aujourd'hui de grandes cités et on demande à la société tout entière d'en rendre compte, mais on oublie que c'était pour Renault, Peugeot et autres entreprises, sachant que, dans une période de croissance, les inconvénients n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui.

Le problème, c'est que beaucoup de ces grandes cités ont été achevées au moment où les usines ont commencé à fermer, à partir du premier choc pétrolier : cela fait trente ans qu'on ne construit plus de tours et de barres, ce qui est heureux. Malheureusement, les populations l'ont mal vécu. Montfermeil, que M. Castro a citée, était une copropriété bourgeoise : il était très bien d'aller à Montfermeil, d'autant plus que c'était la campagne et que le site était lié à Victor Hugo. On juge cela aujourd'hui avec le recul et il est bon que la société s'interroge sur une responsabilité collective, mais les choses n'étaient pas aussi évidentes à l'époque.

Nous avons surtout des populations de travailleurs migrants qui sont souvent devenus chômeurs, qui sont restées dans ces quartiers et qui vivent aujourd'hui très mal. Le problème est à la fois lié au logement et aux formes urbaines  nous ne le contestons évidemment pas , mais également à l'emploi, à l'école ou à l'intégration, c'est très compliqué.

Je tenais donc à rappeler les services que ce logement a rendus et à préciser que nous en portons la responsabilité. Ce sont des choix collectifs qui ont été faits, nous y avons participé à l'époque et nous continuons à gérer ce patrimoine.

Quant à la politique de la ville, nous avons évidemment été amenés à nous y impliquer, par définition, dès les comités « Habitat et vie sociale » (HVS). Il y a eu beaucoup d'hésitations, de bonnes volontés et de bonnes choses, mais il est vrai que ce mouvement d'alternance des politiques n'est pas bon. La meilleure politique de la ville doit être en effet stable dans le temps, parce que les populations en place et les acteurs locaux se découragent d'entendre dire que ce qu'ils ont fait dans la politique précédente ne valait rien. On a donc besoin de cette stabilité.

Nous avons connu une période très importante pour nous, à la fin des années 90 et au début des années 2000, au cours de laquelle ce que l'on a appelé la gestion urbaine de proximité a été développée. J'ai parlé tout à l'heure de nos 65 000 agents. A la fin des années 80, les deux tiers de nos agents étaient des personnels de bureau, que l'on appelait des agents du siège. Suite à une politique de décentralisation, nous avons réinstallé des agences sur le terrain et remis des gardiens d'immeuble qui avaient disparu. Même si nous n'en avons toujours pas assez aujourd'hui, nous constatons une inversion de nos proportions puisque plus des deux tiers des agents sont sur le terrain. Certes, il faudrait aller encore plus loin, mais je pense qu'aucune autre profession n'en a fait autant dans les grands services publics ou dans les grandes entreprises. Nous sommes retournés sur le terrain avec l'appui des pouvoirs publics qui, naturellement, nous ont aidés à le faire.

A une époque, nous avons mis aussi particulièrement l'accent sur l'accompagnement, la gestion et les politiques curatives et nous avons commencé, après les échecs relatifs des grandes périodes de Palulos et de réhabilitations lourdes qui n'étaient pas suffisantes, à faire des très grandes opérations avec les Grands projets de ville (GPV) et les Opérations de renouvellement urbain (ORU). Il fallait probablement aller plus loin.

Nous avons maintenant un outil qui est l'Anru. Pendant les premières années, on s'est focalisé sur la démolition-reconstruction et on s'aperçoit aujourd'hui qu'il faut adoucir tout cela. Je pense qu'il était bien de lever le tabou de la démolition : il faut en effet pouvoir dire qu'un immeuble doit être démoli et il ne fallait pas en faire un tabou. Pour autant, il est possible que, de nos jours, la répartition entre démolitions, restructurations lourdes et restructurations légères mérite d'être revisitée.

Pour conclure, je tiens à dire que je converge totalement avec la proposition de M. Castro : si on veut régler le problème, il faut construire beaucoup, construire bien, construire bon marché et construire partout en mettant du logement à la disposition des gens à tous les endroits. Face au mal vivre, la mixité commence de l'autre côté de la rue. Il n'y a pas de mixité dans le 6 e arrondissement, pas plus qu'il n'y en a aujourd'hui à Montfermeil ou à la Forestière à Clichy. C'est donc bien en construisant du logement accessible à toutes les catégories et à tous ceux qui en ont besoin (ils sont nombreux puisqu'on sait bien qu'aujourd'hui, les classes moyennes n'arrivent pas à se loger aux conditions du marché), en abondance, de bonne qualité et bien situé que l'on pourra voir des solutions émerger. Il faut donc mettre l'accent à la fois sur l'effort de restructuration et de construction et l'effort de gestion et d'accompagnement. Ce n'est pas mon domaine, mais je pense que l'école et tous les services publics sont aussi extrêmement importants.

Béatrix Mora, qui connaît bien les grandes opérations, va compléter mon propos.

Mme Béatrix MORA .- Je le compléterai sur un ou deux points qui me paraissent au centre du débat aujourd'hui.

Je commencerai par revenir sur les échecs de la politique de la ville, puisqu'on parle essentiellement de ses échecs. Il faut en effet mettre en évidence le fait que la politique de la ville a permis de limiter les effets de la crise sociale. Même si nous n'avons pas d'évaluation sur ce point, la politique de la ville a permis des parcours d'insertion individuelle pour bon nombre de populations. Nous n'avons pas d'évaluation et nous n'avons jamais évalué les cohortes d'habitants ou les groupes générationnels, mais il est vrai que ce sont les populations les moins autonomes et les plus en difficulté qui sont restées dans les quartiers.

Quelle question est-elle au coeur du débat actuel sur l'Anru et la réussite de la rénovation urbaine et quelle est la situation de départ ? Dans la plupart des agglomérations, il faut reconnaître que nous avons une grande disparité de la localisation du logement social, que le logement social bon marché et les grands logements sont concentrés dans les quartiers d'habitat social et que nous nous sommes tous contentés, par résignation, en jouant parfois avec ce point, de la vocation d'accueil de ces quartiers. Nous partons de cette situation.

Nous devons donc nous demander aujourd'hui quels sont le rôle et la place de ces quartiers dans la ville. Vous avez parlé de fonction urbaine dans la ville ; cela rejoint la vocation résidentielle de ces quartiers. Sont-ils destinés à accueillir les populations issues de l'immigration et les populations défavorisées ? Le fait de poser cette question revient à poser la place de ces habitants et de ces populations dans l'agglomération. C'est en ce sens que la rénovation urbaine risque aujourd'hui de bousculer à la fois l'organisation des agglomérations et leur fonctionnement social.

Il est donc important que la rénovation urbaine soit en articulation complète avec les politiques d'agglomération. Ce sont certainement les limites de l'Anru, qui est trop porté par le niveau communal. La reconstitution de l'offre et le relogement des populations sont aujourd'hui sous la responsabilité de la commune alors qu'ils devraient être sous celle de l'agglomération. Il y a là un enjeu majeur.

Par ailleurs, M. Castro a parlé de rythmes et de durées. Il faut effectivement s'inscrire dans la durée et trouver le bon rythme de renouvellement de ces quartiers en fonction du temps des habitants et des capacités des agglomérations à l'absorber.

Il y a différentes typologies de populations et on a un peu trop tendance à homogénéiser les choses et à avoir une approche globale et trop homogène de ces quartiers. La diversité des situations est une réalité. Dans certains quartiers, il faut effectuer des transformations radicales alors que d'autres ne pourront évoluer que très lentement et progressivement. Nous devons en tirer toutes les conséquences en matière de gestion. Ne nous racontons pas d'histoires : certains quartiers ne vont pas changer radicalement en cinq ans ; il faudra dix ou quinze ans. Ces quartiers vont donc continuer à remplir cette fonction d'accueil et il faut en tirer toutes les conséquences en matière de gestion de proximité, d'accompagnement social et de présence des services.

Enfin, je ne sais pas s'il faut aborder le débat entre démolitions et restructurations de cette manière. Il est vrai que l'image de l'entité ou du quartier HLM est complètement dévalorisée et qu'il faut faire évoluer cette fonction résidentielle. Pour ce faire, il faut parfois démolir pour réurbaniser. Il faut donc réussir la diversification des statuts et des typologies de logements dans les quartiers. Nous avons aujourd'hui des quartiers non seulement trop monofonctionnels, mais aussi trop monolithiques du point de vue de l'habitat. J'insiste beaucoup sur la répartition de l'offre dans l'agglomération : il faut des grands logements et des logements à bas loyers. Aujourd'hui, ils sont concentrés dans les quartiers.

Soit on accepte cette situation, auquel cas il faut en tirer toutes les conséquences, soit on essaie de faire évoluer cette structuration de l'offre à l'échelle de l'agglomération et cela prendra un peu de temps. Cela implique qu'il faut travailler plus fortement sur les solidarités entre quartiers et intercommunales et, pour nous, sur la solidarité interne à l'Etat.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Je passe la parole à M. Lacharme, le secrétaire général du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées.

M. Bernard LACHARME .- Je commencerai par observer qu'on ne peut pas attendre de la politique de la ville, qui, telle qu'on l'a définie, est surtout une politique des quartiers et des banlieues en difficulté, qu'elle règle des problèmes qui ne sont pas de son ressort. Il faut être lucide : cette politique ne peut pas résoudre le problème du chômage massif auquel nous sommes confrontés aujourd'hui et dont la réalité pèse sur ces territoires.

De même, je ne pense pas que la politique de la ville puisse résoudre le problème de la concentration des populations les plus en difficulté sur ces territoires parce que, par définition, telle qu'elle est conçue, elle agit principalement sur ces quartiers qui ne sont pas la cause du processus de ségrégation spatiale mais le produit. Le phénomène de ségrégation spatiale est à l'oeuvre sur l'ensemble de nos agglomérations, à commencer par les secteurs les plus favorisés qui, comme l'a rappelé Dominique Dujols, sont bien souvent les plus concentrés sociologiquement.

Si nous focalisons notre attention sur ces quartiers, qui nous posent problème parce qu'ils concentrent des difficultés qui les rendent visibles et que la concentration est une difficulté supplémentaire en elle-même ainsi qu'un handicap particulier qui s'ajoute aux personnes qui ont déjà des difficultés d'emploi ou de ressources, cette concentration ne pourra pas être traitée autrement qu'à très long terme, mais on ne pourra surtout pas la traiter si on regarde uniquement ces situations et ces quartiers. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas agir.

Heureusement, des actions sont conduites et une politique est menée depuis un grand nombre d'années, sans quoi la situation serait bien plus catastrophique que celle que nous connaissons.

Cette situation des quartiers en difficulté touche doublement les populations défavorisées : d'abord les habitants actuels, qui se retrouvent dans une sorte d'assignation à résidence à une adresse qui les handicape parfois pour leur recherche d'emploi, mais cette situation affecte aussi d'autres populations pauvres qui sont à la recherche d'un logement et à qui on oppose aujourd'hui la mixité sociale pour leur fermer les portes des territoires qui leur ont été les plus accessibles et qui ont effectivement un patrimoine de loyers bas.

Comme on l'a dit, il faut certainement agir tout d'abord par la production massive de logements. A ce sujet, j'ai des interrogations sur la politique de démolition. Je ne la mets pas en cause en elle-même à condition qu'elle ne relève pas d'une sorte d'injonction nationale mais qu'elle soit bien le fait d'un choix local auquel les habitants sont associés. Il est effectivement possible, ici ou là, de remodeler le paysage urbain pour recréer du lien social, car certains habitats ne sont plus adaptés et ne valent pas la réhabilitation.

Pour autant, cette question de démolition pose un problème de timing et l'ambition de démolition-reconstruction arrive au plus mauvais moment, même quand on parle de reconstructions. Je ne sais pas si les chiffres des reconstructions sont toujours à la hauteur des chiffres de démolitions ; je sais seulement que la démolition supprime des logements sociaux bien avant la démolition physique en tant qu'offre de logements locatifs bon marché. En outre, elle les supprime non pas le jour de la décision, mais le jour où on envisage de démolir un immeuble, parce que c'est à partir de ce jour-là que l'on s'interdit d'attribuer à nouveau les logements et que l'on supprime donc une offre dans le parc locatif social sur la commune et l'agglomération, alors que les logements qui seront reconstruits n'existeront réellement que lorsqu'ils seront livrés. Entre les deux, il se passe beaucoup de temps. Des personnes plus qualifiées que moi pourront donner le nombre d'années, puisque cela se chiffre en années.

Il en résulte une offre en moins dans le parc locatif social, des demandes en plus, puisqu'il faut aussi reloger ces personnes, et des difficultés supplémentaires à équilibrer offre et demande qui arrivent malheureusement au moment où la situation est la plus tendue.

Je n'en déduis pas qu'il faut renoncer à tout programme de démolition reconstruction, mais, il faut au minimum que l'on fasse preuve d'une grande vigilance et, surtout, que l'on mette l'accent essentiellement sur la production et la construction. J'estime qu'on a le temps de démolir. Aujourd'hui, face aux situations qui sont vécues par un certain nombre de nos concitoyens, on constate que certaines démolitions sont choquantes.

J'ai aussi des interrogations sur la nature des logements sociaux qui sont produits. En effet, on ne réglera pas la question de la mixité sociale à l'intérieur du parc HLM et il est évident qu'il faut jouer sur l'ensemble du patrimoine dans la ville.

Néanmoins, nous avons le souci, à l'intérieur du parc social, de faire en sorte que les plus défavorisés ne soient pas concentrés dans les mêmes secteurs, ce qui s'est produit dans ces quartiers. La construction et la production de nouveaux logements sociaux doit être l'occasion d'établir une meilleure répartition. Quand une partie de plus en plus importante de ces nouveaux logements sociaux est inaccessible dès le départ aux populations pauvres et modestes parce que ce sont des logements intermédiaires, cela pose un problème au point de vue de la recherche de la mixité.

Par ailleurs, j'attire votre attention sur la question de la cohérence entre les aides à la pierre et les aides à la personne. Si des ghettos ont pu se constituer dans les années 80 et 90, c'est en grande partie parce que le parc locatif social neuf était inaccessible aux populations les plus modestes, même lorsqu'elles bénéficient de l'APL, parce que les loyers de sortie étaient au-dessus des loyers plafonds pris en compte pour le calcul de l'APL.

On a réintroduit la cohérence entre les loyers HLM et les aides à la personne en 1999  c'est Louis Besson qui a créé le prêt locatif à usage social (PLUS) et qui a recalé les choses en apportant de la cohérence , mais je constate que l'écart s'est à nouveau creusé au cours des dernières années parce que les aides à la personne n'ont pas suivi l'évolution des loyers.

On peut toujours dénoncer cette concentration, mais certaines mesures techniques ont un impact considérable. Il ne suffit pas, aujourd'hui, de produire de nouveaux logements sociaux. Il faut que ceux-ci soient accessibles à tous, y compris aux plus pauvres et aux gens qui vivent du RMI. Certes, cela ne suffira pas pour faire de la mixité sociale compte tenu de la pauvreté que l'on observe aujourd'hui, mais cela donnera au moins un peu de choix pour loger les personnes défavorisées. On ne sera pas placé devant l'alternative actuelle suivante : soit les loger dans un patrimoine ancien appartenant à des quartiers déjà en difficulté, soit ne pas les loger.

J'ajouterai qu'il faut sûrement renforcer les obligations qui pèsent sur les villes à travers l'article 55 de la loi SRU et non pas les affaiblir en comptabilisant comme logements sociaux des catégories qui n'étaient pas comptabilisées jusqu'à maintenant. Il importe en effet, si l'on veut avoir un équilibre de populations, de s'appuyer sur ce type d'outils qui mériterait d'être modulé à la hausse. Je pense notamment à l'agglomération parisienne pour laquelle l'objectif de 20 % est très modeste, d'autant qu'il a tendance, dans l'esprit des maires, à devenir une référence et donc un plafond, ce qui est extrêmement dangereux.

En effet, si toutes les communes respectaient les 20 %, on serait très loin, quantitativement, de répondre aux besoins de nos concitoyens. C'est simplement un dispositif qui permet d'avoir un minimum de mixité sociale et il faut vraiment le prendre comme tel.

Cela dit, je pense qu'il faut réfléchir aussi, au-delà de dispositifs coercitifs, à l'organisation de la responsabilité politique territoriale de la France et se demander si elle est vraiment pertinente pour affronter les problèmes que nous constatons aujourd'hui. Nous avons certainement marqué des points avec le développement de l'intercommunalité, du moins dans les grandes agglomérations de province. On voit ainsi se développer des politiques de l'habitat beaucoup plus cohérentes qui prennent du sens parce qu'elles sont menées sur un territoire pertinent, mais il faut aussi se demander si ces intercommunalités ont tous les outils en main pour mener ces politiques et répondre à l'ensemble des besoins des administrés. La preuve qu'elles ne les ont certainement pas, c'est qu'on a besoin de l'article 55 pour obliger certaines communes à faire du logement social, tout simplement parce que les communes détiennent encore des pouvoirs extrêmement importants, notamment un pouvoir de blocage.

Il faut donc s'interroger sur le sens d'un renforcement des pouvoirs au niveau de l'agglomération et se poser sérieusement la question de l'Île-de-France. En effet, nous avons là un territoire qui est un grand bassin d'habitat ou une grande imbrication de bassins d'habitat et, en tout cas, un territoire de vie qui n'a pas de pilote, puisqu'il n'y a aucune entité nationale dans toute l'agglomération parisienne.

Certes, la région est là. Elle pourrait être un point d'appui, mais, bien qu'elle mène une politique de logement que l'on peut saluer, elle n'a aucune des compétences nécessaires pour pouvoir impulser réellement une politique de l'habitat à l'échelle de l'agglomération. Si on ne se pose pas ces questions, on continuera d'essayer de gérer la crise sur des quartiers qui sont les victimes de cette incapacité de notre société à organiser une responsabilité politique au bon niveau.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Je passe la parole à Mme Péré, vice-présidente du Conseil français des urbanistes (CFDU).

Mme Anne PÉRÉ .- Le Conseil français des urbanistes est une confédération d'associations qui regroupe sept associations nationales avec des urbanistes travaillant sur tous les modes d'exercice, c'est-à-dire à la fois dans les collectivités locales, en mode libéral ou au service de l'Etat, et dans des associations régionales. Nous avons donc un réseau en région et nous menons notre réflexion au sein de cette confédération. Comme beaucoup de choses ont déjà été dites, je vais me contenter d'insister seulement sur quelques points.

Je tiens tout d'abord à revenir sur cette question des démolitions. Même si nous ne sommes absolument pas contre, comme tout le monde l'a dit, le fait d'intervenir et de détruire pour reconstruire, le fait d'avoir mis cette question en avant ces dernières années a été, selon nous, une erreur car elle pose de nombreux problèmes sur le terrain. Je vais en citer deux ou trois.

Si la démolition est utilisée comme levier de la transformation des quartiers, nous n'y voyons pas d'inconvénient. En revanche, le fait d'invoquer la démolition comme préalable à la politique de rénovation des quartiers rejoint une certaine forme de violence, notamment pour les populations en place, non seulement, comme cela a été dit et ce qui est vrai, en regard de la demande de plus en plus forte de logement social, mais aussi en regard du relogement dans les quartiers. Pour les habitants en place, la plupart du temps, la question de la démolition n'est pas du tout un préalable et la question du logement n'est pas primordiale.

Il en est de même pour la question du cadre de vie, du quartier ou du logement digne. Le logement digne est en fait un logement situé dans un quartier qui n'est pas stigmatisé. Dans ces types de logements que nous avons sur les quartiers en question, il est vrai que certains sont obsolètes, mais beaucoup pourraient être réhabilités et sont aussi d'une certaine qualité. La question du logement est donc une fausse question. En revanche, la question de la restructuration et de l'évolution de ces quartiers se pose clairement.

Je pense donc qu'il est important qu'il n'y ait plus de tabou sur la question de la démolition mais que l'on revienne sur cette question comme priorité de l'Anru.

M. Jean-Paul ALDUY .- Nous n'avons jamais dit cela, mais nous serons auditionnés sur ce point.

Mme Anne PÉRÉ .- Je vous parle, moi, du sentiment qu'expriment les habitants et les populations de ces quartiers. Quand, lorsque nous travaillons aujourd'hui sur ces quartiers, nous constatons que les démolitions commencent sans que l'on puisse voir les reconstructions ou que les reconstructions ne font que commencer, nous estimons que cela induit une certaine violence de l'intervention qui est liée à cela.

M. Jean-Paul ALDUY .- Cela vient des maires.

Mme Anne PÉRÉ .- Je ne veux pas dire que cela ne peut pas évoluer, bien sûr.

Dans mon deuxième point, j'évoquerai l'importance que revêt la liaison des questions sociales et urbaines. Avant ces dernières années, on accentuait plus la question du social et le développement urbain relevait plutôt du développement social avec peu d'actions visibles alors que, dernièrement, on a basculé dans la notion de rénovation urbaine comme moteur de la transformation sociale des quartiers.

Evidemment, les urbanistes ne diront pas qu'il est inintéressant de travailler sur la question de la rénovation urbaine et du cadre de vie et je n'y reviendrai pas. Beaucoup d'actions sont à mener, que ce soit en matière de services publics, d'aménagement des espaces ou de gestion de proximité. Toutes ces actions me semblent justes et importantes.

Pour autant, il me semble qu'il faut revenir, toujours dans le cadre de la continuité des politiques publiques, sur l'accentuation des actions sociales, et je vais vous en donner trois exemples concrets.

Le premier concerne la notion d'accompagnement de proximité, en particulier en matière de prévention de la délinquance et de police de proximité. Tout ce qui constituait un accompagnement de ces quartiers en y marquant la présence de la puissance publique était très important. Or c'est une chose qui, ces dernières années, a un peu disparu. En tout cas, c'est ce qui remonte de l'ensemble des régions et des intervenants sur ces quartiers.

Le deuxième exemple a trait aux relais associatifs, dont on a beaucoup parlé pendant la crise des banlieues. Ce sont des éléments importants de cohésion sociale et de vie collective. La question de leur soutien et de l'aide qu'il convient de leur apporter nous semble devoir être mise en avant dans la politique de la ville.

Le troisième point concerne les services publics et, surtout, la question de l'école, autour de laquelle se focalise l'ensemble des processus de ségrégation et l'impossibilité d'une certaine mixité sociale. A ce sujet, nous sommes aussi démunis que la plupart des gens qui travaillent sur ces quartiers, c'est-à-dire que nous n'avons pas une réponse automatique, mais nous constatons que c'est une question primordiale dans le processus d'intégration.

Pour poursuivre mon propos, je traiterai des processus et des démarches suivies dans ces quartiers. Le principal intérêt de l'Anru, pour tous les intervenants, est le guichet unique et l'importance des moyens qui lui sont apportés. Pour autant, nous avons évidemment un certain nombre de critiques à formuler sur les processus en oeuvre aujourd'hui, en particulier sur la nécessité de centraliser ces processus, sur la complexité des allers-retours et sur l'obligation d'avoir un échelon national pour traiter de problèmes qui pourraient, à notre avis, être traités au moins au niveau régional.

Dans ces processus de l'Anru qui, par ailleurs, nous semblent tout à fait intéressants du fait de cette force de frappe, la question de la participation des habitants et des populations qui sont en place nous semble largement sous-estimée. C'est ainsi que la rapidité nécessaire au montage de ces dossiers, tels qu'ils ont été menés jusqu'ici, a rarement été la règle, sauf dans des secteurs où les processus et les habitudes de travail existaient. Il en est de même, sur un certain nombre de sites, de la nécessité d'une réelle concertation des habitants qui, à notre avis, est aussi un processus d'évolution positive de ces quartiers qui sont populaires et qui le resteront.

La question de la mixité sociale doit se voir à l'échelle d'une agglomération, mais ces quartiers resteront des quartiers populaires. Prendre en compte la parole des habitants et leur donner vraiment le sentiment d'intervenir sur ces quartiers est aujourd'hui une chose qui n'a pas été vraiment possible dans la plupart des procédures qui ont été mises en place ces derniers temps.

Dans un dernier point, je souhaite revenir sur la question des périmètres et du temps. La priorité d'intervention sur les quartiers a quelque peu éludé les discussions et les modalités d'intervention qui ont été mises en place sur les contrats de ville. Il est vrai que ce sont des procédures de réflexion à l'échelle de l'agglomération et que ces procédures étaient lourdes autour d'un partenariat parfois pesant, mais qu'en même temps, les bonnes questions sont posées à ces échelles. Confronter l'importance des contrats de ville à la fixation de priorités sur les quartiers fait aussi partie d'un processus qui doit prendre en compte tout ce qui s'est passé au préalable.

Pour finir, comme Roland Castro, notre attente est que ces quartiers ne soient pas sans arrêt des laboratoires de nouvelles politiques mais que l'on y sédentarise tous les acquis ou tout ce qui s'est passé et que l'on prenne aussi en compte la durée de ces politiques. Evidemment, il n'est pas question de dire qu'il faudrait changer le système. En revanche, bon nombre de politiques antérieures nous semblent intéressantes et il faudrait les remettre en avant aujourd'hui.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Nous passons maintenant au jeu des questions et des réponses. Comme mes collègues ont la particularité d'être préoccupés et passionnés par ces sujets, je leur demanderai de s'efforcer de poser des questions courtes pour que nous ayons le plus de réponses possible, ce qui nous permettra d'enrichir notre réflexion.

M. Yves DAUGE .- J'ai quelques questions à vous poser.

Premièrement, après les 25 ou 30 ans que l'on travaille sur ce sujet, ne pensez-vous pas qu'on en arrive à un changement de nature dans nos approches ? Il faut se rappeler les comités HVS en regard des derniers événements que nous avons vécus. Que mettait-on autrefois sous la rubrique « politique de la ville » et qu'avons-nous aujourd'hui ?

Ma deuxième question est liée à la première : ne pensez-vous pas que cette évolution et ces changements conséquents se sont développés de manière très contrastée sur notre territoire ? Nous avons une politique, mais, si tant est que l'on arrive à lui donner un contenu, comment l'appliquer en fonction de la diversité des situations ? Je pense surtout à la région parisienne. Autrement dit, est-ce la même chose à Marseille qu'en Seine-Saint-Denis, à Nantes qu'à Bordeaux ou à Pithiviers ? Comment fait-on pour décliner notre politique ?

Troisième question : quelle nouveau type de relations imaginez-vous entre l'Etat et les collectivités locales ? Il est vrai qu'on a beaucoup évolué avec des allers-retours conséquents et un maquis de procédures, mais j'aimerais avoir votre avis sur ce point. Je voudrais aussi que vous me disiez quels peuvent être les périmètres des collectivités. A part l'Anru, on fonctionne encore avec des concepts, des idées et des façons de faire qui s'inscrivent dans une même pensée. Le moment n'est-il pas arrivé de franchir une nouvelle étape assez radicale ?

M. Louis SOUVET .- Je ne suis pas sûr d'avoir une question précise, mais je voudrais donner ma tonalité. Je suis un homme extrêmement pessimiste et je suis en profond désaccord avec beaucoup de choses que j'ai entendues autour de cette table.

En effet, j'ai beaucoup entendu parler de riches, de pauvres ou de mixité sociale, mais je crois que l'on rêve dans ces domaines et je ne suis d'ailleurs pas sûr que l'architecture puisse apporter des solutions. Ce n'est pas un problème de riches ou de pauvres, mais de mode de vie. Comment vivent les gens qui sont côte à côte ? Lequel d'entre vous accepterait de vivre dans un secteur où il y a effectivement beaucoup de HLM et d'habitat social et qui a un niveau différent de celui-là ? Comment peut-on espérer vivre convenablement ?

Je sors d'une famille pauvre et j'ai vécu dans des quartiers où il y avait à la fois des pauvres et des riches sans que cela ne pose aucun problème. De nos, jours, c'est le mode de vie qui fait la différence.

Il y a deux mots que je n'ai pas entendus dans votre vocabulaire : le civisme et le peuplement. Je suis maire d'une ville dans laquelle un quartier abrite environ 12 000 personnes, soit 40 % de ma ville. Hier, j'ai lancé le grignotage d'une tour de 143 logements alors qu'une autre tour de 70 logements était déjà réduite en poussière à côté. Nous avons connu une période où des ingénieurs, des architectes et des gens de bon niveau vivaient dans ce quartier. Petit à petit, le peuplement a changé et, actuellement, il est invivable pour tout le monde. C'est pourquoi on démolit ces bâtiments.

La mixité sociale est une bien belle notion. Evidemment, nous ne voulons pas faire des favelas d'un côté et des quartiers riches de l'autre, mais lorsque, vivant dans des quartiers comme ceux-là, on retrouve tous les jours sa voiture rayée, avec les pneus crevés, quand elle n'est pas incendiée, c'est assez pénible et il est difficile d'imaginer une forme de mixité sociale. Il faut que nous nous rendions à l'évidence.

Mme Mora a dit que les grands logements bon marché sont concentrés dans les quartiers d'habitat social, mais certains grands logements qui ne relèvent pas seulement de l'habitat social sont dans des quartiers convenables. Il faut donc faire attention à ces deux éléments.

Mme Dujols a dit qu'il fallait construire bien et beaucoup, mais il faut tenir compte des problèmes de loyers que nous connaissons actuellement et du fait que le travail s'échappe de plus en plus. Dans ma région très industrialisée  il s'agit de l'automobile , le travail part actuellement dans les pays de l'Est et nous gardons une population qui n'a plus de travail. Il faut bien la loger, certes, mais qui va payer les loyers si les gens n'ont pas de travail ? Comment peut-on imaginer l'avenir avec sérénité ? En ce qui concerne le logement d'habitat social, on nous dit qu'il faut construire 1 000 logements par an et nous nous y attelons, ce qui n'est pas rien, mais qui va payer ? Je me pose la question parce qu'il y aura bientôt autant de chômeurs que de gens au travail.

Enfin, le point le plus difficile pour moi est celui du mode de vie, notamment des jeunes. Comment envisage-t-on la solidarité familiale dont on ne veut plus entendre parler ? Je vous cite un exemple qui date d'hier et qui a été relaté aujourd'hui par la presse : il s'agit d'un foyer pour personnes âgées qui est actuellement très ancien, qui ne correspond plus aux besoins du moment et que nous allons reconstruire en doublant les surfaces des chambres et en apportant du confort, de l'animation et de la sécurité avec des infirmières. Certains sont allés se plaindre devant la presse en disant qu'après avoir fait leurs calculs, ils ont compris qu'ils ne pourront pas payer. Quand on regarde de près la situation, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une personne dont un fils est ingénieur et un autre médecin mais qui ne veut pas que ses enfants paient pour elle. Autrement dit, elle estime que c'est la collectivité qui doit payer et elle ne veut surtout rien payer elle-même. Comment vivons-nous ? On a diabolisé le fait que des enfants puissent aider leurs parents alors qu'à mon avis, cela devrait entrer dans le cadre normal des choses. Nous avons actuellement un mode de vie complètement aberrant et ce sont des choses qui me font un peu peur.

M. Castro s'est exprimé en tant qu'architecte, mais je pense que ce n'est pas seulement l'architecture, l'implantation dans le quartier ou le mode de vie qui va régler ces problèmes. Ces quartiers souffrent d'autres choses qui ne sont pas forcément une mauvaise implantation.

Mme Marie-France BEAUFILS .- Je n'ai pas dû entendre la même chose que mon collègue, parce que, pour ma part, j'ai entendu que vous ne parliez pas seulement d'architecture mais bien d'urbanisme au sens général du terme, qui me semble beaucoup plus important.

A aucun moment, dans votre analyse un peu rapide, puisque vous aviez un temps de parole très court, vous n'avez parlé des conséquences des surloyers, ce qui me surprend. Quand on analyse la façon dont a évolué le peuplement du logement social, les conséquences de cet outil qui a été utilisé et qui, malheureusement, revient un peu trop dans les discussions que nous avons aujourd'hui est une source de soucis. J'aimerais donc avoir votre point de vue sur l'analyse que vous pouvez en faire.

Comme Yves Dauge, dont je souhaite prolonger le questionnement, je n'ai pas l'impression que les situations sont toutes semblables. En tant que maire de Saint-Pierre-des-Corps, dans l'agglomération tourangelle, je ne suis pas en banlieue parisienne, mais j'ai l'impression que, même s'il y a des choses que l'on peut retrouver, on ne peut pas traiter les questions de la même façon.

Cela dit, vous m'avez interpellée en disant que l'intercommunalité devrait nous permettre de résoudre le problème d'une plus grande diffusion de logements sur l'ensemble du territoire des intercommunalités. En disant cela, vous êtes-vous penchés sur les PLH intercommunaux qui ont été élaborés ? Je pose cette question parce que ce n'est pas du tout la vision que j'en ai, je vous le dis très tranquillement, à partir d'un PLH très consensuel qui n'a pu se faire que parce qu'on a abandonné la diffusion de la construction qui aurait été nécessaire sur tout le territoire intercommunal.

A un moment du travail qui avait été fait sur les contrats de ville (Yves en est témoin puisque nous avions monté le réseau des villes du Centre avec cette démarche), nous avions fait en sorte que les communes en contrat de ville travaillent ensemble sur les problématiques posées et ce travail par thèmes à traiter dans nos territoires était très intéressant ; on parlait aussi bien de la santé que du transport ou d'autres points. Le travail de fond qui était mené alors ne l'est plus depuis quelque temps, ce qui est dommage parce qu'on a perdu de la qualité. Je voudrais donc aussi savoir ce que vous ressentez à ce sujet.

Par ailleurs, j'ai une certaine perception de la démolition. Elle a été fortement mise en avant et, bien que vous disiez que cette mise en avant n'existe plus normalement...

M. Jean-Paul ALDUY .- Elle n'a jamais existé !

Mme Marie-France BEAUFILS .- C'est votre perception des choses sur le plan national, mais je vous assure que, sur le terrain, j'ai été soumise à des pressions très fortes de démolitions, même sur des secteurs dans lesquels j'estimais qu'on ne devait pas en faire parce que la réhabilitation était la bonne solution et que l'on pouvait apporter des éléments.

Je ne sais pas si vous avez la même impression que moi, mais il me semble que la démolition stigmatise le logement social, ce qui pose à mon avis un vrai problème dans certains secteurs. Le fait de toujours entendre parler de la nécessité de démolir pour améliorer un site fait que des gens ne veulent plus venir habiter dans certaines parties de quartier parce que ce sont des lieux dont on nous dit qu'il vaudrait mieux les démolir plutôt que de leur apporter une amélioration. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce point également.

Enfin, comment ressentez-vous le fait que, bien souvent, on met en avant le problème que pose la structure même des tours alors que, lorsqu'on a construit des tours au bord de la Loire dans nos secteurs, cela permettait d'avoir une ouverture absolument merveilleuse sur le paysage et qu'il est à la fois formidable et intéressant d'habiter dans les étages. Les accessions à la propriété faites dans le même secteur continuent à bien se vivre et c'est seulement la part de logement social qui se vit moins bien. La question qui nous est posée est donc de savoir comment on peut réhabiliter l'image de ces quartiers tout en créant les conditions d'une capacité de peuplement permettant cette diversité.

Vous avez abordé ce problème en évoquant le coût du logement, mais peut-on gérer le problème du coût du logement construit aujourd'hui en remettant simplement à niveau l'aide personnalisée ? Ne faut-il pas avoir un travail plus important sur l'abaissement du coût de la construction et du foncier sur lequel on intervient insuffisamment aujourd'hui ?

M. Roland MUZEAU .- Après avoir entendu les différents intervenants, je pense que nous ne tomberons pas d'accord, de notre côté, parce que nos opinions et nos positions sont radicalement opposées. Je considère que l'urbanisme n'est pas la cause des problèmes dits « des banlieues », mais simplement un élément qui vient peser plus lourdement sur les difficultés sociales, celles-ci étant la cause primordiale. Comme quelqu'un d'entre vous l'a dit tout à l'heure, il n'appartient pas à la politique de la ville de créer de l'emploi, même si elle peut proposer certains dispositifs, et de diminuer la pauvreté.

A son origine, la politique de la ville était l'un des correcteurs des difficultés territoriales. La ville de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, dans laquelle j'agis, a pratiqué toutes les politiques de la ville depuis les quartiers Dubedout et son expérience est donc très ancienne. Or l'époque des quartiers Dubedout n'a strictement rien à voir avec celle d'aujourd'hui : il n'y avait quasiment pas de chômage à cette époque alors qu'actuellement, le chômage touche 4 à 7 millions de personnes qui vivent dans des conditions dramatiques. La présence sociale est donc radicalement différente de celle que nous connaissions à l'origine de cette politique.

Cela nécessite à mon avis beaucoup plus de moyens aujourd'hui qu'il n'en fallait hier et une beaucoup grande rapidité d'exécution. On sait bien que l'échelle de temps entre l'urbanisme et celle de la ville même n'a rien à voir. Les modifications urbaines sont vraiment désespérantes pour un être humain. Quand on a le malheur de dire à des habitants d'un quartier : « Vous allez voir : cela va changer » alors qu'il faudra attendre le départ de leurs enfants, qu'ils aient du travail ou qu'ils soient au chômage, on se rend bien compte que le temps s'écoule et que peu de choses se passent.

La question centrale est donc bien celle-ci et c'est d'ailleurs celle que j'ai entendue de votre part, ce qui me satisfait. Nous sommes dans une situation dans laquelle ne cesse de s'accroître l'apartheid social et spatial. C'est un drame dans le département des Hauts-de-Seine comme en région d'Île-de-France.

A cet égard, je suis d'accord avec l'idée exprimée par quelqu'un parmi vous selon laquelle il y a une spécificité de l'Île-de-France car c'est incontestable. Cela renforce d'ailleurs la question posée par Yves Dauge, qui demandait si tout était similaire partout. Pour ce qui est de la pauvreté, c'est possible, mais il y a en tout cas une spécificité de l'Île-de-France avec un manque criant de logements sociaux.

J'aimerais vous entendre sur un autre point : l'aggravation du contenu de l'article 55 sur le logement social. Il n'est pas vrai qu'en faisant du logement intermédiaire comptabilisé comme logement social, on répond à la crise du logement en Île-de-France. Penser une chose pareille est une hérésie.

Par ailleurs, j'aimerais vous entendre sur la question de savoir si la décentralisation est un outil positif en ce qui concerne la construction de logements et leur répartition, étant entendu que je ne parle pas de la répartition du problème mais de l'égalité des chances des populations de vivre sur l'ensemble du territoire et non pas seulement à un endroit ou un autre. Je considère que la décentralisation a eu un effet terriblement pervers : en renforçant de manière énorme les pouvoirs des maires, on a renforcé leur pouvoir de refuser de faire du logement, une conséquence que nous payons « cash » aujourd'hui : dans mon département, seize villes sur trente-six ont moins de 20 % de logements sociaux et deux villes qui ont 20,2 % de logements sociaux vont redescendre en dessous des 20 % pour remonter ensuite, d'après ce qu'elles disent, sans donner aucune date ni lieu de reconstruction mais en actant le nombre de logements sociaux qui vont être démolis et les dates auxquelles ils vont l'être.

Nous sommes dans une situation complètement folle : depuis plusieurs années, le préfet des Hauts-de-Seine remet au budget de l'Etat environ la moitié de ses autorisations de programme de logements PLUS et PLAI ; cela varie entre 40 et 50 %. Il rend tout cela à Bercy parce qu'on n'est pas venu piocher dans sa caisse. Cela me ramène à la question de la décentralisation : les maires n'ont-ils pas trop de pouvoirs ou, plutôt, ne crée-t-on pas, avec la disparition d'un pouvoir régalien de l'Etat en matière de logements, des situations auxquelles il est objectivement difficile de remédier sans une volonté forte de l'Etat en la matière ?

J'ai une dernière question que je poserai plus particulièrement à M. Lacharme. Je souhaiterais avoir votre sentiment sur la définition du logement social. Vous avez parlé en effet de la capacité d'y accéder financièrement, mais quand on considère aujourd'hui ce qu'est devenu le contenu de l'article 55 et la notion de logement social, on constate que l'on est loin de tout aspect social. Dans ma ville, quand on résorbe un habitat insalubre, ce n'est pas réellement du logement social  il est cher même s'il ne loge que des pauvres , mais on peut parler de logement social de fait. Or il faut savoir que certaines personnes ne sont prises par aucune SA dans les commissions d'attribution, que l'office HLM les prend en quasi-totalité et que la ville est obligée de préempter un certain nombre de logements et de faire des loyers adaptés aux personnes parce que leurs ressources sont insuffisantes même si on ajoute l'ensemble des dispositifs d'aide à la personne. C'est ainsi que nous avons des dossiers qui sont systématiquement refusés chez les bailleurs.

M. Alex TÜRK, président .- Il reste deux interventions : celles de M. Repentin et de M. Alduy, sachant que M. Castro ne peut pas rester et n'aura donc pas le temps de répondre. C'est pourquoi j'avais dit qu'il fallait se dépêcher de poser des questions si nous voulions entendre les réponses.

M. Roland CASTRO .- Je suis désolé : j'avais prévenu que je devais partir.

M. Alex TÜRK, président .- M. Castro avait effectivement dit qu'il ne pouvait pas rester jusqu'à 18 heures.

M. Thierry REPENTIN .- Si j'ai bien compris ce qui a été dit, j'ai le sentiment que, de Roland Castro à la dernière intervention de Mme Péré, tout le monde est d'accord sur un point : la nécessité de construire plus. Roland Castro dit qu'il faut organiser l'abondance, Mme Dujols dit qu'il faut construire beaucoup avant toute autre chose et j'ai noté qu'il fallait agir par la production massive. J'ai le sentiment que nous sommes avant tout dans la situation de gérer la pénurie de logements et que, parallèlement, nous devons gérer territorialement la pénurie d'emplois. Les deux éléments conjugués font que nous sommes assignés à résidence au point de vue du logement et que nous sommes condamnés à une certaine oisiveté professionnelle. C'est donc le mélange des deux éléments qui fait que, sur le territoire national, nous avons des difficultés que nous essayons de résoudre globalement.

Il est cocasse de constater que nous assistons à une table ronde consacrée au logement et à l'urbanisme et que, finalement, ce n'est pas le logement et l'urbanisme qui peuvent résoudre seuls et d'une façon substantielle le problème auquel nous sommes confrontés. Je me demande d'ailleurs si, en termes de politique de la ville, il ne faudrait pas bouger le curseur à un moment donné en nous disant que l'objet central du débat n'est plus forcément celui-là mais plutôt ce qu'il y a tout autour. Les questions du logement et de l'urbanisme comptent, mais beaucoup ont également évoqué le cadre de vie.

Le Conseil national de l'ordre des architectes, qui a organisé récemment une table ronde sur ce point, a fait état d'un sondage effectué par IPSOS révélant que les personnes sondées sur les ZUS disaient que leur problème n'était pas le logement mais la santé, l'emploi, l'école et le cadre de vie. Le logement n'arrivait qu'en sixième position.

En disant cela, je souhaite un peu dédouaner les architectes de leurs responsabilités. Au même titre que nous avons, dans la classe politique, des gens qui nous portent ombrage par leur attitude, nous avons eu des mauvais architectes, mais il n'y a pas eu suffisamment de mauvais architectes en France pour dire que le problème majeur vient des architectes, de même que, dans le cadre de la classe politique, ce ne sont pas les déviances de certains qui doivent amener l'opinion à jeter l'opprobre sur tous. On demande aujourd'hui aux architectes beaucoup plus que la réponse qu'ils peuvent apporter.

Face à cette pénurie globale de logements et à cette pénurie territoriale de l'emploi, il me semble qu'il faut avoir une politique très ambitieuse, parce que cela va coûter très cher, peut-être encore plus que cela a déjà coûté. A cet égard, le fait d'avoir un guichet unique fortement doté me semble un effet positif, à supposer qu'on lui donne les moyens d'agir non seulement sur la démolition et la reconstruction, mais aussi sur le projet qui est porté par les territoires. C'est ce qui fait peut-être débat entre nous aujourd'hui quant au fait de savoir si l'outil a été bien paramétré, notamment sur le projet social.

J'estime qu'il faut avoir beaucoup d'humilité parce que, en vous entendant, je me rends compte que l'on n'arrivera pas à dégager une solution reproductible d'un site à l'autre. Par exemple, la démolition est incontournable sur certains sites, sans aucun doute, alors qu'elle est inutile, voire contre-productive, sur d'autres sites. C'est pourquoi la clé d'entrée dans le financement de l'Anru peut éventuellement évoluer dans les années qui viennent.

Face à ces éléments, j'ai une question à vous poser : compte tenu de votre expérience, si vous aviez à demander au législateur un ou deux outils qui vous manquent dans votre quotidien professionnel ou associatif, lesquels proposeriez-vous ?

Enfin, je vous ai assez peu entendus parler du rôle de l'Etat, qui me semble pourtant essentiel. Si vous pouviez dire un mot là-dessus, j'en serais donc très satisfait.

M. Jean-Paul ALDUY .- Je voulais poser exactement la même question... (Rires.)

Même si c'est très dur à affirmer, puisque, visiblement, nous ne sommes pas entendus, il faut que vous sachiez que la seule doctrine de l'Anru est la mixité sociale, sachant que d'autres considèrent que le fait de concentrer est la seule possibilité et que cela permet à des communautés de s'organiser et de se défendre dans la société. Ce choix entre l'organisation communautariste et la mixité sociale constitue donc une doctrine, mais à part le critère de la mixité sociale, le reste n'est constitué que d'outils que l'on utilise ou non.

Sur la question de la démolition, nous avons simplement voulu dire que, précédemment, le coût de la démolition était tel qu'on n'en faisait pas, même quand on en avait envie. On a donc mis en place des mécanismes financiers pour que le choix de la démolition soit neutre, mais, quand nous examinons un projet, nous demandons simplement quel effort est fait sur la mixité sociale.

Ensuite, les maires prennent leurs responsabilités en termes de projets urbains, en termes d'intégration dans un projet de vie à l'échelle de l'agglomération ainsi qu'en termes de politique de l'emploi ou de la culture et c'est le maire qui est en fait l'interlocuteur. Nous préférerions que ce soit le président de l'agglomération, mais il se trouve qu'à l'heure actuelle, dans la situation française, à part quelques exceptions, ce n'est pas au niveau de l'EPCI que la compétence existe.

Je peux citer cependant quelques cas : dans la ville de Nîmes, par exemple, c'est l'établissement public qui est l'interlocuteur de l'Anru et non pas la municipalité.

Autrement dit, c'est le maire ou le président de l'EPCI qui décide du projet et qui en a totalement la maîtrise alors que l'Anru n'a que le critère de la mixité sociale. Si, après tous ces investissements, on découvre que nous avons la même quantité et la même qualité de logements sociaux, c'est-à-dire que nous n'avons pas changé les peuplements, nous serons amenés à refuser ce type de projet, mais il n'y a que ce critère.

Maintenant, la concentration de la précarité dans certains quartiers a été provoquée par la ségrégation sociale, qui est due à la rente foncière, elle même étant causée par l'économie urbaine dans les conditions actuelles. Or, tant que l'on n'agira pas sur l'économie urbaine, nous n'aurons pratiquement aucune chance de régler notre problème. Cela implique donc une gouvernance des villes.

Je viens d'assister à une réunion de l'AMGVF sur le problème de la délégation de compétences en matière de logements et j'ai constaté que c'était la question centrale : tant qu'il n'y aura pas de gouvernance des villes, on ne pourra pas parler de droit au logement ni de mixité sociale. On aura quelques outils ici ou là qui ne pourront constituer que quelques pansements et qui ne feront qu'atténuer la douleur pendant quelques années, mais cela n'ira pas plus loin.

Je voudrais donc savoir tout d'abord comment vous voyez l'évolution de la gouvernance des villes aujourd'hui et demain par rapport à ce que vous avez connu dans le passé.

Ensuite, alors que nous sommes dans une société du signe, je suis étonné de constater que le débat sur la politique culturelle comme moyen permettant de réaliser la mixité sociale n'est jamais abordé. Dans les projets de l'Anru, le volet culture n'est pratiquement jamais abordé. Pourtant, nous sommes face à un véritable affrontement culturel, comme l'a dit l'un des maires, lié au mécanisme du communautarisme et il faut donc se battre, au contraire, sur le champ de la culture et sur les cultures croisées et métissées.

Cela renvoie à la démocratie ainsi qu'à la participation et à l'association des habitants à ces projets. Lorsque la tradition de la participation ne s'adosse aucunement à des années et des années de participation, les procédures de l'Anru ne permettent pas de rattraper le retard.

Enfin, il faut fabriquer l'énergie sociale, c'est-à-dire ce tissu associatif qui doit être développé, structuré, adapté et même professionnalisé dans un certain nombre de cas. Qu'on le veuille ou non, l'énergie sociale se fabrique à travers un certain nombre de lieux parmi lesquels figure l'école dans toutes ses dimensions, à savoir la crèche, la maternelle, l'école primaire, le collège, qui est le maillon faible, comme tout le monde le dit, le lycée et l'université.

Ma question est donc exactement la même : il me semble que l'on a beaucoup d'outils mais que l'on ne sait pas les utiliser et même que, parfois, on ne les connaît pas. Je voudrais donc savoir si vous avez le sentiment que la boîte à outils est complète et s'il y manque quelque chose aujourd'hui. Personnellement, je vois plus ce qui y manque. Quand j'ouvre la boîte à outils, je me dis qu'il y en a tellement que je ne sais plus planter un clou ! C'était donc la même question que je souhaitais poser : je trouve qu'il y a trop d'outils.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Il vous reste maintenant à répondre chacun à toutes ces questions en quelques minutes.

Mme Dominique DUJOLS .- Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions, que je n'ai d'ailleurs pas pu noter dans leur totalité.

Je commencerai par la première question d'Yves Dauge sur le changement de nature. Cela me semble évident et je vous retourne la question : au moment des opérations Dubedout ou HVS, pouvions-nous deviner que nous allions nous enfoncer dans une crise sociale et un chômage de masse avec des problèmes d'intégration aussi dramatiques ? Le problème de la ville et des banlieues est devenu un problème central dans notre société. Le fait que l'on ait créé à une époque un ministère de la ville qui avait autorité sur toutes sortes de fonctions politiques qui ont été évoquées le prouve. Cela a été un tournant effectué dans les années 90.

Je reviendrai sur le rôle de l'Etat et des collectivités territoriales, mais je ne parlerai pas des inégalités sur le territoire : Béatrix Mora est plus compétente que moi sur ce point.

M. Souvet a fait état de son pessimisme. On ne peut pas traiter Montbéliard, une ville en déprise industrielle, de la même manière que d'autres, mais je pense que les élus et nous-mêmes devons faire ensemble la pédagogie du logement social et montrer qu'il n'est pas une catastrophe, qu'il n'est pas identifié à des populations et que, s'il concentre des populations qui vivent mal, c'est bien parce qu'il n'est pas suffisant. A cet égard, je tiens à défendre la mixité même si c'est une chose terriblement difficile à définir. Je pense que, tous ensemble, nous devons montrer que le logement social permet à des gens de trouver un logement : des jeunes quand ils veulent s'installer, des personnes qui vont se séparer, comme cela arrive très fréquemment, ou des personnes qui se trouvent en difficulté financière passagère et qui vont pouvoir se loger.

C'est aussi le problème des personnes âgées. Vous avez parlé de vos maisons de retraite, mais les HLM sont justement des logements pour toutes les catégories de ménages qui sont en dessous des plafonds de ressources. Le problème, c'est que, comme il n'y en a pas suffisamment, nous sommes amenés à y concentrer les plus pauvres. On nous reproche ensuite non seulement de ne pas loger suffisamment les pauvres, mais, quand nous les logeons, on nous le reproche également en nous disant : « Comment voulez-vous que les HLM suivent les modes de vie des gens ? »

Les modes de vie des gens sont un problème qui renvoie à la société. Soyons bien clairs sur ce point : nous devons loger le mieux possible nos locataires en leur proposant le plus de services et nous devons, avec les services publics, leur apporter le maximum de chances d'intégration, mais nous n'en sommes pas responsables car ce ne sont pas nos enfants. On nous demande parfois de rendre compte du comportement de nos habitants. Nous apportons des services, mais nous ne gardiennons pas des populations pour protéger telle ou telle partie de territoire.

De même, j'entends parfois des gens nous demander d'augmenter les surloyers de manière radicale pour faire sortir des HLM d'Île-de-France des ménages composés d'un instituteur et d'une secrétaire en considérant qu'il est scandaleux que ces gens osent encore être en HLM alors qu'ils sont à 48 % au-dessus des plafonds de l'Île-de-France, et j'entends ces mêmes personnes nous dire : « Comment pourrions-nous demander des HLM puisque c'est l'horreur ? » C'est une contradiction que tout le monde porte, vos administrés comme nous-mêmes en tant que parents d'élèves et il faut vraiment faire preuve de pédagogie, mais on ne pourra le faire que si le nombre de logements est suffisant pour pouvoir y maintenir une certaine diversité dans les types de populations, pour ne pas simplifier le débat en ne parlant que de riches et de pauvres.

J'en reviens à la question du surloyer. Dans certains endroits, le surloyer est une bonne chose. Quand, dans une ville comme Paris intra muros, des gens gagnent très bien leur vie et restent dans un logement HLM, il faut pouvoir leur demander de partir en leur faisant payer des surloyers suffisamment dissuasifs pour qu'ils puissent trouver aussi bien ailleurs, mais le vrai problème des gens qui restent en HLM  et j'en viens là aux aspects sociaux , c'est la différence des loyers. Qu'est-ce que le logement social ? Pour moi, c'est d'abord le logement HLM ou le logement SEM, c'est-à-dire le PLAI, le PLUS et même un peu le PLS. En effet, on critique beaucoup le PLS qui est à 7 ou 8 euros, mais le « Robien » est à plus de 19 euros et le « Borloo » populaire est à 15,34 euros. Je défends donc le PLS non pas en tant que tel, parce qu'il faudrait effectivement, dans certains endroits, faire beaucoup plus de PLAI et de PLUS, mais parce qu'il se pose un problème d'échelle.

J'étais ce matin dans la ville de Boulogne, au même endroit que M. le Sénateur Alduy, et on m'a dit que certains locataires ne voulaient pas partir, y compris ceux qui dépassent nettement les plafonds de ressources, parce qu'ils sortent soit d'un PLUS à 5 ou 6 euros, soit d'un PLS à 7 ou 8 euros et qu'ils trouvent des logements sur le marché à 22 euros. Le problème est là : il n'y a pas de continuité.

Cependant, je tiens à rappeler que tout n'est pas social. On critique beaucoup le PLS et on en fait parfois trop sur le PLUS et le PLAI, mais c'est quand même un élément dont il faut tenir compte.

J'ajoute que le vrai logement social a deux autres caractéristiques : il est pérenne, c'est-à-dire qu'il restera social dans quinze, vingt ou trente ans, ce qui est une garantie pour les élus, et les politiques d'attribution, qui sont toujours critiquables bien sûr, sont partagées avec les pouvoirs publics. Ce n'est pas simplement selon la tête du client que l'on va filtrer les bonnes populations, ce qu'on nous reproche quelquefois tout en nous reprochant par ailleurs de ne pas le faire assez.

Quant à l'article 55, nous venons d'envoyer notre point de vue sur la loi à l'Assemblée en demandant uniquement de ne plus toucher à cet article. Si on vide le sens de l'article 55 en y intégrant tout, ce sera fini. Il faudrait même l'étendre à d'autres parties du territoire. Certains maires se plaignent de ne pas avoir des aides à la pierre parce qu'ils ne sont pas dans l'article 55.

Je terminerai par la question sur les outils, à laquelle je répondrai que nous n'avons besoin d'aucun outil supplémentaire.

M. Jean-Paul ALDUY .- Merci !

Mme Dominique DUJOLS .- En revanche, nous souhaiterions avoir des consignes claires de la société, transmises par la représentation nationale, pour que l'on nous dise ce que l'on veut en matière d'habitat social, de mixité et d'accueil des démunis en le traduisant à l'échelle du choix de construction de logements sociaux, du choix de peuplement et du choix de gestion que représente le modèle républicain à la française. C'est un vrai débat politique. Or nous avons plus envie aujourd'hui d'avoir un débat politique et des consignes claires qu'un outillage. C'est un sujet de débat et ce n'est pas forcément la même chose dans tous les points du territoire. Les élus locaux ont donc un très grand rôle à jouer à cet égard.

M. Muzeau nous a interrogés sur la décentralisation, qui est à mon avis une bonne chose. Il est vrai que des maires ne veulent pas construire, mais ils ont les moyens de l'empêcher. Depuis que les maires disposent du permis de construire, un maire qui ne veut pas de logement social peut faire barrage. Je trouve donc beaucoup plus intéressant de responsabiliser les élus sur un territoire parce qu'ils savent désormais beaucoup mieux que la pauvreté n'est pas un mistigri que l'on peut repasser à ses voisins. Je pense qu'il y a une évolution à cet égard.

M. Roland MUZEAU .- Je ne suis pas d'accord avec vous.

Mme Dominique DUJOLS .- Vous me demandez mon avis et je vous le donne. Je pense donc que la décentralisation est une bonne chose.

Cela n'implique pas pour autant un retrait de l'Etat, qui doit être présent dans un dialogue permanent à trois avec les collectivités territoriales et les opérateurs et qui doit faire preuve d'autorité.

Je vais peut-être faire hurler beaucoup de monde, mais s'il y a un endroit où je verrais bien l'Etat, c'est l'Île-de-France, région qui ne dispose pas aujourd'hui de l'identification d'une autorité politique responsable. Il faudrait que l'Etat nomme un « super » préfet ou un « super » patron en Île-de-France.

M. Jean-Paul ALDUY .- Un Delouvrier ?

Mme Dominique DUJOLS .- L'Île-de-France, c'est vraiment une catastrophe et, comme on ne voit pas quelle autorité politique peut prendre le manche, il faudrait que l'Etat assume son pouvoir et le concentre sur cette région.

Mme Béatrix MORA .- Je vais apporter un complément de réponse à certaines questions.

En ce qui concerne tout d'abord le changement de nature des approches, j'irai un peu à l'encontre de ce que vous dites. Cela fait très longtemps que je suis dans le mouvement de la politique des quartiers et je dois reconnaître que nous avons tous vécu sur l'idée que nous pourrions faire de ces quartiers HLM des quartiers populaires, ce qui n'est pas le cas. Ce sont des quartiers dans lesquels nous avons des phénomènes de ségrégation sociale et spatiale très durs et qui se durcissent depuis cinq ans. Nous le constatons chiffres à l'appui et malgré les réhabilitations : on en est à la deuxième ou à la troisième couche de Palulos !

Nous nous interrogeons donc aujourd'hui sur la pertinence de la mobilisation de la Palulos, ce qui est tout à fait légitime en termes d'efficacité et d'utilisation des fonds publics. Il faut se reposer la question de l'évolution très progressive de la fonction résidentielle de ces quartiers.

Le logement n'est pas en cause. Il ne l'est que dans la mesure où, aujourd'hui, le critère de choix d'un demandeur HLM, même le plus défavorisé, est l'école et la sécurité. Le logement, pour lui, est secondaire. Il est vrai que le confort en HLM existe, qu'il s'agisse de HLMO ou d'offres nouvelles.

Aujourd'hui, le marché est très tendu et il n'y a pas de vacance dans nos quartiers, mais sur les quelques zones où cela commence à se détendre, on voit réapparaître de la rotation et de la vacance. Autrement dit, la stigmatisation de ces quartiers HLM est vraiment très forte.

J'en viens à la formule « populations assignées à résidence ». J'estime que tant le projet de cohésion sociale que le projet de rénovation urbaine doivent constituer de vrais projets de mobilité résidentielle des habitants de ces quartiers, qui n'ont que le quartier comme repère et comme univers. Il est nécessaire de mettre en place un apprentissage de la mobilité et de la connaissance de la ville.

Nous croyons beaucoup à l'accession sociale dont ces populations seraient bénéficiaires et nous ne sommes qu'au démarrage des projets Anru. Désormais, le conseil d'administration de l'Anru insiste davantage sur ce point, mais il faut de vrais projets d'accession sociale sur site et hors site et faire en sorte que les populations en soient bénéficiaires.

En ce qui concerne les PLH, il est évident que nous ne réussirons pas la rénovation urbaine si elle n'est pas entièrement intégrée dans les politiques locales de l'habitat. Étant à l'Anru, j'ai une vision globale de ce qui se passe sur les territoires et je constate qu'aujourd'hui, les PLH ne prennent pas suffisamment en compte la rénovation urbaine. Le volet de la rénovation urbaine étant juxtaposé aux PLH, quelques territoires ont progressé, mais ce n'est pas la majorité des cas.

Mme Marie-France BEAUFILS .- C'est ce que je pensais, mais je n'en avais pas la certitude.

Mme Béatrix MORA .- Pour ce qui est des résultats, 50 % de la reconstitution de l'offre se fait sur le site lui-même, le reste se faisant sur la commune concernée. Le redéploiement vers les communes périphériques est donc vraiment à la marge.

Par ailleurs, pour que l'on aille vers une cohérence de la politique de l'habitat, il faut tout d'abord en revenir à une globalisation de la programmation. En ce qui concerne la séparation de la filière Anru en matière de logements et la filière de droit commun, avec les dégâts causés par les centres de compétence, il faut que nous trouvions une meilleure articulation. Nous ferons donc des propositions à ce sujet au cours du futur congrès.

Enfin, je souhaite faire état de deux demandes qui me paraissent importantes.

La première, c'est qu'il faut plaider la continuité. Nous avons effectivement trop souffert de politiques interrompues et de changements de politique. Il faut donc laisser aux projets le temps de la maturation.

La deuxième est liée à une avancée qui vient de l'Anru et qui est très importante pour nous. Nous cherchions depuis longtemps un vrai portage politique sur les projets de ces quartiers et l'Anru l'a fait émerger au niveau des maires. Maintenant, il faut changer d'échelle et exiger un co-portage politique entre les EPCI et les maires. Il est vrai que les dossiers Anru les plus pertinents aujourd'hui sont portés par les agglomérations selon les types de situation. Certes, les situations sont très différentes d'une agglomération à l'autre, mais, même au sein d'une agglomération, les quartiers concernés ne présentent pas les mêmes caractéristiques ou les mêmes atouts. Je pense donc qu'on ne réfléchit pas suffisamment à des stratégies différenciées selon les quartiers pour les faire entrer dans un processus de rénovation urbaine à des moments différents.

On peut continuer à faire vivre certains quartiers en les entretenant au fil de l'eau et en les gérant bien alors que d'autres quartiers nécessitent des solutions beaucoup plus radicales parce qu'on est allé au bout et parce que c'est un handicap pour les populations en place. C'est donc à l'échelle des agglomérations qu'il faut mener cette réflexion sur les quartiers prioritaire et non plus au niveau national. Il est vrai que l'Anru a été calibré de cette façon, mais il faudrait aller vers une plus grande réflexion et une mise en responsabilité des EPCI sur ces choix de priorités.

M. Bernard LACHARME .- Je ne vais pas répondre non plus à toutes les questions, sachant que je tiens à revenir en particulier sur la question de la responsabilité et de l'organisation des pouvoirs.

En ce qui concerne le coût du logement et la question de savoir s'il faut faire plus en matière d'aides à la personne et s'il ne faut pas rééquilibrer les choses, je dirai qu'au bout du compte, entre les différents types d'aides, il faut surtout arriver à sortir du logement accessible au plus grand nombre. On peut faire le choix d'accorder beaucoup d'aides à la pierre et moins d'aides à la personne ou d'appliquer un équilibre différent. Le problème, c'est que les choix qui sont faits aujourd'hui ont un impact sur le long terme et qu'il est difficile ensuite de les remettre en cause, mais c'est la cohérence qui importe avant tout.

Il est également important de ne pas considérer uniquement ce qui se passe du côté du logement social et du logement aidé. Il faut aussi mener des politiques qui se préoccupent de la régulation des marchés du logement, qu'il s'agisse de l'accession à la propriété ou du locatif. Les prix de l'accession ayant doublé en quelques années, on se rend compte que le logement social est là pour loger des personnes qui ne peuvent pas se loger dans le cadre du marché. Il est matériellement impossible de suivre une telle évolution en termes de rythmes d'offre. On a beau avoir des objectifs ambitieux de production, ils sont forcément limités par les capacités des organismes et des terrains disponibles et on ne peut pas les compenser. Je pense donc qu'il faut aussi avoir un regard sur la régulation des marchés.

Avons-nous vraiment tous les outils pour faire cette régulation ? C'est probable pour l'essentiel.

Quant à la définition du logement social, question qui a été déjà largement abordée, si l'on s'en tient au financement PLUS, on a déjà une définition du logement locatif social qui concerne les deux tiers de la population. Le PLS, qui est intermédiaire, est comptabilisé dans l'article 55 et le Haut comité n'en a pas été choqué quand cela a été fait parce que c'était aussi à la marge et que l'on peut considérer que c'est intéressant sur certains territoires, mais quand certaines communes y ont recours massivement pour éviter de faire du PLUS, cela pose problème.

D'une façon générale, pour parler de la régulation des marchés, il faut surtout éviter de subventionner le logement. Dominique Dujols a évoqué le dispositif « de Robien », qui a des effets totalement pervers dès lors que l'on subventionne des logements qui sortent à ces niveaux de loyer. S'il faut des subventions pour loger des gens qui appartiennent aux couches favorisées de la société, comment pourra-t-on loger les autres ?

Enfin, je voulais surtout revenir à cette question de l'organisation des responsabilités respectives entre l'Etat et les différents niveaux de collectivité. L'Etat a une responsabilité majeure, mais il faut également en poser les limites. Il a une responsabilité majeure dans les politiques du logement parce que c'est une question de solidarité nationale qui appelle une politique d'aides. Nous souhaitons que les aides à la personne restent uniquement nationales, avec un barème national, et que les aides à la pierre soient principalement nationales. On peut admettre qu'elles soient complétées localement en fonction des marchés locaux et que quelques limites soient fixées, mais l'essentiel doit venir de l'Etat.

J'estime surtout que l'Etat doit assumer sa responsabilité dans la mise en oeuvre du droit au logement et d'un objectif qui fait partie d'une politique nationale majeure : la mixité sociale. Il ne peut pas se contenter de laisser faire en considérant qu'il a donné des outils. Il a des responsabilités majeures à cet égard.

Cela rejoint ce qui a été évoqué sur l'article 55 en termes de mixité sociale. Sur le droit au logement, nous préconisons la mise en place, sur décision de l'Etat, d'un droit au logement opposable, c'est-à-dire qui ouvre des voies de recours pour les citoyens.

En formulant cette proposition, nous préconisons aussi une voie pour redonner une cohérence à l'organisation des pouvoirs au niveau territorial. Aujourd'hui, la répartition des pouvoirs n'est pas adaptée pour faire face aux défis qui se présentent : nous avons effectivement une organisation spécifique en Europe, puisque nous sommes les seuls à avoir cinq niveaux de puissance publique entre l'Etat, la région, le département, l'intercommunalité et la commune. Chacun de ces niveaux a des responsabilités qui font qu'il n'est jamais en mesure à lui tout seul d'impulser et de faire quelque chose mais qu'il est toujours en situation de bloquer. Si un département ne joue pas le jeu en termes de fonds de solidarité logement pour le logement des défavorisés, le maire, même s'il a la volonté de le faire, aura du mal à avancer.

Il en est de même pour les programmes locaux de l'habitat (PLH). On a renforcé l'intercommunalité, ce qui est une bonne chose, mais les communes gardant des pouvoirs très importants, le président de l'intercommunalité est actuellement obligé de composer et de rechercher un consensus. Dans d'autres pays européens, les communes sont positionnées au niveau auquel le sont nos intercommunalités et elles détiennent les pouvoirs en termes d'urbanisme.

Sur la question de la mixité, il faut admettre qu'il y a une aspiration contradictoire chez chaque citoyen qui, pour lui-même, veut se loger dans un environnement choisi avec des gens de condition sociale plutôt supérieure, alors que, lorsqu'on interroge les Français, on s'aperçoit qu'ils sont pour la mixité sociale. Collectivement, c'est ce qui fait consensus sur le plan philosophique, même si tout le monde n'est pas obligé d'être d'accord avec ce projet. Le problème est de savoir comment peut s'imposer cette aspiration collective.

Si, dans le domaine des transports, on donnait à chaque maire de France la possibilité de s'opposer au passage des routes et des voies ferrées, on n'en aurait jamais construit. Il faut consulter les personnes, se concerter avec elles et recueillir leurs avis dans le cadre de procédures d'enquête publique qui existent, ce qui est heureux, mais il y a un moment où la collectivité doit être en mesure de trancher.

Dans le domaine du logement, si on n'a pas construit suffisamment de logements, notamment de logements sociaux, c'est aussi parce qu'on n'a pas organisé la responsabilité publique de façon à pouvoir arbitrer à partir du droit au logement.

De nos jours, le droit au logement est défini comme un objectif dans la loi, mais il entre en concurrence avec d'autres objectifs urbains. On ne veut pas densifier la ville ni l'étendre et, dès qu'on lance un projet, qu'il s'agisse de logement social ou non, on tient compte de l'expression des riverains qui veulent faire valoir leurs intérêts. La collectivité doit être en mesure d'imposer l'intérêt public et le droit reconnu aux citoyens.

Si on part du droit au logement, qui est à mon avis une chose élémentaire, on va en déduire l'organisation des pouvoirs qui permettra de le mettre en oeuvre au niveau territorial. Aujourd'hui, la démarche n'est pas celle-là : on a une organisation territoriale donnée et des compétences qui sont réparties d'une certaine façon qui n'est pas immuable et que l'on change régulièrement. Dans les différentes assemblées, cela entraîne des débats dans lesquels interviennent de nombreux intérêts contradictoires et c'est pourquoi on continue d'accorder des compétences réparties entre tous les niveaux.

Si on constate une incompatibilité entre, d'une part, ce droit qui est essentiel, élémentaire, vital et reconnu aux citoyens et qui découle de principes constitutionnels et, d'autre part, l'organisation territoriale et la répartition des compétences, qui sont les fruits d'une histoire et qui sont destinées à changer de toute façon, il faut adapter notre organisation.

Je pense qu'il faut continuer de réfléchir à la question des outils pour les ajuster et les adapter  le Haut comité fait régulièrement des propositions et je pourrais vous citer quelques outils qui n'ont pas été mis en oeuvre , mais la question fondamentale qui n'est pas posée aujourd'hui réside seulement dans l'organisation de la responsabilité pour savoir qui va manier les outils, en définitive.

Mme Anne PÉRÉ .- Je commencerai par dire que certains outils relèvent de politiques générales : si l'agglomération est la bonne échelle, il faut un gouvernement d'agglomération et donc une élection au suffrage universel des élus de l'agglomération. Tant que ce ne sera pas le cas, on n'avancera pas.

Le deuxième outil politique qui est primordial pour travailler dans ces quartiers est la possibilité de vote des populations immigrées aux élections municipales.

Ces deux outils n'existent pas. Ce sont des outils politiques de base qui permettraient de réorganiser la façon dont on peut travailler à cette échelle.

Il me semble aussi qu'il faut remettre en avant l'efficacité et la pertinence des contrats de ville. Les politiques de la ville, de manière générale, sont correctives. Elles ne vont pas changer la société, mais elles ont vocation, au quotidien et de manière laborieuse  il faut beaucoup d'énergie pour cela  de faire évoluer les choses et de faire en sorte que les populations pour lesquelles on agit se sentent dans cette société, mais je ne pense pas que ce soit elles qui vont changer la société. Toutes les politiques liées à l'emploi sont intéressantes par ailleurs et les ZFU sont un bon outil à cet égard.

Je pense donc qu'il faut vraiment lier aujourd'hui les politiques d'intervention sur les quartiers aux contrats de ville et revenir aux stratégies d'agglomération en lien avec cela.

Enfin, je pense que les outils existent sur les quartiers mais que les moyens ne sont pas suffisants. Quand, dans la boîte à outils dont on dispose pour permettre l'intervention d'une association, d'une ZEP ou d'une école, il faut monter un dossier très complexe pour obtenir mille euros, on se rend compte que les outils existent mais que les moyens devraient être multipliés par dix. Un plan Marshall nécessite des moyens et non pas automatiquement une boîte à outils encore plus importante.

Voilà ce que je voulais dire très succinctement.

M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. L'intérêt du jeu des questions et des réponses, c'est que le moment des réponses vous amène à sortir quelque peu d'une réserve de bon aloi. Je pense qu'à la fin de nos auditions, les questionneurs et les répondeurs finiront par être parfaits... (Rires.)

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