Compte rendu du déplacement à Roubaix et à Lille (21 juin 2006)

Composition de la délégation : MM. Alex Türk, président, et Pierre André, rapporteur

I. Rencontre avec le maire de Roubaix

La délégation sénatoriale a été reçue par le maire de Roubaix, M. René Vandierendonck, qui lui a expliqué que Roubaix avait bénéficié de tous les dispositifs créés en faveur de la politique de la ville. Il a insisté sur le fait que, depuis son élection à la mairie en 1994, il avait veillé à ce que toutes les initiatives s'inscrivent dans un seul et même projet de ville afin de garder une cohérence.

Évoquant les spécificités de la ville de Roubaix , son maire a précisé qu'elle ne possédait que peu de grands ensembles et qu'un tiers des logements étaient de nature sociale. Il a remarqué que les plus pauvres des habitants étaient logés dans le parc privé, contrairement aux idées reçues et qu'une priorité consistait à accompagner les petits propriétaires occupants pour leur permettre de réaliser des travaux de rénovation.

Il a indiqué, ensuite, qu'un habitant sur trois était bénéficiaire de la CMU et que 10 % des bénéficiaires du rmi du département du Nord habitaient Roubaix. Il a considéré qu'une partie importante du chômage structurel pouvait s'expliquer par la discrimination à l'embauche.

Il a ensuite exposé les enjeux de la zone franche urbaine en expliquant que son succès pouvait être mesuré à la proportion d'investissements privés qui revenait sur le site. Il a indiqué que le projet avait été de développer les magasins d'usines, une grande surface commerciale ainsi qu'un cinéma multiplexe. Il a observé que les contraintes étaient plus importantes en milieu urbain qu'en périphérie, en évoquant notamment la question des façades et les problèmes de stationnement. Il a considéré qu'il était également difficile d'apprécier les résultats en termes de lutte contre les discriminations en rappelant qu'il était interdit de réaliser des études prenant en compte les critères ethniques par exemple. Il a rappelé qu'un tiers de la population de Roubaix était d'origine maghrébine.

Interrogé sur les évènements de novembre 2005 , le maire a expliqué que le phénomène de « jeu » avait favorisé l'extension des troubles dans lesquels étaient impliqués souvent de très jeunes adolescents qui n'étaient pas toujours connus comme délinquants. Il a rappelé que ces violences urbaines avaient eu pour conséquence la mort de trois personnes suite à l'incendie d'encombrants sur la voie publique qui avaient provoqué un incendie dans un immeuble. Il a insisté sur la coopération entre les acteurs qui avait permis une action coordonnée des différents acteurs concernés par la gestion de cette crise.

Concernant la question des religions , M. René Vandierendonck a déclaré que Roubaix avait adopté un « schéma directeur des lieux de culte » et avait procédé à une analyse détaillée de la loi de 1905 pour mesurer les possibilités d'action. Une association « Roubaix espérance » a été créée sur le modèle de « Marseille espérance ». La ville essaye d'inciter les communautés religieuses à se constituer en associations cultuelles au sens de la loi de 1905. Elle intervient en accordant des baux emphytéotiques et en finançant certains équipements comme des parkings. Il a estimé que de nombreux habitants revendiquaient leur identité musulmane et qu'il n'était pas toujours aisé d'apprécier la représentativité des interlocuteurs, ce qui pouvait rendre difficiles les échanges avec les autorités municipales.

Répondant à une question sur les moyens dont dispose la ville, il a précisé que sa DSU s'élevait à 4 millions d'euros. Il a regretté que les nouveaux contrats de ville ne prévoient plus de dimension culturelle ainsi que le fait que les autres partenaires, comme la région, n'étaient plus partie prenante.

M. Pierre André a précisé que l'évolution des contrats de ville avait eu pour objet de rappeler que le maire devait rester l'opérateur principal de la politique de la ville et a précisé que la contractualisation avec la région restait possible à titre facultatif, ce qui permettait davantage de souplesse.

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II. Présentation de la zone franche urbaine

La délégation sénatoriale a assisté ensuite à une présentation des principales données chiffrées concernant la zone franche urbaine de Roubaix. Créée en 1997, elle recouvre 345 hectares, soit 26 % du territoire communal et accueille 29.026 habitants, soit 30 % de la population.

Les résultats en termes d' emplois créés ont été très positifs au cours des premières années d'existence de la ZFU (5.151 emplois nouveaux créés entre 1997 et 2002, ce qui correspond à deux fois le nombre des emplois créés par l'implantation de l'usine Toyota), ce qui a permis de compenser la perte des emplois industriels dans le textile. Grâce à la ZFU, le taux de chômage a été stabilisé à la baisse autour de 22 % et le niveau de l'emploi salarié a été préservé. Dans le même temps, le nombre d'entreprises est passé de 460 à 1166.

En 2002, les résultats ont été moins favorables, le nombre d'emplois nouveaux exonérés au titre de la ZFU a baissé de 12 % à 4.521 et le nombre d'entreprises bénéficiant d'exonérations de charges patronales au titre de la ZFU a diminué de 20 %. Toutefois, la reconduite du dispositif ZFU en 2003-2005 a permis une nouvelle hausse du nombre des emplois aidés avec 5.129 emplois au 31 mars 2003 avant qu'une nouvelle baisse intervienne et ne porte le nombre des emplois exonérés à 3.758, soit une diminution de 35 %. Cette chute, assez brutale, s'explique, selon les responsables municipaux, par l'application des réductions de charges « Aubry II » ou « Fillon » et par la sortie d'entreprises du dispositif ZFU.

Concernant les caractéristiques des emplois créés, une enquête menée en 2001 auprès de 300 entreprises a montré que 65 % des nouveaux emplois étaient des emplois créés et que seuls 35 % étaient des emplois transférés, que deux emplois sur cinq étaient pourvus par des Roubaisiens (mais seulement 32 % en 2004) et que les trois quarts des emplois créés l'étaient en CDI.

Les entreprises, interrogées en 2004, sur les effets du dispositif ont estimé pour 40 % d'entre elles, qu'il avait eu une incidence sur leur lieu d'implantation et un impact sur la consolidation des activités. Il a également favorisé le développement des activités pour 31 % d'entre elles et incité à la création d'entreprises pour 13 %.

Par ailleurs, les chefs d'entreprises ont estimé que dans leur décision d'implantation, ils avaient privilégié le dynamisme de la ville (44 %), la proximité des clients et donneurs d'ordre (43 %), la localisation stratégique et les infrastructures (42 %), la nature du tissu économique local (16 %) et les ressources humaines (8 %). Parmi les facteurs négatifs de la ZFU de Roubaix, ils ont retenu l'insécurité (54 %), le pouvoir d'achat des Roubaisiens (38 %), la qualification des salariés (34 %), le prix de l'immobilier (13 %) et les disponibilités immobilières (10 %).

Les responsables municipaux considèrent que les résultats obtenus grâce à la ZFU sont le fait d'une politique de développement économique étroitement liée aux politiques d'emploi et de renouvellement urbain. Ils mettent en avant la stratégie de reconquête par un projet urbain et commercial d'envergure, la mise en place d'une véritable offre foncière et immobilière ainsi que la création de la Maison de l'Initiative et de l'Emploi. Ils estiment que les enjeux concernent maintenant l'implantation des entreprises, le développement de l'offre immobilière et foncière, l'augmentation de la part des Roubaisiens dans les emplois créés par les entreprises roubaisiennes et la création de réels outils d'évaluation.

III. Visite de deux entreprises de la zone franche urbaine de Roubaix

La délégation sénatoriale a ensuite visité de deux entreprises situées dans la zone franche urbaine.

• Visite du cinéma multiplexe « Le Duplex »

Elle a été reçue par M. Verdière, directeur du cinéma multiplexe « Le Duplex », situé en centre ville. Celui-ci a expliqué que le projet d'implantation n'aurait pas pu se faire sans les aides attachées à la ZFU. Il a considéré que la situation financière de l'établissement restait fragile du fait de la faiblesse du pouvoir d'achat des clients. Interrogé sur les problèmes de discriminations, il a déclaré qu'il ne rencontrait pas de difficultés particulières à recruter des jeunes et qu'il n'avait pas observé de différences selon que son personnel était, ou non, issu de l'immigration.

• Visite de l'entreprise « Rubis usinage »

La délégation a été accueillie par M. Brauchot, directeur associé de « Rubis usinage », une entreprise spécialisée dans le façonnage de pièces pour le forage des exploitations pétrolières. Au cours de cette visite, ce dernier a insisté sur le caractère de haute technologie des activités ainsi créées dans la ZFU. Il a observé que si les aides publiques avaient été versées sans difficultés par l'État, l'entreprise avait rencontré des difficultés avec l'URSSAF concernant les allègements de charges dont pouvaient bénéficier les nouveaux emplois créés.

Il a expliqué que les techniciens et ouvriers devaient maîtriser des savoir-faire pointus, ce qui posait des difficultés de recrutement. Il a déploré que de nombreux lycées professionnels de la région ne proposent plus les formations appropriées, faute de candidats alors même que ces formations donnaient un accès immédiat à des emplois rémunérés entre 1.800 et 2.000 euros par mois. Il a indiqué que l'entreprise avait signé des contrats avec des grands donneurs d'ordre mais qu'elle rencontrait des difficultés pour les honorer faute de main d'oeuvre. Interrogé sur les questions de discriminations, il a déclaré ne pas avoir observé de différences dans la qualité du travail ou le comportement des jeunes selon qu'ils étaient ou non issus de l'immigration.

IV. Visite des quartiers sud de Lille et rencontre avec des associations

La délégation sénatoriale a d'abord visité le quartier sud de Lille, accompagnée par Mme Claire Fort, urbaniste. On lui a présenté les projets d'aménagements prévus dans la cadre du GPRU concernant les quartiers de Arras-Europe, Marquillies et Lazare-Garreau. Elle a pu, en particulier, prendre connaissance des projets de démolition, de construction de nouveaux équipements et de requalification de voiries.

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A l'issue de cette présentation sur le terrain, la délégation a été reçue à la mairie de quartier de Lille Sud par M. Bernard Charles, adjoint au Maire, pour une rencontre avec des associations spécialisées dans la prévention et l'insertion .

Au cours de cette rencontre, M. Slimane Kadri, responsable de l'association « Itinéraires » a condamné les actes des jeunes commis lors des évènements de novembre mais il a remarqué qu'ils s'inscrivaient dans un contexte de difficultés dans l'accès au logement et à l'emploi qui donnait à ces jeunes le sentiment d'être dénigrés. Il a considéré que la situation restait tendue et qu'il était difficile d'agir dans la continuité. Il a regretté qu'un travail de longue haleine puisse être remis en cause par des déclarations de responsables politiques. Il a regretté la disparition de la police de proximité qui permettait de mieux identifier les auteurs de troubles.

M. Madani Oulkebir , responsable du « Centre Social du Faubourg de Béthune » a observé que certains quartiers étaient composés à près de 90 % de logements sociaux comme le quartier Concorde. Il a remarqué que ces quartiers manquaient de lieux de convivialité. Après avoir expliqué que son association proposait aux jeunes des suivis individuels ainsi que des animations sportives et culturelles, il a indiqué qu'il était souvent difficile de trouver une solution adaptée pour chaque jeune, compte tenu de la multitude des dispositifs existants qui comportent tous des conditions d'accès spécifiques.

Mme Brigitte Delacroix , responsable de l'association « Paroles d'habitants » a exposé le rôle de son association qui travaille à développer un maillage dans les quartiers permettant d'assurer une présence sur le terrain.

Mme Myriam Hamoui , responsable de l'association « Les Francas du Nord » a expliqué que son association s'occupait des enfants âgés de 16 ans au plus. Elle a évoqué les difficultés rencontrées par les mères de famille qui se sentaient souvent dépassées. Elle a regretté les retards qui existaient en France concernant l'accueil des jeunes en centres de loisirs.

M. Alex Türk, président , a demandé des précisions sur le déclenchement des évènements de novembre 2005.

M. Bernard Charles a indiqué qu'il y avait eu un délai d'une semaine entre les premiers évènements de Seine-Saint-Denis et les premiers troubles constatés à Lille. Il a remarqué qu'entre temps le journal « La Voix du Nord » s'était interrogé sur les conséquences que ces évènements franciliens pouvaient avoir sur les quartiers de Lille Sud.

Il a considéré que trois types de facteurs avaient pu jouer un rôle lors de ces évènements : un phénomène de mimétisme, une forme de « soupape de sécurité » qui a fait exploser une frustration longtemps refoulée et internet qui a diffusé des mots d'ordre d'action.

Évoquant l'attitude des forces de l'ordre, il a considéré qu'une tendance à multiplier les contrôles d'identité systématiques avait pu accroître les tensions et a estimé qu'il manquait une certaine proximité entre la police et les habitants des quartiers. Il a également dénoncé le fait que certains employeurs n'hésitaient plus à tenir des propos discriminatoires à des travailleurs sociaux concernant les profils de demandeurs d'emploi qu'ils recherchaient.

M. Madani Oulkebir a estimé que les jeunes qui bénéficiaient d'une formation arrivaient à s'en sortir mais que le véritable problème concernait ceux qui en étaient dépourvus.

Mme Carole Mignot , directrice de la Politique de la Ville, a considéré qu'il existait un problème spécifique concernant les jeunes qui n'étaient plus soumis à l'obligation scolaire après 16 ans.

M. Walid Hanna , adjoint à la politique de la Ville s'est interrogé sur le sort des crédits qui avaient été promis par le Premier ministre après les évènements de novembre.

M. Pierre André, rapporteur , a fait observer que les crédits promis avaient été débloqués. Évoquant l'avenir de la politique de la ville, il a considéré que trop souvent l'État se substituait aux élus et qu'il souhaitait que le maire devienne le véritable « patron » de la politique de la ville.

V. Rencontre avec le maire de Lille

La délégation sénatoriale a, enfin, été reçue par Mme Martine Aubry, maire de Lille.

M. Alex Türk, président , a rappelé les objectifs de la mission et évoqué ses précédents déplacements. Il a considéré que ceux-ci avaient permis d'établir que le succès des politiques menées dépendait de la qualité des interactions entre les différents aspects des politiques mises en oeuvre dans les quartiers dans le domaine de l'éducation, de la sécurité, de l'emploi et de la mixité.

Mme Martine Aubry a évoqué les spécificités de Lille qui ne connaît pas de « banlieues » au sens habituel du terme, les populations aisées et les classes moyennes ayant tendance à habiter en dehors de la ville et les quartiers en difficulté se situant à la périphérie du centre, mais dans la ville.

Elle a estimé que, sans les quinze années de politique de la ville, le tissu urbain et social serait aujourd'hui encore bien plus abîmé et que les dispositifs mis en place avaient eu des effets bénéfiques concernant, par exemple, le lien social et les activités culturelles. Elle a estimé que la politique de la ville avait toujours eu tendance à considérer l'urbanisme comme un acquis à l'exception de quelques opérations ponctuelles de « GPU » et que les projets mis en oeuvre n'avaient pas touché à la ville elle-même. Elle a indiqué qu'il y avait un changement aujourd'hui puisque l'objectif était de « refaire de la ville ». Elle a estimé qu'il était temps de revenir sur la tendance qui avait eu cours de transformer les coeurs de ville en musées et en lieux de consommation. Elle a déclaré que, lorsque les lieux devenaient anonymes et sans repères, on ne pouvait plus parler de « ville » et qu'il était d'autant plus difficile de respecter des espaces sans affectation.

Mme Martine Aubry a considéré qu'il était donc nécessaire de restaurer une qualité urbaine en ramenant dans la ville des commerces, des artisans ainsi que des pôles sportifs. Elle a expliqué que les projets de construction de logements prévoyaient des bâtiments de petite hauteur (R + 3) et des maisons individuelles, certaines de ces habitations étant ouvertes à l'accession à la propriété. L'objectif est de retrouver une ville traditionnelle et donc une mixité sociale.

Évoquant les questions d'éducation, elle a présenté les orientations du projet éducatif global de Lille pour l'enseignement primaire. Elle a estimé que chaque enfant devait être aidé mais aussi que chaque incivilité devait donner lieu à une réponse qui pouvait être la convocation des parents. Elle a expliqué que le développement d'activités autour de la musique, de la lecture et du théâtre pouvait permettre de redonner confiance aux enfants et de les ouvrir à toutes les formes d'intelligence.

Mme Martine Aubry a, par ailleurs, souligné l'utilité de la police de proximité en observant qu'elle permettait d'obtenir des renseignements sur les fauteurs de troubles et d'adapter la réponse aux actes commis.

Elle a insisté sur la nécessité d'une complémentarité entre le local et le national, en faisant remarquer que les villes avaient besoin d'être aidées sur le foncier. Elle a déploré que Lille ait perdu 160 policiers en quatre années alors qu'elle en aurait besoin de 400 supplémentaires.

M. Alex Türk, président , s'est interrogé sur les difficultés que rencontraient certains chefs d'entreprises avec des jeunes réputés « asociaux » ou manquant de formation.

Mme Martine Aubry a considéré que cela posait la question de l'accompagnement des enfants qui avaient grandi sans repères et sans affection. Elle a évoqué la nécessité d'une action sur la parentalité et à l'école dès 2 ans. Elle a également estimé qu'il fallait réorganiser la scolarité qui était trop abstraite en favorisant une organisation avec l'école le matin et des activités l'après-midi.

M. Pierre André s'est enquis des résultats de la zone franche urbaine.

Mme Martine Aubry a expliqué que la ville de Lille avait mis en oeuvre des critères plus stricts que ne le prévoyait la loi pour bénéficier des aides prévues par les ZFU en refusant, par exemple, les délocalisations internes et en exigeant que 80 % des emplois bénéficient aux jeunes du quartier considéré. Elle a estimé que les résultats étaient satisfaisants et s'est félicitée de l'extension de la ZFU aux quartiers de Lille Sud. Elle a mentionné la création d'un club des chefs d'entreprise de la ZFU.

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