Table
ronde avec quatre des lauréats de l'édition 2005 du concours
« Talents des cités » :
M. Mamadou BEYE,
pour l'Agence de Gestion de l'Intérim d'Insertion
(AGii),
Mme Hinde MAGADA, pour AB
Secrétaires,
M. Cédric NADOTTI, pour
Di-services,
M. Mustafa YILDIZ, pour Yildiz Entreprise,
et
M. Jacques MURA, président de la Fédération nationale
des associations d'entrepreneurs des zones urbaines sensibles
(FNAE-ZUS)
(20 juin 2006)
Présidence de M. Alex TÜRK, président.
M. Alex TÜRK, président .- Madame et messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre invitation. Comme M. Mura doit prendre un train avant la fin prévue de notre réunion de travail, je vous suggère de lui donner la parole tout de suite pour qu'il puisse nous délivrer son message, ce qui ne nous empêchera pas de lui poser des questions, bien entendu. Je donnerai ensuite la parole à chacun d'entre vous pour que vous nous livriez un témoignage relatif à votre expérience, après quoi nous vous poserons des questions.
M. Jacques MURA .- Je vous remercie, monsieur le Président, de me permettre de retourner vers le Midi, où je suis obligé de suivre mon travail.
Je suis le président de la Fédération nationale des associations d'entrepreneurs des zones franches et, par extension, des zones urbaines sensibles. Nous regroupons une vingtaine d'associations et de clubs d'entreprises en France qui ont des vécus qui ne sont ni tout à fait différents, ni tout à fait semblables, selon la région, la localisation et le contexte dans lequel ils se situent.
Les gens qui ont bénéficié d'un dispositif de zone franche alors qu'ils étaient déjà installés dans des locaux existants et qu'ils vivaient dans un quartier depuis fort longtemps ont reçu cela comme une bouffée d'oxygène, mais ils n'ont pas une grande marge de manoeuvre pour pouvoir évoluer et arriver à modifier leur quotidien, d'autant plus que les quartiers se sont paupérisés. Par exemple, les compagnies d'assurance et les banques ne s'intéressent pas beaucoup à ces commerces qui sont installés sur place parce qu'ils n'y voient pas un grand d'avenir. C'est pourquoi elles préfèrent déserter ces secteurs plutôt que d'y investir.
Quant aux entrepreneurs, certains points sont positifs et intéressants : environ 90 % des entrepreneurs qui sont installés dans les zones urbaines sensibles et les zones franches urbaines sont satisfaits de leur sort. Pour autant, la première génération qui s'est établie en 1997 a dû faire preuve de pédagogie et de diplomatie avec l'administration et les habitants des quartiers parce que ce dispositif de zone franche est arrivé de façon opportune mais n'a pas été bien expliqué au départ. Les gens ont cru que les entrepreneurs étaient des chasseurs de primes alors qu'ils avaient, certes, des droits en s'installant et en pratiquant en zone franche, mais aussi des devoirs. Or ces devoirs ont été remplis au-delà de toute espérance.
L'objectif principal était de développer l'économie, mais aussi l'emploi, la condition essentielle étant d'embaucher 20 % de personnes du quartier. Pour la première génération, les résultats sont probants puisqu'on arrive pratiquement à 30 %. C'est pourquoi je m'élève fortement contre ceux qui parlent de discrimination à l'embauche parce que, si c'était le cas, nous n'aurions pas eu plus de 20,01 % d'embauches. Les gens n'ont pas compté et ils ont embauché, sachant que, pour bénéficier des droits, les entreprises doivent avoir moins de 50 salariés. La philosophie d'une entreprise n'est pas la même quand elle a 50 employés et non pas 250, 300 ou 1 000, le système de recrutement étant tout à fait différent.
Nous regrettons simplement un manque de valorisation des résultats alors que les gens ont actuellement besoin d'espoir. Les résultats ont été probants, avec des créations d'entreprises et d'emplois dans une majorité de zones franches, et j'en veux pour preuve le rapport de l'Observatoire national des zones franches urbaines, qui donne des chiffres très précis, même s'il a malheureusement été créé très tard. Cela fait en effet un certain temps que j'avais demandé à M. Bartolone, ministre de la ville à l'époque, de bien vouloir installer cet observatoire national permettant de constater les évolutions et suivre les crédits qui étaient mis dans ce dispositif. Lorsque je m'étais retranché à Nîmes, où je dirigeais mon association, j'avais renouvelé ma demande.
Je me félicite donc de la création de cet observatoire, dont je suis membre et qui nous permet de dresser un état des lieux depuis deux ans. En considérant les chiffres chaque année, nous constatons qu'ils sont très mauvais, bien entendu, mais nous en avons pris conscience et nous allons essayer de modifier les choses dans le bon sens, même si cela ne se fera pas du jour au lendemain.
Je suis père de famille, j'ai eu cinq enfants et huit petits-enfants, je suis né dans un quartier sensible de Marseille, la Belle de Mai, et je peux attester que les parents s'intéressent beaucoup à leurs enfants quand on leur en parle. J'ai donc l'espoir d'arriver à faire mieux en disant aux gens : « Cela marche mal, cela a mal marché, mais nous en sommes conscients et nous allons redresser la situation et faire en sorte que vos enfants aient au moins ce que vous n'avez pas eu vous-mêmes. »
Les gens ont besoin d'espoir et nous aimerions donc que l'on parle un peu plus d'espoir. Sur les zones franches, on n'entend que des récriminations, des reproches de ne pas embaucher suffisamment. Evidemment, il faudrait embaucher tout le quartier, mais la règle ne peut pas être celle-là, notamment du fait d'un déficit de qualification, comme tout le monde le sait. C'est là que le bât blesse.
En tant qu'entrepreneurs, nous nous investissons maintenant dans le social en organisant des parrainages de jeunes en difficulté et en recherche d'emploi ainsi que des stages de découverte du monde du travail destinés à des jeunes de 4 ème , en accueillant des stagiaires et en étant administrateurs de centres sociaux et de plans locaux pour l'emploi. Nous avons par conséquent une vue très large de tout ce qui se passe.
Il faut savoir qu'au départ, les entrepreneurs se focalisaient sur le dispositif, tenaient à tout prix à être en règle et essayaient de tirer la quintessence des nouvelles mesures. Pour ceux qui étaient installés, c'était une bouffée d'oxygène, mais ceux qui ont créé leur entreprise en zone franche et qui l'y ont transférée ont pris des risques en s'engageant à long terme alors que le dispositif est à moyen terme : cinq ans avec un système dégressif. Il faut donc parler du mérite de ces personnes, qui est trop rarement évoqué.
Depuis novembre, la situation n'a pas assez évolué, bien que des mesures aient été prises. On s'intéresse aux écoles de la deuxième chance, qui sont pratiquement obligatoires du fait de la loi, si je ne me trompe pas, et tout le monde souhaite mettre cela en place, ce qui est une très bonne chose. En tant qu'ancien maître artisan je suis aujourd'hui retraité , je pense qu'il faut absolument former la base. Former des gens, c'est les aider socialement. On n'est plus le même ensuite, surtout pour la société et l'environnement. Quand on reçoit des subsides parce qu'on touche le RMI ou qu'on est chômeur, c'est une façon de vivre, mais quand on paie des cotisations et qu'on est devenu salarié à part entière, c'est une autre façon de vivre : on a un statut social et on voit les choses d'une autre façon. On n'est pas aigri comme le sont certains qui n'arrivent pas à avoir des débouchés.
Nous pensons donc que l'effort devrait porter essentiellement sur la formation des jeunes, qui sont trop nombreux à être laissés de côté. On a besoin de main-d'oeuvre et ils ont des capacités, comme ils l'ont prouvé. Tous les parrainages que nous avons faits jusqu'à présent ont réussi : nous avons permis aux jeunes de mettre en adéquation leurs études, leurs possibilités et l'emploi qui y correspondait. Ensuite, ils vont vers la réussite, ils changent automatiquement et, bien souvent, ils quittent le quartier, ce qui est la plus belle des victoires.
Voilà ce que je voulais dire d'essentiel.
M. Alex TÜRK, président .- Merci de votre témoignage. J'imagine que tout cela pourra être illustré ensuite dans notre débat.
Je passe la parole à M. Mamadou Beye pour l'Agence de gestion de l'intérim d'insertion.
M. Mamadou BEYE .- Si je comprends bien, vous souhaitez entendre mon témoignage sur les difficultés que nous avons eues pour créer notre société et sur notre vécu en général.
M. Alex TÜRK, président .- Nous souhaitons vous entendre sur vos difficultés et vos réussites et sur la manière dont vous voyez vous-même l'avenir.
M. Mamadou BEYE .- Je vais donc vous apporter mon témoignage autour du projet que j'ai pu réaliser : la création d'une entreprise d'insertion par le travail temporaire.
J'ai créé cette entreprise pour venir en aide aux personnes qui sont en difficulté et qui n'arrivent pas à trouver leur voie par eux-mêmes. J'ai eu la chance de faire des études de sociologie du travail, de comprendre comment fonctionnaient la société et les entreprises françaises, et d'en conclure que l'on peut partager d'autres choses que la couleur de la peau avec la personne qui en recrute une autre, notamment la culture de l'entreprise ou la culture professionnelle. C'est en jouant sur ces aspects que j'ai pu trouver du travail.
J'ai ensuite voulu partager mon expérience. Entre le début de mon projet et la création de mon entreprise, il m'a fallu trois ans, et ce pour diverses raisons. Tout d'abord, j'étais sous le coup d'une double réglementation, celle du travail temporaire et celle de l'insertion ; ensuite, il fallait mettre plusieurs partenaires autour d'une même table (pouvoirs publics d'Etat et pouvoirs publics territoriaux), ce qui est assez difficile ; enfin, j'ai eu du mal à être pris au sérieux quand j'ai monté mon projet. Au début, les gens me disaient : « Il ne se rend pas compte de ce que cela signifie (ce qui n'est absolument pas le cas puisque j'ai créé ma société), il suffira de deux ou trois réunions pour qu'il se décourage et ne revienne plus » Au fur et à mesure de l'avancée de mon projet, des gens ont été convaincus, mais d'autres qui ont fait le pari que je laisserais tomber à un moment ou un autre se sont arc-boutés sur leur position et ont tout fait pour essayer d'avoir raison sur moi.
J'ai donc finalement créé mon entreprise, et mon activité a commencé en février dernier. Il s'agit d'une agence d'intérim d'insertion créée pour des personnes qui éprouvent des difficultés dans leur recherche d'emploi. Malheureusement, depuis le démarrage, je n'ai pas obtenu un seul agrément sur 60 postes potentiels à l'ANPE, ce qui me dérange quelque peu, alors que j'ai eu l'occasion de rencontrer le ministre de l'emploi et de la cohésion sociale, une personne que j'apprécie beaucoup, mais qui n'est pas avec moi sur le territoire tous les jours.
Bien que j'aie réussi à trouver la caution obligatoire de travail temporaire de 96 243 €, notamment avec l'aide de l'association Concours Talents, dont j'ai été lauréat, ce qui m'a apporté de la légitimité et a servi à quelque chose, j'ai encore beaucoup de difficultés à lancer mon activité : sur une soixantaine d'offres potentielles pour les personnes qui relèvent de l'insertion, je n'ai eu que quatre personnes orientées. Il faut croire qu'aux Mureaux, il n'y a pas de problème et que personne ne relève de l'insertion alors que les statistiques disent tout le contraire.
Aujourd'hui, sur les quatre ou cinq personnes qui m'ont été envoyées, deux l'ont été par une ancienne collègue de l'ANPE de Poissy, où j'ai travaillé précédemment. Mon malheur, c'est que j'ai toujours évité de travailler à l'ANPE des Mureaux. Dès le début, en effet, alors que j'avais le projet de créer mon entreprise dans cette ville ayant une forte population d'origine étrangère et que je voulais partager mon expérience avec ces personnes, j'ai volontairement évité l'ANPE des Mureaux pour que mes collègues soient objectifs dans les relations qu'ils auraient avec moi. J'ai donc travaillé à Poissy et à Mantes et j'ai évité les Mureaux. Cette collègue de Poissy m'envoie du monde parce qu'elle a travaillé avec moi, qu'elle me connaît, qu'elle sait ce que je vaux et qu'elle a confiance en moi.
Je vous raconte tout cela parce que j'en ai parlé avec le président Chirac quand je l'ai rencontré. L'Etat a reconnu sa lenteur à l'égard de toute cette population issue de l'immigration et a insisté sur la nécessité de faciliter l'accès de cette population à la fonction publique parce que, lorsqu'on amène des gens à travailler ensemble, ils apprennent à se connaître, à se respecter et à s'apprécier.
Je n'ai pas parlé de mon entreprise d'insertion et de mon parcours uniquement pour moi et pour évoquer les difficultés que je rencontre. Ce que je vis aujourd'hui et ce que je ne vivais pas à l'époque quand j'en parlais est la preuve qu'il faudrait faire un effort dans ce sens. Quand des gens se rencontrent, vivent tous les jours ensemble et sont reçus, au sein d'une administration, par des personnes qui sont issues de l'immigration, je pense que cela crée des liens, permet de voir ce qu'elles valent réellement et, tout simplement, permet de mieux vivre ensemble.
A travers mon expérience récente et les difficultés que je rencontre aujourd'hui, je voulais vous apporter mon témoignage et évoquer cette piste que je pourrai qualifier d'inclusion sociale professionnelle ou de discrimination positive : peu importent les termes. Je rencontre des gens qui sont en difficulté et je pense qu'il serait urgent de faire quelque chose pour eux. Si ma présence ici pouvait servir à quelque chose, j'en serais très heureux, car il faut prendre des mesures d'urgence à ce sujet. Par exemple, dans les concours, on pourrait réserver des places à des personnes qui habitent ces zones pour les postes à pourvoir. Je parle de l'Etat parce que les entreprises privées, même si on en attend beaucoup, font ce qu'elles veulent. L'Etat pourrait donner l'exemple, tout simplement, en prenant des mesures de ce type.
J'ai un dernier point à ajouter. Parfois, je trouve moi-même des gens que j'envoie à l'Agence nationale pour l'emploi et on me dit qu'ils ne sont pas en difficulté. C'est une aberration, parce que tout le monde est d'accord sur le fait que le simple fait d'habiter la Vigne blanche ou les Musiciens aux Mureaux est une difficulté en soi : on a du mal à trouver du travail. Le législateur a créé les entreprises d'insertion pour aider ces personnes. Pourquoi suis-je donc en concurrence, en tant que toute petite entreprise issue de l'immigration, avec Adia, Adecco ou Manpower ? J'arrive malgré tout à convaincre des employeurs à passer des offres d'emploi chez moi, mais pour que je puisse faire travailler quelqu'un, il me faut un agrément sur la personne. Quand je fais ma demande, on met quatre à six jours pour répondre et me permettre de placer la personne. Pendant ce temps, que font Adia, Adecco ou Manpower ? Elles prennent ceux qui peuvent être placés et les placent d'emblée.
Puisque la loi précise plus ou moins quelles personnes relèvent de l'insertion, pourquoi faudrait-il un agrément supplémentaire ? Je le dis pour l'ensemble des professionnels de l'insertion. Ne pourrait-on pas permettre tout simplement aux entreprises d'insertion, quelles qu'elles soient, de recruter des personnes sur la preuve des éléments tangibles qu'elles apportent pour montrer qu'elles sont en difficulté ? Elles touchent l'allocation spécifique de solidarité (ASS), elles sont au RMI, elles sont au chômage de longue durée : ce sont des preuves tangibles, sachant qu'il reste à l'entreprise de réunir toutes ces preuves en cas de contrôle, pour bien montrer que ces personnes qu'elle a mises à disposition étaient réellement en difficulté.
M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Je passe la parole à Mme Hinde Magada pour AB Secrétaires.
Mme Hinde MAGADA .- Je suis gérante de la société AB Secrétaires. Je viens de Tomblaine, une ville limitrophe de Nancy qui compte 8 000 habitants et je vais vous raconter mon parcours.
Après avoir obtenu un BTS « commerce international », je me suis retrouvée sans emploi pendant un mois. Comme j'ai une personnalité active, je voulais absolument trouver quelque chose. J'ai donc commencé par faire des ménages, puis j'ai travaillé en centre d'appels et j'ai atterri finalement dans le secrétariat médical. C'est là que j'ai trouvé ma vocation.
Parallèlement, je suis conseillère municipale de ma ville et, pour mettre en pratique mon rôle, j'ai créé l'association « Tout en couleurs », qui a pour but de favoriser les échanges culturels sous la forme de festivités, d'expositions, de forums et de conférences.
Par la suite, j'ai voulu accentuer ma motivation, en tant que conseillère municipale, en favorisant l'emploi et c'est ainsi que l'idée m'est venue de créer une entreprise. Avec une ancienne collègue de travail, j'ai décidé de mettre notre motivation en commun et de créer en mars 2004 l'entreprise AB Secrétaires, spécialisée dans l'externalisation de secrétariat. Nous gérons l'accueil téléphonique des professions libérales telles que médecins, avocats ou assistantes sociales et nous mettons des secrétaires à disposition directement chez les clients pour assurer des prestations de secrétariat.
Notre entreprise évolue tout doucement mais difficilement, principalement du fait d'un manque de moyens. Cette entreprise a pour cadre un quartier en zone franche et elle a pour objectif de dynamiser l'activité professionnelle dans le quartier. Je travaille également en partenariat avec l'AFPA, une association de réinsertion professionnelle, qui permet à des personnes désorientées de retrouver une profession, en l'occurrence dans le secrétariat pour mon cas. Je peux citer par exemple le cas d'un homme qui était au départ dans le bâtiment et qui, suite à un accident, a été obligé de s'orienter dans une autre profession. Nous l'avons accueilli en stage chez nous et nous l'avons formé au secrétariat. Il gère désormais les appels téléphoniques et il fait également quelques travaux de secrétariat.
Ma façon de lutter contre la discrimination est de créer la mixité sur le plan social et culturel. Dans ma société, j'ai des personnes issues de l'immigration ou non et j'ai aussi une personne qui est à la Cotorep. J'essaie vraiment de garantir la mixité pour limiter la discrimination.
Les difficultés que je rencontre sont principalement financières et liées à tout ce qui a trait à la démarche commerciale. C'est vraiment sur cet aspect que j'ai du mal à développer mon entreprise. Pourtant, il est possible de créer des richesses, parce que le secrétariat touche tous les domaines d'activité : qu'il s'agisse du plombier, de l'architecte, de l'avocat ou des grandes entreprises, le marché est vaste. C'est le coût de la formation et toute la démarche commerciale qui pèsent lourd et nous avons vraiment du mal à suivre.
M. Alex TÜRK, président .- Merci. Je passe la parole à M. Cédric Nadotti, pour la société Di-services.
M. Cédric NADOTTI .- Bonjour à tous. Je suis le gérant de la société Di-services, qui a été créée en 2004 à Aulnay-sous-Bois, dans une zone franche urbaine, et qui s'occupe de la gestion des déchets industriels toxiques pour les collectivités locales.
Je suis issu des quartiers difficiles : j'ai grandi aux 4 000, à la Courneuve, j'ai quitté l'école à 16 ans sans faire d'études particulières et je travaille depuis l'âge de 16 ans. J'ai commencé comme manutentionnaire, j'ai été balayeur et j'ai gravi petit à petit toutes les marches de l'escalier. Je suis entré dans le secteur de l'environnement en 1996 dans une société qui s'occupait de collecte de déchets, j'ai évolué à différents postes dans ce milieu et c'est en 2004 que, suite à mon expérience en tant que commercial dans le déchet, j'ai décidé de créer ma société.
Je ne me suis pas installé en zone franche parce que je souhaitais obtenir certains avantages mais parce que, avant tout, c'était à côté de chez moi et qu'à Aulnay-sous-Bois, je bénéficiais de la Maison de l'entreprise et de l'emploi, un bel outil très utile à l'économie de la ville qui regroupe tous les aspects liés à la création d'entreprise, la recherche d'emploi, la formation et le conseil, plus toute la partie liée à la pépinière d'entreprises et à l'hôtel d'activités destiné à accueillir de nouvelles entreprises.
Les soucis que j'ai rencontrés avec le système des ZFU est avant tout administratif. Les démarches et les documents qui nous sont fournis en ce qui concerne les ZFU sont un véritable sac de noeuds : selon l'activité, le nombre de personnes, l'ancienneté ou l'activité de la société, on a des rubriques qui changent et, quand on est novice dans la gestion d'une entreprise, mais même pour des gens moins novices que nous dans ce milieu, cela pose des problèmes. L'une des premières choses à faire serait donc sans doute de simplifier le système des ZFU pour les entreprises.
Quand je calcule mes charges, les règles varient pratiquement d'une année sur l'autre et nous ne savons jamais exactement sur quoi nous serons exonérés complètement, à moitié ou pour un quart. J'ajoute que, quel que soit le service que nous appelons, personne n'est capable de nous renseigner exactement sur le système et la manière dont il fonctionne. C'est l'une des principales difficultés que nous rencontrons en ZFU : administrativement, tout est beaucoup trop flou et beaucoup trop vague.
En dehors de cela, je n'ai rien à dire. C'est magnifique !
M. Alex TÜRK, président .- Cela fait toujours plaisir à entendre... (Rires.)
Je passe la parole à M. Mustafa Yildiz, pour Yildiz Entreprise.
M. Mustafa YILDIZ .- Bonjour. Je suis chef d'entreprise de Yildiz Entreprise, une entreprise d'électricité générale. Je suis installé à Cenon, une banlieue de Bordeaux, la ville dans laquelle je suis né et j'ai grandi et dont je connais très bien les problèmes, de même que ceux des banlieues en général.
A Cenon, j'ai connu la banlieue avant que la ZFU soit créée et lorsqu'on m'en a parlé, j'ai pensé que c'était un outil très important permettant d'améliorer les choses dans les quartiers. Malheureusement, je me suis complètement trompé, parce que la stratégie des entreprises n'était pas du tout d'embaucher des jeunes de banlieue, du moins d'après ce que j'ai pu observer. En effet, autant j'admets que les gens qui vivent dans ces quartiers difficiles et qui montent leur entreprise puissent avoir des avantages, autant je suis réticent à voir une PME importante ou une grosse entreprise qui se trouvait à 30 ou 40 kilomètres s'installer dans ces quartiers pour obtenir les avantages en question alors que le taux de chômage ne diminue pas. On pourrait vraiment se demander pourquoi. Je ne sais pas si c'est différent dans les quartiers que connaît M. Mura, mais je parle vraiment de ce que je vois dans ma ville : les entrepreneurs embauchent des gens de l'extérieur pour qu'ils mettent en place des structures dans des quartiers difficiles et pour qu'ils entrent dans ces dispositifs sans les obliger à autre chose que d'avoir 20 % de salariés en zone franche.
Je vois de nombreux jeunes qui ont des capacités et qui peuvent travailler comme tous les autres mais qui sont toujours dans le bas de leurs immeubles, sans avancer, alors que d'autres chefs d'entreprise se régalent le pinceau ! Ils vont chercher quelqu'un de compétent à l'extérieur, ils le placent dans un quartier difficile, ils lui trouvent un petit logement et le tour est joué !
J'ai une entreprise de neuf salariés, dont huit sont installés en ZFU et y sont nés. Personnellement, je rentre dans le dispositif parce que j'y suis né et j'ai du mal à accepter que ces grosses entreprises puissent bénéficier de ce système alors qu'à côté, j'ai eu des grosses difficultés, si je me compare à ces grandes entreprises, parce que je suis né en zone urbaine sensible.
Lorsque j'ai créé mon entreprise, je n'ai pas obtenu l'exonération de mes charges et de mes impôts pendant deux ans parce que je n'arrivais pas à satisfaire à certains critères du fait de la faiblesse de mes moyens. Dans le secteur du bâtiment, on doit avoir une secrétaire à temps plein, des bureaux et un dépôt, ce qui est impossible quand on démarre son entreprise tout seul.
Aujourd'hui, les choses vont bien parce que j'ai mis en place une organisation depuis un an pour satisfaire à ces critères, mais, sur trois ans, c'est la première année que j'ai eu le droit d'être exonéré. Est-il normal qu'un jeune créateur d'entreprise issu des banlieues connaisse autant de difficultés alors qu'ailleurs, d'autres entrepreneurs viennent s'installer comme ils le veulent, en promettant des embauches et une baisse du taux de chômage dans la ville ? Aujourd'hui, cela n'a pas tellement avancé à cet égard et j'ai donc un oeil plus critique que M. Mura, qui est à mon avis un peu trop positif.
Cela étant dit, le sujet qui nous occupe aujourd'hui n'est pas uniquement les entreprises en ZFU puisque, si j'ai bien compris, vous souhaitez revenir sur les politiques conduites dans les quartiers difficiles. Je suis engagé sur le plan associatif depuis 2001 et, quand je considère aujourd'hui la politique de la ville, je me dis que nous avons eu beaucoup de discours de façade, que la jeunesse n'est pas dupe et qu'elle attend autre chose que ce que proposent les municipalités.
Pour ma part, j'ai créé une association subventionnée par la municipalité pour dynamiser le quartier et proposer des activités aux jeunes des quartiers. Jusqu'ici, les associations proposaient des activités de ski en montagne ou des voyages à la plage, le but étant d'éloigner les jeunes le plus possible pour que la ville soit tranquille, mais les problèmes revenaient au retour des vacances. J'ai changé complètement cette optique sur le plan associatif en créant un dispositif de bureau d'information jeunesse sur la ville de Cenon. Nous sommes le seul bureau d'information jeunesse de France (nous ne dépendons pas du gouvernement et nous ne sommes pas fonctionnaires) et nous travaillons plutôt sur le fond que sur la forme en aidant les jeunes à créer leur entreprise, à passer des entretiens d'embauche, à rédiger des CV et à trouver du travail.
Pour moi, la politique de la ville devrait être axée autour de l'aide à l'embauche ou au logement plutôt que de proposer des subventions à tout va qui amènent les jeunes à consommer toujours plus sans les empêcher de se retrouver à la rue lorsqu'ils arrivent à 20 ans.
M. Alex TÜRK, président .- Merci. Nous passons maintenant aux questions que vont vous poser les sénateurs.
Mme Dominique VOYNET .- Je suis touchée par le dernier témoignage qui nous invite à considérer la logique même de la discrimination positive, qui est aujourd'hui ciblée de façon indistincte sur les territoires et non pas sur les personnes qui en auraient peut-être le plus besoin. Il faudrait regarder cela de près.
Cela dit, ma question vous est destinée, monsieur Mura. Au regard de votre expérience, avez-vous le sentiment que les nouveaux emplois créés par ces nouvelles entreprises sont plutôt des créations nettes ou, pour reprendre votre phrase, des « bouffées d'oxygène » pour ceux qui étaient déjà installés ? Vous l'avez exprimé ainsi. A-t-on aidé à surnager des gens qui étaient déjà présents ou des gens qui se seraient installés de toute façon, dont on a consolidé l'activité et auxquels on a permis de développer ou de diversifier l'activité ou est-on vraiment en présence de créations ?
C'est un débat qui a évidemment une tonalité politique, mais votre expérience concrète m'intéresse, ainsi que celle des créateurs d'emplois qui sont présents.
Ma deuxième question s'adresse encore à vous, monsieur Mura. Vous avez dit que le fait de quitter le quartier était la meilleure des victoires. Pour dire les choses directement, je ne partage pas votre avis, car j'estime que notre enjeu est de mettre de la vraie vie, du vrai développement et de la vraie qualité de vie dans ces quartiers. Par définition, si ceux qui s'en sortent quittent ces quartiers, cela veut dire que l'on y concentre ceux qui ne s'en sortent pas.
Nous avons reçu ici Mme Malgorn, qui préside en tant que préfète l'Observatoire nationale des zones urbaines sensibles et qui nous a dit qu'elle constatait de la mobilité, c'est-à-dire des gens qui quittaient le quartier, mais qu'elle voyait des gens bouger dans les quartiers et y vivre mieux. Assumez-vous ce que vous venez de dire et comment réagissez-vous à cela ?
Enfin, j'aurai une troisième question qui s'adresse à vous tous, en particulier à Mme Magada et M. Nadotti. Comme j'ai des enfants ayant l'âge du collège, je suis très préoccupée par la question de savoir comment et quand s'opère le dérapage par rapport aux études. En effet, on a l'impression qu'à la fin de l'école primaire, les gamins ont tous envie de réussir à l'école et qu'au cours des années du collège, beaucoup décrochent. Vous décrivez cela : des études plutôt chaotiques et une entrée précaire dans la vie professionnelle. Où s'est effectué le décrochage, selon vous, et comment vous êtes-vous rattrapés aux branches ? Qu'est-ce qui vous a aidés et qu'est-ce qui vous a donné envie ?
Mme Hinde MAGADA .- Personnellement, j'ai été jusqu'en BTS « commerce international » et c'est ensuite que, pendant un mois, je n'ai trouvé aucune offre d'emploi : même si je soumettais des demandes, je n'avais pas de réponse. Comme je suis une personnalité assez active et qu'il n'était pas facile pour moi de rester un mois sans rien faire, je me suis retournée vers mes parents, qui sont ouvriers, et j'ai dit à ma mère que si elle avait un remplacement dans le ménage, je l'acceptais. J'ai donc commencé à faire des ménages.
L'aspect positif, c'est que j'ai toujours démissionné pour trouver mieux : j'ai vécu chacune de mes expériences comme un tremplin.
Quant à votre question concernant la mobilité en ZFU, je suis entièrement d'accord avec l'idée de dynamiser l'activité professionnelle dans les quartiers. Dans mon activité, je réponds parfaitement à l'obligation d'embaucher 20 % de personnes issues de la ZFU puisque, sur mes cinq salariés, j'ai deux personnes qui viennent du territoire concerné, les autres venant de l'extérieur, mais je considère également cela comme un point positif puisque, dans un premier temps, il s'agit de dynamiser l'activité professionnelle, mais aussi, ensuite, de faire venir des personnes de l'extérieur pour créer cette mixité et limiter la discrimination.
M. Jacques MURA .- Il est certain, madame Voynet, que ce n'est pas en deux secondes que j'ai pu tout expliquer. Je ne suis pas écrivain, mais j'aurais vraiment de quoi constituer une encyclopédie. J'ai 66 ans, je suis né au quatrième étage d'une HLM et mes parents étaient ouvriers fondeurs. Je connais donc la situation, mis à part le fait qu'à l'époque, il y avait pratiquement du travail pour tout le monde et que les gens qui étaient au chômage étaient montrés du doigt : ils étaient tenus à l'écart de tout le monde parce que c'étaient des professionnels, ce qui n'est pas le cas maintenant.
L'idée que j'essaie d'insuffler en tant qu'entrepreneur à la Fédération nationale, c'est que tous ces jeunes issus des quartiers, dont je fais partie, subissent au départ le handicap d'avoir des parents qui ne maîtrisent pas la langue, qui ne connaissent ni les cursus, ni la façon dont on procède dans nos quartiers et, surtout, dans notre pays. C'est pourquoi je pense qu'il est bon que les jeunes puissent aller voir ailleurs ce qui se passe.
Quand on nous a demandé dernièrement si nous acceptions que l'on installe des multiplex dans les quartiers, les entrepreneurs que j'ai consultés y ont été opposés en disant : « On habite dans le quartier, on traîne dans le quartier, on se distraie dans le quartier et on ne connaît que le quartier ».
A Nîmes, l'association pilote que j'ai créée a une certaine expérience et a dirigé pendant longtemps un groupe d'observation et de concertation avec les associations de quartier qui font du soutien scolaire ou qui organisent des loisirs. Quand on nous dit que l'on prend des gens pour les mettre dans des ghettos, j'ai voulu savoir comment les choses se passaient parce que je sais qu'on n'a pas pris mes parents à l'arrivée de leur bateau pour les mettre à un certain endroit.
Dans la zone franche de Nîmes, nous avons 60 % de mobilité résidentielle, comme l'indique bien le rapport de Mme Malgorn, présidente de l'Observatoire. Cependant, cela ne se voit pas à l'oeil nu car il y a toujours du monde et que les logements sont toujours occupés. Cela veut donc dire que des gens sortent de ces quartiers, et je ne vois pas pourquoi il faudrait tout faire pour les inciter à rester sous le prétexte qu'il faudrait animer les quartiers, surtout quand on conclut qu'ils ne conviennent plus aux gens qui y vivent aujourd'hui, qu'ils ne sont plus modernes et qu'ils ne sont plus à dimension humaine alors que c'était le cas précédemment.
A cet égard, je vous signale une anomalie importante : alors que d'anciens quartiers résidentiels de Nîmes sont devenus des zones urbaines sensibles, l'impôt foncier et la taxe d'habitation sont calculés sur l'assiette de 1971, ce qui est grave. C'est vous dire que notre sensibilité ne concerne pas uniquement le foncier et les entrepreneurs mais aussi les habitants. Si on veut gagner le pari de ces quartiers, il faut que tout le monde soit content : ceux qui y travaillent et ceux qui y vivent. Quand nous parlons de ce problème, personne n'accepte de s'en préoccuper. C'est pourquoi nous montons actuellement des dossiers pour avertir tout le monde après avoir fait notre devoir.
Je m'adresserai ensuite à M. Yildiz, qui est un confrère. Peut-être a-t-il été mal conseillé parce que, normalement, en vertu des lois de la République, les droits sont ouverts pour tout le monde. En effet, les gens ne s'installent pas à tort et à travers et ne peuvent pas tirer à hue et à dia à partir du moment où ils remplissent les conditions. Il faut savoir qu'il y a des contrôles sévères et que si on ne remplit pas les conditions imposées pour avoir droit au dispositif, on revient trois ans en arrière, on est redressé et cela fait mal.
Bien sûr, certains essaient de tricher, de contourner, de détourner ou de tutoyer la loi. Combien de fois avons-nous demandé à l'URSSAF quelle était la ligne jaune à ne pas franchir ? Au début, quand on nous disait que le quota d'embauches devait être le cinquième ramené à l'unité supérieure, vous pouvez imaginer que le petit cordonnier du coin ou celui qui fait des pizzas dans le quartier embauchait le cinquième arrivant et n'était alors plus dans les cordes. Il faudrait donc peut-être simplifier les textes de loi et les rendre lisibles.
Je reviens sur un autre élément très grave, monsieur le Président. Si on veut aider les gens qui prennent des risques, comme les personnes qui sont ici et qui se sont lancées, il ne faut pas changer le dispositif à tout propos. Sinon, on commence à jouer à la belote et on finit au rami ! L'an dernier, on a réduit les cotisations de 150 % et on est passé à 140 % sous prétexte que le SMIC a augmenté, mais il faut bien que les gens gagnent leur vie. Il faut donc se dire qu'au contraire, plus on pourra donner aux gens, plus on les aidera.
Je vous signale un autre problème : certains employés de l'extérieur ne veulent pas venir travailler dans les quartiers parce que il faut bien le dire ils éprouvent une certaine crainte. L'Observatoire a la chance de pouvoir accéder à toutes les statistiques, ce qu'on nous refusait auparavant : à l'URSSAF, c'était le règne du secret. Mme Malgorn a demandes des chiffres et elle les a obtenus. On note ainsi dans le rapport de 2004 sur la délinquance que 80 % de la population carcérale, malheureusement, est formée soit de populations issues de l'immigration, soit de personnes étrangères. C'est ennuyeux et cela ne met pas les gens en confiance. C'est ainsi que les logiques de défiance qui sont installées deviennent de simples réflexes et non pas des choses décidées, voulues, travaillées, alimentées, confortées, stockées et ressorties. Je m'inscris en faux sur ce point.
Dans mon entreprise, j'ai connu des difficultés pour embaucher des ouvriers qualifiés dans la métallurgie parce que je n'en trouvais pas. J'ai eu ensuite des gens issus de l'immigration et cela s'est très bien passé : ils avaient la qualification, ils se sont intégrés et ils ont justement quitté le quartier en me disant qu'ils préféraient vivre ailleurs pour construire quelque chose et avoir des enfants en s'appuyant sur leur CDI et les avantages dont ils bénéficiaient. Tout cela est une bonne chose pour l'émancipation des gens.
En revanche, on ne peut pas dire à des gens qui arrivent dans notre pays qu'ils auront une villa sur la Côte d'Azur et toucheront 20 000 € par mois ! Il faut que chacun soit à sa place. Quand mes parents sont arrivés, ils ont habité dans un deux-pièces, après quoi ils ont obtenu une HLM, ce qui était formidable pour eux. On vivait comme cela à l'époque. Petit à petit, les gens évoluent et le fait d'avoir une perspective et de l'espoir constitue aussi une aide pour eux. Ce sont des choses fondamentales qu'il faut préserver, en ramenant les choses à la dimension humaine et en laissant l'individu diriger sa vie.
Mme Dominique VOYNET .- Vous ne m'avez pas dit si c'étaient des créations ou autre chose.
M. Jacques MURA .- Bien entendu, il faut remodeler ces quartiers. Vous savez qu'un plan de rénovation urbaine très ambitieux, auquel nous sommes associés en tant que partenaires de l'Anru, est en place et commence à fonctionner. Critiquer, c'est bien, mais quand on participe à ce genre de projets, on peut faire des remarques mais aussi des suggestions parce qu'il faut être positif : tout ne va pas si mal et il faut rectifier certaines choses.
A l'issue de cette politique de rénovation urbaine, nous aurons des quartiers à dimension humaine et une amélioration de la qualité de vie, mais, en attendant, les commerces qui sont là assurent une animation sociale et économique et c'est pourquoi on peut considérer que les dispositifs qui arrivent dans ces secteurs où les gens sont déjà installés constituent une bouffée d'oxygène.
Je reviens sur les incitations dont ont bénéficié les entreprises qui sont arrivées. Quand j'ai vu arriver des professions libérales et beaucoup d'autres choses, j'ai été stupéfait et je me suis dit qu'ils venaient pour l'argent et non pas pour faire de la philanthropie. Cependant, ils ont servi de locomotive parce que nous sommes en déficit de professions de santé dans les quartiers, comme le précise d'ailleurs le rapport de l'Observatoire.
M. Mustafa YILDIZ .- C'est quand même un cas à part.
M. Jacques MURA .- Un cas à part ? Sur plus de 700 entreprises installées en zone franche à Nîmes, il y a 100 professions libérales : ambulanciers, ophtalmologistes, chirurgiens, etc. La santé n'est pas un cas à part dans la vie de tous les jours. Le budget de la Sécurité sociale est énorme, notamment pour les médicaments, et c'est important pour la qualité de vie. Il n'y a pas que le football, quand même.
M. Mustafa YILDIZ .- Je suis entièrement d'accord avec vous pour ce qui est de la santé, mais je parle, moi, des grosses entreprises du bâtiment, le secteur dans lequel je travaille, qui viennent s'installer dans une ZFU en disant qu'elles vont embaucher tout en proposant des logements sur place à leurs anciens salariés qui habitaient dans des villes plus bourgeoises. Il faut savoir que, dans nos banlieues, il n'y a pas que des HLM : il y a aussi des maisons individuelles et des quartiers assez chics. Mon père a fait exactement comme vous l'avez dit : il a eu son CDI et il a acheté une maison, mais en banlieue. Pourquoi n'est-il pas parti ? Parce que les gens qui sont autour de lui se ressemblent et qu'ailleurs, il a l'impression d'être étranger. Alors qu'il est à l'étranger pour lui et qu'il se sent bien parce que des gens lui ressemblent, il n'ira pas dans un endroit où il va se perdre.
Quant à moi, je suis le contre-exemple de ce que vous dites : aujourd'hui, je suis chef d'entreprise et, tout en ne touchant pas un salaire de 20 000 euros par mois, je gagne assez bien ma vie, mais j'habite encore dans le centre du quartier et je n'ai pas envie d'en partir mais plutôt d'y investir.
Les différences de nos discours viennent peut-être de différences de génération, mais je pense qu'aujourd'hui, aucun jeune de la cité ne souhaite vivre ailleurs : il en est de même pour Cédric, qui est chef d'entreprise depuis un moment et qui continue d'habiter à Aulnay-sous-Bois. Je constate donc que votre discours n'est pas cohérent avec le nôtre et je pense que cela vient d'une différence de génération.
M. Jacques MURA .- Je ne suis pas tout à fait d'accord. Nos discours sont cohérents et il faut réfléchir à tout cela. Pour moi, les fondements de la société sont toujours les mêmes, car j'estime que la famille est l'élément prépondérant et que le travail est salvateur. Avec cela, si les parents jouent leur rôle et si on accepte le travail qui est proposé, on peut vraiment avancer.
Quant aux grosses entreprises, je ne sais pas ce que cela veut dire car je n'en ai jamais fait partie.
M. Cédric NADOTTI .- Je vous donne un simple exemple : à Aulnay-sous-Bois, le numéro 1 mondial de la cosmétique, l'Oréal, possède deux sites dont les effectifs sont composés de peu de personnes venant du quartier. En revanche, j'ai un autre exemple plutôt positif : celui de PSA, qui est plutôt engagée dans le bon sens.
M. Jacques MURA .- L'Oréal n'est pas sur la zone franche, quand même.
M. Cédric NADOTTI .- Cela leur a été refusé, en effet, bien qu'une extension ait été demandée.
Mme Dominique VOYNET .- De toute façon, elle a plus de 50 salariés.
M. Jacques MURA .- Certaines professions libérales embauchent moins qu'un atelier, par exemple. Deux médecins ne peuvent pas avoir plus d'une ou deux secrétaires médicales. Ce n'est donc pas très valorisant pour l'emploi. Il en est de même pour les entreprises qui sont transférées en zone franche alors qu'elles sont déjà équipées en personnel. C'est donc dans les créations que les choses se passent. On crée plus facilement quelque chose quand l'environnement est favorable et lorsque le tissu social et socio-économique fonctionne.
Dans le cas des médecins, des avocats et des services qui sont créés sur place, cela entraîne une certaine émulation et une certaine synergie. J'en ai trouvé la preuve dans les événements de novembre dernier. En effet, il a été prouvé qu'il se produisait beaucoup moins d'incidents dans les quartiers dans lesquels il y avait des zones franches du fait d'un maillage important qui s'est mis en place grâce aux associations, même si ce n'est pas forcément une règle générale.
M. Cédric NADOTTI .- C'est sûr : chez moi, ce n'était pas le cas.
M. Jacques MURA .- Si on ne considère que les exceptions, on n'arrivera jamais à passer, même s'il faut en tenir compte, bien sûr.
M. Alex TÜRK, président .- M. Mahéas va vous poser des questions précises.
M. Jacques MAHÉAS .- Je souhaite vous poser quelques questions qui appellent des réponses extrêmement courtes.
Première question : alors que vous travaillez et vivez tous dans ces quartiers en restructuration urbaine ou en zone franche urbaine, avez-vous l'impression de vivre dans un ghetto et les gens qui vivent à l'extérieur ont-ils l'impression que vous vivez dans un ghetto ?
Deuxième question : pour vous, qui doit intervenir pour progresser dans ces zones franches urbaines ? Cela vous paraît-il être la commune, le département, la région, l'Etat ou les mouvements associatifs ? Y a-t-il une coordination au niveau des zones franches (vous avez tous dit que vous n'aviez pas vraiment connaissance des règles) qui vous permet de savoir dans quelle mesure on peut vous aider à faire des plans et à monter les choses sur le plan financier ?
Enfin, ne vous heurtez-vous pas à l'insuffisance de la formation professionnelle proposée aux gens qui habitent dans ces zones ? On constate en effet que, malgré l'existence de pôles d'emplois, ils ne profitent pas nécessairement aux zones franches urbaines et qu'au contraire, on vient travailler dans la zone franche urbaine sans y habiter.
M. Cédric NADOTTI .- Je vais essayer de répondre dans l'ordre.
Avons-nous l'impression de vivre dans des ghettos ? Esthétiquement, il est vrai que nos quartiers ressemblent à des ghettos : ils sont moches !...
M. Jacques MAHÉAS .- Vous êtes à Aulnay nord ?
M. Cédric NADOTTI .- J'ai vécu aux 4 000 à la Courneuve et je suis à Aulnay-nord. J'ai été aussi au Val d'Argent, à Argenteuil.
Quant au fait de savoir si les personnes extérieures ont l'impression que ce sont des ghettos, c'est également vrai, mais c'est surtout le côté esthétique et l'aspect médiatique qui les influence. A Aulnay, je travaille aussi à la requalification des zones d'activité économique pour essayer de donner à la ville une meilleure image que celle qui vient de l'extérieur. Pour l'extérieur, en effet, Aulnay-sous-Bois se résumerait à son quartier nord alors que les quartiers dits sensibles ne représentent qu'une infime partie du territoire puisque les quartiers sud sont plutôt étendus et sont loin d'être moches. Vu de l'extérieur, on a l'impression qu'Aulnay est une grande tour en béton avec des gens qui n'ont pas envie de travailler et qui sont tous issus de l'immigration et que tous les employeurs sont des méchants.
Quant à votre question sur les collectivités qui seraient les plus aptes à nous aider, je vais encore prendre l'exemple d'Aulnay-sous-Bois, où des choses sont mises en place, notamment la Maison de l'entreprise et de l'emploi qui travaille sur l'emploi et l'insertion de nouvelles entreprises. Nous avons fondé le club des entreprises d'Aulnay et, en coordination avec la mairie, nous organisons des groupes de travail entre entreprises et élus afin de déterminer ce qu'il faut faire pour attirer du monde et d'autres entreprises sur la ville et d'échanger des idées. Dans notre cas, nous avions le regard de l'entreprise alors que les personnes de la mairie avaient le regard des élus, qui sont eux-mêmes parfois chefs d'entreprise. Je pense donc que c'est aux gens les plus proches de ces quartiers, qui en sont acteurs, de s'impliquer, de donner des directives et d'orienter les choses.
Cela dit, je reviens sur cette impression de ghetto qui vient de tout l'aspect esthétique. Quand M. Mura a dit tout à l'heure que, lorsqu'on réussit, on quitte le quartier, cela m'a rappelé un article qui est paru dans la presse et dont le titre était : « J'ai réussi : j'ai quitté mon quartier ». Effectivement, je suis parti des 4 000 à la Courneuve pour arriver à Aulnay. Si c'est une réussite, c'est extraordinaire ! C'est l'idée que les gens se font de l'extérieur. Ce n'est pas que je ne veux pas vivre dans mon quartier, mais je ne trouve pas qu'un petit pavillon construit entre deux tours HLM soit très beau (de toute manière, je n'aurais pas le permis de construire), et il est normal que l'on ait envie de changer les choses : il y en a assez du béton. Grâce aux plans de rénovation urbaine, nous commençons à avoir des petites résidences avec un peu d'herbe, des arbres et des jolies maisons bien peintes, ce qui commence à être plus attirant, mais il faut laisser du temps au temps et on ne peut pas tout changer du jour au lendemain.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Il faut que vous sachiez que nous avons déjà rédigé un rapport sur les zones franches urbaines. A cet égard, je partage entièrement ce qu'a déclaré tout à l'heure M. Cédric Nadotti et j'ajoute que, lorsque j'avais auditionné M. Mura à l'occasion de la rédaction de ce rapport, il me disait la même chose que vous, un sentiment que vous partagez tous : les zones franches urbaines sont une bonne chose, mais elles sont trop compliquées, il y a trop de règles différentes à respecter, on n'a jamais d'interprétation précise des textes (les services fiscaux n'ont pas la même interprétation que les ASSEDIC, par exemple), et les simplifications sont nécessaires.
J'ai eu les pires peines du monde à faire simplifier le système. Dans les zones franches urbaines, il semble que la seule administration avec laquelle on n'a pas de problèmes est celle des services fiscaux, qui sont à peu près clairs, mais j'avais demandé que les engagements des ASSEDIC aillent dans le même sens que ceux des services fiscaux, de telle sorte que, lorsqu'on promet quelque chose, on le tienne, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Vous avez donc entièrement raison de dire qu'il faut faire un effort de simplification.
Cela dit, j'ai bien entendu M. Yildiz, qui a évidemment un souci de simplification mais qui souhaite que l'on ajoute un certain nombre de critères pour être en zone franche. En tant que maire, j'ai une zone franche urbaine dans ma ville et, avant d'être sénateur, j'étais directeur général d'une chambre de commerce et d'industrie. J'ai donc passé ma vie avec les chefs d'entreprise. Vous demandez des critères très précis pour les grandes entreprises, mais vous savez bien qu'en zone franche urbaine, il n'y a pas de grandes entreprises puisque, lorsqu'on dépasse les 50 salariés, on n'a plus droit aux avantages, de même que si on appartient à un groupe de plus de 50 salariés, tout simplement pour empêcher l'arrivée des multinationales.
La vraie question que je vous pose, monsieur Yildiz, est de savoir pourquoi vous restez en zone franche urbaine et si cela a un intérêt pour vous d'y rester.
Tout à l'heure, M. Mura a évoqué ceux qui étaient déjà présents au moment de la création des ZFU, mais, dans ma propre ville, la moitié des entreprises n'existeraient plus aujourd'hui si elles n'avaient pas bénéficié des avantages de la zone franche urbaine et la plupart des jeunes créateurs d'entreprise n'existeraient plus aujourd'hui s'ils ne bénéficiaient pas d'exonérations de toutes natures.
Je résumerai donc ma question de façon très simple pour le rapport que nous devons rédiger : faut-il supprimer ou maintenir les zones franches urbaines ?
M. Mustafa YILDIZ .- Je suis quand même pour leur maintien, bien sûr.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Je terminerai sur un point important : les créations d'emploi et le nombre de salariés issus du quartier. La loi a fixé à 20 % le nombre de personnes qui doivent résider dans le quartier, mais vous savez très bien que certaines entreprises n'y trouveront jamais le personnel qualifié et sont actuellement freinées par les difficultés qu'elles rencontrent.
Par exemple, je connais le cas d'une entreprise qui a actuellement un redressement de 250 000 € parce que, sur 30 salariés, il lui en manque un à mi-temps issu du quartier, ce qui lui pose un grave problème.
Sur une même ville, nous pouvons avoir des entreprises en zone franche urbaine et des quartiers qui n'ont pas été classés en ZFU mais dont les difficultés sont aussi grandes et dont la population souffre des mêmes problèmes. C'est sur cette base que nous avons obtenu que les zones urbaines sensibles fournissent de la main-d'oeuvre et que les chefs d'entreprise bénéficient des mêmes avantages lorsqu'ils embauchent des personnes venant de zones franches urbaines. Quand on est maire d'une ville, si 1 500 emplois sont créés en zone franche urbaine, seul le résultat compte : les 1 500 emplois sont là.
Je pose donc ma question à l'ensemble d'entre vous : préférez-vous être ou non en zone franche urbaine ?
M. Mustafa YILDIZ .- Personnellement, je suis pour la zone franche urbaine et non pas contre du tout. Tout à l'heure, j'ai simplement essayé de dire que ce sont des gens comme nous qui doivent être prioritaires dans les zones franches. Sauf erreur, ce dispositif a été mis en place pour qu'il y ait des embauches et des emplois dans ces quartiers et je constate que, bien qu'issu de ces quartiers et y habitant, j'ai eu des difficultés à entrer en ZFU.
Quand j'ai monté mon entreprise, le siège social était chez moi parce que je n'avais pas encore de bureau et je n'avais pas droit aux ZFU parce que, selon les critères, il fallait avoir un bureau alors que je voyais d'autres entreprises extérieures venir s'installer. J'avais du mal à accepter que nous ne profitions pas de cette disposition qui avait été mise en place pour les gens comme nous et que d'autres en profitent. Aujourd'hui, j'en profite, mais il m'a fallu trois ans pour y parvenir.
Par conséquent, je ne suis pas contre les ZFU, au contraire, puisque, si j'ai huit salariés sur neuf issus de la zone franche, c'est aussi pour bénéficier de ces exonérations. De toute façon, je n'aurais pas pu embaucher si je n'étais pas en ZFU. Avant d'y être, j'avais trois salariés et, le jour où je me suis mis en ZFU, je suis passé à neuf salariés.
Quand je dis que je suis le bon exemple des entreprises issues des quartiers qui se sont installées en ZFU, je pense qu'on s'en rend compte par rapport à ce que je développe. Par conséquent, quand vous me demandez si je suis bien en ZFU, je réponds positivement et je ne partirai pas.
Enfin, il reste le problème des embauches. En tant qu'adhérent au club des entreprises de ma ville (je ne suis donc pas du tout contre l'opinion de M. Mura puisque nous faisons le même boulot), je rencontre d'anciens concurrents qui me disent qu'ils ne peuvent plus être en ZFU parce qu'il leur manque un salarié alors qu'ils sont électriciens, tout comme moi, et que, dans le quartier, il y a de nombreux électriciens qui ont fait des études et un BEP électrotechnique. Quand je leur demande donc pourquoi ils ne peuvent pas avoir de salariés alors qu'il y en a beaucoup dans le quartier, ces personnes qui sont venues de l'extérieur pour s'installer en ZFU me répondent : « C'est parce que je n'ai pas confiance ». Cela me choque.
Si on vient s'installer en zone franche, il faut déjà avoir confiance en ces gens. Sinon, il faut rester où on était. Je réponds donc à votre question que les choses se passent des deux côtés. Il est vrai que certaines entreprises ont besoin de personnel qualifié et qu'il n'est pas évident de passer par la formation, qui nécessite de faire des sacrifices, mais, pour reprendre l'exemple que vous avez cité, il suffit parfois d'avoir un salarié à mi-temps pour éviter d'avoir un redressement de 250 000 €.
M. Cédric NADOTTI .- Je souhaite revenir sur ce que demandait Mme Voynet tout à l'heure concernant le dérapage à l'école. On dit qu'il n'y a pas assez de personnel qualifié dans ces quartiers, mais je pense que l'éducation nationale n'est pas en phase avec le monde de maintenant. Quand j'ai quitté l'école, j'étais bon élève, j'avais de bons résultats et je suis sorti de 3 e , mais j'ai dit à mes parents que la méthode ne me convenait pas et que le système ne me plaisait pas. Rester assis sur ma chaise et entendre quelqu'un me raconter le théorème de Pythagore ou autre chose ne me convenait pas à partir du moment où je ne touchais pas à des choses concrètes.
Cela rejoint le problème de l'apprentissage à 14 ans. Certains sont faits pour apprendre en touchant alors que d'autres le font en lisant ou en écoutant quelqu'un. Le système scolaire est uniquement fait pour les gens qui apprennent avec des livres et certains s'y adaptent mais d'autres ne peuvent pas y arriver. Dans les quartiers, jusqu'à maintenant, nous avions des fils d'ouvriers et des gens non qualifiés ; aujourd'hui, nous avons beaucoup de gens plutôt manuels, qui sont faits pour apprendre sur le terrain, dans une approche technique, et il n'y a pas de système pour eux. A part l'apprentissage qui commence à avoir une bonne publicité et qui se développe, je pense qu'il y a quelque chose à faire dans les quartiers dans le sens de la formation et de l'information sur ce qui existe pour apprendre un métier.
On a évoqué tout à l'heure les ferronniers : à Aulnay, des sociétés de ferronnerie ont fermé justement parce qu'elles ne trouvaient pas de main-d'oeuvre alors que ce sont des métiers dont nous n'entendons jamais parler à l'école, de même que le métier de tailleur de pierre, par exemple. Quand je suis sorti de 3 e et que j'ai souhaité apprendre un métier et quelque chose de concret, on m'a dit : « C'est facile : tu as comptabilité, électromécanique ou coiffure. » Ce sont vraiment les seules voies que l'on m'a indiquées alors que je voulais faire du dessin ou de la sculpture sur pierre. Cela n'existait pas à l'école et c'était abstrait pour tout le monde.
Il faudrait vraiment faire un effort pour ces quartiers en matière de formation et d'information sur les métiers qui existent et sur ce qu'il est possible de faire en dehors de la comptabilité ou de la coiffure.
M. Mamadou BEYE .- Vous nous avez demandé si nous voyons des avantages aux zones franches urbaines et si nous souhaitons y rester. Personnellement, je ne suis pas en zone franche urbaine : je me suis installé au centre-ville des Mureaux pour mon activité parce que je voulais être au service de tous et de toutes les personnes qui peuvent rencontrer des difficultés, notamment les handicapés, et que le centre-ville offre beaucoup de possibilités de transport.
Par ailleurs cela aurait fait plaisir à M. Mura , je pense qu'il faut faire attention aux parcours individuels. J'habite à Verneuil-sur-Seine, ni en zone franche urbaine, ni en zone urbaine sensible, et je partage le point de vue de M. Mura, qui disait que certains veulent en partir. C'est une question de parcours individuels : certains veulent rester dans les cités et d'autres préfèrent en partir. Or, autant il faut faire venir des gens de l'extérieur des classes moyennes, autant il faut favoriser une extension sociale dans ces zones pour les personnes qui veulent y rester pour favoriser la mixité sociale.
Cela étant dit, je tiens à signaler un aspect aberrant. Lorsqu'on permet à des entreprises de s'installer en zone franche urbaine et de bénéficier de certains avantages, c'est pour qu'elles puissent recruter des habitants de ces mêmes ZFU. Personnellement, bien que je n'y sois pas, alors que j'essaie de faire travailler des jeunes qui sont justement issus de ces quartiers, on me dit que ces jeunes ne sont pas prioritaires. C'est vraiment une aberration. Je reviens à ce que je disais tout à l'heure : je ne suis pas obligé d'être en zone franche urbaine pour bénéficier d'avantages que je ne demande pas. Je ne demande qu'une chose : des efforts dans le cadre du dispositif d'insertion.
Depuis les événements de novembre dernier, je n'ai pas vu de mesures phares. Or il existe déjà des choses dont on pourrait faire bénéficier les jeunes en leur disant qu'ils ont été entendus et que si, jusqu'ici, ils ne remplissaient pas certains critères, ils pouvaient désormais accéder au dispositif d'insertion à partir du moment où ils habitaient en zone franche urbaine ou en zone urbaine sensible.
J'ai eu le cas d'un jeune ayant un casier judiciaire pour lequel on a refusé de me délivrer l'agrément uniquement parce qu'il n'était pas suivi par un certain type d'administration. Nous sommes confrontés à des aberrations de ce genre. Pour mon entreprise d'insertion, j'ai un financement du Fonds social européen pour former des gens de façon concrète à partir des difficultés qu'ils rencontrent quand nous les mettons en mission. Malheureusement, personne n'en bénéficie actuellement et je vais devoir rendre ces crédits du FSE l'année prochaine alors que je suis installé aux Mureaux, je le rappelle une nouvelle fois. Je vais devoir rembourser 14 000 € de subvention qui auraient pu bénéficier à des jeunes.
Dans cette histoire de zones franches urbaines ou non, il faudrait aller au-delà et essayer de voir comment on peut faire progresser l'emploi pour les jeunes qui, d'une manière générale, vivent dans les quartiers dits difficiles.
M. Alex TÜRK, président .- Je souhaiterais que vous nous disiez ce que vous attendez du système éducatif. Vous dites que vous n'avez pas eu toutes les réponses que vous souhaiteriez et M. Mura a parlé tout à l'heure d'un déficit de qualification, mais qu'attendez-vous concrètement ?
Mme Hinde MAGADA .- Je vais apporter mon témoignage à ce sujet. Grâce aux Talents des cités, j'ai pu assister à des conférences et j'ai entendu le témoignage d'un proviseur qui parlait des difficultés que rencontraient certaines personnes dans leur cursus scolaire. C'est ainsi que j'ai appris que certains ateliers pédagogiques sont organisés autour des relations entre parents, professeurs et élèves, ce qui est très intéressant. Pour les conseils de classe, par exemple, les professeurs sont face aux élèves, c'est-à-dire qu'il n'y a plus ce système de délégués de classe qui transmettent le lendemain aux élèves ce qui a été dit au moment du conseil de classe, ce qui amenait parfois certains à brûler les voitures des professeurs !... En l'occurrence, ce rapport direct entre élèves et professeurs permet à l'enseignant de parler directement des lacunes et des difficultés de chacun. De même, le bulletin de notes est directement donné aux parents, ce qui évite de cacher le bulletin, de faire des fausses signatures et ainsi de suite.
Dans son collège, ce proviseur a constaté que six familles sur dix ne parlaient pas français à la maison. Il a donc instauré des ateliers pédagogiques pour donner des cours d'alphabétisation, mais aussi des ateliers d'échanges dans différents domaines, notamment la peinture ou d'autres approches culturelles. D'où l'importance du relationnel qui permet d'améliorer le système éducatif.
Enfin, je rejoins ce qu'a dit Cédric. Dans le système scolaire, il est vrai qu'on nous cantonne dans certaines filières en nous disant d'aller dans telle filière parce que, dans telle autre, il n'y a pas de débouchés. Au bout du compte, nous nous retrouvons tous dans la même filière et on ne tient pas compte de la motivation de l'élève, on n'est pas assez attentif à ce qu'il veut réellement.
Dans mon cas, on m'a dirigée dans le commerce international parce que j'étais bonne en commerce, en comptabilité et en langues étrangères, mais quand j'ai vu ce qu'on me proposait d'un côté pratique, j'ai compris que ce n'était pas vraiment ma vocation. J'ai donc dû accepter d'autres professions, jusqu'à trouver quelque chose dans le secrétariat médical, qui est vraiment ce que je voulais faire.
M. Alex TÜRK, président .- J'entends bien, mais, vous-mêmes, puisque vous dirigez des entreprises aujourd'hui, qu'attendez-vous du milieu éducatif par rapport à votre vocation professionnelle et comment souhaiteriez-vous que les choses se passent ? On a évoqué tout à l'heure le fait que les jeunes qui venaient des quartiers en difficulté ne soient pas toujours opérationnels dans vos entreprises. Qu'attendez-vous exactement ?
M. Cédric NADOTTI .- Tout à l'heure, M. Mura a parlé des stages de 4 e . A l'heure actuelle, dans mon entreprise, j'ai trois stagiaires qui ont 20, 22 et 24 ans et, l'année dernière, ceux que j'avais pris avaient 16, 18 et 20 ans. Je me suis aperçu que, lorsqu'ils viennent en entreprise, on ne leur fait pas comprendre que c'est pour découvrir le monde du travail et un métier, du moins pour les plus jeunes, c'est-à-dire que ceux qui arrivent en entreprise à 16 ans dans le cadre des stages de 3 e ou de 4 e n'ont aucune présentation de leurs stages par leur collège. On leur dit qu'ils vont faire un stage en entreprise sans leur donner aucun objectif.
Quand ces stagiaires qui étaient en 3 e ou en 4 e sont arrivés, j'avais l'impression qu'ils étaient persuadés que j'allais leur demander de travailler et qu'ils auraient des objectifs dans la société alors qu'évidemment, on ne va pas demander à un enfant qui est en 4 e ou en 3 e et qui n'a jamais travaillé de le faire. Ils sont là pour découvrir l'entreprise et pour voir ce qu'est le milieu du travail et le monde de l'entreprise, ne serait-ce que la manière de s'habiller, d'être à l'heure, de parler aux gens, etc. Dans un premier temps, c'est cela qu'il faut leur apprendre au moment des stages en entreprise.
Mme Dominique VOYNET .- Vous-mêmes, en tant que jeunes patrons, comment avez-vous découvert la gestion, la législation, le management et le recrutement pour ne pas vous tromper quand vous choisissez un collaborateur ? Avez-vous fait cela sur le tas et vous êtes-vous fait aider ?
M. Cédric NADOTTI .- Dans mon cursus, j'ai eu la chance d'avoir certains postes à responsabilité : je me suis retrouvé responsable à vingt ans d'une trentaine de conducteurs routiers et j'étais donc déjà confronté à cette notion de management que j'ai apprise sur le tas. Ensuite, j'ai travaillé dans la gestion commerciale et la gestion en entreprise puisque j'ai été recruté par une société pour développer un pôle « déchets spéciaux », qui n'existait pas.
J'ai donc tout appris au fur et à mesure et sur le terrain ; je n'ai pas suivi de formation ou de cours particuliers. Je répète que certaines personnes sont faites pour apprendre dans les cours et que d'autres apprennent les choses en pratiquant.
M. Mamadou BEYE .- Certains apprennent aussi autrement. On critique beaucoup la formation universitaire, mais en ce qui me concerne, j'ai suivi une formation universitaire en sociologie et cela m'a beaucoup aidé dans les différents emplois que j'ai obtenus. Il est vrai qu'il n'est pas facile de trouver du travail, mais dès qu'on est en situation, la culture générale que l'on a acquise permet de se mettre très vite en situation et de s'adapter. Si je peux faire aujourd'hui un métier qui demande une grande qualité d'écoute, qui impose de faire de l'analyse, d'écrire des rapports et de travailler sur dix métiers différents en même temps, c'est parce que j'ai eu une formation universitaire, tout simplement.
M. Alex TÜRK, président .- Certains d'entre vous ont dit qu'ils n'avaient eu aucune formation alors que vous, monsieur Beye, vous avez eu une formation universitaire solide, mais qu'en est-il des autres, qui ne sont dans aucun de ces deux cas ? Je parle ici de ceux qui ont suivi une formation et qui s'arrêtent au niveau du bac ou un peu après le bac mais sans aucun aboutissement. Ceux-là n'ont ni la formation professionnelle nécessaire, ni ce que vous évoquiez à l'instant. A Marseille, quelqu'un a qualifié cela de « savoir être » en disant qu'il y a une hiérarchie en entreprise et qu'on apprend notamment à venir au travail à une certaine heure. Ce sont des choses que plus personne n'enseigne.
Je reviens donc sur la même question. J'ai bien compris que le savoir être était un point essentiel qui n'est pas traité dans les établissements scolaires aujourd'hui et qu'il faut y songer. Cependant, du point de vue de la formation professionnelle, comment peut-on arriver à corriger les trajectoires qui partent dans certaines impasses ? Par exemple, si, dans certains établissements scolaires du second degré, on enseigne des métiers qui n'existent plus, qui doit le dire aux représentants du secteur éducatif ? Vous sentez-vous capables, en tant que chefs d'entreprise, de dire que vous êtes prêts à collaborer avec le milieu enseignant pour adapter les programmes aux besoins des jeunes que vous embauchez ? Tout cela vous paraît-il concevable ?
M. Cédric NADOTTI .- Oui, mais surtout au niveau de mon entreprise. Je suis en effet prêt à m'engager auprès des écoles de ma ville, de la maternelle au centre de formation, sur certains sujets touchant à l'entreprise, mais je ne suis pas sûr que toutes les entreprises seraient prêtes à s'engager pour modifier le système de formation ou apporter des idées. Il y a un gros décalage entre l'école et le travail.
Personnellement, je suis sorti de l'école à 16 ans et quand je reçois dans mon entreprise des jeunes de 3 e qui ont cet âge, j'ai vraiment l'impression qu'ils n'ont rien à voir avec moi quand j'avais 16 ans. Il suffit de voir la manière dont ils disent bonjour et dont ils serrent la main : c'est vraiment surprenant. J'avais l'impression de serrer la main à des mannequins !
Il en est de même pour la tenue vestimentaire. J'ai reçu un jeune qui cherchait du travail. Il est arrivé dans mon bureau avec son CV en portant la casquette, le tee-shirt Umbro et la chaîne en or, et il avait la même tenue sur la photo de son CV ! Je lui ai donc dit ceci : « Écoute, on parle de discrimination à droite et à gauche, tu t'appelles Mohammed Ben-Ali, tu arrives avec ta casquette, ta chaîne en or autour du cou et ton tee-shirt Umbro et tu vas te plaindre qu'il y ait de la discrimination derrière ? » et j'ai ajouté : « Tu refais une photo en mettant une petite chemise ou un petit polo (on ne te demande pas de mettre une cravate) et tu reviens me voir. Tu ne vas pas te promener avec tes copains au cinéma ou à la patinoire ; tu viens chercher du travail. » Il est parti, il a refait son CV et il est revenu bien habillé avec une photo sur laquelle il portait un petit polo.
En fait, on ne le lui avait pas dit et il ne le savait pas ! La représentation, les manières et le savoir être sont déjà la base du travail. Le premier chef que j'ai eu quand j'ai commencé à travailler m'a fait aimer le travail. Il m'a dit ceci : « Si tu te lèves le matin et que tu n'as pas envie de travailler, ne viens pas ! » C'était clair et net. Quand on va au travail, on a envie d'y aller ; on n'y va pas par la contrainte.
Mme Hinde MAGADA .- A mon avis, on devrait privilégier le partenariat entre les entrepreneurs et les centres de formation. Chez moi, je travaille en collaboration avec l'AFPA, l'association de formation pour adultes, et je suis membre de la commission d'attribution des diplômes. L'épreuve se passe sur une journée : le matin, il y a des simulations d'appel (il s'agit de secrétariat, bien évidemment), l'après-midi, nous avons un entretien professionnel au cours duquel nous discutons de la motivation de chaque candidat, de son parcours et de ce que va lui apporter son diplôme, et nous terminons par une délibération à l'issue de laquelle nous décidons si nous pouvons lui attribuer le diplôme en tenant compte de l'impact que peut avoir le fait qu'il ne l'obtienne pas. Ce système est assez intéressant parce que cela nous permet non seulement de faire connaître notre métier, mais de donner envie aux candidats et de les orienter dans ce secteur. En général, quand on forme ces personnes, elles sont assez intéressées et on obtient de bons résultats.
M. Alex TÜRK, président .- Nous n'avons plus de questions. Nous vous remercions.