V. CONSTRUIRE LA GOUVERNANCE PAR LA TERRITORIALISATION ET LA CONTRACTUALISATION

Pour parvenir à remettre de la cohérence dans le système de formation, la construction d'une nouvelle gouvernance, plus efficace, apparaît comme une question fondamentale et prioritaire.

Les évolutions législatives et conventionnelles récentes qui ont été rappelées dans la première partie du présent rapport ont même renforcé l'acuité de cette question, comme l'a bien résumé Mme Françoise Bouygard, déléguée adjointe à l'emploi et à la formation professionnelle : « la gouvernance d'ensemble reste un objectif. La loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle, est passée au Parlement en même temps que la loi sur les responsabilités locales, sans véritable lien entre les deux. Nous avons également indiqué que l'accord des partenaires sociaux de 2003 accordait une place prééminente aux très nombreuses branches et négligeait l'organisation territoriale. Simultanément, les partenaires sociaux, dans le cadre des conventions d'assurance, mettaient également au point une politique de formation en direction des chômeurs indemnisés par l'assurance chômage, selon des logiques et des outils propres. Ceux-ci ne coïncident pas nécessairement avec les outils des conseils régionaux ou avec ceux des mêmes partenaires sociaux dans le cadre stricto sensu de la formation professionnelle continue. Il existe donc une question de gouvernance entre acteurs, conseils régionaux, partenaires sociaux et l'État, pour les compétences résiduelles lui restant. On note également un problème d'articulation entre des politiques ayant chacune ses propres logiques : les politiques de développement économique, du ressort des conseils régionaux, les politiques de formation professionnelle, relevant aussi des conseils régionaux, mais également des partenaires sociaux et des entreprises, et les politiques d'emploi et de lutte contre le chômage, de la responsabilité de l'État. Il reste un long chemin à parcourir sur ces sujets ».

Ce chemin, qui n'est pas aisé en effet, est celui de l'organisation d'une coordination entre les différents décideurs, au-delà de la simple logique des financements, selon l'analyse de M. Balmary, président du CNFPTLV : « si les textes expriment le désir que les partenaires sociaux et les conseils régionaux soient les principaux décideurs dans ce domaine, les circuits de financement, et surtout les financeurs, restent fourmillants et éclatés. Leur coordination et leur mise en cohérence n'ont pour l'instant pas atteint le niveau de stabilité souhaité ».

Des auditions auxquelles la mission a procédé, il ressort clairement que la gouvernance qui reste à bâtir doit permettre de réaliser une cohérence territoriale opérationnelle.

La mission partage pleinement l'idée avancée notamment par M. Jean Gaeremynck, délégué à l'emploi et à la formation professionnelle, selon laquelle l'enjeu territorial , et notamment régional, au sens géographique, est essentiel dans la pertinence, l'efficacité et la réponse des politiques d'emploi et de formation professionnelle par rapport à leurs objectifs.

Cette approche doit conduire à chercher à dépasser la notion traditionnelle de compétences, basées sur les logiques verticales, pour des logiques territoriales, fondées sur la proximité et l'intérêt des personnes concernées.

Au-delà, la mission s'est interrogée sur les modalités de la construction d'une telle gouvernance.

S'appuyant sur l'état des lieux précédemment dressé, la mission d'information considère que celle-ci doit être fondée sur le pilotage par la région des objectifs et des moyens et que de ce choix doit découler un nouveau type de partenariats entre les acteurs de notre système de formation professionnelle.

A. LA TERRITORIALISATION : DE LA VISION GLOBALE À L'ACTION LOCALE

La conviction des membres de la mission est que cette nouvelle gouvernance passe par une clarification des compétences respectives des acteurs centraux du système et par une approche concrète de la situation des personnes au regard des objectifs de leur formation.

A cet égard, trois niveaux distincts, mais complémentaires, sont à distinguer : l'État, la région et le bassin d'emploi.

1. L'État : l'équité du système

a) Une fonction régulatrice

Le fait de conserver à l'État son rôle de cadrage normatif sur les politiques d'emploi, de travail, de formation professionnelle ne fait pas débat.

L'accent doit désormais être mis davantage sur son rôle de garant de l'équité de ces politiques . Sur les quatre volets déterminants qui ont été distingués dans la première partie du présent rapport, à savoir l'accès à la formation et à l'emploi, l'appareil de formation et le financement, ce principe d'équité doit être fermement décliné et garanti par l'État.

Comme l'a suggéré M. Claude Thélot, conseiller-maître à la Cour des comptes, il est souhaitable que l'État « soit le garant de la qualité des formations sur l'ensemble du territoire en définissant des objectifs nationaux, spécialement en termes d'égalité de traitement, tout en trouvant un point d'équilibre entre le souci de proximité et l'exigence de lisibilité ».

Cette question recoupe celle des objectifs assignés au système, a précisé M. Claude Thélot : « il existe des énoncés généraux des finalités de la formation professionnelle, mais pas de véritables définitions d'objectifs opérationnels et hiérarchisés ; il appartient aux partenaires sociaux, en lien avec les régions et l'État, d'engager une réflexion dans ce domaine. Cette réflexion devrait identifier, notamment, une priorité en faveur des moins qualifiés ».

L'objectif d'équité doit ainsi conduire à maintenir le rôle de l'État vis-à-vis des publics les plus défavorisés ou vulnérables . L'État peut légitimement conserver ses compétences vis-à-vis de publics « spécifiques » afin qu'il n'y ait pas d'exclus de la formation et garantir à tous, en quelque sorte, « un filet de sécurité ». L'État est ainsi dans son rôle lorsqu'il intervient, comme l'a rappelé M. Gérard Larcher lors de son audition, pour aider à trouver des solutions pour les demandeurs d'emploi non indemnisés ou les salariés victimes de mutations économiques.

L'intervention de l'État est aussi indispensable en cas d'atteinte à la personne et aux familles. A cet égard, il convient de saluer le rôle de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). On a rappelé, dans la première partie du rapport, les dérives sectaires constatées dans le secteur de la formation professionnelle. Il est évident que l'État ne peut laisser ce dossier entre les seules mains de la sphère civile ou associative, sachant de surcroît que la lutte contre les dérives sectaires est née d'une prise de conscience associative puis parlementaire et que l'État n'a fait que répondre à ces sollicitations.

L'équité doit également conduire l'État à veiller tout particulièrement à la bonne utilisation des fonds affectés au financement du système. Sur le financement public, c'est en particulier le rôle qui a été confié à la mission emploi et formation professionnelle du ministère de l'économie. Comme l'a rappelé sa responsable Mme Elisabeth Kahn, l'objectif du contrôle porte notamment sur la qualité du pilotage des organismes, c'est-à-dire sur la mesure de leur performance et de leur efficience en termes d'utilisation des fonds publics dont ils sont dépositaires, en cohérence avec la LOLF lorsque les organismes contrôlés sont financés sur crédits budgétaires.

Lors de son audition, M. Claude Thélot a rappelé, pour sa part, l'importance du contrôle spécifique exercé par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes dans un contexte marqué par la régionalisation : « Désormais, pour l'essentiel, la formation professionnelle est décentralisée. Ce sont donc les régions qui ont la main et qui, au travers des PRDFP, sont censées définir des stratégies de développement de la formation professionnelle. Il s'agit d'un des points qui sera contrôlé par la Cour des comptes et les chambres régionales au cours des deux prochaines années. Elles examineront quelles stratégies sont adoptées, en quoi les stratégies des régions se distinguent. Elles étudieront l'intérêt d'une telle démarche, le lien de ces stratégies avec les besoins des régions et se demanderont si les besoins des régions constituent un axe de réflexion pertinent . Les régions pourraient en effet former des individus qui souhaitent travailler dans d'autres régions. La Cour des comptes et les chambres régionales se pencheront également sur la relation entre la stratégie que la région entend développer et la prospective des emplois et des besoins, sur l'existence de compétences en région pour mener une telle étude, et sur l'intérêt et la portée générale de la décentralisation . »

Enfin, dans le cadre du maintien de l'équité, l'État doit prévenir le risque que la régionalisation ne débouche sur des inégalités territoriales injustifiables.

Comme l'ont rappelé de nombreux intervenants, et notamment M. Gérard Larcher : « Il ne faudrait pas, par ailleurs, que des éléments d'inégalité territoriale se développent en raison de la décentralisation. »

A cet égard, le maintien du caractère national de l'AFPA n'apparaît pas infondé comme l'a exposé Mme Elisabeth Kahn : « pour répondre à votre interrogation sur les aspects nationaux et régionaux, je dirai que le fait que l'AFPA soit reconnue comme un organisme national constitue une forme de garantie, car structurellement, l'AFPA a l'obligation de veiller à l'optimisation de son appareil de formation sur le territoire, de veiller à ce que les stagiaires qui ne sont pas originaires de la région du centre auquel ils s'adressent soient traités à égalité avec les autres, et de mettre en place des mécanismes interrégionaux ou nationaux pour assurer cette égalité de traitement . L'AFPA ne sera pas nécessairement responsable de ces organismes, mais le simple fait qu'il s'agisse d'un organisme national fait d'elle un interlocuteur de cette harmonisation, qui, pour sa part, relève davantage d'une problématique politique que d'une problématique technique. »

M. Balmary, président du CNFPTLV, a aussi exprimé la crainte  d'un « localisme excessif » . Selon ce dernier, « il s'agit de préserver et d'accroître la cohérence du système et d'éviter un éclatement des responsabilités et des financements pouvant conduire à un localisme excessif. Les régions se sont saisies avec vigueur et dynamisme des questions de formation professionnelle... Cette appropriation très nette de la part des conseils régionaux de leurs responsabilités nouvellement étendues dans le domaine de la formation professionnelle ne doit pas les entraîner vers un enfermement à l'intérieur de leurs frontières, car il subsiste de fortes inégalités selon les régions. Certaines sont bien équipées, d'autres connaissent des déficits en matière de dispositifs de formation professionnelle. L'égalité d'accès à la formation professionnelle présente un visage géographique contrasté auquel nous devons prêter attention. »

Le maintien de l'équité sur l'ensemble du territoire ne peut revenir qu'à l'État, qui dispose à cet effet des instruments normatifs et de contrôle nécessaires.

Toutefois, au fil des auditions, les membres de la mission ont noté que cet objectif d'équité était pénalisé, en particulier, par le fractionnement excessif des compétences de formation entre un trop grand nombre de ministères, allant de celui en charge de l'économie et de l'emploi à l'éducation nationale en passant par le travail, l'intérieur, l'agriculture, ou le budget.

Afin de permettre une approche interministérielle cohérente de l'ensemble des enjeux de la formation, la mission d'information propose :


• de placer sous l'autorité du Premier ministre un secrétaire d'État ou un Haut Commissaire chargé de coordonner l'action des administrations compétentes en matière de formation professionnelle initiale et continue ;


• ou, le cas échéant, de désigner un ministère chef de file chargé d'assurer la coordination au plus haut niveau. Compte tenu du diagnostic établi, ce rôle pourrait revenir au ministère de l'éducation nationale, car son implication totale dans le système constitue, à la fois, le point de départ de la réforme du système et la condition sine qua non de sa réussite en particulier pour le développement de l'apprentissage.

Dans les Assemblées, on retrouve parallèlement la même dispersion des compétences entre les différentes commissions législatives intéressées (affaires sociales, affaires culturelles, finances, économiques, lois) .

Pour permettre une approche transversale, seule en mesure de prendre toute la dimension de ce vaste et complexe domaine, la mission suggère que soit rassemblée, par symétrie, au sein de la commission permanente chargée de l'éducation dans chaque Assemblée, la compétence sur l'ensemble des formations, qu'elles soient initiales ou continues, scolaires, universitaires ou professionnelles.

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