Compte rendu du déplacement à Londres (14 et 15 juin 2006)

Composition de la délégation : MM. Alex Türk, président, Pierre André, rapporteur, Philippe Dallier et André Vallet, vice-présidents, et Mme Catherine Morin-Desailly

A l'invitation et en présence de M. Gérard Errera, ambassadeur de France au Royaume-Uni, la délégation a participé un dîner à la résidence de Kensington avec Sir Stuart Bell, président du groupe d'amitié franco-britannique de la chambre des Communes, ancien président de la commission des finances et membre du « liaison comittee » qui assure les navettes législatives avec la Chambre des Lords.

I. Régénération des quartiers et cohésion sociale

Le lendemain, au Department for communities and local Government, à Whitehall , la délégation a d'abord rencontré Mmes Elena Immanmbocus, Louise Bennett et M. John Palfalvy qui lui ont apporté les informations suivantes :

A la suite des troubles de Brixton (quartier de Londres) dans les années 80, puis des émeutes en 2001 à Bradford, Burkley et Oldham, un groupe de travail sur l'ordre public et la cohésion sociale a été mis en place.

Depuis cinq ans, une politique spécifique est menée en faveur des quartiers défavorisés , d'abord sous l'autorité du vice premier ministre puis sous celle du ministère pour les communautés et le développement local.

Le but est de réduire les inégalités dans un délai de 10 à 20 ans afin qu'il n'y ait plus de discrimination par rapport au lieu de résidence.

On compte 88 zones souffrant de désavantages multiples (niveau des salaires, taux de chômage, taux de criminalité...), principalement à Londres, dans le Nord-Ouest, le Nord-Est et le centre ouest ; 66% des minorités ethniques 1 ( * ) résident dans les quartiers défavorisés.

Des objectifs planchers ou standards minimaux servant à évaluer l'action des autorités locales ont été fixés dans six domaines : emploi, logement, santé, éducation, insécurité, environnement. Le but est de créer 25.000 emplois et d'améliorer 150.000 logements.

Les Local Strategic Partnerships regroupent les autorités locales, les associations, et les communautés religieuses, pour définir des priorités et des stratégies. Ils bénéficient d'un « Neighbourhood Renewal Fund » de 525 millions de livres, qui doit jouer un effet de levier et réorienter les fonds des autres services et des autorités locales.

La stratégie gouvernementale de janvier 2005 ainsi que les bonnes pratiques établies en 2003 visent à atteindre une société de l'intégration, dans laquelle chaque communauté ait sa place, où l'on respecte la diversité tout en encourageant les relations entre personnes de communautés différentes.

Ces programmes se basent sur l'adhésion et la participation des habitants ; 55 millions sont consacrés aux réunions d'habitants et 78 millions au financement de projets communautaires. Toutefois, des tensions existent entre population et autorités locales, accusées de vouloir conserver la mainmise sur les Local Strategic Partnerships (par exemple entre le borough de Tower Hamlets et le London Islamic Centre en raison de tensions entre le Labour et le parti du Respect).

Les résultats sont jugés positifs dans le domaine de l'emploi et de l'éducation.

Le New Deal pour les quartiers, lancé en 1998, de 2 milliards de livres, concerne 39 zones défavorisées. Chacune doit recevoir 50 millions de livres sur 10 ans. Il vise les quartiers et non les communes. Les présidents de groupes sont des représentants des habitants. Ce programme est fondé sur six thèmes principaux, emploi, criminalité, éducation, santé, logement, environnement, et vise à faire participer les habitants et surtout les plus jeunes, en leur apprenant à répondre aux offres d'emplois, mener une évaluation... En trois ans le taux de satisfaction des habitants est passé de 33 à 50 %.

Le programme de gestion des quartiers ne reçoit que 150.000 livres par an, et repose sur de petites équipes connaissant bien le terrain qui doivent persuader les services publics locaux de prendre en compte les souhaits des habitants. Ce dispositif peu coûteux est très efficace.

Depuis 2000 a été mis en place un programme de « gardiens des quartiers », sur les modèles néerlandais et américain, qui couvre actuellement 250 quartiers 2 ( * ) .

Employés par les autorités locales, les gardiens ne font pas partie de la police, mais sont en uniforme. Ils contribuent à l'amélioration de la qualité de vie par des services personnalisés, notamment pour les personnes âgées et les jeunes (présence à côté des écoles et des services publics, encadrement d'activités extra-scolaires...). Ils entretiennent de bonnes relations avec les jeunes et les minorités ethniques et ne sont pas perçus comme des « indics ».

Ils n'habitent pas forcément dans le quartier dans lequel ils travaillent, afin d'éviter des pressions. Constitués à l'origine surtout d'anciens militaires ou d'agents de sécurité, ils comprennent aujourd'hui une majorité de femmes et de membres de minorités ethniques.

Leur formation dure 4 semaines (chaque région compte un institut de formation), et tutorat et programme d'échange d'expériences. S'ils peuvent avoir des pouvoirs de sanction (amendes en cas de dépôt sauvage d'ordures...), la plupart préfèrent user de pédagogie. On évalue à 28 % la baisse de la délinquance en trois ans dans ces quartiers.

Neuf agences régionales de développement et 21 « Urban Regeneration Companies » ont été créées par l'Etat depuis 1999 (d'abord à Liverpool puis dans toutes les régions, à part le sud-est). Elles s'appuient sur une approche partenariale. Les agences de développement régional dépendent du ministère de l'économie.

Au moins 50 % des membres des conseils sont issus du secteur privé. Ils ne sont pas rémunérés et interviennent à titre individuel uniquement, pour éviter des conflits d'intérêts.

Il s'agit d'encourager l'investissement privé et l'implantation d'entreprises dans ces quartiers. Leurs compétences s'étendent également au logement, aux transports, à l'éducation, aux loisirs... Les URC n'ont pas de fonds propres, ce qui peut poser problème, et constituent avant tout des outils de coordination. Les opérations sont à 10-15 ans et les engagements, notamment financiers, sont triennaux, trois projets étant en cours d'évaluation.

II. Réunion au ministère de l'intérieur sur la politique de sécurité

• Le programme de lutte contre les comportements anti-sociaux : « Antisocial Behaviour Orders » (ASBO)

Ce programme part du principe que les habitants des quartiers défavorisés ont le même droit que les autres de vivre dans un environnement sûr, et du constat de la difficulté de traiter la petite délinquance répétitive avec les méthodes policières classiques, alors que les habitants se méfient de la police.

La définition des comportements anti-sociaux est particulièrement large : décharge sauvage, incivilités, graffitis, consommation d'alcool...

Les auteurs de graffitis ont 24h pour les effacer sinon ils sont passibles d'une amende.

Des « contrats de comportements acceptables » sont passés avec les petits délinquants, sans passer par le tribunal.

En outre, peuvent être décidés des ordres de dispersion en cas de rassemblements, des couvre-feux, la fermeture de locaux, notamment en cas de trafic de drogue, des amendes.

Des interdictions de vivre ou de se déplacer dans un certain lieu ou quartier ou de rencontrer certaines personnes, peuvent être prononcées pour une durée de deux à dix ans. En cas de non respect, cinq ans d'emprisonnement peuvent être requis (en pratique plutôt des travaux d'utilité publique). L'interdiction doit respecter un principe de proportionnalité et être en rapport avec le comportement incriminé.

Ces interdictions peuvent être prononcées à l'encontre de mineurs dès l'âge de 10 ans, mais concernent le plus souvent des adolescents de 15-16 ans.

Ces ASBO peuvent être demandés par la police, les autorités locales, les propriétaires de logements sociaux et la police des transports. Ils peuvent également être prononcés à l'issue de l'accomplissement d'une peine.

Il s'agit d'une procédure civile et non pénale devant les Magistrates Courts, qui a l'avantage d'être plus rapide et moins coûteuse (environ £ 2.000), et de ne pas nécessiter la comparution des témoins et des victimes devant un jury puisque ces instances sont constituées de magistrats professionnels.

Ce dispositif comprend également des mécanismes de soutien : le service de la délinquance juvénile pour les mineurs et les services de logement ou de toxicomanie pour les adultes en fonction des difficultés rencontrées.

Ces ASBOs sont utilisés principalement à Londres, Liverpool, Manchester, Birmingham et Leeds, 7.000 procédures ayant déjà été engagées.

• Le programme de diversité dans la police

M. Maqsood Ahmad , responsable de « Police Equality and Diversity Policy », a fourni à la délégation les informations suivantes :

A la suite d'un meurtre raciste en 1999 pour lequel la réponse de la police a été jugée insuffisante, des efforts de recrutement de femmes et de membres de minorités ethniques ont été accomplis afin que la police reflète la population et que leurs rapports s'améliorent. Cette méfiance persiste cependant du fait de la vague d'agressions racistes consécutive aux attentats de juillet 2005.

4,4 % de la population est d'origine asiatique, 2,2 % est noire. Les Pakistanais et les Bangladeshis représentent 60 % des musulmans vivant en Grande-Bretagne, qui représentent eux-mêmes 3 % de la population.

La commission pour l'égalité raciale a notamment recommandé d'encourager les minorités à entrer dans la police en offrant des formations spécifiques (mais les épreuves sont les mêmes), de collaborer avec les « Neighbourhood Polices » et d'évaluer l'impact des politiques sur la diversité.

Cette politique se fonde sur les notions d'égalité, de respect, de sécurité, d'unité autour de valeurs communes, et de leadership cohérent.

• Le programme « Police Community Support Officers »

Une police de proximité, partie intégrante de la police, a été créée en 2002, afin de tenir compte du fait que si le taux de délinquance baisse, le sentiment d'insécurité augmente. Actuellement constitué de 6.300 personnes, elle devrait passer à 16.000 en mars 2007.

Elle est ciblée sur la lutte contre la petite délinquance, et les deux tiers de son activité sont consacrés aux patrouilles à pied, afin d'entretenir de bons rapports avec la population et notamment les jeunes et les minorités ethniques. Sa compétence est limitée puisque ces policiers ne peuvent procéder à des interpellations et remplissent pour l'essentiel une fonction de renseignement.

14 % de ces policiers (32 % pour Londres) sont issus de minorités ethniques (contre 3,5 % dans le reste de la police) et 40 % sont des femmes (intéressées par la flexibilité des horaires et qui considèrent ces tâches de proximité comme une première expérience pour voir si veulent travailler dans la police, ce qui permettra de diffuser ce modèle).

III. Les minorités ethniques et l'emploi

• Présentation générale

La délégation a rencontré Mme Nahid Majid, chef du service des minorités au ministère du travail, qui a auparavant travaillé sur des projets de rénovation urbaine comme architecte urbaniste, notamment à Tower Hamlets.

Après les politiques communautaires menées dans les années 70, les années Thatcher ont été marquées par une approche économique, le Gouvernement Blair ayant pour sa part privilégié une approche globale.

A la suite des attentats de Londres de juillet 2005, un groupe de travail a été mis en place pour essayer de circonscrire l'extrémisme, d'obtenir l'adhésion des communautés et de faire le bilan de la politique britannique en ce domaine. Il a cherché à faire le lien entre les autorités locales et les structures communautaires musulmanes, essentiellement bangladeshies, mais aussi somaliennes.

En 2003, un nouveau département des minorités et de l'emploi a été créé à la suite des 21 recommandations du groupe de travail interministériel (commerce, éducation nationale, sport, finances et emploi) présidé par Jim Murphy, auquel ont également participé des organisations syndicales et des entreprises.

S'agissant du chômage, si l'écart des taux de chômage entre population blanche et minorités ethniques s'est réduit de 1,5 point depuis 2003, il reste d'environ 15 %.

Il faut y ajouter un fort taux d'inactivité des femmes pakistanaises et bangladeshies, qui constitue un facteur de pauvreté des enfants et d'exclusion sociale, et appelle des programmes spécifiques d'aide aux femmes issues de minorités ethniques.

Le groupe de travail a ainsi défini trois axes :

- améliorer l'employabilité ;

- connecter les gens à l'activité économique, notamment en améliorant l'action du service public de l'emploi

- lutter contre les discriminations à l'embauche.

A cet égard, l'organisation des jeux olympiques à Londres devrait permettre de développer l'emploi.

En avril 2006, le fonds « City Strategy » a été mis en place pour financer les différents programmes locaux.

• Visite du quartier de Canary Warf et Tower Hamlets

Canary Warf est une partie de l'ancien port de Londres devenu centre d'affaires à partir de 1981.

Il compte 80.000 emplois, principalement dans les services financiers. Ce chiffre devrait doubler d'ici 2016, ce qui devrait faire de Canary Warf le premier centre économique du pays : la population devrait augmenter de 30 % et 25.000 nouveaux logements être construits.

Ce quartier, qui appartient à un groupe privé coté au London Stock Exchange, constitue l'élément essentiel de la régénération de East London, qui est une zone très sinistrée, dans laquelle le revenu moyen est de la moitié du revenu moyen national.

Tower Hamlets, situé à proximité, compte 49 % de membres de minorités ethniques ou de noirs (dont 33 % d'origine bangladeshie), ainsi que la population la plus jeune du pays, le chômage des jeunes constituant un défi à relever dans l'avenir. Le taux de chômage reste très important alors que le quartier compte deux fois plus d'emplois que d'habitants actifs.

Afin de mettre en relation ces deux mondes qui s'ignoraient largement, le programme Skillsmatch , une initiative du groupe Canary Warf, a été mis en place en 1997.

Il vise à améliorer l'employabilité des habitants et à mettre en place des formations pour répondre aux besoins des entreprises, notamment dans les services financiers, l'hôtellerie, ainsi que dans la perspective des jeux olympiques.

A l'origine, il s'agissait d'un programme de formation de conseiller financier destiné aux jeunes diplômés, mis en place par la banque HSBC pour encourager les recrutements ethniques (en tenant compte de l'interdiction de l'usure prévue par la charia).

Le centre de formation, qui comporte une équipe de 20 personnes, se trouve au milieu de Canary Warf, ce qui oblige les intéressés à venir dans le quartier d'affaires et le rend plus familier.

Les formations comprennent des cours d'alphabétisation, d'informatique et de bureautique, ainsi que des tests psychomoteurs, mais aussi le développement des « soft skills » (savoir se comporter dans un emploi, respecter la hiérarchie et les horaires).

4.000 personnes ont déjà été placées (dont 70 % de personnes issues de minorités ethniques), 569 personnes ayant bénéficié du dispositif l'an dernier.

Le centre travaille en coopération avec le Jobcentre Plus, mais aussi avec des entreprises (organisation de stages et de formations) et des établissements scolaires et universitaires (notamment Tower Hamlets College). Le groupe Canary Warf est représenté au conseil d'administration de Tower Hamlets College. Les établissements scolaires disposent d'une marge d'adaptation des programmes et sont tenus de tenir compte des souhaits des entreprises, ceci étant vérifié par le service d'inspection, dont les conclusions sont rendues publiques. L'accent est mis sur l'anglais et les mathématiques. Le gouvernement subventionne les formations demandées par les entreprises et encourage les « work-related curriculum », l'accent étant mis sur l'accès à l'emploi plutôt que sur le diplôme.

• Visite du « London Islamic Center »

Le Centre islamique de Londres a ouvert en 2004 et est très fréquenté par la communauté (3.000 visites par jour et 7.000 le vendredi).

Il a mis en place en direction des familles des programmes de lutte contre l'absentéisme scolaire et de prévention de la drogue, l'imam pouvant se déplacer chez les parents.

En outre, chaque jeudi, des conseillers de Jobcenter se déplacent. Enfin, Skillsmatch va ouvrir une annexe dans les locaux du centre, afin d'apporter une aide à la rédaction de CV, à la préparation des entretiens et à l'orientation. Les chômeurs de longue durée sont particulièrement ciblés, l'objectif étant de les motiver en les incitant à gagner leur vie en respectant les principes religieux, sans profiter à l'excès des prestations de l'Etat providence.

* 1 Le Home Office n'établit de statistiques par rapport à la nationalité, mais le recensement de 2004 comprenait des questions relatives aux origines.

* 2 Il est prévu d'avoir 10 gardiens pour 10.000 habitants.

Page mise à jour le

Partager cette page