D. DES MESURES « TRANSVERSALES » INCONTOURNABLES
1. Créer un « Médiateur du livre »
Le rapport de la mission « Livre 2010 » propose d'instituer une « médiation du livre », instance souple de conciliation entre les principes de régulation définis par la loi de 1981 sur le prix du livre et leur sanction par les tribunaux.
Rappelons que, déjà en mai 2003, M. Francis Lamy, maître des requêtes au Conseil d'Etat, avançait ce type de proposition dans son rapport au ministre de la culture et de la communication - alors M. Jean-Jacques Aillagon - sur la mise en place d'une structure permanente de concertation et de médiation de l'économie du livre, chargée d'assurer une transparence accrue des relations commerciales et de garantir les équilibres visés par la loi de 1981.
Selon lui, « une instance spécialisée chargée d'une fonction de conciliation des litiges commerciaux et de veiller à la bonne application aussi bien de la loi du 10 août 1981 que des règles générales régissant les pratiques commerciales et la concurrence, pourrait être créée. Par commodité nous l'appellerons médiateur du livre. »
Il précisait ainsi les compétences d'une telle autorité : « Sa compétence devrait être largement définie : la conciliation des litiges portant sur l'application de la loi du 10 août 1981 ou ayant pour origine des pratiques commerciales estimées prohibées (par exemple l'abus de dépendance), ou des situations susceptibles de révéler des pratiques anticoncurrentielles (abus de dépendance économique, abus de position dominante, etc.). Sans que cette liste soit limitative, on peut penser, comme exemple de litiges, à des litiges portant sur la remise, sur les offices, sur le changement de niveau d'un libraire, sur le prix unique (même si ces litiges, maintenant beaucoup moins nombreux, ont pu être réglés de façon satisfaisante par les libraires), sur les relations entre un éditeur et son distributeur ou son diffuseur, entre un éditeur et des points de vente au sujet de la mise en place des ouvrages qu'il édite, sur les conditions dans lesquelles les ouvrages sont diffusés ou distribués, sur la définition de certains types d'ouvrages (respect du décret de 1985 sur les livres scolaires), la vente en ligne... »
En revanche, s'agissant des pouvoirs d'un tel médiateur, M. Francis Lamy estimait inadaptée la transposition des pouvoirs de décision du médiateur du cinéma ou d'autorités indépendantes telles que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l'Autorité de régulation des télécommunications (ARTE) -devenue Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)- ou la Commission de régulation de l'énergie (CRE), car ils sont étroitement liés aux enjeux des litiges. Pour ce qui concerne le cinéma, ceux-ci tiennent au pluralisme de l'offre, à l'accès à un réseau ou à un film . S'agissant du livre, les enjeux diffèrent : « ils sont purement commerciaux. La reconnaissance d'un tel pouvoir de décision, même pour corriger des situations non conformes à la loi ou aux usages commerciaux, porterait une atteinte excessive à la liberté contractuelle et à la liberté de la négociation commerciale. Elle serait aussi inopportune tant chaque relation commerciale obéit à des paramètres complexes. Enfin, intervenant au sujet de la remise commerciale l'injonction apparaîtrait comme un procédé administratif de contrôle des prix (ou plus exactement des marges), procédé appartenant à une époque révolue. »
C'est pourquoi Francis Lamy recommandait d'autres modes d'intervention du médiateur du livre, de deux sortes :
« En premier lieu, faire cesser des pratiques prohibées par la réglementation ou les usages de la profession par les autorités aujourd'hui d'ores et déjà compétentes.
Il pourrait, sous sa propre responsabilité et comme cela est reconnu généralement aux autorités administratives indépendantes intervenant dans un secteur économique particulier (CSA, ART, CRE, médiateur du cinéma), saisir le Conseil de la Concurrence d'une plainte lorsque seraient portés à sa connaissance des faits révélant une pratique anticoncurrentielle au sens des articles L. 420-1 (ententes) ou L. 420-2 (exploitation abusive d'une position dominante ou de l'état de dépendance économique d'une entreprise).
En second lieu, dans des situations autres que celles se caractérisant par des pratiques illégales, le médiateur du livre pourrait adresser aux parties une recommandation. Elle aurait notamment pour objet de proposer aux parties une solution équitable au litige et conforme à la loi de 1981. La partie (ou les parties) à qui elle s'adresserait, serait certes libre de ne pas la suivre. Elle serait toutefois tenue d'informer le médiateur des suites qu'elle envisagerait de lui donner. »
La mission « Livre 2010 » n'a, quant à elle, pas précisé les contours ni la nature exacte de cette fonction de médiation du livre. Compte tenu de l'absence de consensus des professionnels sur ce sujet, elle préconise une formule souple ne nécessitant pas l'adoption d'une disposition législative ou règlementaire, mais permettant la « définition empirique d'une Charte des bonnes pratiques ».
Votre commission ne tranchera pas ce débat. Elle partage en revanche ce souhait de voir mettre en place une médiation du livre , les litiges dans le secteur étant peu portés devant le Conseil de la concurrence ou les tribunaux pour des raisons diverses, compte tenu notamment des relations déséquilibrées entre les acteurs concernés.