Audition de M. Jean-Pierre BELLIER, directeur général d'Agir pour la citoyenneté (APC) et président d'APC Recrutement, M. Said HAMMOUCHE, directeur général d'APC Recrutement, et M. Samir ABASSE, porte-parole de l'Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble et Unis (ACLEFEU) (27 juin 2006)
Présidence de M. Alex TÜRK, président.
M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie de votre présence et je donne tout de suite la parole à M. Jean-Pierre Bellier, en lui demandant de nous exposer ses préoccupations en une dizaine de minutes.
M. Jean-Pierre BELLIER .- En guise de préambule à cette audition, il me semble nécessaire de préciser les conditions dans lesquelles des structures comme les nôtres ont émergé dans le paysage des quartiers populaires. Agir pour la citoyenneté (APC) a été créé par Karim Zeribi et moi-même en 2001 après avoir constaté, à travers nos activités professionnelles ou associatives mutuelles, un certain laisser-aller des politiques publiques en matière de promotion de la diversité et de l'égalité des chances, singulièrement dans les quartiers populaires.
Autrement dit, la structure mère, qui a donné ensuite naissance à d'autres structures sur lesquelles je reviendrai dans mon propos, a été entièrement définie au travers de ce regard que je qualifierai à la fois de bienveillant et de critique. C'est pourquoi on peut parler de critique bienveillante. Bienveillant parce que la problématique des jeunes dans les quartiers en difficulté était prise en compte depuis quelques décennies, notre propos, à cette époque, n'étant pas de nous placer en travers de ces initiatives ; critique parce que nous avions le sentiment et c'est toujours le cas que cette question était géré, d'une part, de manière extrêmement politique, et donc parfois opportuniste, au gré de ce que peut représenter un potentiel électoral dans les quartiers populaires, et, d'autre part, de manière très segmentée par les administrations qui sont en charge ensuite de la mise en oeuvre de ces politiques.
Pour résumer mon propos d'entrée, je dirai donc que, d'une part, ces questions alimentent des initiatives politiques qui, pour moi, s'apparentent plus souvent à du marketing politique qu'à une réelle prise en compte de l'intérêt général (et je ne donnerai pas de noms) et que, d'autre part, cette volonté politique peut se traduire par des actes qui sont à chaque fois mis en oeuvre par des structures administratives ou para-administratives, c'est-à-dire publiques, parapubliques ou privées, qui n'appréhendent ces questions que sur une seule couche ou un seul segment, selon que l'on se place horizontalement ou verticalement.
C'est le premier message fort que je souhaite adresser à votre instance.
Dans ces conditions, toutes les initiatives comme les nôtres (et je ne revendique ni la primeur, ni la primauté, ni l'excellence de l'initiative que nous avons pu prendre autour d'Agir pour la citoyenneté) ont eu pour vocation de rassembler et de mettre autour de la même table tous les acteurs concernés de près ou de loin par toutes ces problématiques et de chercher à décloisonner la prise de conscience de l'importance politique d'une vision systémique ou « ensemblière ». J'insiste beaucoup sur ce point parce que, pour nous, le fait d'interpeller tous les politiques et tous les acteurs, qu'ils soient publics ou parapublics, sur l'impérieuse nécessité de mettre en place un minimum de coordination dans la prise en charge de cette question a été une démarche très volontariste d'Agir pour la citoyenneté.
Quelles ont été les conséquences de ces initiatives ?
Tout d'abord, comme nous le faisons depuis 2001, nous avons essayé de porter la voix des jeunes des quartiers populaires de telle sorte qu'ils ne soient pas uniquement entendus sur un registre revendicatif et misérabiliste mais sur le registre de l'initiative, de la création et de la volonté d'appartenir à 100 % à la société française dont ils sont membres à part entière, au même titre que vous et moi. Cela a été notre volonté et notre doctrine.
Par exemple, cela a consisté à les réunir dans le cadre d'événements comme les parlements des quartiers. Nous avons tenu huit parlements des quartiers, puis un parlement des banlieues, ici même, au Sénat, au mois de novembre, dans une démarche toujours constructive et non revendicative. Au travers de ce type de réunions et de rencontres, l'idée est de rencontrer les administrations et les politiques pour leur dire qu'un certain nombre de choses extrêmement simples à mettre en oeuvre permettraient de donner des réponses satisfaisantes aux jeunes des quartiers.
Dans ces réponses à donner, figure bien entendu ce que j'ai évoqué tout à l'heure avec insistance : la démarche « ensemblière ». Comme vous le savez comme moi, la société française j'en suis un témoin vivant dans le cadre de mes activités professionnelles qui n'ont pas à être évoquées ici ressemble à un millefeuille : c'est une superposition de couches qui ont toutes des cibles, et donc des publics, parfois captifs, catégorisés de manière caricaturale. Quand on a 26 ans et un jour, on n'appartient plus à la même catégorie que lorsqu'on a 25 ans et 364 jours. Ce sont autant de rendez-vous manqués qui sont dus uniquement au fait que les dispositifs sont à ce point étanches et imperméables les uns par rapport aux autres qu'ils ne fonctionnent pas.
Cela fait partie de notre action, qui s'est traduite notamment, si je prends le dernier événement en date, par les conclusions et les 19 propositions du Parlement des banlieues que nous avons transmises à l'ensemble des formations politiques et, notamment, au ministre chargé de la promotion de l'égalité des chances, qui les a d'ailleurs accueillies et qui en a tenu compte. Nous les avons transmises aux médias ainsi qu'à nos réseaux, puisque, derrière Agir pour la citoyenneté, un certain nombre d'associations interviennent dans les quartiers populaires et sont dans la même mouvance. Notre association Agir pour la citoyenneté n'est pas une tête de réseau : elle a pour but de permettre à tous les auteurs des initiatives de terrain de se parler et de confronter leurs points de vue et leur action.
Voilà, très brièvement, le premier tableau que je souhaitais dresser.
Je mettrai l'accent sur l'une des initiatives d'Agir pour la citoyenneté : la création du cabinet APC Recrutement, qui a bientôt dix-huit mois d'existence, dont Said Hammouche est le directeur général et que j'ai l'honneur de présider.
Le cabinet APC Recrutement est parti d'un constat de base. Toutes les études montrent que, dans les quartiers populaires, on a, certes, des jeunes sans qualification qui sont marginaux, parfois marginaux séquents, mais également une proportion non négligeable de jeunes diplômés et qualifiés qui n'ont pour ambition que d'entrer sur le marché du travail, qui sont victimes d'une suspicion de délit d'adresse, c'est-à-dire territorial, en habitant des quartiers socialement considérés comme suspects, où se développe une économie souterraine ou des attitudes orthogonales par rapport au fonctionnement de notre société, et qui ne peuvent pas être employés au motif qu'ils sont originaires de telle ou telle région du monde et que, par conséquent, leur rapport au travail est suffisamment différent de celui qui est censé être le nôtre pour être catégorisés ou catalogués d'inemployables.
Or, dans ces quartiers populaires, vous savez comme moi que l'on trouve mêlés des jeunes de toutes origines : il n'y a pas que des Said ; il y a aussi des David, des Jean-Pierre et des Mamadou qui sont diplômés, qui cherchent impérativement à s'insérer professionnellement, parce qu'ils savent bien que la vie professionnelle est le gage incontournable d'un équilibre de notre vie en société, et qui ont beaucoup de difficultés à trouver l'employeur qui leur accordera le premier signe tangible de reconnaissance auquel ils aspirent.
APC Recrutement a aujourd'hui une base de données d'environ quatre milles jeunes diplômés des quartiers populaires, pour l'essentiel dans la région parisienne pour le moment parce que nous avons une activité associative et non pas à but lucratif. Nous fonctionnons à partir de quelques permanents et beaucoup de bénévoles et nous avons établi une méthodologie qui nous permet de proposer avec succès à quelques dizaines et, bientôt, quelques centaines de jeunes un accès à des métiers de cadre supérieur.
Cette méthodologie part aussi d'un principe fondamental lié à ce que j'ai dit précédemment : nous sommes profondément convaincus que les jeunes des quartiers populaires subissent une double contrainte : celle de leur origine (sociale, territoriale et ethnique) et celle qui les amène à être tentés de dissimuler leur origine ou la réalité de leur vie et de leur patrimoine en se réfugiant derrière l'idée de la remise d'un CV anonyme. Nous ne sommes pas contre le CV anonyme car nous pensons que c'est un élément qui peut faire avancer le débat, mais notre démarche est radicalement différente de celle-là. Nous faisons en sorte que tous les jeunes qui passent chez nous préparent un CV audiovisuel à partir d'une séquence vidéo d'une minute dans laquelle le jeune se présente en disant : « Je m'appelle Said Hammouche, Jean-Pierre Bellier ou Samir Abasse, j'ai tel âge, j'ai telle formation, telles compétences, telles aspirations professionnelles et tel calendrier dans mon évolution de carrière ou ma recherche d'emploi, et je suis à votre disposition. »
Aujourd'hui, nous constatons que les jeunes qui passent par ce média dont ils disposent ensuite (on les leur envoie sous fichier mpeg , sur une clef USB ou un DVD qu'ils peuvent remettre à un employeur) découvrent qu'ils n'ont pas besoin de dissimuler leur identité ou leur appartenance pour aller à la rencontre des employeurs, ce qui est essentiel dans la réflexion que nous devons avoir collectivement sur la manière de sortir les jeunes de nos quartiers populaires de l'ornière dans laquelle notre organisation sociale les a parfois assignés. Je parle souvent d'assignation à résidence.
M. Alex TÜRK, président .- Merci. M. Said Hammouche souhaite-t-il intervenir dans la foulée de ce qui vient d'être dit ou préfère-t-il que nous posions tout de suite des questions globalement ?
M. Said HAMMOUCHE .- L'idée étant d'être assez concis et l'essentiel de la présentation du cabinet dont nous nous occupons ayant été précisée dans les grandes lignes, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
M. Alex TÜRK, président .- Je donne donc la parole à M. Samir Abasse, qui représente l'Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble et Unis (ACLEFEU).
M. Samir ABASSE .- Bonjour. Je suis l'un des porte-parole du collectif ACLEFEU, qui s'est créé à Clichy-sous-Bois après les révoltes sociales de l'automne dernier qui ont eu lieu suite à la mort de deux jeunes dans un transformateur EDF de cette même ville.
Ensemble, en tant qu'individus et citoyens de la ville de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, deux villes limitrophes, nous avons décidé d'agir pour que la jeunesse de nos communes se prenne en main et se responsabilise, en considérant que si, sur le fond, le mouvement de ces jeunes était compréhensible, la forme en était totalement répréhensible. C'est ainsi que nous avons décidé de leur montrer la voie d'une action plus légitime et plus républicaine.
Ensuite, nous avons constaté à travers la création de notre collectif que nous ne pouvions pas agir uniquement sur le plan local. Nous avons donc développé une action durant le mois de mars sur l'ensemble de la Seine-Saint-Denis et nous avons eu de bons échos et de bons retours, notamment grâce à un partenaire qui nous a aidés en matière de logistique : l'Association nationale de la citoyenneté et de la prévention (ANCP), qui avait organisé l'opération « Je suis sport dans les transports », il y a quelques années, avec la RATP.
En partenariat avec cette association, nous avons développé une présence dans tous les quartiers, et non pas simplement les quartiers difficiles, qu'il s'agisse de quartiers de centre-ville, de quartiers populaires, de HLM ou de logements un peu plus distingués, dans les communes de Seine-Saint-Denis, pour constituer symboliquement un cahier de doléances qui fait la synthèse de ce que les gens attendent des prochaines échéances et de la classe politique qui les dirige et également, au-delà de la plainte et de la complainte, pour faire des propositions. Nous avons demandé aux gens non seulement d'être affirmatifs dans ce qu'ils souhaitent voir changer, mais aussi d'avoir un début d'idée et d'élaborer des propositions qui peuvent paraître parfois invraisemblables ou en décalage avec la réalité. On sait en effet qu'une loi naît souvent d'un contrat ou d'une idée simple, c'est-à-dire d'une évidence.
C'est ainsi que nous avons lancé l'idée du cahier de doléances qui a connu un grand succès en Seine-Saint-Denis et que nous avons eu ensuite la chance de mener cette action sur le plan national. Nous avons en effet organisé un tour de France qui a duré jusqu'à la fin mai et qui a concerné plus de soixante villes de province dans lesquelles nous avons été très chaleureusement accueillis, quelles que soient les étiquettes politiques.
Le succès a été tel que, alors que nous avions estimé des retours qui se situaient entre 35 000 et 50 000 doléances, nous en sommes aujourd'hui à plus de 200 000. Nous avons encore plus de travail que prévu, mais c'est un mal pour un bien et nous nous en satisfaisons.
D'une manière générale, les gens de province sont contents de voir que Paris s'intéresse à la province parce que, lorsqu'on va en province, quand on vient de la banlieue parisienne, on est quand même un Parisien, les gens identifiant beaucoup les pôles régionaux. Nous avons donc créé des liens avec d'autres associations, mais aussi avec des gens qui, à travers la France, souhaitent tout simplement inculquer les valeurs républicaines à la jeunesse française dans son ensemble. Nous avons rencontré des étudiants à travers les assemblées générales dans des facultés, nous avons vu des travailleurs et nous avons fait également des sorties d'usines et de supermarchés. En fait, nous avons rencontré l'ensemble de la population dans toutes les classes d'âge.
Certes, certaines personnes sont réticentes et pensent que cela ne sert à rien, mais beaucoup ont découvert quelque chose d'intéressant, dans la mesure où, enfin, on leur donnait la parole d'une manière assez simple. Ce sont des choses concrètes et réelles.
Je vous fais le point de ce qui ressort de ces 200 000 cahiers de doléances. Sachez avant tout que les gens recherchent la dignité et le respect. Ils se sentent totalement déconsidérés par les gens qui dirigent la France, victimes de ce fameux fossé qui existe dans les médias entre le microcosme parisien, la bulle politique et le reste de la France. Je ne reprendrai pas les formules de différents hommes politiques, mais il est plus que réel et les gens le vivent plutôt assez mal, comme des agressions verbales.
Ils aimeraient avant toute chose qu'on leur rende la qualité de vie qui fait que la France est ce si merveilleux pays dans lequel nous vivons tous. Ces gens ont perdu cet attrait pour la France dans laquelle ils sont nés ou arrivés depuis plusieurs années et ne comprennent pas tous les changements, les bouleversements, les préjugés et les stigmatisations qui pèsent sur chacune des populations.
D'une manière générale, on a cru beaucoup à la France de 1998, qui était très belle. Malheureusement, d'une manière symbolique, je dirai qu'elle s'est arrêtée le 11 septembre 2001 et qu'à partir de là, nous sommes tombés dans le stéréotype, le clivage, la segmentation et le communautarisme, tout ce qui fait qu'une société n'est pas pleine et entière mais divisée en couches et en sous-couches.
Voilà pourquoi, à travers ce collectif, nous essayons de porter la synthèse de toutes les demandes, propositions et doléances que nous avons recueillies et qui concernent des éléments récurrents comme le logement, la justice, les pratiques policières, l'emploi, la discrimination, etc., et qui sont toutes liées.
Aujourd'hui, la différence est avant tout économique. Le clivage ethnique, religieux ou physiologique est l'arbre qui cache la forêt. La vraie différence en France, aujourd'hui, apparaît comme une vraie fracture économique qui se creuse entre deux France et la classe moyenne n'existe plus. Ce qui faisait le lien entre les classes bourgeoises et « le peuple », pour reprendre des termes d'une autre époque, n'existe plus. Une grande partie de la classe moyenne s'effondre et connaît la précarité et de plus en plus de couches sociales vivent difficilement et grâce à l'assistanat. Les gens qui vivent de minima sociaux, du RMI ou d'allocations de chômage préféreraient ne pas y avoir droit parce que cela voudrait dire qu'ils gagnent correctement leur vie pour vivre dignement et dans les meilleures conditions possibles.
Ce climat détérioré pèse depuis ces dernières années sur le quotidien des gens en France et, dans cette situation, le moindre élément déclencheur peut conduire à un drame. Dans ce cas, on ne s'entend plus parler, on ne s'écoute plus, chaque partie s'enferme dans des stéréotypes et des préjugés et le dialogue n'est plus possible.
A travers notre initiative, nous avons cherché à renouveler le dialogue. Symboliquement, un an après le début des émeutes, qui ont commencé le 27 octobre l'an dernier, nous souhaitons remettre la synthèse de nos doléances à l'Assemblée nationale ou à des personnes capables de les exploiter pour obtenir une vraie reconnaissance. Sans prétention, nous avons fait un travail associatif que les maires font souvent et que les élus politiques qui se trouvent au-dessus font moins parce qu'il n'est pas dans la démarche d'un député d'être aussi proche de ses concitoyens que peut l'être un maire. Nous aimerions donc remettre cette synthèse de façon symbolique et, pour cela, nous cherchons les gens qui nous permettront de faire cette démarche.
En conclusion, je dirai que, si la classe politique actuelle et celle de demain arrivaient à comprendre et à mieux accepter la jeunesse d'aujourd'hui, la France de demain n'en serait que meilleure et plus forte et qu'elle en sortirait grandie malgré tout ce qui a pu se passer de négatif ces dernières années.
M. Alex TÜRK, président .- Merci. Nous allons vous poser quelques questions.
M. Jacques MAHÉAS .- Je remercie nos amis de nous avoir parlé un langage direct. Je suis sénateur de la Seine-Saint-Denis, je connais bien Clichy-sous-Bois puisque j'y ai été député pendant de nombreuses années et j'ai vu cette ville évoluer vers la ghettoïsation. La dernière fois que nous sommes allés dans cette ville ensemble, nous avons pu percevoir combien la Forestière avait mal évolué, par exemple, alors qu'à l'origine, quand j'étais député, en 1981, c'était une très belle cité, une cité même assez luxueuse. C'est vous dire que nous connaissons bien les quartiers et que les sénateurs sont parfois des hommes de terrain, ce qui vous rassurera sans doute.
Cela étant dit, j'ai une question à vous poser : comment réussir à impliquer les jeunes ? A Clichy-sous-Bois comme ailleurs, beaucoup ont dit qu'ils allaient réagir et s'inscrire sur les listes électorales, mais la réalité est tout autre : les jeunes ne sont pas inscrits sur les listes électorales et ils ont l'impression désastreuse que l'on ne s'intéresse pas à eux et que, quoi qu'ils fassent, ils resteront dans la difficulté de façon immuable.
Dans vos dix-neuf propositions, dont beaucoup sont sans doute communes avec celles d'ACLEFEU, je constate que figurent l'éducation, l'emploi, le logement ou l'urbanisme (on pourrait d'ailleurs peut-être gommer la 19 ème proposition, qui concerne l'image et la sémantique, puisque beaucoup, dont l'ensemble de la classe politique, ont tordu le cou à cette idée), mais qu'il n'y a pas de rapport entre cette jeunesse et les dirigeants politiques. Je voudrais donc savoir comment on pourrait l'améliorer et comment faire pour nouer le dialogue.
En tant que maire de Neuilly-sur-Marne, je vais au contact des jeunes dont je constate l'extrême diversité, entre ceux qui condamnent résolument les exactions commises par quelques-uns, même s'ils sont dans la plus grande difficulté, et ceux qui réagissent au moindre événement en cherchant à tout casser. Nous sommes d'ailleurs très inquiets parce que nous ne savons pas à quel moment peuvent éclater de nouvelles violences dans nos banlieues. Je voudrais donc savoir comment on peut améliorer les choses, si c'est possible et s'il n'y a pas un déficit terrible d'éducation. A mon avis, c'est l'éducation qui guide tout.
M. Jean-Pierre BELLIER .- Je vais vous donner une simple illustration. Les deux représentants de l'association « Z'y va », de Nanterre, que vous avez très justement souhaité auditionner, n'ont pas pu venir pour des raisons professionnelles, mais sachez que cette association a une activité extrêmement soutenue dans un quartier populaire de Nanterre (le quartier des Pâquerettes, que l'on appelle « le petit Nanterre », dont je suis moi-même issu, qui a été le quartier le plus dur de France pendant des années et qui reste difficile) afin d'instaurer un lien social au travers de rencontres mensuelles. C'est ainsi qu'André Comte-Sponville, Roland Castro, des enseignants ou des écrivains sont venus rencontrer la population.
Il se trouve que cette association « Z'y va » a organisé une soirée, vendredi soir, à l'occasion du match de football France-Togo, à laquelle, bien entendu, tous les élus étaient invités. Dans ce genre de soirées, les élus vous l'êtes vous-mêmes et vous le savez bien ont un certain nombre de manifestations à visiter. Les élus de droite comme de gauche sont donc passés, mais ils ne l'ont fait que pendant une heure, ce qui est déjà beaucoup dans leur temps compte tenu de leur agenda. J'imagine que vos agendas, messieurs les sénateurs, sont eux-mêmes très chargés.
Ce faisant, ils donnent le sentiment a priori qu'ils s'intéressent beaucoup à la vie de ce quartier, ils discutent avec des jeunes ou des mères de famille, car il faut savoir qu'à « Z'y va », toutes les générations sont représentées afin de sortir de cette logique « jeuniste ». Pour cette association, les mamans et les papas sont autant concernés, si ce n'est plus, parfois, par la problématique de l'évolution sociale des jeunes des quartiers.
Ils passent donc une heure et, malheureusement, le candidat à la prochaine élection législative a en même temps une rencontre dans un autre endroit, le maire de Nanterre a une inauguration ou le pot de départ à la retraite des enseignants de Nanterre, et le sénateur Karoutchi a une réunion ailleurs. Ils doivent donc partir. Paradoxalement, l'effet sur la population est contre-productif parce que, finalement, le fait de passer pour passer ne donne pas le sentiment aux habitants de ce quartier qu'ils sont pris en compte.
Les politiques doivent s'efforcer d'instaurer un minimum de régularité et non pas être dans une logique de one shot , en donnant le sentiment qu'ils s'intéressent à ces gens mais qu'ensuite, ils remontent dans leur voiture afin que leur chauffeur les emmène sur un autre lieu.
Le seul personnage qui a défrayé la chronique ce jour-là, c'est le sous-préfet à la ville, qui a été nommé dans les Hauts-de-Seine depuis huit mois et qui est l'ancien directeur général des services de Jean-Pierre Soisson quand il était à la région. Il est arrivé à 8 heures du soir et il est parti à 1 heure du matin, non pas sous un tonnerre d'applaudissements, parce que les relations ne le justifiaient plus, mais avec une considération que vous ne pouvez pas imaginer. Il n'a rien dit, il n'a pas cherché à entrer en contact de manière proactive avec tel ou tel ; il était là, il s'est tout simplement posé et il a pris de son temps. C'est une implication très forte pour le sous-préfet à la ville d'un département comme les Hauts-de-Seine. En une soirée, pour une cinquantaine ou une centaine de participants, il a tout simplement modifié la représentation des habitants de ce quartier sur ce que l'Etat pouvait apporter.
Pour beaucoup des gens présents, le sous-préfet à la ville est un homme politique : on ne lui demande pas de connaître le fonctionnement de notre système social dans tous ses détails. Pour autant, il a su, par sa disponibilité, son écoute bienveillante et sa présence, sans faire de « rentre dedans », donner le sentiment que, finalement, on s'intéresse à ce quartier.
Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais vous voyez que l'action permanente permet, certes, à l'homme politique ou au représentant de la population, qu'il soit député, sénateur, maire ou conseiller général, d'être présent et de donner le sentiment que son intérêt est humaniste et non pas uniquement opportuniste.
M. Samir ABASSE .- Je souhaite revenir sur la notion d'éducation que vous avez citée dans votre dernière phrase, monsieur le Sénateur. Il se trouve que je connais un peu le sujet puisque je suis enseignant contractuel dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis depuis trois petites années et que, dans une période antérieure, j'ai été recruté en emploi jeune dans une école primaire de Seine-Saint-Denis. En termes d'éducation, je vais vous donner deux exemples.
Le premier est celui des parents qui ont peu de moyens, qui ne travaillent pas, qui déposent les enfants à l'heure et qui viennent les chercher à l'heure mais ne leur offrent rien d'autre, en matière de loisirs et d'activités, que le bac à sable du bâtiment.
Le deuxième concerne des familles dont les parents travaillent tous les deux, qui mettent un certain temps pour se rendre à leur travail et qui vont déposer leur enfant à 7 h 30 à l'école et le récupérer à 18 heures.
Comment voulez-vous que des parents qui ne voient pas leur enfant (je parle essentiellement de l'école primaire) au moment où il est avide de questions, de connaissances et d'attention et a besoin d'un maximum de présence autour de lui, puisse progresser normalement ? Nous serons tous d'accord ici, je pense, pour dire qu'au-delà de 18 heures, un enfant qui est à l'école primaire n'a que très peu de temps avant d'aller dormir. On peut donc se demander à quel moment les parents peuvent apporter une notion d'éducation en profondeur lorsqu'ils sont en bas âge et lorsqu'ils se trouvent dans cette situation. Malheureusement, ils s'en remettent au système éducatif qui, à mon avis, est à revoir.
Du fait de ses conditions de travail, un enseignant ne peut pas apporter la même attention que ne peut le faire un parent ; même s'il le voulait et si on lui enlevait la moitié de ses élèves, ce ne seraient jamais ses enfants. Il faut donc un complément d'éducation entre celle des parents et celle du système éducatif, quelle que soit la nature, l'origine et la personnalité des parents ou le contexte économique et humain. Malheureusement, dans ces quartiers, même si les parents le voulaient, ils auraient du mal à apporter la personnalité de leur éducation, qui complète celle de la République, de manière à ce que ces enfants soient épanouis.
C'est là que le système éducatif peut intervenir. Personnellement, j'ai aujourd'hui des élèves de 15 à 20 ans, qui sont en BEP ou en bac pro, qui correspondent à ceux que j'ai eus il y a cinq ans en école primaire et qui sont tout simplement livrés à eux-mêmes. Lorsque nous remettons les bulletins aux parents, moins de 20 % peuvent venir le chercher sur trois trimestres et ceux qui peuvent venir le font au prix d'un effort considérable ou parce qu'ils ne travaillent pas. Ceux qui veulent venir le font souvent parce qu'ils sont seuls à éduquer l'enfant (les familles monoparentales sont de plus en plus présentes dans la société). C'est ainsi qu'à chaque fois, les relations, les faits et les gestes interviennent en flux tendu.
Dans ma classe, sur 24 élèves, je n'ai eu qu'un seul parent qui a accompagné son enfant à l'occasion du renouvellement des inscriptions, hier matin, un seul dont le dossier était complet. Tous les autres ont dû revenir parce qu'il y avait des pièces manquantes et que les enfants, lorsqu'ils sont livrés à eux-mêmes, même si ce sont déjà des adolescents de 16 à 17 ans, n'ont pas l'état d'esprit nécessaire pour se rendre compte de l'importance d'une simple démarche administrative en temps et en heure. Pour eux, ce n'est pas grave ; ils pensent qu'ils peuvent revenir plus tard ou le lendemain ; ils disent : « Il ne manque que trois papiers sur dix, ce qui n'est pas mal, non ? » Ils n'ont aucune notion de régularité et ils vivent toujours dans la demi-mesure. Ils ont le sentiment du « mieux que rien » et c'est ce qui les conduit à des comportements qui les font sortir de la ligne que la République fixe à ses élèves.
Voilà pourquoi, en termes d'éducation, il faut concilier les deux éléments.
M. Yves DAUGE .- Comme vous travaillez sur l'ensemble du territoire et non pas seulement en région parisienne, sentez-vous des analyses qui traversent tous les sites et que l'on peut considérer comme des éléments permanents et fondamentaux de la problématique ou percevez-vous des différences ? Si oui, lesquelles et sur quoi peut-on s'appuyer pour démontrer que, dans certains endroits, cela commence à mordre un peu ? Il est vrai que le constat que vous faites est bon et qu'il nous met devant un obstacle assez lourd à franchir, mais sentez-vous que, dans certains lieux, on est en train de le franchir et de progresser ?
Vous avez dit, ce qui est juste, que toutes les structures sont très segmentées et parcellisées, mais quelle est la réponse sur ce point ? Nous connaissons bien ce constat, mais comment l'Etat peut-il s'organiser mieux pour ce qu'il a à faire et, surtout, doit-on aller plus loin dans la décentralisation et donner plus de pouvoirs au maire ?
Quand on parle des « politiques », je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire que le maire n'est pas dans une situation égale aux autres dans son positionnement. J'espère du moins qu'il est perçu, comme vous l'avez dit tout à l'heure pour le sous-préfet, comme ayant quand même une relation plus permanente. Faut-il aller plus loin dans cette direction ? C'est une question de politique nationale, mais doit-elle être renforcée par une décentralisation plus forte autour des maires et, éventuellement, des agglomérations ? Ce sont des questions difficiles.
Enfin, dans vos questionnements et vos propositions, je ne vois rien qui concerne le domaine de la sécurité, de la justice et de la police. Est-ce un oubli ? Je serais étonné que personne n'en parle, quand même.
M. Samir ABASSE .- Je vais répondre en trois points.
Dans notre collectif, nous avons une jeune fille originaire de la région de Bordeaux, qui est éducatrice spécialisée et qui nous a permis de faire une intervention en dehors de notre tour de France, à travers un réseau associatif qu'elle avait développé du temps où elle vivait dans la région de Bordeaux. Durant un week-end, nous avons pu ainsi nous rendre dans la région de Bordeaux et présenter notre collectif et notre action. Nous avons eu alors un débat assez ouvert avec les associations que nous avons rencontrées là-bas et nous n'étions pas d'accord sur une certaine réalité économique.
En conclusion, cette jeune fille membre de notre collectif a dit qu'avec un RMI, on pouvait arriver à vivre en province alors qu'en Île-de-France et à Paris, on survivait à peine. Voilà une différence économique importante entre Paris et la province.
Ensuite, j'évoquerai les pratiques policières et le fonctionnement de la justice. Les révoltes sociales de novembre 2005, ont abouti à 5 500 arrestations et à 800 condamnations. L'ensemble des juges pour enfants du tribunal de Bobigny et des gens qui sont intervenus dans les différents dossiers, notamment un juge pour enfants qui est intervenu avec nous à l'ENS et qui a énoncé l'idée selon laquelle il faudrait presque une loi d'amnistie pour cette jeunesse qui s'est révoltée et qui ne l'a pas fait de la meilleure façon, certes, mais qui n'a su que répondre avec ses armes et ses moyens, à savoir la violence gratuite et inutile. D'une manière générale, cela répond à votre question sur les pratiques diverses.
Récemment, il y a encore eu quelques altercations avec les forces de l'ordre, les versions étant opposées entre la police et les gens qui étaient là. Encore une fois, c'est un dialogue de sourds. Une chose est sûre : depuis quelques années, la police a l'impression d'être couverte, c'est-à-dire qu'on lui facilite les choses. Je peux comprendre que la police durcisse le ton dans les quartiers où c'est nécessaire et dans les affaires extrêmement graves, mais, en même temps, je me demande où est la fibre sociale et le côté communicatif de la police.
La police doit intervenir et faire respecter la loi ; il n'y a aucun problème sur ce point et nous ne remettons pas son rôle en cause. Nous voulons simplement dire qu'à un certain moment c'est là qu'un fonctionnaire de métier et de terrain fait la différence , un policier doit sentir s'il doit sortir d'une cage d'escalier avec un prévenu par la force ou expliquer simplement à cette personne que c'est la logique d'une procédure qui l'emmènera soit à l'incarcération, soit à une libération et qu'il faut le respecter.
Dans le temps, bien que je ne sois pas très âgé, nous avions l'impression que les policiers qui étaient en face de nous prenaient le temps d'avoir une démarche sociale, d'expliquer les choses, d'avoir un contact humain et une proximité. Depuis cinq ou six ans, le moindre rapport avec la police est immédiatement tendu et on tombe dans l'enfermement systématique. C'est une dérive de la police dont les gens se rendent compte.
Certes, les gens des quartiers ont une part de responsabilité parce qu'ils vivent moins bien les choses et les prennent donc tout de suite à coeur en étant piqués au vif, mais la police, de son côté, fait moins son travail social et de proximité.
Enfin, je vous réponds très directement sur l'action de proximité : un maire avec plus de pouvoirs, oui, peut-être je ne suis pas politologue , mais un maire sans moyens, non. A travers notre tour de France, nous avons rencontré quelques maires et leurs adjoints dont certains ont fait état de bonnes initiatives qu'ils avaient les moyens de mener alors que d'autres ne les avaient pas. Certains maires nous ont dit qu'ils attendaient toujours l'argent de 2004 ou même de 2003 sur tel ou tel projet, en nous expliquant qu'à une époque, on leur demandait de créer des projets en banlieue et en province pour dynamiser les quartiers, que les habitants avaient amené 50, 70 ou 100 projets en mairie et qu'après avoir remonté l'information, ils n'avaient pas obtenu d'argent pour financer toutes ces démarches.
C'est très décevant pour les gens. On leur dit d'apporter des projets en leur promettant de les aider pour les mener à bien et, malheureusement, cela s'arrête souvent dans le sens ascendant. Les gens se lancent dans la démarche, puis ils attendent et quand cela finit par remonter, une loi ou un décret modifie l'action de base.
Le vrai problème entre les politiques et les citoyens se situe dans cette lenteur d'exécution des décisions prises et des mises en place concrètes susceptibles d'apporter une dynamique aux différents quartiers dans les villes de France.
M. Said HAMMOUCHE .- Je souhaite émettre un petit bémol sur l'appréciation concernant l'éducation. Je considère en effet qu'aujourd'hui, s'il y avait un vrai déficit éducatif dans les familles qui habitent les quartiers populaires, nous connaîtrions régulièrement les phénomènes de crise des banlieues que nous avons connus cet hiver. A cet égard, je préfère d'ailleurs utiliser le mot « révolution » des banlieues plutôt que le terme « émeutes » qui est souvent utilisé. Quand on parle de la révolution de mai 1968 et que l'on essaie de revendiquer un certain nombre d'idées, on utilise la sémantique de la révolution, mais dès qu'il s'agit de la banlieue, on parle immédiatement d'émeutes. Je tenais à le préciser.
Effectivement, la vie dans les quartiers populaires n'est pas facile. Beaucoup de familles baissent les bras parce que cela devient trop compliqué, parce que le fils ne trouve pas de métier, parce qu'on n'est pas entendu par les élus ou parce que le pouvoir d'achat est de plus en plus réduit, notamment du fait de l'augmentation de l'euro, autant d'éléments qui ont des conséquences sur l'éducation. Cependant, je pense qu'aujourd'hui, nous avons justement la chance d'avoir une bonne prise de conscience d'un certain nombre de parents qui s'occupent de leurs enfants du mieux qu'ils peuvent, avec les faibles moyens dont ils disposent, et cela se passe plutôt bien en termes d'éducation.
Je répondrai ensuite à votre question sur la différence entre les territoires en orientant ma remarque sur la question de l'emploi. Sur la population qui est inscrite aujourd'hui dans notre base de données, soit 3 600 candidats, 60 % habitent Paris et l'Île-de-France, et nous avons un grand nombre de candidats dont le niveau est supérieur à bac + 3 à Paris, un phénomène que l'on ne retrouve pas forcément en province. Cela veut dire que, si on veut agir sur les postes de cadres en France, il est plus intéressant de travailler en priorité sur la population parisienne et celle de l'Île-de-France. En effet, dans notre vivier de candidats, nous avons plus de mal à trouver en province des candidats diplômés issus d'écoles intéressantes et ayant suivi des parcours brillants, notamment universitaires. C'est un fait.
C'est la position que nous défendons à travers APC Recrutement en revendiquant les modèles de réussite que l'on trouve dans les quartiers populaires. On y trouve en effet un certain nombre de candidats qui ont été formés dignement par l'école de la République et qui représentent, à travers nos statistiques, plus de 70 % de nos effectifs ayant un niveau de bac + 3 et qui peuvent occuper, demain, des postes à responsabilité en entreprise.
Tout notre travail consiste à entrer en médiation avec les recruteurs, à accroître leur confiance et à leur demander de braquer un regard différent en s'intéressant à cette population qui va être nécessaire à un moment donné pour la croissance de leur entreprise.
Le phénomène du « papy-boom » créera des besoins de salariés demain. Il en est de même aujourd'hui pour les marchés en tension. Pourquoi cela ne pourrait-il pas concerner les salariés qui habitent les quartiers populaires ? Il faut faire un travail sur cet aspect.
Ma troisième remarque concerne la police de proximité. Evidemment, il faut décentraliser un peu plus que les pouvoirs accordés par la loi de 1992 dans certains territoires ne permettent de le faire, mais on se rend compte qu'en Île-de-France, bien que nous ayons la banlieue est et la banlieue ouest, le PIB du Conseil général de la Seine-Saint-Denis correspond à celui de la Grèce.
Le phénomène des quartiers est un peu mieux traité. On donne un peu plus de moyens aux communes pour pouvoir réagir et travailler en lien et en proximité, et cet équilibre ne se voit pas de manière plus significative à l'est de Paris. Il y a donc une histoire de pouvoirs et de moyens qui est nécessaire et je pense qu'aujourd'hui, nous pouvons oser donner un peu plus de moyens à certaines communes et certains territoires à travers différents outils, les comités d'agglomération ou autres. Il est donc intéressant de s'intéresser à cette question de la décentralisation étendue sur certains territoires.
Pour finir, je ferai une remarque concernant la police de proximité pour illustrer ce que je viens de dire. Lorsqu'on a les moyens d'avoir une police de proximité, on a le temps de faire de la sensibilisation et de la prévention et on peut mettre des effectifs qui vont être en contact quotidien avec la population, ce qui permettra de désamorcer un certain nombre de situations qui peuvent, à terme, si on ne s'y intéresse pas, devenir des bombes à retardement.
Le travail qu'a fait le sous-préfet à la ville avec « Z'y va » est remarquable. L'exemple que vient de donner Jean-Pierre permet de répondre à la première question qui portait sur les raisons pour lesquelles, aujourd'hui, la jeunesse a du mal à rencontrer le politique. Il en est ainsi parce que le politique est dans sa sphère de réflexion et que la jeunesse a la manière d'évaluer le politique à travers ses codes. Je pense qu'on a besoin de prendre le temps de se connaître, de se rencontrer et de discuter, tout simplement, sans avoir à faire de grands débats et occuper l'espace d'une manière médiatique.
M. Jean-Pierre BELLIER .- Je donne brièvement trois éléments en complément.
Sur le point de la réponse à la segmentation, question à mon avis fondamentale, le problème que nous rencontrons, c'est qu'aujourd'hui, le critère déterminant est la taille critique. Or on ne peut pas raisonner sur ce qui incarne une taille critique dans une zone fortement urbanisée comme en zone rurale.
En Seine-Saint-Denis ou les Hauts-de-Seine, la commune ou la ville a déjà une taille critique énorme. En revanche, si on se trouve en zone rurale, c'est peut-être le département qui représente la taille critique. Entre ces deux extrêmes, on a la ville, la communauté d'agglomération, la communauté de communes, le canton, le département... On s'aperçoit donc que le raisonnement que l'on doit avoir n'est pas strictement administratif. Il faut prendre en compte une donnée statistique ou démographique. Du coup, on ne peut pas décider de transférer ces compétences au département parce que, parfois, ce n'est pas le département qui est le plus compétent compte tenu de l'organisation territoriale. Il ne faut pas le perdre de vue.
En France, on a toujours le défaut d'appliquer des choses de manière doctrinaire. Si je me réfère à la décentralisation de la formation professionnelle à une certaine époque, en voulant décentraliser la formation professionnelle dans les régions, on l'a recentralisée, d'une certaine manière, parce que, auparavant, elle était traitée de manière déconcentrée par l'Etat au niveau des départements. La loi de 1993, qui a voulu donner une compétence complémentaire à la région, dans le souci de décentraliser, a finalement produit l'effet inverse de celui qui était recherché puisque, d'une certaine manière, on a recentralisé les choses au niveau d'une capitale régionale.
Je reviens aussi sur la question que vous avez posée, monsieur le Sénateur, au sujet de l'articulation entre sécurité, justice et police. Dans les quartiers populaires, les habitants sont soumis à deux sentiments très contradictoires. D'une part, ils ont un sentiment d'arbitraire et, d'autre part, ils estiment qu'ils bénéficient d'une certaine impunité qui peut encourager certains jeunes ou moins jeunes plutôt déviants à se dire : « Finalement, on peut y aller ! »
La vraie question est donc de savoir comment nos fonctions régaliennes peuvent donner aux populations le sentiment qu'elles sont respectées et, en même temps, qu'elles seront traitées de manière égalitaire ou équitable, de telle sorte que ce sentiment d'arbitraire et d'impunité soit évacué. En effet, les quartiers souffrent souvent de cette tension contradictoire qui génère les comportements que nous connaissons et qui sont parfois difficilement contrôlables.
Enfin, vous avez posé la question importante du distinguo entre la manière dont sont vécues ces questions à Paris ou en province ou dans les zones plus ou moins urbanisées. Comme l'a dit Samir Abasse, la question économique du niveau de vie se pose, c'est-à-dire que le rapport à la consommation n'est pas le même compte tenu des disparités très fortes entre les territoires.
De même, en ce qui concerne les cursus, comme Said le dit avec conviction et comme nous le constatons tous les jours, un jeune qui est à la recherche d'un emploi dans le quartier populaire d'une ville moyenne n'a pas le même background qu'un jeune en recherche d'emploi dans un quartier populaire. Il n'a pas le même cursus ni le même diplôme. Comme il existe en même temps une forte différence sur la nature des emplois offerts, le ratio entre la qualification et l'emploi, c'est-à-dire entre l'offre et la demande, n'est pas du tout le même en province (j'utilise ce mot pour faire vite, même si je ne l'aime pas) ou dans les villes moyennes que dans les grandes villes.
Bien entendu, la tension est beaucoup plus forte dans les villes de grande importance que dans les villes moyennes ou en zone rurale du fait de cette différence de ratio.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- M. Bellier a dit tout à l'heure que les politiques ne passaient pas plus de dix minutes ou d'un quart d'heure dans les diverses manifestations. Ce n'est pas le cas des sénateurs, puisque notre mission d'information est composée des représentants de toutes les tendances politiques et de toutes les commissions du Sénat, que nous avons passé des heures et des heures sur les quartiers de la région parisienne et de la province, la France ne se résumant pas à la région parisienne et que nous sommes également allés à l'étranger pour voir comment les choses se passaient, que ce soit à Barcelone, Londres ou Rotterdam, parce que nous sommes dans un environnement européen.
Ce que vous nous avez dit est fort intéressant et vous nous avez fait des propositions que nous entendons. J'ai déjà eu le plaisir de lire vos dix-neuf propositions, qui restent je vous le dis au moment où nous avons un rapport à rédiger très généralistes et que nous entendons un peu partout mais qui, pour moi, ne sont pas de nature, pour l'instant, à régler réellement les problèmes. Je pense que nous devons aller plus loin.
Je voudrais faire aussi une suggestion à M. Abasse. J'ai bien entendu qu'il préparait « l'anniversaire » du 27 octobre, si je puis dire, et qu'il voudrait que cet excellent travail qu'il a fait ne soit pas inutile. Notre mission d'information pourrait donc tout à fait porter votre cahier de doléances. Pour cela, il faudrait nous le présenter avant que nous rendions les conclusions de notre rapport afin d'en tenir compte, mais je pense que nous pourrions avoir aussi une présentation et vous soutenir dans votre démarche, ici, au Sénat, ou sur place.
Dans ce qui nous intéresse le plus, ou ce qui intéresse le plus le rapporteur, j'ai bien entendu, et je le partage, que nous sommes, dans tous les domaines de la société, dans des démarches « ensemblières », mais il est bon, justement, qu'à un moment ou un autre, nous arrivions à assembler les choses.
En fait, nous souhaitons avant tout à cet égard, la création de votre association après les événements et ses objectifs sont très importants connaître, au travers de vos propositions ou de vos doléances, les quatre ou cinq points forts qui posent réellement de grandes difficultés aux jeunes ou aux moins jeunes. Vous avez évoqué un certain nombre de pistes et nous sommes très attentifs à vos réflexions.
Ce qu'a dit notre collègue Yves Dauge est également très intéressant et je le partage totalement, mais, du fait de l'expérience que vous avez retirée de votre visite de soixante villes de France, j'aimerais bien qu'aujourd'hui ou plus tard, vous puissiez nous livrer un certain nombre de réflexions sur la manière dont les jeunes et les moins jeunes ressentent leurs différents problèmes, en dehors de l'aspect financier, dans les cités difficiles dans lesquelles vous vivez, entre la province et l'Île-de-France.
J'évoquerai en particulier le problème de la Seine-Saint-Denis, que nous avons vécu au travers de nos déplacements. Pour moi, c'est le problème le plus dur et le plus grave que nous rencontrons aujourd'hui en France du fait d'une concentration très forte. J'aimerais donc avoir aussi votre sentiment à ce sujet, aujourd'hui ou par écrit. Nous sommes tous des élus locaux je suis maire d'une ville de province de 70 000 habitants et, chez nous, les événements sont arrivés par répercussion de ce qui s'est passé en Seine-Saint-Denis. C'est pourquoi j'avais dit très rapidement après les événements que les flammèches de la Seine-Saint-Denis ne tarderaient pas à retomber sur nos villes, ce qui s'est produit, avec tout l'effet médiatique qui a entouré les événements.
J'étais en Hongrie début novembre et, lorsque j'ai allumé la télévision, je me suis demandé si je ne devais pas rentrer parce que j'avais l'impression que la France était à feu et à sang. Cela ne retire en rien les problèmes, mais cela y a largement contribué.
Cela étant dit, la Seine-Saint-Denis est l'un des départements les plus riches de France et l'un des départements où il y a le plus d'emplois en France. Il y a environ un mois, le journal Le Point a publié les résultats d'une enquête sur les départements dans lesquels il fait bon vivre en France. On constate ainsi que la Seine-Saint-Denis se classe en 26 e position et c'est une chose que j'ai retenue parce que mon propre département est 92 e . Vous voyez donc que l'on peut vivre encore plus difficilement en province.
Le problème de la Seine-Saint-Denis se posant avec plus d'acuité parce que les poches sont plus fortes, n'aurait-on pas intérêt à mener une action massive pour que la Seine-Saint-Denis ne devienne pas la référence de ce qui va mal dans des quartiers où nous pourrions vivre dans des conditions meilleures, même en appliquant ou en inventant des dispositifs nouveaux ? Nous devons réfléchir dans ce sens.
Enfin, je voudrais que vous m'éclairiez sur le problème de la formation et de l'emploi car nous entendons en général deux discours contradictoires qui sont tous les deux assez justes.
Le premier est celui d'un certain nombre de personnes c'est votre cas, monsieur Hammouche qui disent : « Nous avons beaucoup de jeunes fortement diplômés, de niveau bac + 3, qui ne trouvent pas d'emploi ». C'est grave, parce que ce sont ces jeunes qui, bien souvent, servent de référence dans les quartiers difficiles que nous avons tous dans nos villes et qui font dire ensuite aux autres jeunes : « Malgré des études très poussées, mon frère, mon cousin ou mon voisin ne trouve pas de boulot ! »
Le deuxième discours est celui des chefs d'entreprise que nous rencontrons, notamment dans les zones franches urbaines mais aussi un peu partout, et qui nous disent : « Nous ne trouvons pas de main-d'oeuvre ou la main-d'oeuvre dont nous avons besoin est soit surqualifiée (quand on a fait des licences ou des agrégations en psychologie, en littérature ou autres, ce n'est pas forcément ce qui mène à la vie active et ce qui fait partie des besoins des entreprises), soit insuffisamment qualifiée ».
Comme vous avez deux casquettes aujourd'hui, monsieur Abasse, puisque vous avez dit que vous étiez dans l'enseignement professionnel, je souhaiterais avoir votre point de vue sur ce point. Il se trouve qu'aujourd'hui (je m'en suis rendu compte en tant que membre de conseils d'administration de lycées de divers types), pour les enseignants et les familles, dès qu'un jeune va dans l'enseignement technique, on considère qu'il est dans la voie de l'échec, alors qu'il a dix fois plus de chances de trouver un travail en sortant d'une formation professionnelle d'un lycée technique qu'en continuant dans des filières dans lesquelles ont sait aujourd'hui qu'il n'y a pas de débouchés.
Voilà quelques-unes de mes interrogations. Je sens très bien, à travers ce que vous dites, que la formation est un point essentiel pour régler les problèmes. Il faut aussi savoir que les problèmes ne se règleront pas demain ou après-demain grâce aux quelques milliers ou dizaines de milliers de subventions qui pourraient arriver. Ce sont des problèmes de longue haleine qui passent par la formation, par la rénovation de ces quartiers, la construction de logements, les opérations de construction-démolition, etc.
Voilà un certain nombre de pistes et d'interrogations sur ce que vous nous avez dit.
M. Alex TÜRK, président .- Je me permets d'ajouter deux ou trois mots, parce que les deux ou trois questions que je souhaite poser vont vraiment dans le droit fil de ce que vient de dire le rapporteur, ce qui vous permettra de répondre globalement.
Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris ou de partager votre point de vue lorsque vous faites la distinction entre les familles qui ont un emploi et qui ne pourraient pas s'occuper des enfants et les autres dans lesquelles, comme on n'a pas d'emploi, on serait plus disponible pour les enfants, car c'est au rebours de tout ce que je vois et entends. En réalité, on s'occupe moins des enfants dans les familles désarticulées et touchées par le chômage que dans celles où il y a encore une structure liée au fait qu'il y a du travail, de l'argent qui entre et une autonomie de fonctionnement. Je souhaiterais donc que vous reveniez sur ce point, car j'ai peut-être mal compris ce que vous vouliez dire.
Ma deuxième remarque concerne un point qui angoisse et préoccupe énormément cette mission : le problème du lien entre l'entreprise, les jeunes qui sont dans ces quartiers et l'éducation. Quand je parle d'entreprises, il ne s'agit pas d'EADS ou de Total, évidemment, mais des toutes petites PME qui sont parfois enracinées dans les quartiers et qui recherchent de la main-d'oeuvre à proximité. On a parfois le sentiment, comme le disait notre rapporteur, qu'il y a un problème d'adéquation.
Dans tous les lieux dans lesquels nous nous sommes rendus, nous avons entendu des chefs d'entreprise nous dire que les jeunes qui sortent de l'enseignement ne savent pas se tenir, ne savent pas se lever, ignorent qu'il y a une hiérarchie dans l'entreprise et ne connaissent pas un certain nombre de règles sociales, mais que ce n'est pas de leur faute car on ne le leur a pas expliqué et que c'est probablement lié au fait que leurs familles sont désarticulées, mais aussi parce que les enseignants eux-mêmes ne font pas ce travail en considérant que ce n'est pas le leur. Malheureusement, comme la famille ne le fait pas, personne ne le fait, si bien qu'au bout du compte, on peut avoir une bonne formation professionnelle et être pour autant totalement hors jeu parce qu'on n'est pas adapté au milieu de l'entreprise.
Autre problème : la formation réelle et actualisée. Au cours de nos réunions, depuis quelques mois, nous avons entendu souvent des chefs d'entreprise appeler les enseignants à arrêter de former à des métiers qui n'existent plus. En l'occurrence, ce n'est ni la faute des enseignants, qui appliquent le programme qu'on leur donne, ni la faute des élèves, mais la faute du système éducatif qui n'a pas cette capacité d'assouplissement et d'adaptation pour faire en sorte de former à des métiers qui existent.
Ma troisième remarque a trait au problème de la discrimination. C'est celui qui me préoccupe le plus et qui rejoint une chose que j'ai du mal à comprendre dans vos dix-neuf propositions. Dans votre point 2, vous écrivez : « Revisiter la carte scolaire pour assurer une mixité géographique » et vous évoquez ensuite la notion de « mixité sociale culturelle ». Au point 11, vous dites aussi : « Imposer l'anonymat des demandeurs de logement » (je préside la CNIL et c'est un sujet que nous avons tous les matins sur la table, mais ce que vous dites là n'est pas vécu ainsi sur le terrain, où les habitants des HLM demandent au contraire qu'il n'y ait pas d'anonymat pour éviter des effets de ghetto). Enfin, au point 18, qui concerne l'image et la sémantique, vous évoquez le problème général de la lutte contre la discrimination.
Sincèrement, j'ai du mal à comprendre logique qui relie ces trois éléments, d'autant que vous ne traitez pas du problème de la discrimination en ce qui concerne l'emploi dans les points 5 à 9. Aujourd'hui, nous sommes à la croisée des chemins : la moitié des Français pense que, pour résoudre le problème de la discrimination, il faudra franchir un certain nombre de barrières et faire de la discrimination positive et une autre moitié de Français qui veut aussi résoudre ce problème pense qu'il ne faut pas passer par là.
Sincèrement, quand je lis les trois points que j'ai cités, je ne sais pas si vous êtes pour l'une ou l'autre solution. Concrètement, que proposez-vous pour résoudre les problèmes de discrimination ? Je parle vraiment de la discrimination au sens du jeune qui vient d'une famille issue de l'immigration et qui n'obtient pas un travail parce que, dans son CV, on a repéré qu'il venait de tel quartier ou qu'il avait telle origine sociale, familiale, ethnique, etc.
M. Said HAMMOUCHE .- Je vais enchaîner sur cette question puisque c'est le sujet sur lequel je travaille. Nous avons un positionnement très clair sur la question de la discrimination positive : nous sommes contre la discrimination positive car nous ne souhaitons pas que l'on soit recruté parce qu'on est arabe ou noir, au regard de la couleur de peau ou du nom. Nous souhaitons que l'on mette en avant un atout majeur : celui de l'aptitude au travail lorsqu'on est jeune diplômé et celui de la compétence lorsqu'on a un peu plus d'expérience.
APC Recrutement revendique le fait qu'il ne faut pas traiter la problématique de la discrimination à l'emploi par le biais de la couleur de peau, mais sous cet angle de la compétence, qui a beaucoup plus de vertus.
Maintenant, il faudra en faire la démonstration, parce que, dans l'imaginaire de nos chers recruteurs, il n'y a pas de compétence possible et trouvable dans les quartiers populaires. Nous considérons qu'en travaillant dans la zone géographique sur la notion de quartier, on peut traiter une multitude d'éléments discriminants, notamment la discrimination liée à la classe sociale. Celui qui est fils d'ouvrier et qui habite Bondy, dans le 93, aura beaucoup plus de mal à bénéficier d'un portefeuille d'adresses intéressant dans sa recherche d'emploi que le fils d'un chef d'entreprise.
Nous traitons aussi la problématique qui est liée au genre. L'accès de la femme à l'emploi est aussi une difficulté qu'il faut traiter en la liant au problème du territoire.
On traite également forcément dans la foulée la problématique ethnique. Quand on habite en Seine-Saint-Denis, il est intéressant de savoir quelle est la dose de préjugés négatifs liés à la couleur de peau ou le degré de lourdeur que fait peser l'adresse. Lorsque le CV comporte une adresse dans le 93, nous savons que cela peut être un problème, mais nous considérons qu'en faisant la promotion des candidats qui habitent les quartiers populaires au nom d'une spécificité de la diversité (un mot qui est utilisé en entreprise) sous un angle territorial, nous luttons contre la discrimination à l'emploi.
Nous avons donc une position très claire sur ce point : nous sommes contre la discrimination positive.
Cela dit, il faut faire tout un travail sur l'imaginaire des recruteurs en démontrant qu'il y a des potentiels dans les quartiers à partir d'éléments positifs et de médiations. Lorsque nous organisons des entretiens et des rendez-vous avec des DRH, nous prenons le temps d'expliquer que les habitants ne sont pas forcément des violeurs en puissance ou des barbus ou qu'ils font brûler les voitures mais que l'on peut aussi trouver des jeunes qui ont des cursus d'ingénieurs ou de 3 e cycle ou des cadres supérieurs qui peuvent occuper des fonctions de directeur administratif et financier. Ce n'est pas un mythe : APC Recrutement présélectionne ces candidats.
Vous avez évoqué la problématique des chefs d'entreprise qui ne trouvent pas les personnes qu'ils cherchent. Cela vient tout simplement du fait que le service public de l'emploi connaît ses limites à un moment donné. Lorsqu'il traite de la masse, il ne traite pas de l'individu. Cela veut dire que, lorsqu'on revient sur l'individu et que l'on travaille sur un territoire, il faut utiliser une méthodologie différente.
Une association comme la nôtre se donne les moyens de travailler sur l'individu, de le promouvoir et de faciliter la rencontre entre un recruteur et une personne qui revendique l'envie de travailler parce qu'il a intégré les codes, qu'il a envie de se lever le matin et, surtout, qu'il a fait ce qu'il fallait à l'école pour réussir.
M. Jean-Pierre BELLIER .- Je reviens sur ce point qui fait partie d'un débat qui partage notre société française en deux camps à peu près égaux : celui de la discrimination positive. Pour compléter le propos de Said, il me semble nécessaire d'ajouter deux éléments.
Le premier, c'est que la discrimination positive, c'est comme la prose : on en fait sans le savoir depuis toujours. A partir du moment où on distingue des territoires que l'on catégorise en zones de violence, en zones urbaines sensibles, en ZEP ou en REP, on fait de la discrimination positive territoriale. Le débat sur la discrimination positive doit donc être un peu plus sérieux et un peu plus fin.
On sait bien que ce que véhiculent les défenseurs de cette approche comporte en germe la question des quotas, en passant d'une logique dans laquelle on essaie de promouvoir les différences et une approche géographique, territoriale ou humaniste, à une logique de pourcentage et de comptage de la population, comme l'INSEE le fait déjà depuis longtemps, ce qui n'est un secret pour personne. On va retenir le pourcentage des gens qui ont telle origine et qui sont à tel endroit pour déterminer que telle entreprise ou telle administration doit comporter tel pourcentage de gens qui correspondent à cette population.
C'est là que le problème devient délicat, parce que, d'une certaine manière, on néglige ce pour quoi des associations comme les nôtres militent depuis toujours : l'idée que c'est la compétence et non pas l'appartenance qui compte. Or, la compétence, comme la bêtise, est uniformément répartie dans toutes les couches de population et toutes les cultures qui peuplent cette terre. A partir du moment où on dit que la question doit se poser sur la compétence, on résout le problème, notamment celui des quotas.
Le modèle de discrimination positive tel qu'il est défendu est importé des pays anglo-saxons, mais on sait bien ce n'est un scoop pour personne que le passif de nombre de pays anglo-saxons avec les origines ethniques de leurs habitants n'est pas exactement de même nature que celui que nous avons dans notre vieille Europe, pour paraphraser quelqu'un que tout le monde connaît. On a fait la démonstration pendant des années que les Français d'origines diverses et variées, dans les siècles précédents et dans la première moitié du XX e siècle, ont été accueillis et ont trouvé leur place dans la communauté nationale sans aucune difficulté. Nous n'avons donc pas à racheter, en dépit du grand débat qui a lieu sur la colonisation et l'esclavage, les mêmes choses que les pays anglo-saxons.
Par conséquent, il me semble délicat et même dangereux de transposer le modèle globalement. Cela ne veut pas dire pour autant que la terminologie « discrimination positive » doit être évacuée avec l'eau du bain. Il y a deux débats dans cette question.
Enfin, vous nous avez demandé tout à l'heure quels étaient les quatre axes forts qu'il fallait essayer de développer et j'y reviendrai ultérieurement dans la discussion car ils existent.
M. Samir ABASSE .- Comme je ne fais pas partie d'APC Recrutement, je tiens à dire que mon collectif n'a pas participé à l'élaboration des dix-neuf propositions.
Pour dire simplement les choses, je pense que, si nous avions une formule pour que la discrimination n'existe plus, elle aurait utilisée depuis longtemps. Malheureusement, une chose fonctionne dans cette société et cause beaucoup de dégât : le conditionnement médiatique ou politique de certaines idées qui se propagent très facilement dans l'esprit d'un grand nombre de personnes, notamment d'employeurs. Si, par exemple, l'ANPE envoie des personnes issues de l'immigration à un employeur et si cela ne se passe pas bien, celui-ci leur dira : « Vous ne faites pas l'affaire, merci, au revoir » et, la troisième fois, il prendra quelqu'un de totalement différent parce qu'il aura acquis un préjugé selon lequel, si deux personnes ont le même profil, la troisième sera identique, ce qui est faux. C'est là qu'il y a un problème de compétence et de personnalité.
L'être humain s'épanouit à un moment donné et il prend conscience de la valeur du travail, de sa personne et de son rôle dans la société. On ne peut pas demander à un jeune de 19 ans d'avoir la personnalité d'un adulte de 25 ou 30 ans.
Il faut donc que les choses se fassent dans l'esprit naturel des gens, mais je pense qu'il est malheureusement dans la personnalité humaine d'aller vers les stéréotypes et de se dire qu'après avoir fait deux expériences, on doit viser une toute autre cible à niveau égal, sans accepter la libre concurrence.
C'est une question de conditionnement, et vous en avez parlé tout à l'heure en ce qui concerne la voie professionnelle. Depuis que j'ai passé le bac cela fait bientôt quinze ans , les filières professionnelles sont des voies de garage et sont dévalorisées. Or combien de PME se construisent justement sur ces voies professionnelles ? Combien de jeunes artisans et jeunes commerçants sont issus de l'immigration sans avoir forcément de grands bagages ou de grands diplômes techniques ? Ces sont des fils d'ouvriers de première génération, qui sont en France, qui n'ont pas eu la chance de développer un cursus scolaire avec de hautes études mais qui ont appris un métier manuel dont on manque aujourd'hui et que l'on qualifiait pendant des années d'ingrat et d'inutile. Aujourd'hui, on en manque parce que, pendant des années, on les a dénaturés et dévalorisés.
Je prends mon exemple personnel : mon père est ouvrier et il ne voulait pas que je fasse la même chose que lui parce qu'il refusait de me faire subir la difficulté de son travail. Je peux le comprendre et il est possible que j'exigerai que mes enfants aient un niveau encore supérieur au mien, mais est-ce vraiment la bonne solution ?
On ne peut pas exiger que quelqu'un fasse de hautes études s'il est fait pour travailler de ses mains. Dans les familles où il y a plusieurs enfants, ils ne sont pas tous médecins ou avocats : l'un sera commerçant parce qu'il aura du bagout, un autre sera artisan plombier et aura une entreprise avec trente employés parce qu'il saura gérer et connaîtra le métier, et ainsi de suite.
C'est là que celui qui ouvre une société et qui recrute, notamment en zone franche, doit se demander qui est capable de lui donner ce dont il a besoin. Aujourd'hui, nous sommes dans la société du paraître. On ne demandera pas aux gens de quoi ils sont capables ; on les jugera sur leur apparence. Une fois encore, le stéréotype, le conditionnement et l'aspect médiatique font que l'on appuie toujours là où cela fait mal.
Il suffit de reprendre les images de ces trois dernières années : le petit « Beur » des cités est systématiquement en train de brûler une voiture, de chercher un travail qu'il n'obtient pas, de s'exprimer ou d'être représenté d'une manière visuelle sur des stéréotypes vestimentaires : la casquette, le pantalon baggy , etc., autant d'éléments qui font qu'il est différent et ne correspond pas à l'image que se font les employeurs de leurs employés.
L'éducation ne s'arrête pas en sortant de l'école. Les patrons doivent aussi avoir un rôle de formateur dès la sortie des écoles. Nous le voyons à travers nos élèves dès qu'ils partent en stage. J'en ai reçu encore cinq ce matin qui m'ont dit : « Monsieur, l'école, c'est mieux que le travail, parce qu'au bout d'un moment, on s'ennuie dans le commerce, les tâches sont répétitives, très physiques et on fait plus de manutention que de vente ». Ils savent que c'est un travail préparatoire qui est nécessaire, mais l'image qu'ils en retirent et l'argent qu'ils gagnent n'est pas suffisant. Ils veulent donc se diriger vers autre chose, mais c'est aussi parce que, très tôt, on ne leur explique pas comment on peut gagner dignement sa vie avec des métiers manuels.
J'ai des élèves entre 15 et 20 ans qui se demandent combien ils vont gagner plus tard en n'ayant qu'un bac professionnel, parce qu'on leur dit qu'au-delà d'un bac professionnel, il n'y a pas de perspective d'avenir. En même temps, comme nous l'avons entendu en province, certaines filières universitaires ne mènent à rien. Quand on a un DEA d'histoire de l'art, à part être guide dans un musée ou écrire un livre, je ne vois pas grand-chose à faire. Ce sont des choses assez aberrantes.
Certes, il en faut, c'est de la culture et il ne faut pas négliger le niveau d'existence, de savoir et de connaissance de chacun, mais la France se nourrit de valeur ajoutée et les pays ont besoin de production. Le PIB de la France est fonction de ce qu'elle produit et une personne qui a bac + 5 et qui est guide dans un musée produit moins de richesses qu'un plombier ou qu'un coiffeur. Les métiers de coiffeur ou de plombier étant utiles à vie, il faut leur redonner la valeur qu'ils ont au sein de la société et encourager les gens à valoriser ces interventions et ces métiers.
Cela rejoint tout le problème de la considération. Sur les 24 élèves que j'ai aujourd'hui, aucun ne veut être vendeur alors qu'ils sont tous en BEP vente. Ils veulent encore moins l'être après avoir faire leur stage de trois semaines du mois de juin, tout simplement parce qu'ils ne se voient pas gagner 950 euros ou, au maximum, 1 200 euros par mois en travaillant les samedis, en soirée, en faisant beaucoup de manutention et en étant confrontés à des gens qui ont souvent des rapports difficiles. Quand on parle avec des jeunes en bac pro comptabilité, ils ont encore moins de perspectives.
Nous sommes donc obligé de leur ouvrir des perspectives beaucoup plus larges en leur montrant qu'il est possible de bénéficier de passerelles et de suivre des parcours différents du moule préconçu de l'éducation nationale, mais cela se forme aussi à travers leurs expériences personnelles, leurs relations familiales et leurs carnets d'adresse.
A Montfermeil, je connais deux jeunes gens qui habitent le même bâtiment et qui ont eu le baccalauréat en même temps. L'un a eu la chance d'aller à la Sorbonne pour faire du droit et il est aujourd'hui avocat ; le second a été en faculté en Seine-Saint-Denis, ce qui fait « beaucoup moins bien » dans son CV, et il n'a pas terminé son droit, tout simplement parce que, lorsqu'il faut trouver des stages, faire des courriers, avoir des entrées en magister ici ou là et s'ouvrir des perspectives professionnelles, ce n'est pas facile lorsqu'on a un père artisan taxi qui ne connaît pas d'avocats ou des gens qui peuvent offrir des possibilités. En revanche, à la Sorbonne, quand on a avec soi les fils des grands entrepreneurs ou des grands dirigeants français qui prennent leur camarade étudiant en sympathie et qui lui promettent de voir avec leur père ou tel ou tel ami s'ils ne peuvent pas le prendre en stage en même temps qu'eux ou dans une autre société, c'est évidemment une aide.
A tous les niveaux de la société, il faut que les gens arrêtent de fonctionner à partir d'idées reçues et qu'ils donnent des chances aux autres. On nous dit souvent qu'à une époque, la valeur du travail était fondamentale ; elle l'est toujours. Il faut simplement non pas préjuger mais juger sur les faits et ne pas en faire une redondance, même si on a eu un échec avec trois ou quatre personnes précédemment.
M. Alex TÜRK, président .- Vous êtes vraiment passionné, mais je dois vous arrêter car nous avons une autre audition à 17 h 30. Avez-vous un dernier mot à ajouter, monsieur Bellier ?
M. Jean-Pierre BELLIER .- Oui, monsieur le Président, et je vais essayer d'être très concis pour répondre à M. le Rapporteur, qui a demandé quels gestes forts pourraient permettre de modifier le paysage français. J'en ai listé six que je vais résumer par une formule et que j'expliciterai quand même.
Nous avons tendance à encourager nos enfants à la mobilité internationale et à faire une année à Harvard, à Londres ou à Bruxelles, c'est-à-dire à changer de paysage et d'univers. Or on dit exactement le contraire aux jeunes des banlieues. On leur dit : « Vous allez avoir tout sur place, on va vous créer des zones franches urbaines, ce qui vous permettra de ne pas avoir à bouger ; vous serez très heureux, vous aurez l'emploi et l'école et vous pourrez rester là de la maternité au cimetière ! »
Le premier geste fort consisterait donc à donner exactement les mêmes droits à la mobilité scolaire, professionnelle ou psychologique aux jeunes des quartiers que ceux que nous accordons tout naturellement à nos propres progénitures. Si j'ai évolué dans ma vie, c'est peut-être parce que, justement, bien que j'appartienne à un certain quartier, j'en suis sorti par obligation. Sinon, je serais peut-être encore dans le quartier dont je suis originaire. L'opportunité que m'a donnée le fait d'avoir pu sortir une ou deux fois a été une ouverture sur le monde et sur la vie.
En fait, on fait le contraire. Je m'adresse d'ailleurs à vous, messieurs les Sénateurs, car vous votez des choses qui vont dans ce sens en disant : « Ne bougez pas, les petits, on va vous créer de l'emploi à domicile ! » Je caricature un peu les choses, mais ce n'est pas loin d'être le cas. Il faut y réfléchir. Cela part d'un bon geste et on se dit spontanément que cela va permettre de créer des emplois, mais nos jeunes ont aussi besoin de découvrir le vaste monde.
Le deuxième point concerne les territoires. Il me semble important qu'un jour, l'Etat prenne l'initiative très forte de confier aux préfets une mission permettant d'identifier qui doit être le coordonnateur de l'action publique territoire par territoire, en sortant de la logique strictement administrative consistant à dire que c'est le canton, la commune ou la communauté de communes, parce que ce n'est jamais la même solution. Il y a des bonnes volontés et des acteurs politiques qui sont plus impliqués que d'autres, mais il y a aussi des tailles critiques à atteindre, et il faut y réfléchir sans sombrer dans un stéréotype ou une caricature consistant à dire : « Je décide que telle entité administrative se voie confier cette responsabilité, parce que c'est valable dans un lieu et non pas forcément dans d'autres », comme vous avez sans doute pu le constater dans votre tour de France.
J'en viens à la troisième initiative très forte. Sur toutes les politiques sociales, il reste à acquérir deux choses : la culture de résultat et l'évaluation. Aujourd'hui, quand le préfet à l'égalité des chances réunit tous les acteurs de terrain en Seine-Saint-Denis ou ailleurs, tout le monde parle bien et c'est très intéressant, mais quels sont ses objectifs quantitatifs et qualitatifs ? On ne le sait pas. On fait de beaux discours, on pose les vrais problèmes et on met autour de la table des personnes dont la compétence n'est absolument pas à remettre en cause, mais quels sont les indicateurs qui permettront de vérifier que l'on a atteint tel ou tel objectif ? Pour le moment, je ne les vois pas. Quand on prend des bonnes initiatives de ce genre, elles doivent être assorties d'un certain nombre de décisions fortes en matière d'objectifs et d'évaluation.
Quatrièmement, je pense que nous vivons dans une société dans la tendance a été de promouvoir l'individu et les droits individuels et que, petit à petit, on a mis de côté les obligations ou les devoirs collectifs. C'est une tendance qui a une quarantaine d'années, si vous voyez à quelle date je me réfère, et nous touchons aujourd'hui du doigt la limite de ce modèle social compte tenu des dégâts collatéraux dont nous voyons la trace. Il faudrait donc prendre un certain nombre d'initiatives très fortes en ce sens, parce que les jeunes des quartiers le demandent et l'expriment.
Comme nous et comme beaucoup, ils ont envie de participer à la vie de la société. Or on leur dit souvent que c'est un droit supplémentaire sans les respecter dans leur capacité à exercer des devoirs collectifs. Le respect que vous nous accordez, c'est de nous entendre aujourd'hui. D'une certaine manière, vous nous donnez un devoir d'objectivité, de réflexion et de propositions. C'est ce que les jeunes des quartiers attendent tous ; ils souhaitent que la société leur demande des choses et non pas qu'elle leur en donne uniquement. A mon avis, la société française ne le comprend pas suffisamment. Si vous rencontrez ces jeunes, je pense qu'ils vous disent souvent : « Nous attendons des choses de vous, bien sûr, mais qu'attendez-vous de nous ? » Parfois ils n'osent même plus dire qu'ils voudraient proposer leur force de travail, de réflexion et de proposition, ce qui les conduit à le manifester par des exactions, comme l'a dit Samir Abasse.
Il y a un point, cependant, sur lequel je ne suis pas d'accord avec Samir : je ne sais pas s'ils demandent l'amnistie générale. A mon avis, le fait de l'accorder ne serait pas forcément un bon signe à donner. En revanche, ils ont besoin de nous entendre dire : « Nous avons entendu le message infraliminaire à travers vos actes », plutôt que de se faire traiter de tous les noms. Le fait d'accepter un solde de tout compte reviendrait peut-être à ne pas les respecter en leur envoyant un signe de défiance ou de mauvaise considération, à leur dire : « Ce n'est pas grave, mes chéris, on passe à autre chose », comme on le ferait à la maison avec ses enfants en leur disant : « Tu as fait une bêtise, mais on passe ». Avec nos enfants, nous avons le devoir, certes, d'accorder des circonstances atténuantes mais en même temps de marquer le coup.
Mon cinquième point rejoint le précédent : il s'agit de prendre des dispositions politiques fortes pour dire que notre appareil de police et de justice pratique le respect et l'égalité de traitement. Dans les quartiers, les jeunes ont le sentiment de ne pas être respectés et d'être traités d'égal à égal, comme je l'ai déjà dit. Je ne vais pas citer les délinquants du patronat français, européen ou international, mais quel effet peut avoir le fait que tel ou tel patron qui échoue professionnellement se voie attribuer le « golden parachute » qu'il avait négocié en amont après avoir mis sur le carreau une société et des salariés alors que ces jeunes qui ont commis un acte répréhensible dont ils réclament inconsciemment la sanction, vont d'un seul coup ne pas être respectés, se faire traiter comme des chiens et être emmenés menottes au poing, comme le disait Samir tout à l'heure, dans la cage d'escalier, pour les mettre en garde à vue 24 heures ? Notre société ne peut pas fonctionner dans un tel cadre.
Enfin, mon dernier point rejoint une initiative qui a été prise par nos amis de « Z'y va » : le système de parrainage. D'une certaine manière, il faudrait que la société oblige chacun d'entre nous à une certaine implication, en ayant l'obligation d'accompagner un ou deux jeunes qui ont du mal à mettre un pied à l'étrier de la vie. Ce que fait « Z'y Va » (et Azouz Begag consacrera bientôt cette initiative) doit être regardé de très près non seulement qualitativement, ce qui est évident, mais aussi quantitativement, parce que si ce dispositif est développé de façon ambitieuse, beaucoup de jeunes des quartiers populaires pourront être accompagnés dans leur entrée dans le monde dit des adultes.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Merci, messieurs. Puisque nous rendrons notre rapport au mois d'octobre, si vous avez des messages ou des compléments d'information à nous faire passer, n'hésitez pas à nous les faire parvenir : ils seront les bienvenus.