B. UNE RÉGLEMENTATION DISCUTABLE

Le compromis s'est fait sur un système semi proportionnel reliant le seuil autorisé d'émission de CO 2 au poids du véhicule. Cet arbitrage n'est plus remis en cause. Le projet de règlementation reste toutefois éminemment discutable tant dans son principe que dans ses modalités.

1. Un projet discutable dans son principe

Sur un plan économique, le projet s'analyse comme une internalisation des coûts externes : faire supporter au détenteur d'un bien le coût qu'il va induire sur l'environnement. L'évolution générale de l'économie de l'environnement est fondée sur ce type de démarche : intégrer le coût environnemental dans le prix du marché (la « taxe Chirac » ou les contributions volontaires sur les billets d'avion ; le projet d'incorporer le « coût carbone » dans les transports de produits alimentaires, sont des exemples inspirés de la même démarche).

La logique de la présente proposition est parfaitement défendable, sous deux réserves.

Tout d'abord, dans la proposition, la prise en compte du coût externe se fait à l'occasion de l'achat du bien, et non de son usage. Le redevable est le détenteur du bien et non l'usager. Or, bien évidemment, c'est l'usage du véhicule et non sa seule détention qui a des effets sur l'environnement ! Une Porsche au garage dégagera toujours moins de CO 2 qu'une berline circulant régulièrement dans les embouteillages. Certains pays suggèrent une pénalité au kilomètre. D'une façon générale, le contrôle des émissions de CO 2 n'a de sens que s'il trouve sa place dans un plan d'ensemble sur l'usage et le trafic automobile.

Ensuite, la proposition ne présente qu'un volet répressif : la Commission impose des normes qui représentent aussi un coût pour l'industriel et l'industriel négligeant paye des pénalités. Le système est ainsi conçu que, quel que soit son choix, l'industriel est amené à supporter des coûts importants, soit en adaptant sa technologie, soit en payant des pénalités. La Commission se pose à la fois en donneur de leçon de bonnes pratiques environnementales (sans en assumer aucune des conséquences industrielles ou financières) et en censeur qui menace par des amendes considérables.

2. Une réglementation discutable qui repose sur une approche trop parcellaire

La réglementation présente un champ d'application étroit. Même responsable de plus de la moitié de l'ensemble des émissions de CO 2 - au moins en France -, les véhicules particuliers ne sont pas les seuls émetteurs de CO 2 du secteur routier. Les chiffres ont été donnés plus haut : les véhicules utilitaires légers (VUL) et les poids lourds représentent respectivement 16 % et 25 % des émissions totales de CO 2 du secteur des transports.

La réglementation européenne aurait eu plus de sens si elle avait trouvé sa place dans un plan d'ensemble de lutte contre les émissions de CO 2 du secteur routier. Ce n'est pas le cas.

La réglementation des pollutions émanant des poids lourds, bus et cars, et véhicules utilitaires légers reste embryonnaire. En vérité, le CO 2 n'est mesuré ni pour les poids lourds ni pour les véhicules utilitaires légers. Il faut distinguer les deux segments de marché.

Même si la place des poids lourds dans les émissions de CO 2 est importante et même croissante (le niveau moyen par véhicule, et le niveau total d'émissions dues au transport routier/poids lourds sont en augmentation constante : + 10 % pour le niveau moyen, + 25 % pour le niveau total en dix ans), il existe des raisons techniques à cette absence de réglementation. Les émissions de CO 2 dépendent de la charge transportée. C'est pourquoi, par exemple, le projet de norme Euro VI sur les poids lourds porte essentiellement sur les NOX et non sur le CO 2 . Les caractéristiques du transport routier restent des obstacles majeurs au contrôle des émissions de CO 2 des poids lourds.

En revanche, l'absence de réglementation des émissions sur les véhicules utilitaires légers n'est absolument pas justifiée. D'abord, parce que sur un plan technique, les moteurs des véhicules utilitaires légers et des véhicules particuliers ne sont pas fondamentalement différents. Le contrôle du CO 2 ne se fait pas aujourd'hui sur les véhicules utilitaires légers parce que la réglementation en vue de l'homologation des véhicules utilitaires légers ne le prévoit pas. Mais une mesure des émissions de CO 2 par kilomètre est, d'un point de vue technique, parfaitement possible ! Ensuite, il faut rappeler que, au moins en France, le montant total d'émissions de CO 2 émanant des véhicules utilitaires légers a plus que doublé en vingt ans (de 9,6 à 20 millions de tonnes entre 1985 et 2005), ce qui justifierait amplement une vigilance européenne.

Cette approche trop fragmentaire des émissions, limitée aux seuls véhicules particuliers, ne peut donner de résultats satisfaisants. La proposition de la Commission aurait gagné à être plus ambitieuse en prenant place dans un plan d'ensemble des émissions de CO 2 du secteur routier.

3. Une réglementation discutable dans ses modalités : l'échappatoire par des alliances artificielles

La proposition de règlement communautaire prévoit deux dispositions qui ne laissent pas de surprendre.

En premier lieu, on pourra s'interroger sur la disposition qui exonère les micro-producteurs produisant moins de 10 000 voitures par an . Les constructeurs britanniques sont souvent familiers de ces micro-niches. Rolls Royce avait été le prototype de ce marché de niche, mais est désormais au sein d'un grand groupe automobile et ne peut donc plus bénéficier de cette exemption. Mais certains constructeurs restent potentiellement visés par cette dérogation.

Exempter des contraintes environnementales les constructeurs de ce type de voitures ne manque pas de surprendre. La clientèle qui achète des voitures pratiquement fabriquées à l'unité devrait pouvoir supporter le surcoût environnemental d'une norme d'émission de CO 2 , fût-elle rigoureuse. La Commission ne peut justifier sa proposition en mettant en avant sa volonté de mettre fin au fractionnement et mettre en place des exceptions aussi contestables.

En second lieu, la proposition contient une disposition plutôt étonnante. L'article 5 dispose que « les constructeurs peuvent constituer des groupements afin de respecter (leurs) obligations ». Ainsi, la Commission se propose d'autoriser des alliances artificielles, de circonstance, entre constructeurs qui permettraient d'atteindre les objectifs d'émission. Un constructeur spécialisé dans des 4 x 4 ou des grosses cylindrées très polluantes pourrait s'allier à un constructeur spécialisé dans les petites voitures et échapper ainsi à toute pénalité. Les calculs se font alors en effet non par constructeur, mais par pool. Ainsi, un constructeur construisant 100 000 voitures dépassant le seuil autorisé de 100 g s'affranchit de toute pénalité en s'associant avec un constructeur vendant 2 millions de petites voitures. Une alliance de circonstance permet d'échapper à toute contrainte !

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