Audition de Mme Bernadette MALGORN, Préfet de la région Bretagne, Présidente du Conseil d'Orientation de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) (1er mars 2006)
Présidence de M. Dominique BRAYE
M. Dominique BRAYE, président - Mes chers collègues, nous allons auditionner ce matin Bernadette Malgorn, Présidente du Conseil d'orientation de l'Observatoire des zones urbaines sensibles, qui va nous faire part de son expérience. Nous avons déjà reçu le rapport de l'Observatoire, mais seul un petit nombre d'entre nous a pu en prendre connaissance de manière exhaustive : Madame Malgorn va donc nous le présenter.
J'assurerai aujourd'hui la présidence de la séance, le président Alex Türk étant indisponible pour raisons de santé.
Mme Bernadette MALGORN - J'ai été invitée au sein de cette mission au titre de mes fonctions de Présidente du Conseil d'Orientation de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles, responsabilité que Jean-Louis Borloo m'a demandé d'assumer au moment de sa mise en place. Je rappelle qu'avec le Limousin, la région Bretagne est la seule à n'avoir mis en oeuvre aucun grand projet de ville. Pour autant, mes expériences antérieures en matière d'aménagement du territoire et de politique sociale, ainsi que mes fonctions dans des régions telles que l'Île-de-France et la Lorraine, concernées par les politiques de la ville, me confèrent une certaine crédibilité en la matière.
Je dois avouer mon manque de passion pour les observatoires. En effet, la création de telles structures ou l'écriture de rapports suscite souvent la crainte que ces travaux se substituent à l'action.
Je fais partie de ceux qui ont connu 30 ans de politique de la ville, et la mise en place d'initiatives telles que le HVS, « Banlieues 89 », la création des ZUS, des zones franches urbaines, etc.
L'Observatoire national des zones urbaines sensibles a été créé par la loi du 1 er août 2003 sur la politique de la ville et de rénovation urbaine. Cette initiative est novatrice dans la mesure où, en matière de politique de la ville, de nombreuses observations et études monographiques ont été menées, mais n'ont jamais été articulées avec les objectifs de politique publique énoncés par la loi.
Je me félicite de pouvoir rendre compte de notre action devant une instance parlementaire. En effet, notre mission consiste à observer les champs que le législateur a définis en fonction d'un certain nombre d'objectifs de politique publique explicités dans l'annexe de la loi du 1 er août 2003.
Pour autant, ces objectifs de politique publique en matière de politique de la ville avaient déjà été énoncés en d'autres occasions, comme en 1989, lors du lancement du plans « banlieues 89 » et du fameux slogan « pour en finir avec les grands ensembles ». Quelques-uns d'entre nous pensaient que les banlieues ne souffraient pas uniquement de problèmes sociaux, familiaux, de revenus ou d'emploi, mais aussi de problèmes urbains, de logement, etc. Nous étions alors persuadés d'avoir lancé des programmes de démolition et de restructurations profondes. Ensuite, nous avons été surpris, dans les enveloppes de crédit au logement par exemple, de constater l'ampleur des besoins en termes de réparations, ce qui imposait de lancer des programmes PALULOS. Par ailleurs, un certain discours autour du romantisme de la cité allait à l'encontre de la déghettoïsation.
La loi du 1 er août 2003 assigne à l'Observatoire des objectifs très précis. En premier lieu, Jean-Louis Borloo lui a donné un objectif politique : il s'agit de mesurer le retour de ces quartiers dans la République. Le législateur, quant à lui, décline plus précisément les objectifs de l'Observatoire, qui consistent à mesurer l'évolution, si possible à la baisse, de l'écart, d'une part, entre l'ensemble des ZUS et l'ensemble national et, d'autre part, entre chacune des ZUS et leur agglomération. Pour ce faire, un ensemble d'objectifs et d'indicateurs ont été déterminés dans l'annexe de la loi. Ils ont trait aux disparités territoriales sur les plans économique et de l'emploi, à l'habitat et l'environnement urbain, à la santé et l'accès aux soins, à la réussite scolaire, à la sécurité et à la tranquillité publique, à la présence ou à l'accès aux services publics. Au total, 21 objectifs sur lesquels doivent porter nos observations ont été définis : ils nécessitent le suivi de 65 indicateurs. Sans surprise, ces indicateurs dépeignent une situation globalement difficile : l'ensemble des ZUS est éloigné de la moyenne nationale et ces zones sont dans une position plus sensible que leur agglomération. Cependant, cette réalité est parfois complexe à appréhender : en effet, parfois, nous n'accédons que difficilement aux informations pertinentes nous permettant d'étayer notre observation.
Depuis que la politique de la ville est en vigueur, nous constatons avec surprise que la plupart des administrations ne se sont pas dotées de moyens spécifiques qui leur permettraient d'observer l'impact de leurs politiques sur les quartiers. Sur ce point, cette loi apparaît donc comme novatrice et stimulante.
En termes d'emploi, nous avons pu constater que le taux de chômage des ZUS est deux fois supérieur à celui de leurs agglomérations. Bien sûr, il existe des nuances selon la ZUS, l'agglomération et le public visé : des écarts sont à relever pour les jeunes, les populations d'origine immigrée et les femmes. Ces dernières sont certes victimes de discrimination, mais disposent parfois d'une capacité à valoriser leurs diplômes supérieure à celle des hommes. Il convient donc de nuancer les masses statistiques que nous obtenons. D'ailleurs, j'ai demandé, en ce qui concerne le chômage des jeunes, que seul celui des jeunes actifs soit comptabilisé : nous avons donc retenu ici la définition du BIT. Un biais peut exister en fonction du taux de scolarisation et d'accès à l'enseignement. Je précise que le rapport de Laurent Hénart sur le projet de loi actuellement en discussion établit ce même distinguo entre chômage au sens du BIT et demandeurs d'emploi par rapport à une génération. Même si le premier ratio est inférieur au second, il est plus significatif dans le cadre de la comparaison entre ZUS et reste de l'agglomération. En effet, les pourcentages de jeunes poursuivant leurs études étant très disparates, les statistiques seraient faussées. Nous allons tenter d'affiner ces observations courant 2006. Le but n'est évidemment pas de minimiser ce phénomène massif, mais d'identifier les facteurs et leviers d'action pertinents.
En ce qui concerne le volet économique de notre observation, nous avons recueilli un certain nombre de données sur le fonctionnement des zones franches urbaines, sur l'évolution des créations d'entreprises, sur la place des habitants des ZUS en leur sein. A cet égard, 30 % d'habitants des ZUS sont employés dans ces sociétés. D'aucuns considèrent que ce ratio est insuffisant. Pour autant, la création des zones franches urbaines s'inscrit dans une optique de déghettoïsation : il n'est donc pas nécessairement souhaitable que les habitants des zones franches urbaines travaillent sur leur lieu de vie. Dans cette perspective, les taux obtenus correspondent peu ou prou aux objectifs ciblés.
En matière de logement, les indicateurs figurant dans la loi se rapportent aux objectifs fixés par l'ANRU, elle aussi créée par la loi du 1 er août 2003. Pour l'instant, nous n'avons pas pu mesurer l'impact des politiques mises en oeuvre par cette agence.
Sur la santé, les indicateurs fixés par la loi s'avèrent quelque peu statiques. Ils mesurent la présence de tel ou tel établissement de santé, indicateur somme toute assez sommaire de l'accès aux soins. Nous travaillons sur ce dossier depuis septembre 2004, et avons entamé un partenariat avec les caisses de sécurité sociale. Ainsi, nous souhaitons pouvoir bénéficier des analyses existantes sur l'accès réel aux soins des populations des zones urbaines sensibles.
Enfin, les indicateurs qui concernent la réussite scolaire nous permettent d'appréhender le retard scolaire qui existe dans ces quartiers. On constate des disparités d'une zone à l'autre, mais, en moyenne, l'écart entre ZUS et moyenne nationale s'élève à 3 points. L'écart atteint les 10 points concernant le brevet des collèges. Dans ce domaine, ce que nous avions pu pressentir est vérifié par les données statistiques.
Nous avons été surpris de la difficulté de réunir certaines informations, comme le nombre de professeurs par élèves. L'Education nationale prétexte une grève administrative des directeurs d'école pour ne pas nous faire parvenir ces chiffres. Cette grève n'a cependant jamais empêché le bon déroulement de la rentrée : le nombre d'élèves inscrits, les perspectives et dérogations sont donc connus.
Certains sujets, pointés dans la loi comme pertinents et sur lesquels l'observation devait se pencher, ne donnent pas de résultats significatifs, du fait, par exemple, de l'inexistence d'indicateurs. Le législateur nous invitait notamment à mesurer l'évitement scolaire, ce qui pose question. En effet, cette notion reste confuse : pour les uns, il s'agit de l'école buissonnière ; pour les autres, l'évitement scolaire désigne le fait de ne pas accéder dans les mêmes proportions à telle ou telle filière d'excellence. En outre, notre rapport inclut un chapitre sur « l'observation en construction », qui recense les axes d'amélioration possibles de notre mission. Dans ce cadre, nous avons précisément évoqué l'évitement scolaire. Pour notre part, nous l'avons défini comme la tentative de certaines familles d'échapper à la scolarisation de leur enfant dans l'établissement public de référence de leur quartier. Nous souhaitons identifier à ce niveau les stratégies à l'oeuvre de la part des familles, afin de pouvoir les contrecarrer.
Sur le plan scolaire, le problème des violences, qui, à la demande du législateur, avait fait l'objet d'une observation, reste important. Nous avons inclus une réflexion sur cette question au titre de l'observation en construction. Nous y pointions en substance la difficulté de tirer des conclusions, compte tenu des données disponibles, tant par le biais du Ministère de l'Education nationale que par les Ministères de l'Intérieur ou de la Justice. Je précise que l'Observatoire réunit, dans le cadre de ses travaux, des représentants des Assemblées ou des associations d'élus de différents niveaux. Par ailleurs, les grands ministères qui participent à l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique de la ville y sont associés, que ce soit par le biais de leurs services d'évaluation et d'observation ou par celui de leurs services généraux. Enfin, l'Observatoire fait appel à des personnalités qualifiées, ce qui lui garantit un ancrage de terrain : il peut s'agir de principaux de collège, de directeurs d'un office HLM, d'entrepreneurs de zones franches urbaines, etc. Ces acteurs nous ont apporté un éclairage très utile sur les violences scolaires. Dans ce domaine, non seulement les statistiques sont hétérogènes et lacunaires, mais les taux de réponse restent aussi modestes. Par exemple, le logiciel Signa utilisé par l'Education nationale n'est pas suffisamment « renseigné ». De même, les taux de réponse aux enquêtes périodiques demeurent insuffisants. Les données chiffrées sont également très disparates géographiquement. Certains établissements auront tendance à signaler le moindre incident, tandis que d'autres préfèreront le résoudre en interne. Bien évidemment, ce silence ne facilite pas notre analyse.
En ce qui concerne la sécurité, les données dont nous disposons sont satisfaisantes, notamment dans les circonscriptions de police. En revanche, certaines ZUS se situent dans des circonscriptions de gendarmerie, au sein desquelles l'outil statistique ne s'avère pas aussi sophistiqué que celui de la police. Un nouveau dispositif vient toutefois d'être acquis à ce niveau : ainsi, les circonscriptions de gendarmerie pourront nous fournir des données dans le cadre de notre prochaine étude. Les ZUS sont situées dans des agglomérations dont le taux de criminalité est supérieur à la moyenne nationale (environ 60 pour 1 000, contre 40 en moyenne), mais il n'est pas sensiblement différent de celui de leur agglomération. Si les délinquants étaient majoritairement issus des ZUS, ce que nous n'avançons qu'à titre d'hypothèse, ils commettraient également leurs méfaits à l'extérieur de ce périmètre. En ce qui concerne les vols simples, les ZUS sont plus calmes que le reste de leur agglomération. En revanche, les violences et dégradations s'avèrent plus nombreuses dans les ZUS. Le phénomène d'insécurité y est donc plus accentué.
Le dernier volet de notre observation porte sur les services publics. Il répond à un objectif de présence et d'accès dans ces quartiers. Nous avons notamment mis en avant la difficulté des habitants des ZUS à accéder aux services publics.
Je n'ai pas évoqué les indicateurs de revenus. Ceux-ci, sans surprise compte tenu de la définition des ZUS, sont faibles en comparaison de ceux de l'ensemble des agglomérations. Les indicateurs de pauvreté y atteignent un niveau élevé.
Plusieurs points concernant l'accès aux services publics ont donné lieu à des discussions de principe. La loi indique que nous nous situons dans le cadre d'une politique territoriale. Or nous avons été partagés entre cette approche et une approche dite « populations ». « Faire rentrer ces quartiers dans la République », selon l'expression de Jean-Louis Borloo, signifie inclure les zones de non droit. Les bienfaits de la loi ne peuvent en effet s'appliquer différemment dans ces quartiers et les autres. L'approche « populations » émerge à travers l'ensemble des indicateurs sociaux, économiques et culturels que nous sommes amenés à observer.
Dans notre rapport 2005, nous avons accordé une place importante à une étude intéressante et novatrice sur la mobilité résidentielle dans les ZUS. Elle peut être envisagée de manière optimiste ou pessimiste, mais, de mon point de vue, l'essentiel réside dans l'existence de flux. Pour autant, la situation est plus difficile que dans l'ensemble du territoire national. De plus, les flux sortants correspondent à des personnes qui s'inscrivent dans un parcours de promotion sociale. Mais, en tant que telle, la possibilité d'un parcours de promotion sociale est encourageante, et permet de penser que les politiques spécifiques mises en place dans ces quartiers entraînent des effets positifs en la matière.
A l'inverse, les populations non mobiles se subdivisent en deux catégories. Une partie des habitants actuels des ZUS en sont les premiers occupants, ceux-là même à qui l'accès aux HLM, dans les années 1960, a permis d'améliorer leur condition sociale. Ces personnes ne souhaitent généralement pas quitter leur quartier. L'autre partie des habitants, en revanche, reste sur place parce qu'elle ne peut faire autrement : les politiques publiques doivent se pencher en particulier sur cette population. L'étude sur la mobilité résidentielle montre que des parcours d'amélioration de petite échelle peuvent être effectués au sein des ZUS. Ainsi, un changement de logement au sein de la ZUS peut permettre à certains habitants d'améliorer leur condition. Il ne nous incombe pas de trancher entre approche « territoires » et « populations », même si nous devons mettre cette réalité en évidence.
L'observation locale répond à deux objectifs fixés par la loi : mesurer l'évolution de l'ensemble des ZUS par rapport à celle de l'ensemble du territoire national et mesurer l'évolution de chaque ZUS par rapport à son agglomération. Le deuxième objectif ne peut être rempli que par le biais de l'observation locale. Les données disponibles en la matière sont multiples et disparates.
La loi fait obligation aux maires de présenter devant leurs Conseils municipaux un rapport annuel sur la situation des ZUS. Celle-ci ayant été votée en août 2003, nous n'avons pas abordé la question dans le rapport 2004. En revanche, le rapport 2005 permet d'en mesurer les avancées, qui restent encore très symboliques. En effet, rares sont les collectivités qui ont présenté un rapport sur la situation de leurs ZUS. De plus, une partie de ces données relève de l'appareil statistique de l'Etat. Or les différents ministères n'étaient pas nécessairement en capacité de mettre à disposition, à un niveau aussi fin que celui de la commune ou de la ZUS, les données pertinentes dans le cadre du rapport souhaité par le législateur. L'observation locale pose donc problème.
Au sein de l'Observatoire national sont présents tous les ministères, ainsi que d'autres personnes et instances. Cependant, nous éprouvons des difficultés, en matière de politique de la ville plus encore que dans d'autres domaines, à échapper à l'auto-évaluation. Cet exercice est si complexe que nous pourrions avoir tendance à nous féliciter du montage d'un projet, surtout s'il implique une multiplicité d'acteurs. Je ne néglige évidemment pas l'importance du caractère partagé d'un projet comme facteur de réussite d'une politique locale de la ville, mais je pointe son insuffisance. L'observation locale fait l'objet d'un développement dans le cadre du chapitre de notre rapport sur l'observation en construction. En partenariat avec de nombreux organismes et, entre autres, l'AFNOR, nous avons réfléchi à la manière de nous doter d'outils plus objectifs pour répondre à la volonté du législateur.
En matière d'observation locale, comme dans l'établissement de synthèses globales, nous avons rencontré un réel problème en matière de solidarité d'agglomération. En effet, nombre d'outils mis en place, notamment en termes de solidarité financière, s'adressent aux communes, comme le montre l'exemple de la réforme de la DSU.
En essayant de mesurer les charges des communes qui comptent des ZUS, il n'est pas certain que nous ayons une appréciation correcte de la capacité locale à supporter les charges de l'agglomération et, donc, de la pertinence de l'apport spécifique, au titre de la politique de la ville, de telle ou telle dotation ou aide de ministères.
En conséquence, il est nécessaire de travailler davantage sur la relation entre communes et agglomérations, notamment dans le cadre des futures contractualisations, cette relation constituant un levier stable en matière de politique de la ville.
Notre observation nous a permis de mettre en avant de nombreuses hétérogénéités, qui sont le reflet d'une réalité durable ; d'autres, en revanche, sont liées à un effet de découpage. Quand, en 1996, les quartiers relevant des ZUS ont été définis, aucun critère homogène n'a été retenu. Dans certaines agglomérations, des quartiers très ciblés, qui vont relever de la politique de la ville, en constituent le noyau dur. Leurs indicateurs sont extrêmement défavorables. Dans d'autres agglomérations, comme Rennes, que je connais bien, les critères de définition des ZUS sont plus larges : les indicateurs sociaux, économiques et culturels des ZUS sont meilleurs que ceux de l'ensemble de l'agglomération.
Ce facteur, combiné à l'effet produit par les politiques de la ville, rend nécessaire l'évolution de leurs géographie prioritaire. Il me semble que la nouvelle vague de contractualisations en passe de s'ouvrir constitue une excellente occasion de réaliser ces modifications. Nous pourrions ainsi imaginer que des contrats de sortie de ces politiques soient mis en place, à l'instar du dispositif instauré pour passer du zonage plat au zonage transitoire dans le domaine des fonds européens. Ainsi, un phasing out pourrait permettre d'accompagner la sortie de la géographie prioritaire de la politique de la ville.
En février, lors de notre première réunion après les événements de l'automne dernier, j'ai tenté de susciter un débat sur nos conclusions et la manière dont celles-ci avaient éclairé ou non le politique. Les propos des médias sont-ils étayés par nos observations ? En effet, les médias ont insisté sur le gaspillage des deniers publics lors des événements. Cet investissement dans les zones urbaines sensibles dans le cadre de la politique de la ville aura-t-il été vain ?
Cette question nous embarrasse, dans la mesure où nous sommes en difficulté pour mesurer l'argent public investi dans les ZUS. L'INSEE a réalisé une étude sur les zones d'éducation prioritaire, qui montrait que des moyens spécifiques avaient été alloués aux ZEP au titre de la politique des aides, mais que la dépense globale du Ministère de l'Education nationale y était globalement inférieure, notamment parce que les professeurs y étaient en moyenne plus jeunes,. Ainsi, le différentiel était compensé. J'attire votre attention sur le fait qu'il s'agit d'une étude de l'INSEE, non des ministères. Nous suggérons qu'à la faveur de la mise en place de la LOLF et dans la mesure où le nouveau système d'information financière issu de l'accord 27 est en cours, nous puissions réfléchir à une identification des zones, ce qui permettrait de pouvoir « géolocaliser » la dépense. Cette procédure garantirait une traçabilité de la dépense à destination des ZUS. En tant que préfet, je me permets de souligner la volonté des élus locaux de connaître les montants des investissements réalisés par l'Etat sur nos territoires.
A la fin de chaque chapitre de notre rapport, les indicateurs de la loi sont rappelés, ainsi que les manques éventuels. Souvent, les administrations nous objectent que la géolocalisation des dépenses est très coûteuse. Un effort a été entrepris par la Délégation interministérielle à la ville, puisque, dans le cadre de l'élaboration du document de politique transversale au titre de la LOLF, 21 programmes sont concernés ; ils correspondent à 28 objectifs et se déclinent en 45 indicateurs. Ces indicateurs recoupent largement les objectifs de notre observation au titre de la loi Borloo. En revanche, je ne suis pas sûre que cette possibilité de géolocaliser la dépense ait été intégrée dans le système d'information ministérielle ou budgétaire de l'Etat.
Après la loi du 1 er août 2003, d'autres lois de la même inspiration ont été proposées. Celle sur l'égalité des chances est actuellement en discussion.
Ces textes prévoient des objectifs, qui peuvent se voir assigner des indicateurs. Au nom du Conseil d'orientation, j'ai indiqué au ministre concerné que nous étions disponibles pour élargir notre palette d'observations aux objectifs et indicateurs permettant de suivre les textes ultérieurs.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur - Le travail considérable accompli par l'Observatoire constitue pour nous une source d'enrichissement en termes de mesure de l'impact de la politique de la ville.
Ayant été rapporteur de la loi en 2003, je dois vous avouer le scepticisme que j'ai conçu à l'époque sur l'annexe de la loi relative aux indicateurs. En effet, ceux-ci me semblaient tellement nombreux et détaillés que je ne pensais pas voir un jour paraître un rapport aussi complet que celui que vous nous avez fourni. Nous aurons l'occasion, avant de terminer le rapport d'information sur la politique de la ville, de retravailler dans le détail, pour mieux connaître, à partir de votre expérience, les indicateurs que nous déterminerons à l'aune des besoins rencontrés par les parlementaires.
Ce document est extrêmement complet. Or, nous disposons de peu de temps pour le consulter. Nous aurions donc besoin d'une synthèse afin d'améliorer le suivi de l'ensemble des problèmes.
L'Observatoire effectue, me semble-t-il, régulièrement des préconisations pour compléter le dispositif actuel. Nous pourrions peut-être vous aider en ce sens.
M. Thierry REPENTIN - Le document que vous fournissez chaque année constitue une mine de renseignements qui est d'ailleurs sous-exploitée dans le débat que nous entretenons.
Je souhaite vous poser les quatre questions suivantes.
Vous êtes en charge de l'observation de 751 ZUS. Auriez-vous des remarques à formuler sur la pertinence du découpage du périmètre des ZUS ? En effet, il s'agit d'un découpage créé par l'INSEE et datant des années 1970. Or il concerne des territoires ayant fortement muté : de nouvelles infrastructures de transport les traversent désormais, des zones économiques s'y sont greffées, etc. Les politiques de la ville n'y sont plus nécessairement en vigueur. A contrario, des solutions peuvent être apportées à la périphérie immédiate de la ZUS. Or, dans la mesure où le découpage de périmètre de l'INSEE est marqué par la discontinuité urbaine, les interventions hors périmètre, même proches, ne disposent pas des moyens affectés à la politique de la ville. Disposez-vous de retours précis et d'exemples sur cette question ? Par ailleurs, il existe cinq critères de définition d'une ZUS : faut-il les faire évoluer ?
S'agissant du recoupement de vos observations nationales avec les évaluations locales, vous avez rappelé que les communes ont obligation de délibérer chaque année en conseil municipal sur les ZUS, ce que peu d'acteurs font effectivement. Cette obligation étant récente, elle se banalisera peut-être au fil du temps. En outre, les représentants de l'Etat n'ont peut-être pas suffisamment insisté sur ce point. Quoi qu'il en soit, certaines communes, en intercommunalité, ont mis en place des systèmes d'évaluation allant au-delà de ces obligations, et ce depuis plusieurs années. Ainsi, ces communes ont, depuis 4 ou 5 ans, recours à des prestataires extérieurs qui, chaque année, posent les mêmes questions sur un panel identique pour mesurer la perception que les habitants du territoire ont de son évolution. Disposez-vous de ces travaux qui sont tout à fait dignes d'intérêt ?
Quid de la diffusion de vos observations et de leur utilisation, notamment en interministérialité ? Avez-vous le sentiment que s'échafaudent, à partir de vos observations, des politiques territoriales dans les différents ministères ? Le chapitre sur l'éducation est en effet très révélateur des disparités : différentiels de taux de réussite scolaire, absence de filières d'excellence dans les collèges de ZEP, etc.
Enfin, par rapport à la géolocalisation des crédits, pouvez-vous différencier les crédits de droit commun et l'apport spécifique de la politique de la ville ? J'ai moi-même été adjoint à la politique de la ville et j'ai pu constater que, dès que vous souhaitez mettre en oeuvre un projet de droit commun dans ces quartiers, il vous est objecté, dans le cadre des arbitrages municipaux, que ces dispositifs relèvent de la politique de la ville. Or il s'agit souvent d'investissements de droit commun qui sont labellisés « politique de la ville » pour y inclure une dimension prioritaire. Vous avez indiqué que votre mission, définie par Jean-Louis Borloo, était de mesurer le retour de ces quartiers dans la République. Tentez-vous également de mesurer le retour de la République dans ces quartiers ?
Mme Marie-France BEAUFILS - Mes propos vont sans doute recouper ceux de Thierry Repentin. En ce qui concerne l'évolution du périmètre des ZUS, je constate en effet que la labellisation a mené à la constitution d'espaces interlopes. En périphérie des zones correspondant aux indicateurs retenus, nous nous sommes aperçus de la nécessité d'intervenir, sans qu'une action labellisée ZUS ou ANRU puisse être enclenchée. J'ai lu la synthèse de votre rapport, que je n'ai en revanche pu lire de manière exhaustive. Avez-vous posé des jalons à la mise à jour de ces périmètres ?
En ce qui concerne les ZEP, vous avez rappelé le travail mené par l'INSEE. Dans votre synthèse, vous nous avez fourni quelques éléments sur le plan scolaire. Toutefois, j'estime que nous n'avons pas suffisamment mesuré l'impact des équipes éducatives dans les résultats obtenus. En effet, lorsque survient un changement d'équipe éducative, les résultats du travail accompli en direction des enfants s'en trouvent sensiblement modifiés J'aimerais donc que ce critère puisse être mieux apprécié. Je sais que cette réalité n'est pas aisément mesurable, notamment en ce qui concerne l'Education nationale, mais il me semble que nous devons la prendre en compte. Le fait que de jeunes enseignants sans expérience soient nommés dans des établissements en ZEP et, donc, placés dans une situation de fragilité extrême ne contribue pas à ce que nous avancions sur cette question de la scolarité.
Sur le volet Santé, je souhaite que les manques dont souffrent les zones urbaines sensibles soient davantage détaillés. Pendant des années, j'ai connu une offre de psychiatrie de secteur, qui s'est éteinte en raison d'un manque de moyens de la part du secteur hospitalier. De surcroît, les politiques ont parfois contrecarré les dispositifs existants, ce qui nous place désormais en situation de difficulté.
J'aimerais également savoir si vous avez envisagé d'observer les conséquences que le choix d'un médecin référent peut avoir sur les outils mis en place dans certains secteurs avec les centres de santé. Il me semble toutefois que ce sujet sera particulièrement difficile à traiter.
Dans votre observation, vous avez évoqué les habitants des ZUS qui sont venus s'y installer dans les années 1960 et y sont très attachés. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai pu souvent constater que ces personnes vivaient un véritable déchirement quand elles quittaient ces quartiers et qu'elles ne parvenaient pas à retrouver une qualité de vie identique ailleurs. En revanche, vous n'avez pas évoqué les populations entrant dans ces quartiers.
Je souhaite savoir si vous avez analysé comment s'effectuait la réservation préfectorale dans ces secteurs.
Par ailleurs, vous avez rappelé l'existence des zones franches et des installations d'entreprises. Il ressort que 69 % de ces entreprises n'ont pas de salariés. J'aimerais savoir s'il s'agit de créations ou de déplacements d'entreprises. Sont-ce des entreprises déficitaires venues s'installer en zone franche urbaine ?
J'aimerais que vous nous communiquiez des éléments permettant d'appréhender la manière dont les populations des quartiers réussissent à se faire embaucher en dehors des zones franches urbaines ? En effet, je ne suis pas convaincue qu'il faille maintenir l'activité professionnelle des habitants des quartiers sur leurs lieux de vie. Disposez-vous d'éléments vous permettant d'apprécier s'il s'agit d'un problème de mobilité ?
Enfin, j'ai demandé à la Commission que nous puissions avoir à notre disposition une étude plus fine de la nouvelle DSU et de sa pertinence pour les communes sur lesquelles se trouvent des ZUS.
Mme Bernadette MALGORN - En ce qui concerne le retour de la République dans ces quartiers, il conviendrait d'abord de mesurer si les crédits de droit commun s'y appliquent de la même manière qu'ailleurs. Or nous n'en avons pas la capacité exhaustive. Ici, il ne s'agit pas de comptabilité directe mais de reconstitution. Nous préconisons donc de profiter du passage au régime LOLF et au nouveau système d'information financière pour mesurer son impact dans la comptabilité budgétaire de l'Etat. Ainsi, nous saurons identifier que telle dépense de tel ministère, au titre des politiques de droit commun, a été exécutée au bénéfice d'une population d'une ZUS.
Vous avez rappelé les débats qui ont lieu dans les municipalités sur la labellisation de certains équipements de droit commun au titre de la politique de la ville alors qu'ils auraient pu s'inscrire dans une politique sportive ou culturelle. On observe le même type de débats au sein de l'Etat. En effet, nous souhaitons acquérir une certaine visibilité sur les dépenses de droit commun qui sont réalisées dans les territoires en faveur des ZUS. Nous souhaitons fortement que les Assemblées puissent s'approprier cette préconisation. Le problème serait alors résolu et, dans un scénario idéal, nous n'aurions plus besoin de mettre des observatoires en place. L'aide de l'Etat à destination des territoires figurerait dans les comptes rendus, les rapports annuels de performance, etc. De même, nous apprendrions ainsi que l'Education nationale intègre dans ses priorités la réduction des écarts entre élèves. Cette étape est évidemment loin d'être franchie.
En ce qui concerne la diffusion des observations, je ne participe pas au « concert interministériel ». En tant que représentante d'une autorité déconcentrée, j'ignore les processus selon lesquels les travaux relatifs aux lois qui ont suivi ont pris en compte les analyses de l'Observatoire.
En revanche, je peux affirmer que mes relations avec la Délégation interministérielle à la ville et les ministres responsables ou leurs cabinets sont excellentes. Par exemple, j'ai pu informer Madame Vautrin de l'évolution de nos travaux et présenter le rapport avant même qu'il ne soit publié.
J'ai indiqué dans l'avant-propos, en mon nom propre et non en celui de l'Observatoire, que les observations effectuées nous permettent de préconiser une révision de la géographie prioritaire : « Tout ceci invite à engager la réflexion sur la pertinence actuelle de la géographie des ZUS, afin que les politiques publiques soient concentrées sur les territoires aujourd'hui prioritaires ».
Marie-France Beaufils évoquait la nécessité d'élargir le périmètre des ZUS. De mon point de vue, il s'agit davantage de mettre en oeuvre une différenciation, et, dans certains cas, une certaine concentration. Par ailleurs, une moindre rigueur s'impose dans l'application de la notion de zone franche. En tout état de cause, notre zonage actuel est trop contrasté.
Je reviens sur la relation entre échelon communal, infra-communal et agglomération. Certes, il est nécessaire de mettre en place par décret des définitions juridiques qui sont génératrices de droits et d'exonérations, mais, à mon avis, la géographie prioritaire de la politique de la ville pourrait être plus contractuelle. Ainsi, des dispositifs de sortie pour les zones qui se sont améliorées seraient instaurés. Par exemple, la construction de grandes infrastructures peut radicalement modifier la physionomie d'un quartier. Des évolutions socio-économiques peuvent aussi s'y produire ; a contrario, des dégradations peuvent survenir sur d'autres zones. La nouvelle contractualisation pourrait donc à la fois porter sur le quartier, la ville et l'agglomération. Enfin, elle inclurait la possibilité d'interventions différenciées. D'ailleurs, nous avons pu constater que des conventions pouvaient également être conclues sur des territoires non identifiés a priori comme prioritaires au titre de l'ANRU : cette disposition est incluse au sein de l'article 6 du 1 er août 2003.
Mme Marie-France BEAUFILS - Dans la nouvelle mouture du texte, actuellement en discussion, les critères se rigidifient.
Mme Bernadette MALGORN - La définition des ZUS ne doit pas être trop extensive. L'Observatoire ne s'est pas prononcé sur cette question, bien que des discussions aient eu lieu. De mon point de vue, il conviendrait de mettre en place une plus grande concentration sur un noyau dur difficile et d'introduire davantage de souplesse dans la contractualisation. Ainsi, l'Etat et les collectivités pourraient afficher leurs intentions sur les actions de droit commun par rapport aux quartiers relevant de la politique de la ville. Puis ils pourraient ouvrir une fenêtre sur d'autres politiques qui pourraient être mises en place ensemble mais sous une autre forme. Ces nouvelles procédures permettraient de s'extraire de la rigueur excessive du découpage.
Il existe de nombreux recoupements entre nos travaux et les évaluations locales, même si cette réalité reste hétérogène. Plusieurs enquêtes ont été menées sur les ressentis des habitants des ZUS ; par exemple, une étude sur le sentiment d'insécurité vient compléter les données empiriques dont nous disposons.
En ce qui concerne les évaluations locales, la DIV, à laquelle l'Observatoire est intégré, entretient des relations avec les différents réseaux (réseaux interrégionaux, entre villes, etc.) qui existent. Nous bénéficions donc d'une remontée d'informations par le biais de ces évaluations. Néanmoins, dans la mesure où nous ne disposons pas d'un cahier des charges unique, les comparaisons deviennent délicates. Nous possédons le matériau, mais non la grille nous permettant de l'ordonner. Or je souhaiterais que l'Observatoire puisse effectuer ce travail.
Sur les questions de santé, les analyses menées restent insuffisantes. Non seulement les exigences portées par l'annexe de la loi étaient très peu ambitieuses, mais nous ne sommes même pas en capacité de les satisfaire. En effet, il convient de rappeler que le terme « établissement de santé » est plutôt extensif. De plus, nous utilisons le fichier SIRET de l'INSEE. Or il serait plus significatif de mesurer l'accès aux soins, ce que nous espérons pouvoir fournir pour 2006, avec l'aide des Caisses de Sécurité Sociale.
Je ne peux pas vous répondre sur l'impact de la mise en place du médecin référent, les centres de santé, etc. Pour autant, j'estime que ces préoccupations sont totalement légitimes.
Pour revenir sur vos propos sur la psychiatrie, je ne suis pas sûre que la problématique diffère entre une ZUS et toute autre zone. La proportion de personnes fragilisées est probablement supérieure dans les ZUS, d'où des besoins accrus en termes de soins psychiatriques. Pour autant, cette nécessité n'est pas spécifique à ces zones ; par exemple, des phénomènes de toxicomanie, qui relèvent de ce type de soins, existent en Bretagne. De mon point de vue, cette question prouve que les ZUS ne sont qu'un miroir grossissant des difficultés rencontrées par la société française. En tout état de cause, nous ne disposons que de données limitées sur les soins psychiatriques.
Pour répondre à l'interrogation de Mme Marie-France Beaufils, il existe des populations entrantes dans les zones sensibles. Mais le chapitre sur la mobilité résidentielle précise bien que le contexte global est celui de la décroissance sensible de la population : en effet, les entrants, qui correspondent aux populations les plus défavorisées, ne compensent pas les sortants. Somme toute, il semble que ces quartiers jouent un rôle de sas. Les politiques appliquées, qui permettent de sortir de ces ZUS, semblent donc revêtir une certaine efficacité. Je conserve toutefois une certaine prudence par rapport à ce constat.
Quant aux statistiques sur les entreprises, il me semble que nous sommes dans une situation statique comparative : nos données recensent des stocks. La manière dont nous pourrions faciliter l'embauche des habitants des ZUS dans d'autres quartiers pose question. L'objectif affiché dans ce domaine vise à ce qu'environ un tiers des habitants de ces zones occupent un poste dans les entreprises de quartier. Cependant, nous devons aussi nous occuper de ceux qui devront trouver un emploi par ailleurs.
Nous avons fait figurer dans le rapport 2005 une étude de la DARES (Ministère des Affaires sociales) sur l'impact des politiques de l'emploi. Par ce biais, nous disposons du taux d'accès des populations issues des ZUS aux mesures de la politique de l'emploi. Les résultats prouvent qu'un certain volontarisme est envisageable et qu'il peut être synonyme d'efficacité. Le service public pour l'emploi peut s'avérer volontariste sur les mesures portant sur l'emploi non marchand. En revanche, ce volontarisme rencontre plus rapidement ses limites s'agissant des mesures qui visent à favoriser l'emploi dans le secteur marchand. Ainsi, le CES fonctionne bien, contrairement au CIE, dont les résultats restent mitigés. En effet, l'efficacité de cette dernière mesure dépend de l'accueil que les entreprises lui réservent.
Mme Marie-France Beaufils a émis la demande qu'une étude plus fine de la nouvelle DSU soit réalisée. Le dernier chapitre, sur l'observation locale, s'achève sur cette question. En effet, nous observons que les collectivités locales auront obligation de rédiger deux types de rapports : l'un au titre de la loi du 1 er août 2003 sur l'évolution de leurs zones urbaines sensibles, l'autre au titre de la loi de 2005 portant réforme de la DSU sur l'emploi de la DSUCS. Il semblerait que l'un de ces rapports soit émis au moment de l'établissement des comptes administratifs, l'autre lors du débat d'orientation budgétaire. Nous suggérons, si possible, de fusionner ces deux rapports. Quoi qu'il en soit, j'appelle de mes voeux l'accomplissement de ces obligations.
Mme Dominique VOYNET - Je souhaite poser quelques questions sur l'Observatoire, et recueillir votre avis sur quelques questions, qui peuvent faire appel à votre expérience en tant que préfet.
En premier lieu, il me semble essentiel de désigner correctement les réalités. J'aimerais que vous me donniez votre avis sur la manière dont sont qualifiées les « zones urbaines sensibles ». En effet, il me semble que le terme « sensible » est ambivalent : la zone est-elle sensible parce que préoccupante du point de vue de la dégradation de la situation de ses acteurs et du territoire, ou sensible parce que qu'inquiétante, donc menaçante ? Le terme de « quartier en difficulté », retenu dans le cadre de notre mission, n'est-il pas mieux adapté à la diversité de ces zones ? Pour les populations de ces quartiers et les élus de ces communes, ne vous semble-t-il pas que le fait de changer cette dénomination de ZUS pourrait être accueilli comme un message ?
Par ailleurs, j'aimerais savoir si l'Observatoire envisage de travailler sur la question des femmes, notamment au regard des difficultés spécifiques dont elles sont victimes en matière d'emploi, de violence et de santé. Dans notre mission, la question des femmes n'est évoquée qu'en termes de santé publique, puisque les objectifs de la politique en direction des ZUS en matière de santé invitent à insister particulièrement sur les populations étrangères et les femmes. Lors des violences de l'automne, nous avons pu entendre de nombreux témoignages de femmes faisant état de leur désorientation. Il me semble donc primordial d'appréhender les conditions de travail de ces femmes, surtout lorsqu'elles sont seules avec des enfants. Je rappelle que nous venons d'adopter, à l'initiative des sénateurs, une proposition de loi pour réprimer les violences conjugales. Plus généralement, il me semble essentiel de pouvoir appréhender des réalités telles que le mariage forcé, les viols et les violences exercés sur les femmes. Ces violences revêtent-elles une spécificité dans ces quartiers ?
Je voulais insister à nouveau sur la nécessité de dissocier ce qui relève des crédits de droit commun et de la politique de la ville. Souvent, les dépenses doivent être de nouveau affectées : en conséquence, les politiques conventionnelles sont labellisées a posteriori « politiques de la ville ». Par exemple, ce qui relève de l'animation culturelle est souvent, dans les municipalités, requalifié pour donner une certaine consistance à des rapports parfois décevants. Il s'agit également de pointer le phénomène inverse. Dans un contexte de rigueur budgétaire, il s'avère quelquefois difficile de financer des actions qui devraient l'être par des crédits de droit commun. Il devient donc nécessaire de trouver des subterfuges, qui confinent d'ailleurs au détournement. Ne serait-il pas intéressant de se doter d'outils permettant d'apprécier ce phénomène ?
Vous avez suggéré d'inventer des dispositifs de transition afin de permettre une éventuelle sortie de la politique de la ville. Cette proposition me semble relever d'une analyse particulièrement fine de la situation. A votre avis, convient-il de concentrer les efforts et les moyens sur les territoires, les populations, les établissements scolaires les plus en difficulté, au risque d'inventer des dispositifs de transition qui ne soient pas à la hauteur des enjeux, ou est-il préférable d'adopter une approche plus globale et de définir la coopération collective ? Il semble en effet légitime d'hésiter entre la tentation de cibler les efforts afin de mesurer rapidement leurs effets et celle d'éviter les effets de périmètre et, donc, les fractures entre les territoires.
Enfin, je souhaite poser une question relative au retrait des informations concernant l'origine ethnique des personnes. Pensez-vous que cette procédure pourrait fournir des éléments d'information importants ?
M. Yves DAUGE - Je trouve votre travail nécessaire et remarquable, même si j'en mesure les limites.
La difficulté de l'exercice a trait, me semble-t-il, à la question de fond suivante : il existe un important décalage entre notre système institutionnel et notre capacité d'action sur un domaine mal observé et compris, très transversal, et qui appelle des modalités d'intervention spécifiques de la part des services de l'administration centrale, des services déconcentrés et des collectivités locales. Or nous ne parvenons pas à remettre notre système en cause. Qu'en pensez-vous ?
J'imagine qu'en tant que préfet, vous mesurez, au niveau local, l'extrême difficulté de l'Etat à parvenir à cette transversalité, à améliorer la capacité d'intervention et la réactivité de ses services. Ainsi, la DDE, les DDASS, les services de préfecture, etc. éprouvent des difficultés croissantes à faire face à ces situations délicates. Au niveau des collectivités locales, le problème est identique. J'attends beaucoup de la montée en puissance des agglomérations. Mais, outre les maires, il existe aussi les services de la CAF, de l'INSEE, des offices HLM, etc. Chacun de ces organismes travaille dans son domaine. Cependant, nous pouvons, par exemple, nous interroger sur la capacité de l'INSEE à répondre aux questions précises que nous lui posons. En ce qui concerne la CAF, les données dont nous disposons datent de 1999. Il s'agit là, en somme, de la question de la modernisation de notre système institutionnel. Je ne souhaite pas que celui-ci s'affaiblisse, mais se transforme radicalement.
En outre, environ 750 quartiers sont définis comme sensibles. A une époque, seuls 400 ou 500 zones de ce type étaient dénombrées. Il convient, de mon point de vue, d'examiner les critères de définition d'une ZUS : certains quartiers définis comme ZUS figurent indûment dans cette liste, tandis que d'autres devraient y être répertoriés et ne le sont pas. En tout état de cause, je suis d'accord avec Bernadette Malgorn lorsqu'elle affirme qu'il est impératif de concentrer l'effort sur certains quartiers préalablement re-ciblés.
Par exemple, je m'interroge sur le nombre de maîtres d'ouvrage qui officient à Mantes-la-Jolie. Je me demande également quelle est la politique de peuplement et de gestion de chacun d'entre eux. Il convient de préciser que le siège de nombreux opérateurs se situe à Paris, ce qui laisse planer des doutes sur leur implication dans ces questions. En effet, il s'agit d'entretenir les immeubles et de réparer les dégradations rapidement après qu'elles ont été commises. En effet, à défaut, un engrenage se met rapidement en place. Il est donc impératif de disposer d'une excellente capacité de réaction par rapport aux événements. Or ce n'est pas le cas, loin s'en faut.
Parfois, dans la petite ville dont je suis en charge, j'apprends a posteriori que tel ou tel événement, dont les conséquences sont catastrophiques, s'est produit. Personne ne m'informe du problème.
En dehors de ces zones très concentrées, où la capacité de réaction et d'investissement est insuffisante, il s'agit de définir un périmètre qui constitue une zone de transition. La définition d'une politique de droit commun est essentielle. Or ce périmètre revient vers le droit commun. En outre, il permet de cadrer des échanges réciproques : tout ce que la ville propose en termes de qualité de vie (culture, mixité, etc.) doit pouvoir y être polarisé. Je suis en total accord avec Bernadette Malgorn lorsqu'elle suggère que les ZUS soient strictement ciblées et que leur entourage puisse faire l'objet de contractualisations.
J'aimerais que votre observation attire davantage l'attention sur les quartiers au sein desquels la situation n'est pas préoccupante, comme à Dreux, par exemple. Par ailleurs, le cas de Marseille est intéressant à observer en ce qui concerne l'accompagnement culturel, social, et le réseau associatif. En effet, la structure associative y est très dense depuis de nombreuses années. Nous souhaiterions que l'Observatoire puisse approfondir cette question et nous indiquer les évolutions du maillage associatif dans tous les quartiers. Nous serions ainsi plus au clair sur les zones où la situation s'améliore et sur celles où elle se détériore. De fait, nous pourrions mieux appréhender les inquiétudes qui entourent le soutien du secteur public au monde associatif. En outre, il est intéressant d'observer la situation dans différentes ZUS. Cependant, encore faut-il expliquer pourquoi celle-ci reste préoccupante.
Je souhaite également revenir sur la question de l'emploi. La nécessité d'occuper les personnes, notamment les jeunes, en attendant que la croissance revienne a été pointée par les politiques. Ainsi, ces jeunes éviteront le désoeuvrement et tout ce qu'il implique. J'ajouterai que le retour de ces quartiers dans la République ne se fera que par le biais des jeunes, fiers d'être utiles. Or nos actions dans ce domaine sont insuffisantes. Les jeunes devraient être occupés, que cela soit dans le cadre d'un service civil, dans un quelconque contrat d'emploi, en formation, etc.
L'observation doit prendre en compte la hiérarchie des urgences. En effet, si nous voulons mettre en place des actions efficaces dans le cadre de la politique de la ville, nous ne pouvons pas suivre uniquement des indicateurs certes utiles mais qui ne concernent que le moyen ou long terme et délaisser ceux qui relèvent de questions pressantes.
En termes d'habitat, vous avez évoqué le fameux plan « banlieues 89 ». Comme vous le savez, Roland Castro n'a jamais préconisé de détruire les banlieues : son leitmotiv était de les embellir. Or, nous avons été confrontés, sous la responsabilité de l'Etat, à une politique de maîtres d'ouvrage qui se sont contentés d'un camouflage désastreux. En effet, nombre de bâtiments qui auraient nécessité une rénovation substantielle n'ont été que superficiellement traités. Ce travail a quasiment abouti à détériorer la situation. Certes, cette politique de pseudo réhabilitation a suscité des déceptions, mais je dénonce toute approche mettant en avant la démolition systématique. Or de nombreuses municipalités, qui sollicitent l'appui de l'ANRU, l'obtiennent à condition d'entreprendre des programmes de démolition. De mon point de vue, il s'agit là d'une solution simpliste : il est inadéquat de proposer pour résoudre un problème aussi complexe une entrée aussi radicale, dont les conséquences psychologiques et financières sont extrêmement lourdes.
Je souhaite donc qu'émerge une solution alternative sur la question de l'habitat, qui mette en avant une réelle requalification des bâtiments. Il me semble que cette solution serait moins traumatisante et onéreuse. Dans cette approche, je ne distingue évidemment pas habitat, urbanisme et environnement. Le vide conceptuel qui règne sur cette question m'inquiète passablement. Aussi, je souhaiterais que vos observations puissent rapidement se porter dessus.
Ouvrir une ligne budgétaire relève d'une opération particulièrement simple, que nous avons d'ailleurs effectuée au moment de la construction de ces quartiers. Ensuite, nous avons cherché les financements, des opérateurs parisiens, des maîtres d'ouvrage, sans que l'équation de sortie ne soit connue : en effet, nous ignorions quels types de logements seraient conçus et à qui ils seraient destinés. Il me semble que la situation actuelle n'a pas sensiblement évolué : une observation sur cette problématique nous permettrait d'éviter de commettre des erreurs. De même, nous nous garderions de privilégier, comme nous le faisons actuellement, des projets de court terme. Ce problème m'inquiète particulièrement.
M. Dominique BRAYE, président - Je précise qu'il existe 19 bailleurs à Mantes-la-Jolie. Depuis cinq ans, ce problème a été résolu par la mise en place de regroupements. Cette agglomération a d'ailleurs été l'une des seules à mettre en place une conférence intercommunale du logement, qui a débouché sur la signature d'une charte du logement par les élus et l'intégralité des bailleurs sociaux. Par ailleurs, il existe un Observatoire du logement social permettant d'arriver à un traitement très fin des demandes. Lorsqu'il s'agit de décliner ce niveau d'exigence en accord collectif départemental, les cas les plus lourds sont réétudiés par une Commission de coordination qui examine leur placement. Nous savons comme le mauvais entretien de chaque cage d'escalier peut constituer un sujet sensible et nous travaillons en tenant compte de tous ces paramètres. Il n'existe qu'un seul maître d'ouvrage : il s'agit d'un comité de pilotage qui regroupe la communauté d'agglomérations, les communes, un établissement public, etc. Nous recevons également une délégation du contingent préfectoral. Les décisions sont prises collectivement. En s'organisant, il reste donc possible de monter des projets, et de trouver des solutions en matière d'habitat et d'urbanisme. Nous y avons réfléchi et travaillé pendant cinq ans.
Mme Bernadette MALGORN - M. Pierre André a émis le souhait, que je partage, que nos travaux soient présentés de manière plus synthétique : ils répondront ainsi aux attentes des parlementaires. Par ailleurs, nous aimerions fournir des informations géographiquement identifiables. J'aurais espéré pouvoir structurer ainsi le rapport : une première partie de ce document aurait correspondu à l'observation des indicateurs définis par la loi et, en annexe, un tableau les aurait déclinés par ZUS, par agglomération et par région. Nous sommes encore très éloignés de ces objectifs, mais je partage votre souci. Nous avons donc décidé de faire figurer en première partie les indicateurs, en deuxième partie les études thématiques, et en troisième partie les manques que l'observation met en évidence. Cette troisième partie est essentielle : les manques peuvent être constitués d'éléments inobservables, mais aussi d'éléments que nous avons inconsciemment refusé de constater.
Pour répondre à Mme Dominique Voynet, nous nous sommes bien sûr posé la question sémantique qu'elle a soulevé. Il existe une série d'appellations (zones urbaines sensibles, zones franches urbaines...) qui se réfèrent à des catégories qui, d'ailleurs, se recoupent partiellement. En langage courant, il est question de quartiers en difficulté. Il est évident que les zones urbaines constituent un problème sensible. A ce titre, je rappelle que la politique de la ville est née à l'issue d'émeutes urbaines. Elle ne s'inscrit pas uniquement dans un ancrage socio-économique, comme l'harmonisation du développement territorial ou l'application des principes républicains, mais a été impulsée sous une certaine pression, qui, d'ailleurs, ne s'est pas éteinte depuis. Le caractère sensible, voire susceptible, d'une partie des populations de ces quartiers fait partie des éléments à prendre en compte dans la politique de la ville. La dimension psychologique, présente dans toute action politique, est ici exacerbée. Lors des émeutes de l'automne dernier, nous avons pu entendre dans les médias de nombreux témoignages de jeunes demandant du respect et de la considération, ce qui ne se mesure pas. L'appellation « sensible », retenue par la loi, ne me choque pas.
M. Dominique BRAYE, président - Nous connaissons tous, en particulier le médecin qu'est Dominique Voynet, la définition de l'hypersensibilité. Je trouve ce terme de « sensible » d'autant plus adéquat qu'il est polysémique. En effet, les zones sensibles réagissent plus rapidement et fortement aux stimuli externes. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les réactions de la communauté jeune dès lors qu'une atteinte est commise contre un des siens : en tant que responsables de secteurs à risque, nous l'avons souvent constaté. Un stimulus entraîne une réaction exacerbée par rapport à celle qui serait observée ailleurs. Je trouve donc le terme de sensible tout à fait adapté, dans la mesure où ses différentes significations correspondent à cette réalité et qu'il décrit bien ce processus de réaction. Enfin, il me semblerait vain de modifier ce terme, tous l'ayant désormais parfaitement à l'esprit.
Mme Bernadette MALGORN - La question peut se poser en termes de stigmatisation. Dans l'univers machiste des banlieues, considérer que la sensibilité puisse être une qualité et le faire entériner par les autorités républicaines me semble pertinent. De mon point de vue, avoir de la sensibilité, même si sa gestion peut poser problème, ne constitue pas un défaut : elle est à l'origine de toute poésie, création ou culture. Quoi qu'il en soit, ce terme n'entrave absolument pas l'Observatoire dans ses activités.
Le problème de la discrimination à l'encontre des femmes ne figure pas dans le rapport, ce qui répond aux dispositions légales. En effet, la loi ne prévoit aucun indicateur sur cette question. Or, comme nous l'avons mentionné lors des Assises de la ville, le seul indicateur que nous proposerions pour mesurer le bien-être ou le mal-être des banlieues, s'il fallait n'en garder qu'un, serait celui de la visibilité des femmes dans ces quartiers. Je rejoins vos préoccupations : la banlieue est effectivement le théâtre de phénomènes de machisme. Même si cette réalité ne figure pas dans les indicateurs, j'ai demandé que toutes les statistiques observées dans le rapport 2005 soient sexuées. Il s'agit là d'une obligation légale, mais elle est rarement appliquée.
Nous y sommes presque intégralement parvenus : les chiffres non sexués ne sont mentionnés que lorsque les autres n'étaient pas disponibles. Nous avons ainsi pu mieux analyser les différences en matière d'emploi : processus d'accès, capacité à valoriser le diplôme... Les phénomènes de discrimination ressortent également de ces statistiques. Les données dont nous disposons en matière de santé sont plutôt réduites. Elles s'étofferont grâce aux conventions mises en place avec les Caisses de Sécurité sociale. J'espère que ces données nous éclaireront et intégreront les différences hommes/femmes.
Par ailleurs, nous n'avons pas présenté l'étude sur la perception de la violence, qui est parue au moment où nous terminions notre rapport. Elle incluait une enquête de victimisation, qui fait apparaître un véritable fossé entre hommes et femmes. Ces éléments ne figurent pas dans le rapport par respect de la mission impartie par la loi. Toutefois, ils figurent en tête de nos préoccupations. Bien entendu, l'indicateur de visibilité des femmes dans les ZUS n'existe pas. Cependant, s'il fallait créer un indicateur synthétique de mesure de bien-être des banlieues, ce serait celui-ci.
Nous avons déjà évoqué la question des fonds alloués au droit commun ou à la politique de la ville. Il me semble que l'enjeu actuel réside dans le système d'information financière de la LOLF. Je souhaite que les Commissions des finances des assemblées parlementaires se mobilisent sur cette question. Si aucun changement ne se produit, il faudra mettre en place des appareils de recompte, procédure coûteuse et peu fiable. En revanche, si le système d'information financière de la LOLF est modifié, une traçabilité sur les fonds affectés au titre des politiques de droit commun ou des politiques de la ville sera garantie.
S'agissant de la concentration ou de la globalisation des politiques de la ville, ma réponse différerait selon que nous nous adressons aux collectivités locales ou à l'Etat. La mission des collectivités territoriales (communes, agglomérations en intercommunalité) consiste à s'occuper de manière homogène de l'ensemble de la population sur la globalité du territoire. Il s'agit de politiques territorialisées dans le cadre desquelles la collectivité locale dispose d'une responsabilité quasi exhaustive : en effet, certaines politiques, comme la politique sociale, sont du ressort du Conseil général. Ce découpage des responsabilités pose d'ailleurs question : pourquoi les services sociaux présents dans les quartiers relevant de la politique de la ville ne dépendent pas du Conseil général ? Pourquoi un étranger ayant obtenu un statut de réfugié devrait continuer à être suivi par les services spécifiques de l'Etat, et non rentrer dans le droit commun du Conseil général ? Les politiques de formation sont encadrées par le Conseil régional. Hormis ces quelques exceptions, nous nous situons dans un dialogue entre collectivité locale et Etat.
D'après moi, la globalité de ces questions doit être embrassée par la collectivité locale dans une optique d'intercommunalité : l'échelon communal ne peut assurer cette solidarité seule. L'Etat dispose de responsabilités sectorielles vis-à-vis de certaines politiques, comme celle de la sécurité ou de l'emploi, qui doivent viser la globalité de l'agglomération. Pour le reste, la concentration doit jouer en termes de politique de la ville.
L'origine ethnique des populations ne rentre pas dans des catégories administratives. La CNIL a d'ailleurs été saisie de cette question, ainsi que de celle des tailles d'échantillons statistiques faisant fluctuer la frontière entre visibilité et secret. En tout état de cause, il serait souhaitable que nous puissions identifier des personnes dont les parents étaient d'origine étrangère. Nous pourrions ainsi mesurer plus aisément les difficultés d'intégration culturelle et éventuellement linguistique. Cependant, nous ne pouvons pas effectuer ce distinguo dans tous les champs. Certains organismes HLM se sont fait semoncer pour avoir mentionné des informations qui, sans relever du racisme, n'étaient pas conformes à la réglementation en vigueur.
Je rappelle que les ZUS constituent un miroir déformant des difficultés de la société française, y compris en matière de réforme de l'Etat. Nous pourrions d'ailleurs entreprendre des exercices de réforme de l'Etat en partant des ZUS, sans les mener de manière dissociée par rapport aux exercices généraux. Néanmoins, une telle démarche ne ferait que les compliquer sans qu'aucune réforme ne s'ensuive. L'Etat, du fait de la décentralisation et des privatisations, va devoir modifier son organisation. Sa fonction relève d'ailleurs aujourd'hui plus du maître d'ouvrage que du maître d'oeuvre. Il ne peut pas impulser toutes les initiatives à tous les niveaux. Il est donc nécessaire de recenser ce qui peut être accompli à chaque échelon. Ainsi, les grands équilibres, orientations et objectifs sont définis au niveau national. Au plan régional intervient ensuite leur déclinaison au niveau de l'adaptation au territoire, ce qui nécessite de conserver l'échelon régional dans la mise en oeuvre de la politique de la ville. Ce niveau, potentiellement primordial en termes d'évaluation et d'observation de l'emploi des fonds de droit commun, comme en dispose la LOLF, s'était, semble-t-il, quelque peu « incliné » pendant un temps ; la politique de la ville était alors devenue trop localiste. Il s'agit enfin de l'échelon d'action d'accompagnement, qui vise à inclure une évaluation sur toutes les initiatives mises en place : adultes-relais, comités de l'Etat, etc. Certaines de ces actions ont déjà fait leurs preuves, d'autres moins. L'Observatoire en fait état dans son analyse des dispositifs spécifiques de la politique de la ville. Il s'agit peut-être de rénover les moyens de la présence de l'Etat.
Cette question rejoint celle des associations. En effet, lors des événements d'automne, celles-ci se sont plaintes des baisses de subventions dont elles ont fait l'objet. Toutefois, il n'est pas conforme à l'esprit républicain d'acheter la paix sociale avec des subventions. Sur cette question de la diminution des subventions aux associations, la DSU a été mise en place. Par ailleurs, la décentralisation s'est produite, et des orientations nous ont été fournies par les services gouvernementaux et les ministères. Elles indiquaient en substance que la politique de la ville était avant tout l'affaire des élus et que l'Etat intervenait en accompagnement. L'Etat assurait toujours une présence importante dans les quartiers, mais sa forme de présence était substantiellement modifiée, notamment par le biais de la décentralisation. L'Etat venait donc désormais plus en appui des élus qu'en lien direct avec les acteurs de base. Les événements de l'automne ont conduit le gouvernement à changer de position. Il a alors conclu à la nécessité d'une présence visible de l'Etat au niveau local, sans toutefois remettre en cause les prérogatives et responsabilités des élus locaux.
De leur côté, les associations constituent un tissu territorial indispensable. A ce titre, l'expérience de Marseille, évoquée par Yves Dauge, est très parlante. Même si l'Etat doit en revenir à une relation plus directe avec elles, il n'est pas question de compenser des subventions qui n'auraient pas été obtenues par ailleurs. Collectivités et Etat doivent donc cibler précisément, dans leurs relations avec les associations, leurs objectifs prioritaires et responsabilités.
En 2003, j'ai commandité dans ma région une analyse sur les actions financées par les crédits de la politique de la ville dans le cadre des contrats de ville. Cette étude portait également sur la répartition des crédits par rapport aux objectifs affichés par l'Etat dans les contrats de ville. J'ai constaté que la majorité des crédits n'avaient pas été affectés aux objectifs prioritaires, et j'ai demandé qu'un redressement soit opéré.
Il est nécessaire d'entretenir des relations avec de nombreuses associations locales et de les subventionner. Cependant, un affichage des objectifs reste, dans ce cadre, primordial. Nous concluons ainsi des contrats incluant des demandes aux associations, mais nous ne les instrumentalisons pas.
L'ANRU s'est engagé à nous fournir une série de données qui devraient en principe figurer dans le rapport 2006.
M. Thierry REPENTIN - Je souhaite poser deux questions. Dans nos attributions, figurent l'établissement d'un bilan et la mise en évidence de perspectives. Dans cette perspective, il est donc impératif d'analyser les échecs et réussites.
Vous semble-t-il possible et pertinent d'éditer des fiches individuelles ou territoriales des événements de novembre 2005 ? Disposez-vous d'explications de ce qui s'est passé à Clichy ? Les indicateurs dont vous avez pu prendre connaissance vous permettent-ils de comprendre la répartition géographique des émeutes ? Il serait intéressant d'extraire 15 ou 20 fiches de collectivités locales où ont eu lieu des émeutes urbaines et de les comparer à la moyenne de l'Observatoire national des ZUS. Ainsi, nous pourrions examiner si certains indicateurs auraient pu permettre d'anticiper cette crise.
Par ailleurs, je souhaiterais savoir si l'Observatoire a relevé d'évidentes carences en termes de politiques publiques. Nous devons programmer un certain nombre d'auditions. Vous incitez-nous à auditionner tel ou tel acteur qui serait amené à jouer un rôle croissant en termes de politique de la ville ?
Mme Bernadette MALGORN - En février, lors de la première réunion du Conseil d'orientation de l'Observatoire après les événements de l'automne, j'ai posé la question que vous venez de m'adresser. Je n'ai pas obtenu grand succès. Cette instance se compose essentiellement de représentants de ministères qui sont missionnés par leur administration et disposent de nombreuses données. Il s'agit donc de membres dont la présence est éminemment légitime au sein de l'Observatoire. Cependant, ils doivent dissocier leur position officielle et leur ressenti personnel. Les acteurs de terrain ont, quant à eux, pu s'exprimer sur les carences en matière de politique de la ville.
Pour ma part, j'ai l'impression que nous pourrions notamment progresser sur le chapitre de l'éducation et de la solidarité.
Il existe certes un bâti, une organisation et une forme urbains qui sont à l'origine de nombreux projets. Ces programmes, qui se construisent sur le moyen et long terme, finiront par produire des effets de structure urbaine. En revanche, je pense que nous pourrions obtenir des effets rapides, mais aussi de long terme, par une prise en main des problèmes d'éducation et de scolarisation. A ce titre, les équipes de réussite éducative, mises en place par la précédente loi, constituent une démarche pertinente. Pour autant, elles ne sauraient à elles seules résoudre tous les problèmes qui se posent.
La difficulté que nous éprouvons à obtenir des informations sur cette question éducative est révélatrice d'un certain nombre de blocages. Cette question relève du Ministère de l'Education nationale et des Conseils généraux, au titre des collèges et de l'action éducative. Il ne relève pas de notre mission d'observer cette question, mais il serait très intéressant de le faire. Par exemple, nous pourrions examiner les actions menées depuis une vingtaine d'années en matière d'éducation en milieu ouvert. Ce genre de questions figure d'ailleurs au rang des priorités législatives. Ces thématiques ont fait l'objet d'une certaine désorganisation institutionnelle, au moment même où la situation s'aggravait objectivement et aurait mérité la mise en place de dispositifs spécifiques. L'éducation, scolaire ou non, constitue donc un des sujets sur lesquels nous disposons d'une importante marge de progression.
M. Dominique BRAYE, président - Pourquoi, malgré l'accent mis par tous les acteurs de terrain sur le problème de l'éducation et de la formation, en restons-nous au stade du discours ?
Mme Bernadette MALGORN - Mme Marie-France Beaufils a évoqué la problématique de la constitution des équipes éducatives. Comme vous le savez, les enseignants se sont saisis de ce genre de questions. Le système d'attribution des points, qui permet d'obtenir des affectations prioritaires, n'a pas été modifié malgré le développement simultané d'un discours prônant les vertus de la stabilité des équipes éducatives. J'ignore si ce sujet peut être abordé par le Ministère de l'Education et les syndicats représentatifs des enseignants. En tout état de cause, cette discussion serait souhaitable.
Mme Marie-France BEAUFILS - Il ne s'agit pas de l'unique question qui se pose. Dans un collège, des changements de direction (principal et principal adjoint) se produisent fréquemment au bout de trois ans de service, car le Ministère de l'Education nationale estime qu'il convient de reconstituer les équipes éducatives. Ces fonctionnaires sont donc invités à changer d'affectation, alors même qu'ils viennent de commencer à établir une relation solide avec les élèves et leurs familles. De mon point de vue, il faudrait que nous soyons plus attentifs à ce qui se passe sur les terrains et à ce que les acteurs en disent.
Mme Bernadette MALGORN - J'ai évoqué rapidement les aspects liés à la contractualisation des politiques de la ville, notamment avec les associations. Dans la future contractualisation, il conviendra de ne pas se focaliser moins sur des masses financières que sur la stabilisation des équipes pédagogiques. En effet, nous avons tout intérêt à contractualiser les modalités selon lesquelles l'Etat assure sa présence dans les quartiers.
M. Dominique BRAYE, président - Je laisse la parole à Monsieur le Rapporteur pour conclure ce riche débat, qui a déjà duré 2 heures 10 au lieu de l'heure impartie. Je tiens à vous remercier de la qualité des échanges que nous avons entretenus.
M. Pierre ANDRÉ, rapporteur - Madame la Présidente nous a rendu un service considérable en nous ouvrant une véritable mine de renseignements.
Je ne vais pas revenir sur les questions qui ont déjà été soulevées ; je partage les préoccupations qu'elles révèlent. Je souhaite toutefois rappeler que nous devrons impérativement mener une réflexion sur la géographie prioritaire des villes.
Il conviendra également de se pencher sur la question de la commune et de l'agglomération. Nous sommes nombreux à être convaincus du rôle prépondérant que doit jouer la communauté d'agglomérations. Toutefois, cette conviction se heurte fréquemment aux réalités du terrain : en effet, nombre de communes refusent de travailler dans ce cadre.
Je précise que les maires ne se sont pas toujours montrés extrêmement coopératifs pour communiquer un certain nombre d'informations à l'Observatoire, au préfet ou aux services de l'Etat. Un maire a même été mis en demeure de transmettre certains renseignements.
Nous devrions en tirer parti pour réfléchir aux indicateurs complémentaires que nous pourrions demander aux municipalités. Nous pourrions ainsi demander que nous soient fournies des données sur la base d'une dizaine d'indicateurs synthétiques.
Par ailleurs, il me semble que l'évolution de la DSU devrait faire partie de l'observation locale.
Dans les mois et les années qui viennent, la contractualisation deviendra une problématique essentielle en matière de politique de la ville. D'ici fin 2006 ou début 2007, il s'agira de se pencher sur cette question. Au sein de ces contrats de ville, qui d'ici là auront changé d'appellation, il conviendra de régler, voire de négocier entre les divers partenaires ce qui relève des politiques de droit commun ou des politiques spécifiques menées dans les quartiers. Bien entendu, ces politiques de droit commun devront être affirmées et ressenties avec force au sein des ZUS. Trop souvent, ces quartiers se heurtent à l'idée reçue selon laquelle ils n'auraient pas besoin de recourir aux crédits européens, d'Etat, de la région ou du département, dans la mesure où ils se situent en zone franche urbaine.
Je suis favorable à la contractualisation directe entre Etat et collectivités locales de base sur la thématique de la politique de la ville.
En outre, les associations doivent figurer au sein de nos observations, ce qui est très difficile, dans la mesure où nous devons impérativement conduire des études qualitatives pour mesurer l'impact du travail qu'elles mènent.
Je me suis rendu, à titre anonyme, à une demi-journée de travail de la DIV sur le problème des statistiques. Les statisticiens nous ont indiqué, en substance, que leur travail ne consistait pas à fournir des statistiques à des hommes politiques, ce qui m'a considérablement déplu, et ce sur quoi j'ai fortement réagi. En effet, ils partent du principe que les hommes politiques, contrairement à eux, passent. De plus, ils ont affirmé que les statistiques qu'ils nous fournissaient étaient mal utilisées. Ils estiment que les hommes politiques ne doivent pas mélanger les genres et se substituer aux statisticiens. Les statistiques ne peuvent servir une réforme et, selon eux, mettre en place un appareillage statistique sur les ZUS ne présente aucun intérêt en termes économiques et sociaux. Ces réticences m'amènent à douter de notre capacité à obtenir les renseignements pertinents et exhaustifs dont nous avons besoin.
Enfin, il est impératif que nous parvenions à définir 10 ou 15 indicateurs forts de suivi de l'évolution dans les quartiers en difficulté. Ainsi, notre capacité de réaction serait accrue ; par ailleurs, nous pourrions mieux mesurer l'impact de notre politique.
M. Dominique BRAYE, président - Merci, Monsieur le rapporteur. Merci Madame la Présidente. J'espère que cet excellent rapport sera fréquemment consulté lors de l'élaboration des politiques et que sa synthèse sera lue avec une grande attention.
Les observations ne sont utiles que dans la mesure où elles servent la réforme. Je souhaite que les moyens mis en place puissent être examinés au regard des critères et constats que l'Observatoire a pu établir.
Cet après-midi se dérouleront deux tables rondes. La première, prévue à 14 heures 15, réunira des représentants de communes qui viendront évoquer leurs réalisations en matière de politique de la ville : nous recevrons Jean-Marie Bockel, Président de l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), Bruno Bourg-Broc, Président de la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), et Claude Pernès, représentant de l'Association des maires de France (AMF). Puis, à 16 heures 30, nous entendrons des représentants de départements et régions, qui viendront exposer leur rôle et réalisations quant à la politique de la ville. Nous recevrons deux représentants de l'Association des départements de France (ADF) : Michel Berson, Secrétaire général, et François Scellier, ainsi que le Délégué général de l'Association des régions de France (ARF), François Langlois.
Je vous remercie.