VI. MANGEURS : CONSOMMATEURS ET CITOYENS

1. Manger est un acte vital

Si l'on ne mange pas, on meurt. Mais si l'on mange, on peut mourir quand même ou mettre sa santé en jeu. Chacun doit décider en permanence de la meilleure façon de se procurer sa nourriture et de composer son menu ou son régime. Dans la plupart des sociétés, la distance s'est accrue entre le produit naturel ou agricole et l'aliment qui est finalement consommé. Comme on le sait déjà, le consommateur final peut ne plus avoir aucune idée de l'origine physique de ce qu'il ingère. Ce qui va le guider dans ses préférences résulte de mécanismes très complexes, mais dépend fortement du coût qu'il aura à y mettre. Les conséquences de son choix se feront sentir sur ses capacités biologiques, sur ses capacités au travail ou sur sa qualité de vie. Quels sont les degrés de liberté dont dispose chaque mangeur ? Sont-ils les mêmes pour tous ? Quelle est la part de l'économie et celle de la biologie ? Ou celle de la culture et celle des règles sociales ? C'est ce qu'il nous faut comprendre, alors que nous consommons de moins en moins de produits bruts et de plus en plus de produits transformés. Nous ne sommes plus simplement des mangeurs ; nous payons pour nous nourrir. Nous sommes devenus des consommateurs, tandis que la part de l'alimentation dans la consommation totale régresse, en France, depuis une cinquantaine d'années. Et des consommateurs qui exigent qualité et sécurité pour cet acte social -se nourrir- devenu finalement extrêmement sophistiqué dans nos sociétés : le mangeur est aussi un citoyen. Les décisions concernant la manière de s'alimenter ne sont plus seulement personnelles et individuelles ; les modalités dépendent tout autant des mécanismes économiques et des règles collectives en vigueur dans une société données. Nous examinerons, pour la France principalement, les évolutions sur longue période et sur la période récente.

2. Aliments, calories, glucides, lipides, protéines

Vers 1780, la consommation alimentaire française était d'environ 1.750 calories par personne et par jour, principalement composée de céréales et de féculents pour 1.400 calories, la part des graisses et des sucres étant de l'ordre de 50 calories seulement. Le pic des céréales et féculents a été atteint vers 1890, alors que les consommations de sucres et graisses d'une part, et de produits animaux, fruits et légumes d'autre part, décollaient, le total s'élevant à 3.200 calories. A partir de cette date, la part des céréales et féculents a commencé à décroître fortement, la ration totale augmentant cependant jusqu'à 3.300 calories vers 1910. 50 ans plus tard, au début des années 60, le total de la ration était redescendu à 3.000 calories, dont : céréales et féculents : 1.100 ; produits animaux, fruits et légumes : 1.000 ; graisses et sucres : 900. De 1780 à 2000, la part des protéines a été d'environ 12 % dans la ration, tandis que la part des glucides passait de 70 % à 45 % et celle des lipides de 18 % à 45 % également.

Ces variations reflètent l'augmentation de la productivité dans l'agriculture et l'agroalimentaire, qui ont pu mettre à disposition de la population davantage de calories à un coût décroissant tout en diversifiant les sources alimentaires. Il en est résulté une augmentation de la taille et du poids des individus, en même temps que les maladies infectieuses diminuaient et que l'espérance de vie s'allongeait. Un cercle vertueux s'était amorcé : meilleure nutrition, meilleure santé, augmentation du « capital humain » et de la productivité du travail.

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