PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS EFFECTUÉES PAR LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION
Audition de Mme Anne-Marie CHARVET, Déléguée interministérielle à la ville et au développement social urbain (22 février 2006)
Présidence de M. Alex TÜRK, président
M. Alex TÜRK, président - Mes chers collègues, je vous précise que nous pensons terminer nos travaux aux alentours de 16 heures 30 ou 17 heures, Madame Charvet nous ayant indiqué qu'elle était disponible, sans difficulté, pendant une heure et demi. Ceci nous permettra de commencer à travailler sérieusement. Je pense qu'il n'y a pas de nécessité à effectuer une entrée en matière. Je vais donc vous laisser la parole, Madame Charvet, après vous avoir remerciée d'avoir répondu à notre invitation. Nous sommes très intéressés par ce que vous avez à nous dire, compte tenu de votre expérience sur un certain nombre de ces questions et, également, de votre responsabilité actuelle. Comme il s'agit de notre première réunion, vous ne devez pas hésiter à effectuer une mise à niveau.
Mme Marie-France BEAUFILS - Afin de ne pas couper l'échange qui va avoir lieu, je souhaiterais d'abord vous demander d'excuser l'absence de Roland Muzeau qui ne peut être présent parmi nous aujourd'hui. Je serai, pour ma part, tenue de partir à 16 heures car la Commission des Finances se réunit sur les questions d'égalité des chances. Enfin, nous avons été très surpris de ne pas trouver, dans le compte rendu des commissions, certaines des remarques exprimées par Roland Muzeau.
M. Alex TÜRK, président - Je prends acte de cette remarque. Ceci est certainement lié à l'ambiguïté qui a régné. Nous avons organisé une réunion de bureau qui s'est prolongée par une réunion plénière. Il doit être possible de rectifier ce point. Nous allons examiner la question.
M. Dominique BRAYE - Je souhaite que les éléments qui figurent au compte rendu soient bien exprimés en réunion plénière. Une réunion de bureau est une réunion restreinte. Les déclarations des uns et des autres doivent bien être réalisées dans le cadre des réunions plénières. Or, la mission souhaite avoir connaissance des positions de tous. Ce qui est dit en réunion de bureau ne fait donc pas l'objet d'un compte rendu au bulletin des commissions, contrairement à ce qui est dit en réunion plénière. C'est ainsi que nous devons fonctionner.
M. Alex TÜRK, président - Il n'y aura pas d'ambiguïté sur ce point à l'avenir. Il m'est proposé, à l'instant, de vous faire parvenir le compte rendu de la réunion de bureau. Si cela est possible, nous le ferons en distinguant clairement les documents. Dans tous les cas, cette question sera réglée pour la suite, comme cela vient d'être dit. Je laisse donc la parole à Madame Charvet.
Mme Anne-Marie CHARVET - Monsieur le Président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord vous dire que c'est pour moi un plaisir et un honneur de répondre à votre invitation. C'est également la première fois que je réalise un exercice de cette nature. Je vous prie donc, par avance, d'excuser les maladresses que je ne manquerai pas de faire au cours de cette audition. Il est vrai que le sujet qui nous réunit, aujourd'hui, est particulièrement important. Si vous le permettez, je tiens à exprimer un regret dès le départ de mon intervention. Finalement, on ne parle de la politique de la ville qu'après ou pendant des périodes de crise relativement importantes. C'est un premier constat que nous pouvons effectuer. Vous m'avez demandé de faire oeuvre de pédagogie sur cette question. Je vais essayer de ne pas être trop longue, mais il est nécessaire que les uns et les autres, dans les échanges que nous aurons par la suite, puissent être calés sur un certain nombre de référents. J'avoue également, ayant à ma gauche Monsieur le sénateur André, que celui-ci aurait été, sans nul doute, mieux placé que moi pour effectuer ce bilan. En effet, nous savons, notamment au travers des assises de la ville, que son rapport a servi de référence.
Les évènements qui ont marqué un certain nombre de quartiers en difficulté à la fin de l'année dernière ont interpellé, une fois encore - une fois de trop d'ailleurs -, l'ensemble de la société française sur la situation de certains des territoires de notre pays. L'Etat, en premier chef, mais également le Gouvernement et les élus nationaux et locaux ont été, en quelque sorte, sommés d'apporter des explications sur leur action en direction de ces quartiers et des populations qui y résident. Dans ce contexte, et comme toujours en pareil cas, la politique de la ville s'est trouvée tout naturellement sur la sellette. Un grand nombre de commentateurs a conclu, assez hâtivement sans doute, à son inefficacité. Certains d'entre eux ont même affirmé que cette politique était dans une situation d'irrémédiable échec. Ceci n'est pas très nouveau. A chaque flambée de violence dans les quartiers, les mêmes interrogations se posent de façon récurrente. Il est, d'ailleurs, légitime de s'interroger, à chacune de ces flambées, sur la pertinence de l'action publique dans ces zones. Il faut rappeler que cette politique a réellement commencé à être mise en oeuvre après les premières émeutes urbaines - et nous pouvons parler d'émeutes - qui ont marqué l'été 1981. Celles-ci ont souvent été évoquées sous un terme un peu lapidaire : «Rodéo des Minguettes ». Il existe certainement des appellations plus intéressantes, mais il est vrai que les premières flambées de violence sérieuses sont apparues dans ces années là. Il faut également rappeler que le Ministère de la Ville, qui n'existait pas auparavant, a été créé en décembre 1990, quelques semaines après les graves évènements d'octobre 1990 à Vaux en Vélin. La politique de la ville agit donc, depuis près de vingt-cinq ans, dans des quartiers qui concentrent des problèmes sociaux, urbains, économiques et culturels. Pour certains d'entre eux, on a l'impression que la situation n'a cessé de s'aggraver et que la politique de la ville, qui tente d'apporter des réponses positives, a très peu endigué cette évolution. J'ai l'honneur d'avoir été nommée, en août 2005, en Conseil des Ministres, au poste de Délégué Interministériel. La DIV, Délégation Interministérielle à la Ville, a été créée en 1988. Il lui a été confié le soin de mettre en place un certain nombre d'outils et d'être force de proposition dans ce domaine. Une première question se pose dans ce cadre et je n'y apporterai pas de réponse dans un premier temps. L'appellation Délégation Interministérielle à la Ville recouvre deux notions importantes : la notion « Interministérielle » et la notion « Ville ». Placée initialement, au même titre que la DATAR, sous l'autorité du Premier Ministre, cette délégation a très rapidement été rattachée à un ministre. On peut se demander pourquoi ce rattachement a été modifié. Peut-être la Délégation a-t-elle, de ce fait, gagné en lisibilité. Peut-être n'a-t-elle pas été confortée en interministérialité. Pour l'instant, je n'en dirai pas plus.
Nous allons passer très rapidement sur les origines de la politique de la ville. Il faut reconnaître que, sous des appellations diverses, les quartiers d'habitat social ont constitué un énorme progrès social. En effet, à partir des années d'après-guerre, une réponse a été apportée à la demande très forte en matière de logement. Les personnes de ma génération, c'est-à-dire des années 1950, ont connu, dans des quartiers marseillais, des sanitaires très réduits pour des populations pas forcément défavorisées. Ces années marquent donc une période de boom et de construction. L'accueil des rapatriés constitue également une deuxième période de croissance. Une réponse rapide est, de nouveau, apportée à des demandes très fortes. On voit alors exploser une stratégie de grands ensembles, ceux-ci étant souvent assortis d'un environnement culturel pseudo-philosophique. Il fallait ainsi développer une verticalité importante pour offrir une horizontalité, c'est-à-dire des espaces libres qui permettraient une expansion de la vie sociale et récréative. Nous savons, trente ans après, ce qu'il est advenu de ces stratégies, mais, à l'époque, celles-ci étaient bien dans l'air du temps. Les opérations Habitat et Vie Sociale, HBS, ont marqué une certaine époque. Lancées en 1977, elles se proposaient de répondre à certaines difficultés en apportant des solutions intégrées. On commençait alors à se dire que, si le bâti était important, il fallait également s'occuper des publics et des habitants. Ceci constituait un progrès, mais signifiait également que la première réponse d'urgence avait bien été apportée. Il faut quand même constater qu'en 1977, la modestie des moyens mobilisés, conjuguée à un positionnement institutionnel relativement difficile, a largement limité l'impact de ce premier dispositif de politique urbaine. Celui est aujourd'hui considéré comme l'ancêtre de la politique de la ville. Pour véritablement parler d'une telle politique, il faut attendre les années 1980 et le phénomène qui a été appelé « le malaise des banlieues ». C'est à partir de cette date qu'un tournant est enregistré. Certains, notamment parmi les responsables politiques et associatifs, se rendent compte qu'il est indispensable de mobiliser les pouvoirs publics en direction de ces territoires. On commence, non pas à mesurer ou évaluer, mais à comprendre qu'un certain nombre de causes provoque un certain nombre d'effets. En 1988, avec la création de la DIV, une administration, un outil privilégié, a désormais en charge la responsabilité de tenter de résoudre le malaise constaté dans les banlieues. A partir de cette date, les gouvernements successifs se sont donc appuyés sur cette Délégation Interministérielle. Malheureusement, en 1988, tous les ingrédients de ce qui perdure aujourd'hui existaient déjà. A l'époque, si l'on a pris conscience de l'existence de disfonctionnements importants, on a mal évalué la situation. C'est la raison pour laquelle chacun a une part de responsabilité dans ce dossier. On a compris qu'un certain type d'habitats et de rassemblements humains engendrait certaines conséquences. Mais, comme on n'avait pas forcément les moyens financiers et - j'ose le dire - la volonté politique de poser un peu crûment la problématique, on a essayé, de façon généreuse et importante, d'apporter des palliatifs, pour l'essentiel sur place, sans s'interroger véritablement sur une réorientation réelle et profonde de la politique de la ville ou de ce qu'elle pourrait être.
Pour autant, la politique de la ville et le développement social urbain ont tenté, de façon permanente, de s'adapter aux problématiques posées. C'est un fait constant et récurrent. En observant ce qui se passe depuis les années 1990, on peut dire que rarement politique publique aura provoqué, en si peu de temps d'existence, autant de débats, de colloques, de publications, de rapports, d'évaluations d'instances diverses et de prises de positions, parfois idéologiques, parfois pragmatiques. Malgré tout cela, il est encore difficile, aujourd'hui, de disposer d'une appréciation fondée et précise, tant en termes qualitatifs que quantitatifs, de l'ensemble des effets directs de la politique de la ville conduite, au cours des dernières années, à destination des territoires concernés et des publics y résidant. Selon moi, c'est également ce qui fait la particularité de cette politique.
On a souvent aussi prétendu que celle-ci avait coûté fort cher. Je pense, au contraire, qu'il y a là une confusion des genres. Des années 1980 aux années 2000, près de 80 % de la population française a migré de secteurs ruraux à des secteurs urbains ou d'agglomération. Or, force est de constater que c'est dans les zones où se posait le plus grand nombre de problèmes et où la concentration démographique était la plus forte que toutes les politiques de droit commun, quels que soient les gouvernements, ont été le moins utilisées. En termes clairs, les crédits traditionnels ont été moins mobilisés dans les secteurs géographiques qui en avaient le plus besoin au prétexte - pour faire un raccourci volontairement provocateur, mais fondé - que ceux-ci disposaient déjà de crédits spécifiques consacrés à la politique de la ville. Nous sommes ainsi arrivés à une situation assez hallucinante et ahurissante. Dans certaines zones, dans lesquelles nos concitoyens vivaient dans des conditions très largement en deçà de la moyenne de la population française, les moyens traditionnels, qui auraient dû être consacrés à ces quartiers au même titre que pour les autres zones du territoire, ne l'ont pas été. A partir de là, il est possible de considérer, à juste titre, que les crédits estampillés politique de la ville étaient largement insuffisants. Au lieu de bénéficier d'un complément aux crédits traditionnels, visant à rattraper un retard et aller vers un positionnement permettant une égalité des chances, ces zones ne se sont retrouvées qu'avec ce qui était donné par chacun des gouvernements. Et, en fonction des ministères, les stratégies ont été très différentes. Ce point se situe, à mon sens, au coeur du problème. Je vais évoquer des chiffres qui correspondent aux crédits politiques de la ville. Bien entendu, ils sont en augmentation. Mais, très objectivement, vous avez voté, dans le cadre de la Loi de finances pour 2006, un montant de 1 milliard et des poussières d'euros au titre de la politique de la ville. Ces sommes concernent deux programmes : la rénovation urbaine et la politique d'accompagnement vers les publics et les individus vivant dans ces secteurs. Elles sont, a priori, énormes. Cependant, si on s'amusait à établir un rapport par habitant, en croisant un certain nombre d'indices comme la richesse fiscale, le taux de chômage, le type de profession, le revenu moyen, l'endettement des communes ou le niveau d'équipement, on se rendrait compte que l'analyse de ce chiffre, qui paraît d'autant plus important qu'il s'applique, en théorie, à 750 quartiers, nécessite de déterminer comment ces quartiers sont constitués, combien de populations y résident et à quels types de problèmes celles-ci sont confrontées. Là, nous rentrons véritablement dans le vif du débat.
Certains qualifient ces poussées de fièvre d'émeutes. Je considère ces évènements très graves et, si vous me permettez cette expression, je dirais plutôt qu'à cette occasion, « les Français parlent aux Français ». En effet, au-delà des auditions auxquelles j'ai pu assister en présence des ministres, j'ai été frappée, pendant les journées du mois de novembre, de voir les jeunes des quartiers sortir leur carte d'identité devant les caméras ou devant nous lorsque nous nous rendions sur place. Nous ne devons pas faire de confusion. Aujourd'hui, nous ne sommes plus véritablement face à un problème d'immigration, mais face à un problème de discrimination. Nous sommes dans des secteurs qui connaissent véritablement une discrimination en termes de logement, de nom ou de formation. Bien entendu, des problèmes d'immigration sont également rencontrés. Mais, n'oublions pas, malgré tout, que les résidants de ces quartiers sont français. Nous ne sommes plus du tout dans une stratégie visant à mettre en place des outils permettant à des hommes, des femmes et des enfants qui arriveraient sur notre territoire une remise à niveau. Malheureusement, ces populations, constituées de Français comme vous et moi, connaissent des problèmes de langue ou d'intégration dans l'agglomération. Mais, si nous utilisons encore la boîte à outils des années 1988 et 1990, qui était destinée à un certain type de population, situé dans un certain cadre, il est certain que nous ne résoudrons pas les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.
Je crois qu'il ne faut pas non plus en déduire que la politique de la ville n'a servi à rien. Ce serait faux. Au contraire, d'après les constats que nous avons pu tirer, notamment au travers du rapport de l'Observatoire Nationale des Zones Urbaines Sensibles, des situations très contrastées existent dans ces secteurs. Au cours des dix années durant lesquelles des politiques spécifiques ont été appliquées à ceux-ci, nous constatons, dans certains cas, de très larges améliorations. Dans d'autres cas, au contraire, la situation n'a pas évolué, voire s'est aggravée. Enfin, certaines zones ne sont pas classées en ZUS, mais affrontent des situations encore plus difficiles. Il faut donc, dans le cadre de la politique de la ville, être réactif et ne pas s'installer dans des certitudes et des méthodes. Il faut réaliser des évaluations, à condition que celles-ci ne prennent pas trop de temps. Il faut que, lorsqu'un dispositif ne fonctionne pas, il soit abandonné et remplacé. Enfin, dans certains cas, il faut avoir l'honnêteté et le courage de prendre certaines décisions. Par exemple, lorsqu'un grand programme de rénovation urbaine est envisagé, sur la base de crédits de l'Etat et du secteur privé, nous devons être conscients que nous ne pouvons nous limiter à une action de démolition/construction. Au-delà de la stratégie des territoires, nous devons développer une approche en termes de public et celle-ci doit être personnalisée.
Je pense sincèrement que la politique de la ville a été utile. Sans elle, sans nul doute, les flambées de violence auraient été plus importantes et plus nombreuses. Cependant, seule, cette politique est inopérante. Elle doit s'appuyer et conforter un ensemble de dispositifs de droit commun. Enfin, nous devons prendre conscience que la politique de la ville ne peut pas se résoudre à l'échelle d'un quartier. Ceci est peut-être possible à l'échelle d'une commune, mais plus vraisemblablement à l'échelle de l'agglomération ou du bassin de vie. Il faut permettre que s'opère réellement une mixité sans laquelle il ne peut y avoir d'équité. Or, sans équité, il ne peut y avoir d'égalité des chances. Je vais arrêter mon intervention sur ce point. J'espère avoir été claire et ne pas avoir été trop confuse ou trop longue.
M. Alex TÜRK, président - Merci beaucoup. Vous n'avez pas été trop longue et votre intervention nous a permis d'effectuer un premier point sur ce sujet et de prendre en compte un certain nombre de paradoxes qu'il nous appartiendra de dissiper dans les semaines et les mois qui viennent. Pour ne pas perdre de temps, je vais immédiatement passer la parole à notre rapporteur. Ensuite, bien entendu, chacun pourra intervenir.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur - Je voudrais remercier Madame la Directrice de la Délégation Interministérielle car son expérience nous est également très utile. Elle a été une actrice de terrain dans les collectivités territoriales, notamment dans une grande ville comme la communauté urbaine de Marseille, et préfet de département. Voilà des titres et des qualités qui lui permettent de parler de la politique de la ville à la fois en théoricien et en ayant eu à l'appliquer. Un des points forts de votre intervention, que nous ressentons en tant qu'élus locaux, est le fait que les politiques de droit commun sont souvent absentes dans les quartiers en difficultés. Ceux-ci se voient toujours dire qu'ils bénéficient d'un contrat de ville ou de possibilités d'intervention et tous les ministères se défilent pour leur accorder des moyens normaux ou supplémentaires. Je ne voudrais pas, Monsieur le Président, m'avancer trop loin sur ce sujet pour l'instant et préfère laisser nos collègues s'exprimer.
M. Thierry REPENTIN - L'exposé de Madame Charvet nous permet de mesurer l'état de la réflexion sur la politique de la ville dans ce pays. Pour ma part, j'ai quelques questions à lui poser dans le fil de sa présentation. Madame Charvet a indiqué que, par le passé, les crédits traditionnels de droit commun ont été moins utilisés sur les quartiers traités par la politique de la ville. Celle-ci ayant évoqué le passé, nous en déduisons que la situation est inversée aujourd'hui. Pourrait-elle nous donner quelques exemples récents qui viendraient concrétiser cette inversion ? Celle-ci nous réjouirait tous et signifierait que les politiques de droit commun auraient été redimensionnées pour faire face aux problèmes qui se posent. Je me demande également si nous n'exigeons pas de la politique de la ville qu'elle réponde à des questions auxquelles elle ne peut pas répondre. Les évènements survenus, au mois de novembre, dans certains quartiers ne marquent-ils pas l'échec de certaines politiques de droit commun ? Nous pouvons penser à des problèmes d'emploi, d'éducation ou simplement de prise en considération d'un certain nombre de personnes qui se sentent, aujourd'hui, exclues et rejetées. Finalement, je ne vois pas comment le ministère chargé de la politique de la ville est en mesure de répondre à des échecs de politiques conduites par d'autres ministères. Pour pousser plus loin cette réflexion, je souhaite savoir si la Direction Interministérielle à la Ville intervient dans le processus interministériel lorsqu'un ministre de l'Education Nationale ou de l'Intérieur, par exemple, prend des décisions de gestion de ses effectifs. Comment est-elle associée lorsqu'une priorité est décidée, dans ces ministères régaliens, et que celle-ci peut éventuellement conduire à une évolution des effectifs de fonctionnaires dans ces quartiers ? A quel moment intervient-elle dans le processus de décision ? Quel est son pouvoir en termes d'interministérialité ? Je reviendrai peut-être sur d'autres éléments. Mais, en tant qu'observatrice de première ligne, pouvez-vous nous donner votre point de vue sur ce qui a fait la différence, il y a quelques mois, entre les quartiers traités par la politique de la ville, disposant d'un contexte social très difficile et dans lesquels les choses se sont bien passées et les quartiers qui ont connu des flambées de violence ? Vous avez, sans doute, observé ces éléments de près et nous pouvons peut-être tirer de ces pratiques de terrain quelques conclusions heureuses. En effet, nous évoquons souvent les échecs et moins souvent les réussites.
Mme Anne-Marie CHARVET - Pardonnez-moi. J'ai dû mal m'exprimer car, malheureusement, il existe très peu de chance, aujourd'hui comme hier, que les crédits de droit commun soient mobilisés de façon significative. Je précise ce point qui tient, sans doute, à la manière dont je me suis exprimée. Je dois reconnaître que, malgré quelques variations selon les années, ce qui devrait être la règle est, en fait, l'exception. La politique de la ville et le Ministère de la Ville, à lui seul, ne peuvent évidemment pas tout résoudre. En effet, par essence, ce qui se passe au niveau de la ville - le mal-être ou le bien-être - est le reflet de ce que nous appelons, aujourd'hui, les problèmes sociétaux. Il est donc évident que, sans conjugaison des efforts, par exemple avec le Ministère de l'Education - pour mettre en oeuvre des dispositions complémentaires - ou avec le Ministère de la Justice - pour éviter de mettre des gamins en prison, développer une stratégie en matière de prévention de la délinquance et également pour apprendre la citoyenneté avec les droits et les obligations que celle-ci comporte -, le Ministère ne peut rien résoudre. Je pense que c'est à ce stade de votre réflexion que vous vous interroger sur la façon dont la Direction Interministérielle peut infléchir, aux regards des besoins et des éléments qu'elle a pu noter, une stratégie dans un secteur donné et, de ce fait, jouer de son interministérialité. La DIV est interministérielle dans son concept. Notamment au travers de la directive de 1988, elle bénéficie de mises à disposition de personnel des ministères de la Justice, de l'Education Nationale ou de l'Équipement. L'interministérialité s'exprime donc à travers ces personnels qui sont, en général, de très bon niveau puisque la Délégation constitue une administration de mission et de réflexion. Pour autant, il convient d'être objectif et la réalité de l'application de l'interministérialité est fort réduite. Depuis mon arrivée, en août 2005, je n'ai eu de cesse que de faire prévaloir le « i » contenu dans le terme « interministérialité ».
Mme Nicole BRICQ - La nouvelle procédure budgétaire devrait vous aider sur ce point.
Mme Anne-Marie CHARVET - C'est exact. Cependant, nous allons peut-être aborder ultérieurement ce point en évoquant les agences. Nous disposons d'une première agence qui s'appelle l'ANRU et dont j'assure la tutelle. Ceci est très positif en termes d'efficacité puisque nous pouvons ainsi accorder des moyens immédiats. Pour autant, une fois ces sommes attribuées, je ne sais pas si la LOLF, qui est un outil, peut réellement nous aider en interministérialité. Dans ce domaine, un élément pourrait véritablement apporter une aide. Dans le cadre de la réflexion conduite au travers de la loi sur l'égalité des chances, sur laquelle vous allez devoir débattre et vous prononcer et qui conduira, notamment, à la création de l'Agence de Cohésion Sociale, il est très important de redéfinir la répartition des missions entre les outils opérationnels, que sont l'ANRU et que devrait être l'Agence, et une sorte d'administration centrale qui interviendrait plus en matière d'interministérialité. Si mes propos sont clairs, ces orientations sont complexes à mettre en oeuvre. Ceci semble assez normal et il revient bien au délégué interministériel de rappeler quotidiennement ces points à l'ensemble de ses collègues des différents ministères. Dans ce cadre, je ne peux que me réjouir de la prochaine tenue du CIV, Comité Interministériel de la Ville, au cours duquel un certain nombre de mesures et de dispositions sera annoncé. Celles-ci mobiliseront les crédits des autres ministères et verront une intervention de la DIV en abondement et sur des politiques spécifiques à la ville. Ceci correspond bien à une totale et pleine interministérialité. Vous avez également signalé, Monsieur, un élément très important. Nous avons tendance à observer les situations qui ne fonctionnent pas et vous suggérez d'examiner les situations qui fonctionnent. Je ne vais pas évoquer le cas de Marseille parce que j'y ai travaillé longtemps, mais parce que cette ville, qui est la deuxième de France, présente une situation complexe. Or, ce n'est pas, en général, à Marseille que nous enregistrons les explosions sociales les plus importantes.
Mme Marie-France BEAUFILS - Excusez-moi. J'étais en train de réagir à vos propos car la politique de la ville n'est pas la seule possibilité d'apprécier la situation de façon durable. J'aimerais bien que nous poussions le débat un peu plus loin. Si nous restons sur des aspects superficiels, nous allons avoir des difficultés.
Mme Anne-Marie CHARVET - Pardonnez-moi, mais un nombre important d'acteurs travaille sur le terrain et utilise les crédits de la politique de la ville pour obtenir des contacts. Il n'y a peut-être pas que cela, mais cela existe bien.
M. Dominique BRAYE - Je remercie, Madame la Déléguée Interministérielle, d'avoir noté un élément important. J'interviens, dans ce cadre, non pas en tant que sénateur, mais en tant que Président de la Communauté d'Agglomérations de Mantes en Yvelines, dont la ville principale, Mantes la Jolie, accueille la plus grande ZUP de France, le Val Fourré. Je vous remercie donc d'avoir remarqué que les villes, qui mettaient en oeuvre une politique de la ville particulièrement importante, voyaient leurs crédits de droit commun fortement diminués. Nous avons établi ce constat sur Mantes la Jolie, les Mureaux et Chanteloup les Vignes et rien n'en a découlé, d'après ce que vous venez de nous dire. Il serait donc souhaitable que, pour ces villes, les politiques de droit commun soient mises en oeuvre normalement et que les politiques de la ville viennent abonder celles-ci. Ceci est d'autant plus souhaitable que ces problèmes sont souvent liés à des populations très pauvres situées dans des villes, elles-mêmes, très pauvres. C'est pourquoi nous avons défendu, avec Pierre André, un projet de réforme de la DSU afin que les 130 villes les plus pauvres puissent se voir accorder des abondements, non pas pour atteindre une moyenne, mais pour rendre leur situation un peu moins défavorable. Or, rien n'a été fait et je tiens à le souligner.
Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, Madame la Déléguée, des évènements sont survenus en novembre dernier. Il serait peut-être intéressant d'examiner la nature de ces évènements dans un certain nombre de quartiers identifiés, de reprendre les actions de politique de la ville mises en place, depuis dix ans, dans ces mêmes quartiers et d'en apprécier les répercussions. Par exemple, nous avons constaté, sur Mantes la Jolie, une explosion bien moins forte qu'ailleurs. Il serait donc souhaitable, Monsieur le Président, que nous menions une réflexion un peu plus cartésienne et que nous définissions et quantifions les éléments de ces quartiers qui peuvent engendrer un mal-vivre des populations. Nous menons actuellement une restructuration urbaine sur le Val Fourré. Nous savons tous que ces actions ne peuvent être menées qu'à long terme et resteront insuffisantes. D'autres acteurs doivent intervenir, notamment dans le domaine de l'emploi ou de la formation. Sur ces points, les éléments auxquels il convient de remédier sont inlassablement répétés. Mais, nous accueillons toujours, au Val Fourré et dans nos quartiers, des jeunes professeurs, tout tendres, qui sortent de l'école. Voici vingt ans que nous signalons cette situation et vingt ans que ces jeunes sont envoyés dans ces zones et se découragent au bout de deux mois d'exercice tandis que les professeurs les plus chevronnés s'installent dans les endroits les plus tranquilles. Il faudrait peut-être se pencher, une bonne fois pour toutes, sur ces éléments fortement identifiés, reconnus par tous et relativement simples, avant de vouloir réinventer la poudre. Comme vous le savez, je m'intéresse au sujet du logement. Or, je vous confirme, dans cette enceinte, que ni le logement, ni l'urbanisme ne sont les premiers facteurs des flambées de violence. J'ai vécu, moi-même, au Val Fourré dans les années 1974. A l'époque, ce quartier était demandé par tout le monde. On y trouvait de grands appartements, lumineux et comprenant des sanitaires que tous s'arrachaient. Puis, dans le courant des années 1970, nous avons enregistré un phénomène de concentration, une formation de ghettos et l'apparition de problèmes de peuplement et de population. Il faudra donc, peut-être, un jour, lorsque nous serons tous tombés d'accord sur ce constat, établir l'ordonnance et donner les moyens permettant l'achat des médicaments. Dans ce cadre, la question de l'enseignement est capitale car le problème de ces quartiers est, à 95 %, lié au chômage. Lorsque nous enregistrons 40 % à 43 % de jeunes chômeurs dans ces quartiers et que ceux-ci, comme ils le disent, passent leur journée à pousser les murs, il est normal que les évènements que nous connaissons surviennent. Il est alors nécessaire de mettre en place une multitude de mesures occupationnelles pour essayer de distraire ces jeunes.
Je voudrais donc, Monsieur le Président, que nous menions un travail cartésien. Nous développons des politiques de la ville depuis dix à quinze ans. Dans ce cadre, des actions ont été mises en place et nous savons qu'elles ont été d'autant plus efficaces qu'elles ont été prises en main par les élus locaux. Cette efficacité dépend également de la manière dont ceux-ci ont appliqué ces politiques sur le terrain. Examinons les dispositifs qui ont fonctionné, reproduisons-les et je suis certain que nous résoudrons très facilement ce problème.
M. Alex TÜRK, président - Je pense que tout le monde partage cet avis.
Mme Anne-Marie CHARVET - En ce qui concerne l'évaluation, je crois que vous allez recevoir très prochainement ma collègue, Bernadette Malgorn. En application de la loi de 2003, nous disposons enfin, au travers des travaux de l'Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles, d'éléments objectifs et chiffrés qui nous permettent d'évaluer le bien-fondé de certaines politiques et de faire la chasse aux affirmations trop rapides. En effet, dans certains quartiers classés en ZUS, on continue à considérer qu'on y vit très bien, malgré les problèmes. Il est donc important de ne pas rentrer dans les amalgames dans lesquels nous entraînent souvent certains raccourcis. Enfin, lorsque j'évoquais précédemment un pragmatisme, nous ne devons pas craindre d'aller examiner les situations où les actions ont donné des résultats. C'est, en règle générale, la conjugaison des efforts d'un certain nombre d'acteurs de terrain qui permet de maintenir un équilibre, y compris dans les périodes les plus difficiles, et, comme vous venez de le dire, celles-ci sont souvent caractérisées par des taux de chômage dépassant un certain seuil. Quand, dans certaines ZUS, le taux de chômage est supérieur à 40 % et quand près de 60 % de cette population a moins de 25 ans ou de 28 ans, ces zones sont évidemment appelées à une certaine effervescence. Et, tout le monde a désormais admis que les activités occupationnelles, notamment au travers du tape-ballon, n'ont jamais permis d'éviter des explosions sociales.
M. Dominique BRAYE - Je tiens à préciser que 88 % des personnes qui résident au Val Fourré souhaitent y rester.
M. Alain DUFAUT - Il est évident que, dans les quartiers concernés, nous avons cruellement souffert du manque de crédit par les dispositifs traditionnels de droit commun. Ce point est flagrant et nous devons absolument corriger le tir. Les crédits de la DIV doivent bien être versés en complément d'autres crédits, contrairement à ce qui se passe actuellement. Par ailleurs, au niveau du bilan général, je m'occupe de HBS, DSQ, DSU, depuis 25 ans, dans un quartier particulièrement difficile. Il est vrai que les résultats de ces actions ne sont pas très brillants. Mais, j'ai acquis la conviction que, sans politique de la ville, la situation aurait été pire. Il faut souligner ce point et je pense que nous sommes tous d'accord sur le fait que, même si ce que nous avons fait n'est pas parfait, il fallait le faire. Nous devons désormais optimiser ces stratégies et faire davantage avec les crédits dont nous disposons. Une piste a été évoquée précédemment. Elle me semble très intéressante et concerne le changement d'échelle. Nous ne devons plus travailler à l'échelle du quartier ou de la ville, mais à celle de l'agglomération ou du bassin de vie. La mission doit suivre cette piste de très près. Je suis convaincu qu'elle représente une solution potentielle. Si nous voulons réussir le changement d'image d'un quartier, nous devons diminuer la densité de population. Pour cela, nous devons construire ailleurs. Il faut, dans ce cadre, aller vers la mixité et mieux répartir le logement social sur la globalité de l'agglomération. Il faut donc manifestement changer le périmètre d'intervention.
Mme Dominique VOYNET - Vous avez souligné, Madame, que la politique de la ville avait été utile et vous nous avez invités à ne pas nous installer dans les certitudes, conseil dont je pense chacun, ici, peut faire son miel. Ceci étant dit, nous savons tous que la politique de la ville a évolué au fil d'engouements successifs. Nous avons évoqué, tour à tour, les politiques de cage d'escalier, des grands frères, des panneaux de basket, etc. J'aimerais savoir de quels outils vous vous êtes dotés pour réévaluer et réexaminer, au fil du temps, les dispositifs qui fonctionnent et ceux qui ne fonctionnent plus. Quels sont les moyens dont vous disposez pour expérimenter, innover, identifier, généraliser et mutualiser les bonnes pratiques ? Ma deuxième question concerne la dimension interministérielle de votre travail. Vous avez insisté, en réponse à Thierry Repentin, sur la mutualisation des moyens qui vous permettent de conduire vos missions spécifiques, notamment au travers des mises à disposition ou de la mobilisation d'autres ministères autour de vos actions. Je pense que cette dimension interministérielle comporte un autre volet. Avez-vous le sentiment de pouvoir, ne serait-ce que de façon modeste, exercer une influence sur le contenu des politiques qui sont conduites par différents ministères ? J'évoque non seulement des politiques en matière d'urbanisme, de logement, d'emploi, de transport ou d'affaires sociales, mais également, par exemple, la localisation des services publics, les choix de répartition des moyens au sein de l'Education Nationale ou les modalités d'organisation des effectifs de police. J'entends donc, par là, l'interministérialité dans le sens où vous seriez amenés à vous mêler de ce dont vos collègues souhaiteraient que vous ne vous mêliez pas. Enfin, le mot « Europe » n'a pas été prononcé. Avez-vous des relations avec des délégations, agences ou services en Europe ? Considérez-vous que certaines expériences conduites ailleurs pourraient être utilement développées dans notre pays ?
Mme Anne-Marie CHARVET - Si vous le permettez, je vais d'abord répondre à votre dernière question. Effectivement, nous avons des échanges permanents avec des réseaux de villes ou de pays sur la politique de la ville, au travers de programmes comme le programme Urban que nous gérons et abritons au sein de la DIV. Ceux-ci s'établissent essentiellement par des échanges d'expériences. Nous pouvons considérer qu'ils sont encore insuffisants, mais ils sont quand même intéressants et connaissent une expansion. Il me semble donc que, du fait de l'importance prise par l'échange d'expériences entre les différentes villes et politiques de la ville en Europe, tous ces réseaux sont en place. En matière d'interministérialité, je vais vous répondre honnêtement. Vous avez été membre du gouvernement. Vous connaissez donc le combat quotidien dans lequel chacun est relativement jaloux de son champ de compétences, pour ne pas dire de ses moyens propres d'intervention. C'est ce qui fait à la fois l'originalité, l'intérêt, mais aussi la difficulté de la mission de la Délégation Interministérielle à la Ville. Dans certains cas, je n'évoquerais pas un épuisement, mais une volonté indéfectible qui doit nous animer pour arriver, dans la mesure où aucune règle n'est établie, à diriger certaines politiques de droit commun vers certains territoires et au profit de certains publics. En termes clairs, il serait judicieux, me semble-t-il, qu'au-delà des crédits spécifiques de la politique de la ville, il existe une sorte de socle commun - qu'il faudrait déterminer, mais qui pourrait constituer une piste de réflexion - permettant une complémentarité de politiques dans certains domaines. Par exemple, dans le cadre du CIV, nous disposons des ERE, équipes de réussite éducative, qui constituent des dispositifs auxquels je crois profondément tout en ayant parfaitement conscience de la difficulté de leur mise en place. Mais, il y a également les phénomènes de bourse ou de collèges réussite. La Délégation a donc le souci de faire en sorte, en permanence, que les 250 collèges proposés par l'Education Nationale se situent dans les secteurs où des dispositifs de bourse seront déployés, où des identifications seront effectuées pour permettre aux internats de réussite de s'appliquer et où nous avons obtenu, de la part du Ministère de l'Education Nationale, que certains chefs d'établissement puissent choisir leur équipe éducative pour conduire, sur plusieurs années, des dispositifs et des méthodes pédagogiques adaptés au public concerné. Donc, pour répondre à votre deuxième question, l'interministérialité n'est pas gagnée. J'ai évoqué, peut-être de manière moins explicite, la question du rattachement à un ministre. L'idéal serait, peut-être, que la Délégation soit rattachée au Premier Ministre, comme cela était envisagé au début, mais n'a jamais été réalisé. Depuis maintenant fort longtemps, il existe un Ministère de la Ville. Nous devons donc travailler avec d'autres collègues et l'interministérialité s'opère par ce biais. En termes de moyens et d'organisation interne, il ne faut pas uniquement évoquer les mises à disposition de personnel. Au travers et en dehors du CIV, des réunions régulières sont organisées, notamment avec nos collègues des Sports, de l'Education Nationale et de la Justice, pour tenter de mettre en place des dispositifs recevant l'agrément de tous pour un certain type de publics et de territoires. Mais, ceci se construit au jour le jour. Rien n'est objectivement institutionnalisé.
M. André VALLET - Je souhaite revenir sur la question des communes dans lesquelles il ne s'est rien passé, au mois de novembre ou avant, alors qu'elles accueillent des quartiers qualifiés de sensibles ou d'ultra sensibles. A ce titre, j'aimerais surtout interroger la personne qui a longtemps vécu à Marseille et a assuré des responsabilités au sein de la ville, de la communauté urbaine et de la région. Vous connaissez bien ces problèmes. J'aimerais que vous nous parliez un peu de Marseille. Le taux de chômage, dans les quartiers du nord de cette ville, dépasse largement le seuil de 50 %, comme toutes les statistiques l'indiquent. De plus, le mélange ethnique de Marseille est incomparable avec celui des autres villes de France. Or, il ne s'est rien passé, pour l'instant, à Marseille. Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur ce point sachant l'expérience dont vous disposez ? En présentant ce dossier, vous devez certainement penser à cette ville et vous pouvez nous apporter une réponse plus précise que celle que vous nous avez donnée précédemment.
Mme Anne-Marie CHARVET - J'ai vu que certains sénateurs ne souhaitaient pas que nous nous appesantissions sur ce sujet. Je ne suis donc pas allée plus loin. Cependant, pour avoir travaillé plus de quinze ans sur Marseille et sa région, l'explication que je peux donner de ce phénomène repose essentiellement sur l'organisation mise en place par Monsieur Deferre. Il y a plus de 25 ans, celui-ci a opté pour une disposition fort originale en créant Marseille Espérance. Cette organisation, qui n'a pas réellement de forme associative, regroupe tous les grands responsables religieux et cultuels de la ville, à l'exception des sectes. Ceux-ci se réunissaient et continuent à se réunir régulièrement, à raison de quatre fois par an en période normale et à la demande en période de tension internationale. Cette association vise à faire en sorte que les gens, en se connaissant mieux, continuent à se parler quels que soient les problèmes qui peuvent se poser. Marseille Espérance s'est ainsi réunie, en présence des responsables politiques, pendant les crises les plus importantes entre Israël et la Palestine. Ceci permettait de faire passer un certain nombre de messages d'apaisement sur ce volet. Par ailleurs, depuis plus de 25 ans également, des sommes considérables sont mises en place au travers de relais associatifs sur l'intégralité des quartiers de Marseille, et notamment dans les quartiers difficiles. Au travers de ces associations, un lien social, humain, un lien d'échanges et des lieux de parole et d'expression sont créés. Une action est également menée au travers des élus. Chaque mairie de secteur dispose, au moins, d'un adjoint, voire d'un conseiller de secteur, qui s'occupe de la vie associative et assure un lien avec le terrain. Ce lien inclut un rendu compte qui, de nouveau, permet une expression et une parole. Avec une réussite plus ou moins importante, des liens ont aussi été créés avec la police. Celle-ci n'est pas considérée uniquement à travers son rôle répressif, mais également à travers une présence normale visant à assurer un rôle normal dans une république de protection des biens et des personnes. Elle fait aussi figure de référent et de renfort. Quelque part, cette police peut être comparée aux bobbys et ceci créée une approche un peu différente. Puisque les gens se connaissent, on sait parfaitement que le petit de Durand connaît quelques difficultés ou que le petit de Dupont est en train de mal tourner. Ceci peut sembler pagnolesque, mais il s'agit bien d'une prise de conscience collective. Enfin, un dispositif particulier est évidemment mis en place en cas de risque d'explosion. Dans ce cadre, des relais s'opèrent en plein accord avec la police, les responsables de secteur et les responsables cultuelles. On tente, par ce biais, d'endiguer les agitations hors normes avant que la situation ne dégénère. Ce dispositif peut sembler tout bête, mais il fonctionne objectivement.
M. Yves DAUGE - Je peux confirmer que le cas de Marseille doit être étudié. En effet, depuis plusieurs années, un réseau d'acteurs associatifs et de terrain s'est véritablement créé. Il faut, d'ailleurs, signaler qu'il s'est beaucoup développé à l'initiative de magistrats, proches du tribunal, des procureurs et des juges. Il fonctionne très bien. Il coûte également cher et nous aurons à tenir compte de cet aspect. En effet, vous avez évoqué la notion d'accompagnement. Ce type d'investissements doit être maintenu à un haut niveau partout. Or, je ne suis pas certain que, dans les années récentes, on n'ait pas brisé de nombreux réseaux associatifs. On n'a pas peut-être pas voulu le faire directement, mais les annulations de crédits ont mis beaucoup d'associations en grande difficulté. Nous devons traiter cette question. Dans tous les cas, à Marseille, ce sont bien les collectivités locales qui financent l'essentiel du dispositif et je vous rejoins sur le fait que cela peut constituer une des explications de la situation, ce qui en dit, d'ailleurs, long sur le sens de la politique de la ville. Je souhaite donc insister sur la question de l'évaluation à mener. De nombreux acteurs de terrain m'ont signalé qu'ils souffraient depuis plusieurs années. Ce point est lié à une autre question, celle du chômage. En effet, certaines populations ont besoin d'un accompagnement car elles vont très mal et cet état est souvent dû à la présence de chômage. Sans attendre que la croissance règle le problème, nous sommes bien obligés d'agir et nous devons le faire à court terme. Certes, notre politique doit s'inscrire dans une vision à long terme. Mais, en tant que maires, nous devons souvent régler immédiatement les questions. Dans ce cadre, que pouvons-nous faire ? Il semble également nécessaire d'examiner honnêtement ce qui a été fait au cours des dernières années. Sans vouloir polémiquer, je rappelle quand même la succession des contrats de type emplois jeunes ou CES et l'épouvantable habitude qu'ont les nouveaux venus de casser tous les dispositifs mis en place par leurs prédécesseurs. La politique de la ville a particulièrement souffert du massacre permanent des systèmes installés et difficilement négociés. Face à une politique centrale, finalement, nous travaillons comme des amateurs avec une inconséquence politique incroyable. Il faut également regarder ce point. Enfin, en matière d'accompagnement, que pouvons-nous faire pour les jeunes qui sont au chômage ? En dehors du service civil qui, pour moi, doit être obligatoire, il faut cibler des emplois actifs qui les valorisent et qui leur donnent le sentiment qu'ils sont utiles à quelque chose. Ces emplois doivent être localisés sur les territoires les plus en difficulté. Au sein de notre commission, nous allons bien devoir déboucher, au-delà des analyses, sur des positions concrètes. Nous ne pouvons pas laisser la situation en l'état. Dans leur révolte, les jeunes expriment leur sentiment de ne servir à rien ou de ne pas être écoutés. Or, pour écouter les gens, il faut les mettre en position d'être actifs et d'avoir quelque chose à dire. Je souhaite donc que nous revenions sur la question de l'accompagnement. Celui-ci est central et coûte un certain prix. Il faut remettre en place des dispositifs simples et placer ces jeunes dans les endroits où ils sont réellement utiles : collectivités locales, associations, hôpitaux, etc. Il faut essayer de leur redonner une certaine fierté d'appartenir à ce pays. En effet, nous comprenons bien le sentiment qui les habite. Même si nous n'excusons pas les violences, avant que celles-ci ne surviennent, il a bien dû se passer quelque chose dans la tête des gens. Je voulais donc, d'entrée de jeu, insister sur l'accompagnement et la reconstitution ou le soutien de réseaux associatifs puissants.
Par ailleurs, en termes de fonctionnement des services publics, deux questions se posent. La première concerne la présence de ces services publics et la seconde leur mode de fonctionnement. Par exemple, j'aimerais savoir combien de commissariats de police existent en Seine Saint Denis. A mon avis, il n'y en a pas beaucoup, même si je ne fais que poser la question. En tout cas, je souhaite que nous regardions très précisément combien de commissariats sont situés dans des endroits tels qu'ils sont en relation avec les zones qui nous intéressent. Ce point est capital car nous voyons bien que la relation entre la police et les jeunes est gravement dégradée. La police a certainement été placée dans des situations très difficiles et il est trop tard pour essayer de créer une relation. Mais, cette question complexe doit vraiment être reprise et je vous demande instamment de l'étudier, notamment pour la Seine Saint Denis. Je voudrais également que nous posions le problème de la relation entre les questions de santé et les questions liées à ces populations, notamment en matière de psychiatrie. Pour ma part, j'ai beaucoup travaillé avec les hôpitaux pour leur demander d'ouvrir des antennes de psychiatrie ou de pédopsychiatrie dans les quartiers. Pourquoi ne le ferions-nous pas ? Cette évolution n'est pas tellement compliquée et je suis persuadé qu'elle représente une piste indispensable. Nous avons besoin de personnes qui décryptent la situation et, d'une certaine façon, réalisent un travail de médiation et d'écoute. Si vous n'allez pas vers les populations pour tenter de discuter des situations psychologiques extrêmement tendues qui sont rencontrées, notamment au niveau de l'adolescence, le dispositif ne peut pas fonctionner. C'est pourquoi j'évoque la question du fonctionnement des services publics. Si un service veut se moderniser, il doit savoir capter, avec finesse, l'exacte demande de la population et s'organiser pour y répondre par un travail sur mesure. J'évoque bien, ici, la santé et ce sujet est gravissime. Je ne vais pas forcément énumérer tous les autres services. Mais, en ce qui concerne l'école, j'ai toujours considéré qu'un collège ne pouvait pas fonctionner au-delà de 400 à 500 élèves. Ce constat, valable en règle générale, est d'autant plus vrai dans les quartiers en difficulté. Le système, que ce soit au niveau de la nomination des professeurs ou de la constitution des équipes pédagogiques, est alors inopérant. Il va falloir que nous prenions conscience de ce point et, en particulier, que nous interrogions quelques recteurs. Comment ceux-ci fonctionnent-ils ? Une machine tourne-t-elle, au niveau du rectorat, en décidant de tout ? Une relation est-elle entretenue avec la réalité du terrain pour pouvoir concevoir un projet de service public dans un collège donné ? Je pense, par exemple, qu'il faudra aller vers une multiplication des collèges en Seine Saint Denis et il faudra évidemment discuter de ces points avec les départements. Ma ville de Chinon, qui est une petite ville, accueille un collège de 800 élèves. Cette situation est ingérable, notamment à cause des classes de quatrième. Elle est, d'ailleurs, aggravée par le fait que ces élèves ont été répartis en deux classes de bon niveau et deux classes de mauvais niveau. Cette institution est donc devenue ingérable. Je ne vais pas insister sur ces points, mais notre incapacité à gérer nos services publics est quand même invraisemblable. Je suis entièrement favorable aux services publics, mais il faut que le système évolue. La situation est particulièrement dramatique pour l'éducation et, en particulier, pour les collèges.
Enfin, je fais partie de ceux qui craignent énormément la réduction de la politique de la ville à l'entrée des programmes de destruction ou de démolition. Conceptuellement, ceci constituerait un désastre. Comme vous l'avez signalé, de nombreux habitants préfèrent rester dans leur quartier. Nous avons procédé à des démolitions depuis trente ans. Nous pouvons accélérer ce mouvement, dans certaines zones, mais celui-ci doit être considéré comme un dossier banal. En faire le point d'entrée de la politique de la ville serait clairement une erreur. Je crains que nos maires, qui recherchent l'efficacité, se précipitent tous à Paris, avec des dossiers rapidement ficelés, pour aller chercher de l'argent et que nous passions à côté de l'essentiel. Nous avons mis en place un mécanisme identique à celui qui a fabriqué ces quartiers pour les détruire. Il s'agit d'une procédure centralisée. Avec elle, nous passons à côté de tout ce que la politique de la ville a voulu dire. Je ne prétends pas qu'il ne faut rien détruire. Cependant, il faut savoir où, comment et au profit de qui le faire ? Les crédits utilisés proviennent du 1 % Logement et vous savez très bien que ces organismes gardent quelques idées sur la reconstruction et l'affectation des futurs logements. L'équation est donc loin d'être équilibrée. En dernier lieu, et pour clore les questions institutionnelles, j'ai pour ma part été directement rattaché trois ans au Premier Ministre. J'en ai été très heureux. Je crois que, du jour où nous avons créé un ministère spécifique, nous avons cassé l'interministérialité. C'est d'ailleurs nous qui avons procédé à cette opération. Nous avons cru bien faire en créant ce ministère d'état. Mais, c'était une illusion et le dispositif ne fonctionne pas. Je recommande donc de revenir à une politique simple et lisible par le biais d'une Délégation Interministérielle, rattachée au Premier Ministre et disposant d'une autorité telle qu'elle peut influencer les politiques des autres ministères. Il est inadmissible que nous soyons dans une situation de marginaux pour conduire une politique centrale. Nous étions bien partis et on nous a progressivement mis de côté en prétendant, en plus, que notre politique était un échec. De la même manière, je m'inquiète de la multiplication des agences. On ne sait plus qui va faire quoi. De plus, l'une de ces agences dispose des crédits. Elle domine donc tout le monde et écrase le système. C'est détestable ! J'aurais préféré que l'agence qui s'occupe de la rénovation ne soit qu'une ligne budgétaire de la DIV. Il faut une institution. Vous en créez trois ou quatre au milieu d'un désordre général. Je pense donc que nous prenons le mauvais chemin. En faisant confiance aux maires et en rendant les mécanismes simples, nous trouverons une solution. Or, moins l'Etat a d'argent, et plus il crée des procédures compliquées pour distribuer ces fonds. Cela lui laisse le sentiment qu'il gouverne encore quelque chose. C'est lamentable ! L'Etat doit faire son travail et laisser les maires agir en leur donnant les dotations suffisantes car, comme cela a été signalé, l'injustice fiscale entre communes est criante. Certaines affichent 300 ou 400 euros de potentiel fiscal contre 4 000 à 5 000 euros pour d'autres. Allez donc mener des politiques de la ville avec ces sommes !
M. José BALARELLO - Je pense que si notre commission veut être efficace, elle doit faire preuve de pragmatisme, laisser de côté les grandes idéologies et effectuer deux comparatifs. D'une part, nous devons examiner la situation sur le terrain national. Quels sont, en France, les dispositifs qui fonctionnent et ceux qui ne fonctionnent pas ? Nous devons déterminer les raisons de ces succès ou de ces échecs. J'ai présidé, pendant 32 ans, un office de 25 000 logements comprenant des grands ensembles. Je sais dans quelle zone les dispositifs fonctionnent et pourquoi ils ne donnent pas de résultat dans d'autres secteurs. Vous avez fort justement évoqué les associations. J'ai subventionné 26 associations. J'ai amené les enfants des grandes cités au ski avec l'encadrement de policiers. Ces systèmes fonctionnaient. Il faut donc déterminer pourquoi ils sont effectifs pour certains départements et pas pour d'autres et rectifier le tir. D'autre part, il faut effectuer un deuxième comparatif de même nature à l'échelle européenne. Dans ce cadre, je vous donne une partie de ma solution. En France, nous atteignons un niveau de 57 % de propriétaires contre des taux proches de 80 % en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Italie. Or, dans certains pays, il n'existe aucun problème de banlieue. J'ai été rapporteur de la loi Méhaignerie au sein de l'Assemblée, il y a quelques années, sur l'accession à la propriété et la vente des logements HLM à leur locataire. J'en ai vendu 1 000, le dispositif fonctionnait correctement et, dans ces ensembles, aucun problème n'est signalé car chacun est garant du bien qui lui appartient. Je crois donc qu'il faut, sans idéologie, déterminer les dispositifs qui fonctionnent et ceux qui ne fonctionnent pas. Ce diagnostic doit être établi en restant, avant toute chose, pragmatique.
Mme Raymonde LE TEXIER - A propos de Marseille, vous nous avez fourni un certain nombre d'exemples qui, de votre point de vue, expliquent l'absence de difficultés importantes sur cette zone. Ces exemples relèvent du lien social. Les villes qui regroupaient les ingrédients sociologiques pour que la situation explose et qui n'ont pas connu d'évènements majeurs sont bien celles dans lesquelles on a su créer du lien social. Je ne connais Marseille que de loin. Cependant, il me semble quand même qu'il existe une différence entre cette cité et d'autres villes. Marseille est une vraie ville. Elle est, depuis toujours, multiethnique et multiculturelle. Ceci peut constituer une explication importante. Une réelle différence demeure entre les villes et ce que nous appelons les banlieues. Vaulx-en-Vélin est une banlieue. Clichy-sous-Bois est une banlieue. La ville dont je suis élue depuis trente ans et qui est la plus pauvre de France est une banlieue. Le terme même de « banlieue » est très péjoratif. Personnellement, j'habite Villiers-le-Bel, et non en banlieue. Cette ville a une histoire et, chaque fois que nous essayons d'y construire un bâtiment, nous devons reculer les travaux de deux ans car nous trouvons un village mérovingien dans le sous-sol. Il n'empêche que nous sommes censés être une banlieue, soit le lieu où on plaçait les bancs pour les exclus, pour les pauvres, pour les lépreux et pour les semi-truands. Il existe donc une différence certaine entre le fait d'habiter en banlieue et le fait d'habiter une ville comme Marseille. Par ailleurs, je tiens à apporter un petit bémol à l'appréciation des exemples que vous avez donnés pour Marseille. Le premier d'entre eux concernait une association d'organisations religieuses. Je souhaiterais que nous soyons très prudents sur ce point. En effet, c'est le premier exemple que vous avez fourni et symboliquement, je préfèrerais que nous ne le placions pas dans cette position. Si les élus se mettaient à se fier aux responsables religieux pour régler les problèmes des banlieues, je ne sais pas où nous irions. Certains n'attendent que cela. Le symbole a donc aussi une force.
Par ailleurs, l'exemple du terrain de foot a été donné par un de nos collègues. Celui-ci évoquait naturellement les multiples activités mises en place pour ces jeunes qui sont oisifs toute la journée. A ce propos, vous avez indiqué, Madame, que ces dispositifs ne fonctionnaient pas. Or, ils fonctionnent bien à condition que les élus ne leurrent pas les jeunes et ne se leurrent pas eux-mêmes. Nous devons être capables d'expliquer à ces populations que les activités sont mises à leur disposition pour leur plaisir et leur amusement, mais que nous savons bien que cela ne leur permettra pas de se faire une place dans la société. Nous devons, derrière ces dispositifs, travailler pour que ces jeunes soient formés car le seul moyen de permettre une intégration est l'obtention d'un travail, débouchant sur un salaire, un logement et, accessoirement, une copine. Donc, ces activités, largement financées par la politique de la ville, souvent inventives, créatives, originales et gratifiantes, sont positives à condition que nous ne fassions pas semblant de croire qu'elles peuvent solutionner tous les problèmes. Enfin, pour avoir travaillé, pendant des années, dans une ville difficile, j'ai eu le sentiment, jusqu'à mon arrivée dans une position plus confortable, de porter cette ville et de me battre comme un chien pour obtenir des crédits pour monter des actions. Je souhaiterais savoir jusqu'où va votre volonté pour, au moins, faire appliquer ce qui est censé exister et que nous avons déjà évoqué les uns et les autres. Par exemple, cela fait quinze ans que ma ville attend un commissariat. Je ne suis plus maire, mais ce commissariat va, de nouveau passer, sous le nez du maire actuel et être situé ailleurs. Que pensez-vous de la police de proximité ? Je crois complètement à ce dispositif basé sur des équipes placées dans des quartiers délimités et constituées d'agents de police qui connaissent les jeunes par leur nom et que les jeunes connaissent. J'ai mis en place un tel dispositif dans ma ville. Il a été abandonné, en deux mois, lors de l'arrivée du Ministère de l'Intérieur de l'époque qui était Nicolas Sarkozy. Les 18 agents de proximité sont partis ailleurs, après une formation de huit mois, la création de locaux et deux semaines d'activité. Nous savons que ces systèmes fonctionnent et nous ne savons pas pourquoi ils ont été supprimés. Les problèmes liés à l'éducation ou aux services publics ont été également soulevés par d'autres intervenants. Il faut, au moins, mettre ces dispositifs en place.
M. Alex TÜRK, président - Madame Le Texier vous tend une perche en vous interrogeant sur votre volonté dans ce domaine. Ceci vous permettra de conclure cette audition. J'imagine que nous aurons l'occasion de vous revoir, dans d'autres circonstances, autour de notre travail.
Mme Anne-Marie CHARVET - Tout d'abord, je prends acte de votre remarque. Il n'y avait, de ma part, aucune volonté particulière lorsque j'ai présenté, comme un premier élément parmi ceux qui collaboraient à la réussite de Marseille, une association cultuelle qui existe depuis plus de trente ans. Loin de moi l'idée de penser qu'il convient de laisser aux grands frères ou à d'autres des responsabilités en la matière ! Cet exemple avait pour simple objet de montrer que, dans une ville enregistrant des différences ethniques, culturelles et cultuelles importantes, le lien social est favorisé par le dialogue entre ces groupes. Je ne poursuivais aucun autre but que celui-ci. Par ailleurs, je me suis vraisemblablement mal exprimée sur un autre élément. Pendant trop longtemps, nous avons justement considéré que la politique de la ville n'était pas la panacée si les activités qu'elle développait s'inscrivaient simplement dans le cadre d'un tape-ballon. Il est très positif que nous ayons créé des activités occupationnelles. Mais, il ne fallait pas se tromper en laissant croire que c'est ainsi qu'on achèterait une paix sociale ou qu'on attendrait un équilibre au sein d'une population donnée. Vous avez, ensuite, évoqué ma propre volonté et mon propre investissement personnel. Je dois vous dire que je n'ai pas choisi ce poste. Je ne me suis même pas portée candidate à celui-ci. J'ai été coopté à cette fonction par trois ministres en place, du fait de mon travail et de mes activités auprès d'élus de différentes familles dans les domaines de la ville et à d'autres niveaux. Je suis un peu connue, non pas pour l'obstination, mais pour la totale détermination dont je fais preuve à partir du moment où je pense que là où je dois aller est positif et probant. Cependant, il ne faut pas faire de confusion : vous êtes des politiques, je suis un haut fonctionnaire. J'ai la chance, désormais, de disposer d'une force de proposition que j'entends utiliser au maximum de ce qu'il m'est possible de faire. Et j'ose espérer qu'en matière de politique de la ville, par toute une série de recommandations et de préconisations que j'ai commencé à faire et aux vues de l'expérience et du recul que nous pouvons avoir sur certains éléments ainsi que des réussites enregistrées dans d'autres villes ou d'autres pays, nous pourrons avancer positivement. J'ai également la chance, et peut-être le handicap, de travailler à la veille d'un grand tournant dont vous êtes les acteurs. L'installation de la nouvelle Agence de Cohésion Sociale constituera, notamment, une évolution importante. Cette Agence sera le pendant de l'Agence de Rénovation Urbaine. Et, si j'avais quelques souhaits à exprimer en termes de conclusion, je souhaiterais que les outils restent ce qu'ils sont. L'ANRU est effectivement un excellent dispositif à condition qu'un certain nombre de directives soit établi et appliqué. Je souhaiterais également la définition d'une stratégie comprenant de vrais moyens. Dans ce cadre, je pense que Monsieur Dauge a, à une certaine époque, eu la liberté, ou du moins les moyens, de mettre en oeuvre des dispositions qui ne sont pas forcément les mêmes aujourd'hui. Si, à l'occasion des modifications qui vont être soumises à votre décision, nous pouvions revenir sur certains éléments antérieurs, notamment sur une véritable interministérialité qui, comme son nom l'indique, ne peut être efficace et réelle que si elle est rattachée au Premier Ministre, nous pourrions donner plus de moyens aux hommes et aux femmes qui sont chargés de l'application de cette politique. Par ailleurs, Monsieur Dauge a soulevé les problématiques de santé. Celles-ci sont fondamentales et nous ne nous sommes pas encore suffisamment penchés sur cette question. Nous n'avons pas suffisamment mesuré les impacts qui pourront être constatés, dans les années futures, notamment en termes psychiatriques. Je vous rejoins donc entièrement sur ce point. Lorsque ma collègue, Bernadette Malgorn, interviendra devant vous, vous pourrez observer que les premières études et les premiers résultats d'évaluation démontrent une explosion de ce type de maladies chez les jeunes et les femmes de ces quartiers. Des dispositions spécifiques, simples mais efficaces, doivent être mises en place dans ce cadre. Si nous pensons simplement qu'il faut demander au secteur privé d'aller s'installer dans ces quartiers, nous sommes dans l'erreur. Il faut, en revanche, créer des lieux d'accueils pour permettre des permanences en psychiatrie, en pédopsychiatrie et en gynécologie obstétrique. En effet, dans ces zones, un nombre croissant de femmes, qui pratiquent ou à qui on fait pratiquer certains types de religions, ne se rendent plus dans les hôpitaux publics où les examens gynécologiques ne sont pas forcément réalisés par des femmes. Ces quartiers hébergent donc certains pans de population très difficiles et sur lesquels il convient de se pencher. C'est un des points sur lesquels nous allons proposer des solutions. Enfin, Madame Le Texier a parfaitement raison. J'ai oublié de mentionner que Marseille est une ville très ancienne et que ses quartiers sont situés dans le centre de la ville. Si celle-ci connaît bien un phénomène de banlieue, elle permet également un réel mixage. Cet élément participe effectivement à l'équilibre de la vie dans cette ville.
M. Alex TÜRK, président - Je vous remercie beaucoup de votre intervention. Comme je l'ai signalé précédemment, nous aurons l'occasion de vous revoir après le CIV et, peut-être, tout au long de nos travaux.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur - Le tour de table que nous venons de faire et l'exposé de Madame la Déléguée montrent combien notre mission était nécessaire. Toutes les suggestions exprimées semblent fort intéressantes. Il nous reste, maintenant, à mettre ces éléments en harmonie avec nos pensées. Certains points forts ressortent déjà. Au niveau des actions de l'Etat, nous avons soulevé la question de l'interministérialité. Nous mettons actuellement en place une Agence Nationale de la Cohésion sous la tutelle du Ministère des Affaires Sociales. Une conclusion de nos travaux sera peut-être de demander à revoir, tant pour la DIV que pour cette Agence, les questions de tutelle. En tant que maires, nous ressentons parfaitement, sur le terrain, que nous manquons d'Etat. La plupart du temps, nous avons l'impression qu'il n'y aucun pilote dans l'avion. Les services de l'Etat font ce qu'ils ont envie de faire. Nous le voyons actuellement avec les fermetures de classe. L'inspecteur d'académie fait absolument ce qu'il veut, sur la base de ratios qu'il invente. Le TTJS fait absolument ce qu'il veut dans le cadre des contrats éducatifs locaux. Il n'y a aujourd'hui plus de politique possible de droit commun et je crois que nous ferons oeuvre utile en le démontrant. Par ailleurs, au-delà des politiques régaliennes et de droit commun, nous devrons travailler sur les actions spécifiques à mener entre l'Etat et les villes, notamment au travers des futurs contrats territoriaux qui devraient voir le jour dans le cadre du prochain CIV. Enfin, nous ne devons pas oublier, dans nos travaux, que, sans accompagnement de la rénovation urbaine, cette politique ne servira strictement à rien. Nous avons, aujourd'hui, besoin d'une politique d'accompagnement forte, simple, lisible et compréhensible par tous les élus. Celle-ci doit remettre le maire ou le président de communauté d'agglomérations au coeur de la politique de la ville. Il est tout à fait indispensable que ces contrats soient bien négociés et acceptés au niveau local et nous avons, de nouveau, quelques mois pour réfléchir et travailler sur ce dossier.
Cette semaine, nous avons campé le décor. La semaine prochaine, Bernadette Malgorn, qui est la Présidente de l'Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles, nous donnera un certain nombre de chiffres clé dans tous les domaines. J'ai également oublié de mentionner un partenaire que nous ne devrons pas omettre. Le tissu associatif doit également être source de notre réflexion et de notre action.
M. Alex TÜRK, président - Je vous rappelle que nous nous retrouverons, la semaine prochaine, à 10 heures du matin.
Mme Anne-Marie CHARVET - Je vous ai apporté le budget de la ville de 1990 à 2006. Ce document vous donnera une vision de l'évolution de ces éléments dans le temps.