Audition de M. Gilles AUBRY, commissaire divisionnaire, coordinateur des groupements d'intervention régionaux (GIR) à la Direction centrale de la police judiciaire) et de M. Bernard PETIT, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) (28 juin 2006)
Présidence de M. Alex TÜRK, président.
M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Comme vous le savez, nous sommes dans la dernière ligne droite de nos auditions et de nos visites sur le terrain dans le cadre de cette mission chargée de trouver une réponse aux problèmes des quartiers en difficulté et du développement de la politique de la ville.
D'une manière tout à fait classique, je vous propose de prendre chacun la parole pour une dizaine de minutes, après quoi nous pourrons engager le débat.
M. Gilles AUBRY .- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, je ferai une brève introduction pour vous parler de l'activité des groupes d'intervention régionaux (GIR).
Depuis leur création, les 29 groupes d'intervention régionaux ont progressivement monté en puissance pour parvenir à des résultats significatifs dans les domaines qui leur sont dédiés, à savoir la lutte contre l'économie souterraine, la criminalité et la délinquance dans les zones sensibles, l'identification et la confiscation des avoirs acquis au travers des activités illégales.
Je ne vais pas retracer les étapes de la création des GIR, qui constituent ce que d'aucuns ont appelé une révolution culturelle dans le paysage administratif français. Je souhaite simplement vous en rappeler les principes et les grandes lignes d'organisation et de fonctionnement.
C'est la circulaire interministérielle du 22 mai 2002 qui a créé les GIR. Ils ont été mis en place au sein de chaque région administrative, ainsi que dans les départements et autres collectivités d'outre-mer, pour lutter contre l'économie souterraine et les différentes formes de criminalité et de délinquance organisées qui l'accompagnent, source d'insécurité et de déstructuration sociale dans de nombreux quartiers sensibles.
Deux termes définissent ce qu'on appelle le coeur de métier des GIR : l'économie souterraine et les banlieues, quartiers ou cités sensibles.
En métropole, 29 GIR ont été mis en place, dont 21 ont une compétence calquée sur le ressort d'une région administrative et 8 sont implantés en région Île-de-France et ont une compétence départementale. Paris, qui avait été exclue initialement du dispositif, s'est dotée d'un GIR en septembre 2003.
Les GIR ne constituent pas des catégories de services nouveaux, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de personnalité juridique propre. Ils sont rattachés soit à une direction territoriale de la police judiciaire, pour 19 d'entre eux, soit à une section de recherche de la gendarmerie nationale, pour 10 d'entre eux.
Ils constituent une organisation originale. Chaque groupe est composé d'une structure permanente, l'unité d'organisation et de commandement, ainsi que de personnels ressources désignés par les directeurs des services de police et des administrations partenaires et par les commandants de région de la gendarmerie nationale.
L'unité permanente est dirigée soit par un commissaire ou un officier de police, soit par un officier de gendarmerie, et cette unité est composée à parité de trois policiers représentant la sécurité publique, les renseignements généraux et la police judiciaire, de trois gendarmes, d'un fonctionnaire des impôts et d'un fonctionnaire des douanes.
Ce qu'on appelle les hommes ressources des GIR, c'est-à-dire ce qui en constitue le corps opérationnel, est composé à la fois de fonctionnaires et de militaires, mais aussi de représentants des administrations partenaires, les douanes, les finances, la direction du travail, la consommation, la répression des fraudes, etc. En tout, 287 fonctionnaires et militaires travaillent à plein temps dans les unités permanentes et peuvent bénéficier du concours de plus de 1 400 personnes ressources de la police, de la gendarmerie et d'autres administrations.
La coordination est assurée par une cellule placée sous l'autorité du Directeur central de la police judiciaire, que je représente et que j'anime. Cette cellule de coordination assure l'animation des unités sous commandement de la police nationale et une même coordination existe pour les GIR rattachés à la gendarmerie nationale, ces deux coordinations fonctionnant en synergie.
Les GIR ont été créés pour mener des actions en profondeur. Ce sont des structures jeunes elles ont quatre ans , mais elles se sont rapidement intégrées dans le dispositif de sécurité intérieure.
Les GIR interviennent dans chaque département à l'initiative conjointe et sur la base d'un diagnostic commun du préfet et du procureur de la République, dont la réunion constitue ce qu'on appelle le comité de pilotage du GIR.
La structure interministérielle des GIR les conduit à agir contre la délinquance sous tous ses aspects en utilisant l'ensemble des moyens législatifs et réglementaires. Il convient à ce titre de dire que la participation des douanes, des services fiscaux, des directions départementales du travail et de l'emploi et des directions de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes inscrit les pouvoirs propres de ces administrations en complément des compétences traditionnelles de la police et de la gendarmerie en matière d'enquête judiciaire.
Ces GIR peuvent être sollicités sur des sites déterminés, dans le cadre d'opérations contre toutes les formes de délinquance endémique : les trafics locaux de stupéfiants, d'objets ou de véhicules volés ou recelés ou les actions violentes concertées. Il est également possible de solliciter leur assistance pour des actions ponctuelles impliquant une démarche judiciaire et la mise en oeuvre de moyens importants d'ordre public.
C'est donc une force de projection qui intervient en assistance des services locaux, ce qui est un point très important, et qui est surtout destinée à apporter aux investigations des services territoriaux une valeur ajoutée significative. C'est cette plus-value, cette valeur ajoutée qui fait le principal intérêt des GIR.
Le bilan de ces groupes d'intervention régionaux a été plusieurs fois qualifié d'exceptionnel, mais il correspond en fait à celui des services auxquels les GIR sont associés. Depuis le second semestre 2002, les GIR ont initié ou accompagné 2 246 opérations qui ont permis l'interpellation et le placement en garde à vue de 15 510 personnes, dont 3 953 ont fait l'objet d'un mandat de dépôt.
Ces personnes ont principalement été poursuivies pour trafic de stupéfiant, blanchiment et non-justification de ressources dans une proportion de 30 %. Elles ont été poursuivies également pour des atteintes aux biens (cambriolages, vols, recels), dans une proportion d'environ 9 %, ainsi que pour des infractions économiques et financières (escroqueries, faux et usages, abus de biens sociaux et travail dissimulé) dans une proportion d'environ 32 %.
La lutte contre les stupéfiants et les infractions de blanchiment et de proxénétisme de la drogue représente donc près du tiers des activités des GIR. Au cours de ces opérations, ont été découverts et saisis 1 616 armes, 1 554 véhicules, 51 tonnes de résine de cannabis, 88 kg d'héroïne, 58 kg de cocaïne et 106 000 comprimés d'ecstasy. En termes d'efficacité, il convient de ne pas s'arrêter au volume de ces prises mais davantage à l'impact des opérations au sein des collectivités confrontées à la délinquance.
Des biens immobiliers évalués à 18 855 000 euros ont été saisis. Au total, les biens immobiliers et mobiliers saisis, les valeurs découvertes en numéraire et les sommes bloquées sur des comptes bancaires s'élèvent, depuis 2002, à 48 828 857 euros.
Conformément aux orientations gouvernementales et aux priorités qui ont été assignées aux GIR, ces structures ont progressé dans la recherche des infractions générant des profits illicites et dans le développement de la mise en oeuvre de procédures spécifiques en matière de blanchiment et de non justification de ressources. Pour l'année 2005, par exemple, 186 faits ou procédures de blanchiment de fonds ont été mis à jour contre 77 en 2004, ce qui représente une augmentation de 141 %.
Au cours de la même période 2005, 141 infractions liées à la non-justification de ressources ont été mises à jour et poursuivies contre 35 infractions du même type relevées en 2004, soit une augmentation de 302 %. Nous constatons donc une montée progressive en puissance des GIR vers ce qui doit constituer leur coeur de métier.
Parallèlement à ces grands axes d'activité, les GIR se sont investis dans la poursuite d'infractions peu ou pas constatées jusqu'alors par les services de police, notamment la mise à disposition des tiers et l'exploitation de jeux de hasard (les machines à sous, par exemple), les infractions à la loi du 12 juillet 1983 relative aux sociétés privées de sécurité et les infractions aux règles de l'urbanisme.
Enfin, la mise en place de ce nouveau dispositif a permis à l'ensemble des administrations partenaires de renouer avec les contrôles d'établissements recevant du public (débits de boisson, commerces et établissements de nuit implantés dans les zones sensibles) et ont permis de mettre en évidence des infractions à la législation sur le travail, des infractions fiscales, des infractions douanières et des infractions aux règles de sécurité.
En 2005, outre les qualifications pénales retenues par les actions conduites par les GIR, ils ont permis de relever 1 028 infractions douanières et d'initier 743 signalements ou propositions de vérification fiscale. Les autres procédures administratives connaissent un rythme croissant depuis la création des GIR, notamment dans le domaine du code du travail (1 034 infractions de ce type constatées en 2005) ou du code de la consommation et du commerce (434 infractions relevées).
L'objectif prioritaire des GIR est la lutte contre l'économie souterraine. Les GIR ont vocation à traiter tous les types d'infractions, et non pas seulement pénales, susceptibles de générer des richesses occultes et des flux financiers au sein de réseaux structurés dans des quartiers ou des cités sensibles. Cette approche pragmatique permet de dresser un panorama très vaste des infractions susceptibles d'être prises en compte par les GIR. Cela va de la délinquance d'appropriation, c'est-à-dire des fraudes en matière de taxation, de contrefaçon et de contrebande, jusqu'aux trafics divers (trafics de véhicules ou stupéfiants et recels organisés).
Cela permet aussi de ne pas se cantonner à la seule répression pénale. L'expérience des opérations qui ont été conduites par les GIR depuis leur création montre souvent l'existence concomitante, au sein d'un réseau ou d'un quartier, d'infractions pénales et de fraudes fiscales (qui sont induites ou totalement indépendantes de ces infractions pénales), de délits douaniers, d'infractions aux réglementations relevant du contrôle spécialisé de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou de la Direction du travail et des services vétérinaires.
Pour vous donner un exemple, la découverte de travail dissimulé au sein d'un établissement commercial ou d'un débit de boisson permet souvent de révéler d'autres formes associées de délinquance. Cela peut être de l'immigration clandestine, avec des employés en situation irrégulière qui disposent bien évidemment de documents d'identité falsifiés ; le patron de cette entreprise ou de cette société peut percevoir indûment des prestations sociales ; les employés en situation irrégulière peuvent être logés dans des conditions insalubres et le patron peut faire aussi de la dissimulation de recettes. On constate également un non-respect des réglementations en matière d'hygiène et de sécurité ou en matière de vente d'alcool, d'organisation de jeux clandestins et de vente de tabac de contrebande.
Certaines de ces réglementations n'étaient guère utilisées habituellement par les services répressifs et les administrations qui étaient en charge de ce contrôle pour la bonne raison qu'ils ne rentraient pas dans ces quartiers ou cités sensibles.
Le fil conducteur de l'économie souterraine, c'est le trafic de drogue. C'est une priorité énoncée par le ministre de l'intérieur, mais elle correspond à une réalité de terrain et, de significative, la contribution des GIR à cette lutte est devenue prioritaire.
Quelles sont les idées forces à retenir ?
Tout d'abord, alors que les différents services de l'Etat qui sont impliqués dans cet enjeu étaient jusqu'alors enfermés dans les procédures internes, ils se sont réciproquement ouverts, grâce aux GIR, à d'autres pratiques opérationnelles. L'absence d'autonomie répressive qui caractérise les GIR, qui doivent toujours être associés à un service d'enquête traditionnel, a permis, sans aucun doute, de lever toute ambiguïté quant à une éventuelle concurrence avec les services locaux ou les services spécialisés. Cette absence d'autonomie a par ailleurs légitimé et pérennisé le partenariat interministériel.
Le deuxième point positif est la valeur ajoutée, la plus-value apportée par l'analyse financière et la démarche patrimoniale financière mise en oeuvre par les GIR. A cet égard, l'apport des agents de l'administration fiscale et des douanes est tout à fait significatif en ce qu'il permet de dresser un environnement financier et patrimonial des individus sur lesquels travaillent les services d'enquête classiques. Si les enquêteurs, policiers et gendarmes, en tirent un profit opérationnel, il en va de même pour les prestataires du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qui participent concrètement au montage des dossiers, visualisent leur contribution et peuvent assurer le suivi en formulant des propositions de vérification fiscale ou en formulant des signalements fiscaux.
Pour terminer, j'évoquerai les perspectives.
L'action interministérielle qui fonde les GIR est appelée à s'élargir à la lumière de la pratique, c'est-à-dire que, de plus en plus, en police judiciaire, mais aussi en sécurité publique et en gendarmerie, nous allons croiser les démarches d'enquêtes criminelles classiques et l'approche patrimoniale de l'enquête criminelle.
Le dispositif des GIR outre-mer est en passe d'être renforcé avec la mise en place d'unités permanentes d'organisation et de commandement en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique. Le ministre de l'intérieur, qui part aujourd'hui à Cayenne, devrait d'ailleurs y annoncer la création de l'unité permanente du GIR de Guyane.
M. Bernard PETIT .- Monsieur le Président, mesdames et messieurs, je vais évoquer la situation des drogues et l'évolution du trafic dans les quartiers sensibles. Avec votre autorisation, je ne vais pas vous accabler de chiffres et de statistiques : je les tiens à votre disposition si vous le souhaitez avec un tableau de synthèse immédiatement exploitable.
La situation des drogues en France est caractérisée par l'existence de quatre produits phares qui se détachent indiscutablement parmi les nombreux produits disponibles sur notre territoire, offerts par les réseaux de trafic et demandés par les consommateurs de stupéfiants : la résine de cannabis, la cocaïne, l'héroïne et l'ecstasy, un stimulant de la famille des amphétamines.
Le trafic international et le trafic national d'envergure ne sont pas organisés de la même façon et ne sont pas entre les mains des mêmes organisations criminelles selon le produit qui est trafiqué. Ainsi, un réseau qui trafique au plan national la résine de cannabis est différent de celui qui trafique la cocaïne ou l'ecstasy. Les structures et les hommes sont différents.
Cependant, la spécialisation de ces réseaux s'estompe au fur et à mesure qu'on se rapproche de la distribution. Autrement dit, le deal , la vente, peut être multicartes et les revendeurs ou les dealers vont avoir des activités en fonction de la disponibilité des produits et du réseau principal qui les approvisionne (le dealer sera plutôt spécialisé en résine de cannabis, par exemple) mais la revente est adaptée à la demande, c'est-à-dire qu'elle peut fournir des produits qui sont demandés par les clients. On voit notamment des revendeurs de cannabis qui vendent également de l'héroïne ou de la cocaïne.
Concernant le trafic dans les quartiers en difficulté, on note l'omniprésence de la résine de cannabis. C'est vraiment le produit, tant sur le plan du trafic que sur celui de la consommation, qui est présent dans ces quartiers et ces cités en difficulté.
Viennent ensuite, comme dans un second cercle, l'héroïne et la cocaïne, l'héroïne semblant connaître un regain de consommation et de trafic cette année, ce qui est très inquiétant en termes de santé publique compte tenu des efforts qui ont été faits pour la réduction des risques, mais la cocaïne continue de progresser et de passer à travers les différentes couches de la population : elle n'est plus réservée, comme c'était le cas auparavant, au show-biz, au monde de la nuit et aux populations aisées.
Viennent ensuite les drogues de synthèse, dont l'ecstasy, c'est-à-dire les stimulants de type amphétamines, qui ont un impact plus modéré et réservé à des activités festives et au monde de la musique et de la nuit.
Concernant très précisément la résine de cannabis et les quartiers difficiles, je ferai un certain nombre de remarques qui découlent des constats effectués à travers les enquêtes, les observations, les filatures et les surveillances, c'est-à-dire tout ce que nous avons pu synthétiser sur ce phénomène. Le trafic de résine de cannabis, comme Gilles Aubry l'a clairement dit, est le coeur de l'économie souterraine. C'est vraiment le pan essentiel de l'activité souterraine, plus que n'importe quelle activité, à la fois pour les volumes, le nombre de personnes impliquées et les revenus que cela génère.
Ce trafic de résine dans ces quartiers est aussi source de nuisances considérable. Je sais que le mot « nuisance » rappelle le système néerlandais qui fait souvent référence aux lieux de vente, mais on constate de véritables nuisances liées à ce trafic dans ces quartiers. En effet, pour les résidents des quartiers, cela veut dire que les caves ou certains locaux qui peuvent servir de stockage sont monopolisés par les groupes qui ont besoin de stocker de petites quantités pour la revente immédiate. Cela implique un va-et-vient des véhicules très important, une mainmise sur certaines cages d'escalier qui servent de base arrière pour les guetteurs pendant les opérations de deal , un certain nombre de dégradations et de bruits, la présence de chiens et l'agressivité de certains groupes qui tendent de dissuader et d'intimider non seulement les forces de police mais aussi les tiers et les résidents de ces cités afin que le business se passe dans de bonnes conditions.
Ce trafic dans les cités est également le vivier permanent d'une criminalité qui est non négligeable. Le trafic de stupéfiants en général permet une graduation progressive de l'activité criminelle des gens qui y participent, si bien que, peu à peu, les responsabilités et les activités évoluent avec le savoir-faire et l'expérience. On constate des activités qui structurent progressivement les hommes et les organisations et qui aboutissent à l'émergence de véritables caïdats et d'un système non seulement économique mais social qui est parallèles à celui que nous reconnaissons.
La vente de résine dans les cités est une activité organisée qui suppose des lieux, des guetteurs un approvisionnement régulier et des capacités de stockage. C'est une véritable activité commerciale et il n'est pas question ici de « dépanner des copains ». Il s'agit de faire de l'argent et il n'y a pas de relations amicales dans cette vente : c'est une relation de fournisseurs à consommateurs.
Les quartiers en difficulté ne sont pas les seuls lieux de deal . Le deal s'intéresse à des zones plus vastes, mais, d'une manière générale, le choix se porte plutôt sur les zones urbaines à forte densité de population avec une architecture qui s'y prête parce que cela permet d'avoir les consommateurs sur place. Le côté urbain permet d'attirer une clientèle extérieure et l'architecture doit se prêter à l'activité de deal et assurer une certaine facilité à la fois du stockage, de la vente et de la sécurisation du vendeur.
Certains quartiers sensibles sont pourtant des lieux de deal bien reconnus et bien connus, à la fois pour la consommation locale qui les concernent, mais aussi à l'extérieur, c'est-à-dire que des consommateurs et des fournisseurs extérieurs à ces quartiers viennent s'y approvisionner. Nous avons des exemples concrets de groupes de revendeurs qui viennent de province en région parisienne, par exemple de Caen ou de Brest, acheter de 10 à 50 kg sur certains quartiers difficiles pour assurer l'approvisionnement, pour une ou deux semaines, de quartiers d'autres villes de province.
Dans notre pays, nous constatons ainsi le développement de véritables pôles reconnus dans le monde du deal et de l'usage de l'approvisionnement : Lyon, la région parisienne, Mulhouse, Strasbourg, etc. attirent ainsi un grand nombre de gens qui viennent se fournir pour eux-mêmes afin d'approvisionner d'autres quartiers qui n'ont pas cette capacité de fourniture de produits stupéfiants.
L'approvisionnement en résine de cannabis se fait à trois niveaux, dont un seul cible véritablement les quartiers difficiles et les zones urbaines françaises :
le niveau intermédiaire, que l'on appelle le trafic par go fast , c'est-à-dire des véhicules qui descendent dans le sud de l'Espagne chercher de la résine de cannabis qui y est stockée à destination du marché national ;
le grand trafic international, ou de haut niveau, qui se fait par transports internationaux routiers avec les camions qui arrivent du Maroc via Algeciras, qui remontent l'Espagne et qui servent ensuite, en arborescence, tous les pays de l'Union ;
le trafic de bas niveau qui est le fait de petites organisations qui envoient un véhicule jusqu'au Maroc, avec des liens dans ce pays, pour charger entre 25 et 100 kg de produits et les ramener pour une vente quasi immédiate dans les cités.
Je conclurai par quelques observations qui provoquent chez nous quelques questionnements.
La première, qui est la principale, est relative à la complexité de la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment dans les cités sensibles. Nous savons, dans notre pratique quotidienne, qu'il n'y a pas de réponse simple et unique avec un résultat immédiat. La gestion de cette question relève d'une approche interministérielle, coordonnée, simultanée et équilibrée sur les plans de la prévention, de la répression et des soins et, naturellement, nous revendiquons le volet répressif avec force.
Nous jouons un rôle important à cet égard et je suis toujours un peu agacé d'entendre que la répression ne sert à rien. Pour mémoire, sachez que, sur les 3 000 tonnes de résine produites au Maroc, qui sont essentiellement destinées au marché européen, 1 000 tonnes sont saisies par les services répressifs européens, c'est-à-dire un tiers. A force d'entendre partout que nous ne saisissons que 5 % ou des quantités infimes, cela devient une vérité et on donne l'impression que la répression ne sert à rien. Ce n'est pas le cas : la répression est utile, elle constitue un volet indispensable dans le dispositif de l'Etat et on ne saurait s'en passer. La prévention et les soins, à eux seuls, ne pourront pas régler ce problème, de même que la répression ne prétend pas à elle seule régler le problème.
Le deuxième point, c'est que la lutte contre les trafics dans les cités relève parfois du concept de la ligne Maginot. Certes, la pression sur les dealers et le travail effectué sur les réseaux de revente est indispensable : il est impensable de relâcher la pression sur ces réseaux de revente, mais il s'agit d'un trafic atomisé qui demande beaucoup d'énergie, qui se reconstitue facilement et dont les grands groupes d'approvisionnement ne sont pas coupés. Autrement dit, il faut absolument avoir une vision globale et large de l'activité répressive et essayer le plus possible de démanteler les organisations le plus en amont possible pour tarir, appauvrir et endiguer ces flux qui viennent alimenter ces réseaux de revente dans les cités.
Le travail qui est fait dans les pays source, notamment au Maroc (beaucoup d'efforts sont déployés actuellement par le ministère de l'intérieur sur la coopération franco-marocaine), mais aussi dans les pays de rebond (la coopération franco-espagnole est exemplaire pour le reste de l'Europe à ce point de vue) va produire des effets et, encore une fois, le syndrome de la ligne Maginot doit être mesuré et écarté pour éviter que l'on concentre absolument toutes les forces à un niveau qui ne produira pas les effets que nous attendons.
M. Alex TÜRK, président .- Je vous remercie. Nous passons aux questions.
M. André VALLET .- Ma première question se rapporte à votre intervention, monsieur Aubry. Vous avez évoqué la grande efficacité des GIR et vous nous avez donné une série de chiffres en montrant que l'action a été forte. Bien sûr, nous ne pouvons que nous en féliciter, mais je me demande si nous aurions eu les mêmes résultats si les GIR n'avaient pas été créés. Y a-t-il eu vraiment une accélération grâce à la création de ces GIR ?
Ma deuxième question concerne l'économie souterraine, dont vous avez longuement parlé. Dans mon département, et je sais que la même réflexion est faite ailleurs, la population est surtout horripilée par tous ces jeunes qui circulent avec des voitures extrêmement puissantes et coûteuses et dont on n'arrive pas à comprendre qu'on ne leur demande pas plus fréquemment l'origine des fonds qui leur ont permis d'acquérir ces véhicules.
J'aimerais que vous puissiez nous en dire un mot. Vous avez parlé de justificatif des ressources que vous réclamez, mais vos services peuvent-ils arrêter un jeune au volant d'une voiture de ce genre même s'il ne contrevient pas au code de la route et que se passe-t-il dans ce cas, sachant que tous ceux qui ont une voiture puissante pourraient être également interceptés ? Le faites-vous dans les quartiers en difficulté et quels sont les résultats de ces éventuelles interpellations ?
J'ai une troisième question. A un moment où nous en parlons de plus en plus, avec un projet de loi qui semble montrer que ce sera l'un des piliers de la lutte contre l'insécurité, associez-vous les maires ? Dans vos interventions, les maires ont-ils le droit d'être informés ? Certes, ce n'est pas à eux de mener les enquêtes, mais sont-ils un peu informés de ce qui se passe dans leur commune et allez-vous au-devant d'eux pour obtenir un certain nombre de renseignements qu'ils sont peut-être plus à même de fournir que d'autres personnes ?
Il y a un an, le maire d'une commune des Bouches-du-Rhône est venu me dire qu'il ne comprenait pas l'action de la police (il s'agissait en l'occurrence d'un GIR) : son village avait été encerclé par des policiers qui recherchaient un individu dangereux, tout le monde venait à la mairie pour lui demander ce qui se passait et il était incapable de le dire alors que cela se passait sur son territoire.
C'est une situation que vivent très mal les élus, qui ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas informés. Ils ne demandent pas de l'être en amont, ce qui est tout à fait normal, mais au moment où se déclenche l'opération, la moindre des choses est d'informer l'élu de ce qui se passe sur le territoire de sa commune.
Par ailleurs, j'aimerais que vous puissiez nous dire un mot sur les rapports entre la police et les jeunes de ces quartiers en difficulté. Nous sommes allés dans d'autres pays, notamment en Angleterre et aux Pays-Bas, où les rapports entre la police et les jeunes ne sont pas du tout les mêmes que chez nous. Il semble qu'ici, il y ait un climat conflictuel permanent entre les jeunes et la police. Avez-vous le sentiment que ce climat est avéré et, si c'est le cas, réfléchissez-vous à des solutions pour l'améliorer ?
Ma dernière question concerne M. Petit et la drogue. Vous nous avez longuement parlé de ces dealers qui vivent aujourd'hui très confortablement de cette unique activité. Un dealer est-il quelqu'un qui passe son temps à vendre de la drogue ou bien a-t-il une autre activité professionnelle et fait-il autre chose en « bouclant ses fins de mois » avec la drogue ?
Enfin, vous avez évoqué la nécessaire approche interministérielle de votre action. Il va sans dire que nous pensons tous à l'Education nationale, aux abords des écoles et des établissements scolaires où, d'évidence, même si la police ne peut pas être partout, il se passe des choses particulièrement répréhensibles en matière de drogue. Nous avons constamment, dans nos départements, des parents d'élèves qui nous disent que la situation est intolérable et qu'on a voulu vendre de la drogue à leurs enfants et qui interpellent encore les maires pour leur demander de surveiller les établissements scolaires. Ma question est simple : y a-t-il une véritable politique de prévention autour des établissements scolaires, en particulier des collèges et des lycées ?
M. Gilles AUBRY .- Je vais tenter de répondre à vos questions dans l'ordre inverse que vous avez suivi en les posant.
Tout d'abord, sur les rapports entre la police et les jeunes des quartiers, pour les services répressifs que je représente ici, qu'il s'agisse de la police judiciaire ou des groupes d'intervention régionaux, nous n'avons évidemment pas de discours de coopération ou de collaboration avec les jeunes des quartiers puisque ce sont, en quelque sorte, nos objectifs. Cela passe par une redéfinition de la politique menée à l'égard de ces quartiers en dépassant le cadre de la police judiciaire, qui a, elle, une approche répressive.
Y a-t-il un climat conflictuel permanent ? C'est peut-être vrai et il y a certainement des marges à gagner. Pour ma part, je pense qu'il faut restaurer un peu de proximité dans les activités de police. Pendant un temps, on a mis l'accent sur la police de proximité, mais le problème, dans notre société, c'est que lorsqu'on décide une politique, on l'applique au maximum. Sous le précédent gouvernement, on a mis l'accent exclusivement sur la police de proximité, en faisant pencher le balancier uniquement dans ce sens. Ensuite, après l'arrivée d'un autre gouvernement et d'une autre conception de l'activité, on a abandonné la police de proximité pour revenir à une action exclusivement répressive.
Je pense que la vérité est au milieu : on a besoin de maintenir une police de proximité et d'avoir des policiers dans la cité, au contact des commerçants, des habitants et des jeunes, parce que, parmi les jeunes qui habitent dans les quartiers ou les cités, tous ne sont pas délinquants, heureusement. En revanche, tous risquent de l'être. En ce qui me concerne, je suis partisan d'une réflexion sur la nécessité d'avoir cette police de proximité insérée dans la cité. Voilà ce que je peux répondre sur ce premier point.
Quant aux maires, il y a aussi des marges à gagner. Traditionnellement, les services de police ne préviennent pas les maires des opérations qu'ils sont conduits à mener, tout simplement parce qu'il y a un acteur à prendre en compte : l'autorité judiciaire qui est incarnée par le procureur de la République et le juge d'instruction. Il serait donc utile de mener une réflexion avec l'autorité judiciaire, les élus locaux, les représentants de l'autorité de l'Etat et les services de police et de gendarmerie pour savoir comment le maire peut être associé ou informé, comme vous le disiez, très peu de temps avant l'action, afin qu'il ne découvre pas du jour au lendemain que sa ville ou son village est encerclé, et aussi pour qu'il puisse apporter sa contribution.
En effet, je suis persuadé qu'il faut avoir une approche scientifique de l'activité répressive sur nos villes, nos campagnes et nos cités de banlieue. Cela signifie que le maire et les services municipaux peuvent apporter leurs connaissances spécifiques du terrain pour nous aider à définir des priorités au sein d'un département. On sait que certaines villes bougent plus que d'autres et qu'à l'intérieur de celles-ci, certains quartiers sont plus difficiles et connaissent des taux d'évolution de la délinquance supérieurs à d'autres quartiers. Il faut donc croiser ces approches et ces renseignements pour être le plus opérationnel et le plus efficace possible.
En ce sens, on peut trouver une forme d'association et d'information des maires. Cela existe déjà avec les comités locaux de prévention de la délinquance et cela se poursuit avec les commissions départementales de sécurité, auxquelles je ne suis pas certain que les maires participent, qui associent à la fois l'autorité préfectorale et les représentants de toutes les administrations pour essayer d'établir un plan global d'action. Peut-être faudrait-il faire entrer les maires dans ces commissions départementales.
J'en viens à votre seconde question sur l'économie souterraine et les véhicules puissants qui sont utilisés par des jeunes. Dans les premiers temps de la création des GIR, nous nous sommes intéressés à ces véhicules, mais nous avons d'abord constaté que nombre d'entre eux étaient des véhicules d'occasion, qu'ils avaient très peu de valeur marchande, qu'ils étaient achetés à l'étranger et qu'ils circulaient sous immatriculation étrangère, c'est-à-dire en infraction avec la législation française. Les GIR ont fait des études sur ce point.
Cela dit, certains de ces véhicules de forte cylindrée et de marques étrangères sont de grande valeur et sont acquis par des gens dont les seuls revenus viennent du trafic, puisque aucune activité ni ressources légales ne sont déclarées. Comment peut-on agir dans ce cas ? Il est évident que nous ne pouvons pas a priori effectuer un contrôle sur la voie publique et demander l'origine des ressources. La non-justification de ressources suppose que l'on établisse la relation régulière de la personne en cause avec un trafiquant de stupéfiants. C'est ce qu'on appelle le proxénétisme de la drogue. L'article 222-39-1 du code pénal, qui a récemment été étendu à d'autres types d'infractions, porte sur l'impossibilité de justifier de revenus réguliers alors qu'on est en relation habituelle avec un trafiquant.
Encore faut-il démontrer qu'il y a une infraction à l'origine, c'est-à-dire un trafic de stupéfiants ou autre chose. Nous ne pouvons donc pas arrêter a priori un véhicule sur la voie publique et demander à son propriétaire de justifier de ses ressources. Il faut que nous ayons démontré qu'il y a une infraction et un trafic.
Cela étant, c'est une indication pour nous, un élément qui va nous engager à nous intéresser à la personne qui conduit le véhicule ou qui va permettre de démarrer une enquête en demandant par exemple aux renseignements généraux ce qu'ils ont sur le propriétaire de tel véhicule, s'ils savent ce qu'il fait et avec qui il trafique.
M. André VALLET .- Excusez-moi de vous interrompre, mais, lorsque vous interceptez quelqu'un avec ce type de voiture et qu'il déclare vivre du RMI, je suppose que vous le fichez immédiatement et que vous essayez ensuite de savoir comment il a pu obtenir ce véhicule, si j'ai bien compris.
M. Gilles AUBRY .- Nous allons déjà essayer de savoir si le véhicule est volé ou non, mais, s'il n'est pas infraction au code de la route, nous ne pouvons pas le poursuivre. Cependant, cela nous permet de récupérer de l'information, de savoir que M. X est propriétaire de tel véhicule et de faire alors des recherches pour savoir s'il est connu ou s'il a fait l'objet de poursuites.
A l'intérieur des GIR, nous avons l'avantage d'avoir à la fois des douaniers et un représentant des services fiscaux. Nous pouvons lui demander quelle est la situation fiscale de M. X, vérifier auprès des services sociaux quelles prestations sociales il perçoit et également demander à d'autres services, notamment les renseignements généraux et la sécurité publique, si tel individu est connu ou ce qu'il fait. C'est ce qui va nous permettre de démarrer une enquête et de nous intéresser à cet individu.
A partir de lui, même s'il n'est qu'un maillon dans une organisation plus vaste, nous pouvons identifier les individus avec lesquels il gravite et travaille, identifier son rôle propre, puisqu'il faut non seulement démontrer la responsabilité pénale individuelle, mais aussi savoir si c'est un revendeur, un guetteur ou un chauffeur qui, par exemple, va être recruté pour descendre en Espagne, la nuit, à bord d'un véhicule puissant pour remonter des stupéfiants. Ces éléments sont donc des points de départ d'enquêtes.
M. Alex TÜRK, président .- Pour être tout à fait précis, les personnels de police qui se trouvent sur la voie public peuvent-ils arrêter des personnes qu'ils trouvent dans un véhicule qui leur paraît coûter extrêmement cher et dont les conducteurs ont 18 ou 19 ans, comme on en voit tous les jours ? La question est très précise sur le plan juridique. Vous n'intervenez, vous, que dans d'autres circonstances, mais je parle des policiers qui sont sur la voie publique. Peuvent-ils arrêter le véhicule et demander aux jeunes de justifier de leur identité et de la propriété de la voiture ?
Lorsque les GIR ont été créés, je me souviens que, dans un premier temps, beaucoup de gens nous faisaient remarquer que l'on voyait moins de jeunes avec des véhicules de ce genre, mais, en ce moment, beaucoup d'habitants de Lille, où j'habite, me disent : « Cela recommence : on voit énormément de jeunes qui passent avec des Mercedes rutilantes et flambant neuves conduites par des garçons de 18 ou 19 ans ». Quelle est votre stratégie, qui peut le décider et quelles sont exactement vos possibilités d'action juridique sur ce point ?
M. Bernard PETIT .- Dès lors que vous êtes au volant d'un véhicule, vous pouvez faire l'objet d'un contrôle de police pour vérifier si vous êtes titulaire du permis de conduire et de l'attestation d'assurance et si le véhicule n'est pas volé. Par conséquent, rien n'empêche les fonctionnaires de la voie publique, les personnels en tenue, de faire un contrôle sur un véhicule pour vérifier le permis de conduire ou relever une infraction comme l'absence de port de la ceinture de sécurité ou une vitesse excessive. Ils peuvent contrôler le véhicule, les papiers afférents à celui-ci et le conducteur. En revanche, ils n'ont pas la possibilité d'opérer un contrôle d'identité sur les passagers, sauf s'ils ont eux-mêmes commis une infraction comme l'absence de port de ceinture de sécurité.
A partir de ce contrôle, comme vous l'a dit M. Aubry, il est vraisemblable que les collègues en tenue, intrigués par une voiture de grosse cylindrée et une personne dont l'âge permet de s'interroger sur l'achat du véhicule alors que la carte grise atteste qu'il en est le propriétaire, le signaleront à leur retour au commissariat, que cette information remontera soit vers la sûreté urbaine, soit vers la sûreté départementale et que les premières vérifications faites pourront aboutir à la saisine du GIR, en signalant un jeune qui a 22 ans, qui roule dans une voiture coûtant plusieurs centaines de milliers d'euros et qui est éventuellement connu pour des antécédents criminels. C'est alors que l'enquête commencera.
Cela étant dit, pour répondre à votre préoccupation d'élu local, je pense que ce que vous dites est très juste : immédiatement après la création des GIR, parce qu'on avait mis les projecteurs sur les voitures, c'est-à-dire sur les signes extérieurs de l'activité criminelle, notamment les deals de stupéfiants, de même qu'un escargot se rétracte dans sa coquille, les propriétaires de ces voitures ont fait beaucoup plus attention. A cette époque où les habitants voyaient moins de véhicules, nous constations nous-mêmes, en région parisienne, que les conducteurs de ces véhicules qui attiraient trop l'oeil, parallèlement à la publicité qui était faite aux GIR, allaient les garer dans les parkings de la capitale pour éviter de les exposer en banlieue, où ils demeuraient. Très souvent, nous voyions ces personnes se rendre dans la capitale avec la voiture d'un copain, se faire déposer à un garage rue de Ponthieu et en ressortir avec une Mercedes coupée, une BMW ou une Audi A6.
Nous percevons actuellement il faut le reconnaître un retour de ces véhicules. Il est vrai aussi que, depuis la création des GIR, nous avons eu à faire face, comme Gilles Aubry vous l'a dit tout à l'heure, à la nécessité pour ces groupes d'acquérir des véhicules de grande puissance, officiellement ou officieusement, pour aller chercher de la résine de cannabis en Espagne, parce qu'ils travaillent aujourd'hui à flux tendu, c'est-à-dire qu'ils essaient de réduire les stocks au maximum pour éviter qu'ils soient découverts ou volés. Il faut savoir en effet que la guerre des territoires est très importante entre les groupes. C'est pourquoi ils ont des véhicules rapides qui leur permettent de faire 2 000, voire 4 000 kilomètres en 48 heures, le temps de descendre jusqu'au sud de l'Espagne et de remonter jusque dans la banlieue lilloise. Pour cela, il faut des voitures qui « dépotent » et qui peuvent remonter de grosses quantités à grande vitesse.
M. Gilles AUBRY .- Nous pouvons procéder à des contrôles, mais, si le véhicule est possédé en toute légalité, nous ne pouvons pas demander quelle est l'origine des fonds qui ont permis d'acheter le véhicule. Simplement, c'est le point de départ d'une enquête.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur .- Au travers des visites que nous avons pu réaliser sur le terrain, mais aussi en tant qu'élus locaux, car nous sommes pour beaucoup maires de villes moyennes, nous sentons que les problèmes de la police en général se posent de façon totalement différente. La population et les responsables d'association ont besoin de sécurité et de combattre le sentiment d'insécurité. Chez nous, bien souvent, le sentiment d'insécurité est beaucoup plus fort que le problème de sécurité lui-même, notamment dans nos villes moyennes.
Vos services ne sont contestés par personne, du moins par la population. Il y aura toujours des gens qui ne seront pas d'accord avec les GIR, mais ce sont des services qui ne posent pas de problèmes dans leurs relations avec la population. En effet, qui pourrait reprocher qu'on en fasse trop dans la lutte contre les produits illicites ou contre les trafiquants de toute nature ? Cela ne pose pas de problème.
A côté de cela, nous avons la police telle qu'elle est perçue dans les quartiers en difficulté, puisqu'on a tendance à généraliser la police et ses interventions, ce qui entraîne parfois un décalage de confiance.
Je prends l'exemple des opérations « coup de poing » effectuées par des CRS qui investissent un quartier. Je ne suis pas bien placé pour dire s'il faut les faire ou non, mais même les forces de police locales conviennent que les résultats de ces interventions massives de maintien de l'ordre sont assez faibles : bien souvent, on ne trouve rien du fait des nouveaux moyens de communication et de transmission et quand on arrive dans les cages d'escalier, il n'y a généralement plus personne. En revanche, chez les jeunes délinquants, la situation est encore pire dans les deux ou trois jours qui suivent et cela laisse un sentiment auprès de la population qui va à l'encontre du but poursuivi.
Je dis cela parce que j'en arrive à un point que nous ressentons tous : nous avons deux politiques qui sont actuellement en place ou qui l'ont été et qui concernent la police de proximité, que vous avez abordée précédemment.
Je crois franchement que nous avons besoin d'une police très spécialisée, dont vous faites partie et qui a des résultats indéniables que vous avez donnés, mais nous n'avons pas l'impression que l'on veuille associer, comme c'est le cas dans les pays étrangers, la population aux faits de police. Or les problèmes que nous rencontrons dans les quartiers en matière d'insécurité relèvent de la petite délinquance, celle qui empoisonne les Français et qui provoque les embrasements.
Tous les événements dans les quartiers en difficulté et je ne prends pas la police à parti démarrent avec des bavures ou des problèmes avec la police. Vous qui êtes des spécialistes des quartiers sensibles ou en difficulté, ne pensez-vous pas que l'on pourrait trouver un consensus dans ce pays ? Personnellement, j'approuve la police de proximité et je trouve que la réorganisation actuelle est bonne avec les BAC et autres, qui ont des résultats positifs, mais s'agit-il vraiment de police de proximité, cet échelon qui nous manque en France ? J'observe qu'on se jette souvent ce terme de « police de proximité » à la face sans le définir précisément et que, lorsqu'on dit qu'il n'y a pas assez ou trop de police de proximité, cela ne signifie pas grand-chose.
Pourquoi n'auriez-vous pas des relais sur place, avec des personnes qui pourraient intervenir au quotidien ? Sans parler d'officiers de renseignements, bien sûr, elles pourraient être des relais qui savent ce qui se passe sur le terrain, comme nous le faisons nous-mêmes en tant que maires pour les problèmes de trafic de drogue, par exemple. Personnellement, j'incite en ce sens la population dans ma ville. Il ne s'agit pas délation, mais on ne peut pas à la fois se plaindre de l'insécurité et ne pas participer à la lutte pour la sécurité.
Aujourd'hui, nous sentons dans nos quartiers en difficulté que la population n'a plus de repères. Comme elle ne va pas aller trouver les spécialistes ou les CRS, nous avons l'impression qu'il manque une dimension. Je ne sais pas comment vous le ressentez.
M. Gilles AUBRY .- Je vais vous donner mon sentiment sur ce point, même si nous sortons un peu de notre propre rôle et de notre compétence. Effectivement, en tant que services de police judiciaire, nous opérons, en quelque sorte, des frappes chirurgicales, c'est-à-dire que nous sommes loin des opérations de maintien de l'ordre des CRS que vous avez citées. Lorsque nous allons chercher quelqu'un à l'intérieur d'une cité, il est identifié, suivi et filé depuis souvent plusieurs mois et cette intervention à l'intérieur d'une cité est l'aboutissement d'une enquête. Nous savons qui nous allons chercher et pourquoi.
Quant à la police de proximité, il est vrai que ce concept n'est pas précisément défini. En citant la police de proximité, vous avez parlé des brigades anti-criminalité (BAC) qui, pour moi, sont un peu en dehors du cadre de la police de proximité. Telle que je la conçois, ce sont plutôt des gens implantés localement dans un service ou un bureau de police local, dont le rôle n'est pas de faire de la répression, mais, surtout, du contact, c'est-à-dire d'être des capteurs d'informations, d'être en relation avec les commerçants, les habitants et les jeunes, sachant que, parmi ceux-ci, il y a des grands frères et des jeunes qui sont devenus animateurs et qui peuvent apporter quelque chose dans la relation entre la police, la société et ces quartiers.
Je pense donc qu'il y a une réflexion à mener à cet égard et des aménagements à apporter au dispositif général de l'Etat dans ces quartiers, mais c'est une conviction purement personnelle et elle n'engage que moi.
M. André VALLET .- J'aimerais avoir une réponse à ma question concernant la protection des établissements scolaires.
M. Bernard PETIT .- Vous m'avez posé effectivement deux questions.
La première est la suivante : existe-t-il des dealers qui ne vivent que de la drogue ? » La réponse est oui. Les gens que nous suivons et sur lesquels nous enquêtons ne vivent que de l'activité de trafic. Ce sont des gens qui n'ont pas d'activité salariée, qui se lèvent tard le matin et qui se couchent tard le soir. Nos équipes de surveillance constatent donc que certaines personnes font du trafic et en vivent uniquement.
Quant à votre question sur les établissements scolaires, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour en parler, mais il existe quand même des liens entre l'éducation nationale et la police, même si j'admets qu'ils ne sont peut-être pas suffisants et que leurs conditions pourraient être améliorées. Par exemple, nous avons des formateurs anti-drogue qui se rendent dans certains établissements scolaires pour faire de la prévention.
M. André VALLET .- Je parlais de la répression.
M. Bernard PETIT .- Les forces de police interviennent aux abords des établissements scolaires. Si des places de deal s'ouvrent et s'il faut faire un flagrant délit, il est évident que la sécurité publique et les forces de police qui occupent la voie publique vont intervenir. La difficulté vient du fait que, parfois, le deal a lieu dans l'établissement scolaire, où nous ne pouvons évidemment pas mettre deux policiers en tenue. En outre, les jeunes qui vendent aux abords des établissements scolaires ont l'habitude de la détection de la police et utilisent des lieux comme des cafés, des brasseries ou même un Macdonald a proximité pour faciliter leur activité.
Par conséquent, tout ne se passe pas devant la porte de l'établissement, mais les manifestations les plus flagrantes et les plus visibles sont réprimées.
M. André VALLET .- Pouvez-vous nous dire un mot sur les statistiques en ce qui concerne les établissements scolaires ? La situation s'est-elle aggravée ou améliorée ? Nous aimerions savoir où nous en sommes sur le plan national.
M. Bernard PETIT .- Je n'ai pas de statistiques aussi détaillées et précises sur les établissements scolaires, que ce soit à l'intérieur de ceux-ci ou à leur proximité immédiate. J'ai seulement le nombre de personnes interpellées pour les faits et les produits, mais je ne l'ai pas spécifiquement pour les établissements scolaires.
M. André VALLET .- J'ai évoqué plusieurs fois ces problèmes dans ma commune avec des chefs d'établissement qui me disaient parfois que ce n'était pas à eux de s'occuper de ce qui se passe à l'extérieur de leur établissement car leur périmètre s'arrête à sa porte, et d'autres, au contraire, qui n'hésitaient pas à dire qu'ils alertaient la police si elle leur signalait un fait répréhensible. Les chefs d'établissement appellent-ils véritablement la police pour leur parler de ce qui se passe aux abords ou à l'intérieur de l'établissement ou y a-t-il une réticence des enseignants à collaborer avec la police ?
M. Gilles AUBRY .- Je n'ai pas de chiffres à vous donner, mais je pense que, pendant une certaine période, il y a eu effectivement une réticence, de la part des enseignants et des responsables d'établissement, à communiquer avec la police ou à lui indiquer les problèmes qui se produisaient à l'intérieur ou à l'extérieur de l'établissement, mais je pense que cette pratique a évolué et qu'ils ont désormais des contacts avec le directeur départemental de la sécurité publique parce qu'ils se rendent compte de l'utilité à le faire à l'occasion des réunions des commissions départementales de sécurité ou des réunions avec le recteur ou d'autres responsables d'établissement. Cela facilite non pas la dénonciation mais la relation d'un problème à l'intérieur ou aux abords immédiats de l'établissement.
Dans quelle proportion ces faits sont-ils dénoncés ? Nous sommes incapables de vous le dire parce que nous ne disposons pas d'un outil statistique spécifique qui permet d'en rendre compte, mais, pour l'avoir vécu parce que j'ai eu un poste en province, je sais que les responsables d'établissement n'hésitent pas à prendre contact avec les responsables de commissariat ou avec les directeurs départementaux de sécurité publique pour dire qu'il y a un problème. Il faut effectivement favoriser ces contacts entre les responsables d'établissement et les responsables de commissariat ou de gendarmerie.
M. Alex TÜRK, président .- Je souhaite évoquer le problème des maires qui se sentent souvent découragés.
Parfois, le maire signale des événements cela se produit plus souvent avec la gendarmerie qu'avec la police nationale et on lui répond : « Nous sommes au courant, mais nous devons remonter la filière ». Certains maires que je connais utilisent cette formule comme un proverbe : quand on parle d'une chose avec eux, ils répondent : « On remonte la filière », en semblant dire qu'ils pensent à autre chose. C'est une tendance extrêmement pénible, parce qu'ils s'impatientent et pensent que la filière n'est pas remontée, les problèmes se poursuivant pendant des mois. Ils se disent qu'il faudrait de temps en temps couper le fil sans chercher à remonter la filière, mais en faisant une opération sur ceux qui sont sur le terrain plutôt que de vouloir remonter à une espèce de parrain qui serait au milieu d'une toile d'araignée et qui ne se rencontre que dans les films.
N'y a-t-il pas un moyen de venir à leur secours ? Ils perdent tout crédit vis-à-vis de la population. On leur signale les trafics, on leur donne des numéros de plaques de voitures luxueuses qui viennent des Pays-Bas ou de Belgique je parle de villes proches de Lille à des horaires fixes et qui restent une heure ou deux dans un quartier au vu et au su de tout le monde, et quand les maires indiquent tout cela aux forces de police, ceux-ci lui répondent : « Nous préférons remonter la filière », alors que, sur le terrain, le mal ne cesse pas.
Je voudrais avoir votre sentiment sur un deuxième sujet qui est peut-être moins en prise directe, mais qui joue également vis-à-vis des maires : le problème de la dépénalisation. Alors que, d'un côté, depuis un an ou deux, de plus en plus d'articles dans la presse font état d'accidents du travail ou de la circulation et de conduites à risques ou agressives liées à l'absorption de substances stupéfiantes, le débat sur la dépénalisation est systématiquement relancé, comme je l'ai vu dans des programmes de partis politiques il y a moins de trois semaines. A propos de cette question, le maire se trouve souvent en porte-à-faux parce que, d'un côté, il constate un certain nombre de choses et, de l'autre, il est parfois en face de personnes qui lui disent que la vraie réponse, c'est la dépénalisation.
Que pensez-vous, tout d'abord, de cette idée de dépénalisation d'un certain type de substances et, ensuite, quel est votre avis sur ce fameux concept consistant à remonter la filière, un peu comme on passe son temps à tisser une toile ?
M. Bernard PETIT .- Je vais essayer de répondre à votre question sur la dépénalisation, un sujet récurrent qui agite régulièrement notre société et le débat politique.
Je n'ai pas voulu en faire état tout à l'heure dans l'intervention que vous m'avez permis de faire en introduction, mais je dois vous dire qu'en tant que policiers, nous regrettons profondément que ce débat revienne de façon régulière et dans ces conditions. En effet, les incessants débats sur la nocivité comparée d'un produit au tabac et à l'alcool ainsi que les interrogations sur le quantum de peine et sur les exemples à l'étranger qui autorisent la vente mais sans s'approvisionner, dans une sorte de schizophrénie qui autoriserait les uns à acheter et à consommer et les autres à ne pas vendre et à ne pas stocker, sont autant d'éléments qui nuisent gravement à la lutte contre les stupéfiants et, notamment, occultent les vecteurs criminels qui acheminent ces produits, qui les vendent et qui en tirent profit.
Je me suis gardé d'en parler de moi-même tout à l'heure, mais l'un des problèmes actuels de la résine de cannabis en France, c'est que le débat a été tellement fort, orienté et éclairé sur ces questions que l'on a complètement délaissé et même occulté les vecteurs criminels qui sont à l'action sur ces produits.
Il ne faut pas s'étonner aujourd'hui que ces réseaux s'affranchissent des autres règles de droit, constituent des noyaux durs de délinquance et explosent ça et là en France et dans le sud de l'Espagne. En effet, derrière le trafic de cannabis et la revente, il n'y a pas de confusion, dans mon esprit, entre l'usager revendeur qui revend une petite quantité pour se dépanner de sa propre consommation et le dealer qui vend pour faire du business et de l'argent : il vend à des consommateurs et à des anonymes. Tous ces gens ont une démarche criminelle et, au fur et à mesure des gains et de l'expérience, ils montent en puissance.
Il y a une véritable graduation de l'activité criminelle et, au bout du compte, on se trouve en face de monstres qu'on ne peut plus contrôler. Certains groupes gagnent beaucoup d'argent, prennent de l'espace, ne sont plus confinés à la cité, travaillent sur plusieurs villes et ont une base de repli en Espagne où les produits sont importés directement du Maroc, et on ne sait plus les contrôler.
En médecine, la prévention des maladies compte autant que l'acte chirurgical dix ans plus tard. Alors que l'on fait d'énormes efforts sur le tabac et l'alcool, mais aussi sur les conduites à risques sur les routes en matière d'excès de vitesse, lorsque, en tant que policier, vous faites autant d'efforts et que vous passez autant de temps et de nuits, parfois loin de vos familles, et que vous entendez ce débat qui revient sans cesse, vous avez vraiment envie qu'il soit clos.
M. Gilles AUBRY .- Sur la première partie de votre question, je vais tenter de vous apporter quelques éléments de réponse, car il n'y en a pas une seule. Faut-il systématiquement remonter les filières, c'est-à-dire investir dans le temps et l'espace ? C'est le cas parfois : il faut investir largement et suivre une organisation criminelle pour arriver à un individu ou un groupe d'individus qui va alimenter plusieurs filières actives dans plusieurs quartiers et plusieurs villes. En revanche, dans d'autres cas, cela ne présente que peu d'intérêt et il faut savoir couper les procédures, c'est-à-dire ne pas faire des procédures tentaculaires auxquelles il faut consacrer énormément de monde, qui coûtent énormément d'argent et qui aboutissent à des mises en cause que la justice aura du mal à traiter parce que ces procédures sont trop lourdes.
Il y a donc là des stratégies d'enquête à mettre en place avec les parquets ou les juges d'instruction et avec l'ensemble des services de police ou de gendarmerie. Nous avons une organisation territoriale avec des commissariats qui ont une compétence locale, des sûretés départementales qui ont une compétence sur le département, des services de police judiciaire qui ont une compétence régionale et des offices centraux qui ont une compétence nationale et internationale. Cette organisation est logique et cohérente, mais l'intérêt, c'est que l'ensemble de ces services fonctionnent en synergie et que des décisions stratégiques soient prises pour essayer de déterminer la meilleure stratégie d'enquête. Cela se définit entre le parquet local et les services de police et de gendarmerie.
C'est un combat permanent et il y a toujours du grain à moudre. Nous avons parlé de la police de proximité ou des capteurs de proximité pour faire remonter l'information. Il faut faire évoluer nos pratiques dans le domaine de l'information et du renseignement. Pendant très longtemps, on a travaillé sur une philosophie de l'appropriation individuelle du renseignement et de l'information. Il faut maintenant passer à une pratique du partage de l'information. Il faut savoir partager cette information, l'enrichir et la redistribuer.
Nous y travaillons en essayant de mettre en place des outils et des structures pour faciliter cet échange d'informations.
On a parlé de la police de proximité en envisageant des policiers de sécurité publique, mais un gros travail est fait aussi par les policiers des renseignements généraux. Eux aussi, ils ont eu du mal, pendant un moment, à redéfinir leur place au moment où on leur a retiré toute leur activité relative aux partis politiques. On a essayé de les repositionner sur la surveillance des banlieues, mais ils n'étaient pas faits pour ce métier et ils ont donc dû acquérir des réflexes et apprendre les choses. Petit à petit, cette pratique commence à porter ses fruits. Il y a donc un travail d'ensemble à mettre en place.
M. Alex TÜRK, président .- Je n'en doute pas et je comprends parfaitement ce que vous dites. Nous n'allons pas rouvrir le débat, mais je voulais simplement attirer votre attention sur le fait que les maires se trouvent à un moment donné dans une contradiction dont ils ne peuvent pas sortir. Vous pouvez toujours développer la politique de la police de proximité, et tout ce que nous entendons nous incite à penser qu'il faut effectivement avoir deux fers au feu et non pas seulement l'un ou l'autre. C'est donc une réflexion qui mérite incontestablement d'être approfondie. Pour autant, si la police de proximité permet de constater que, dans tel quartier d'une ville, un certain nombre de gens se livrent à un trafic mais que, alors que le maire est au courant, du fait de ses relations avec la police de proximité, on laisse le trafic se perpétuer parce qu'on ne veut pas couper les filières, on ne s'en sort pas. A mon avis, il y a un moment où la police doit faire un travail d'aide psychologique auprès du maire, si je puis dire, et lui donner des arguments pour qu'il puisse dire à sa population que, si cela ne bouge pas, c'est qu'il y a de bonnes raisons pour cela.
En réalité, la population se dit qu'il est inutile de dénoncer les trafics qu'ils constatent puisque la police n'intervient pas. C'est un problème de communication que je soulève ici.
M. Bernard PETIT .- Ce problème de communication se pose non seulement entre le maire et la police, mais aussi entre le maire et l'autorité judiciaire. Vous pourrez poser la question à M. Molins qui vient d'arriver : la responsabilité du procureur de la République est aussi d'expliquer et d'exposer les choses.
M. Alex TÜRK, président .- Très bien. Messieurs, nous vous remercions.