II. UNE PROHIBITION INÉGALEMENT PARTAGÉE : LES LEÇONS DU DROIT COMPARÉ

L'étude de législation comparée réalisée par le service des études juridiques du Sénat 33 ( * ) , à la demande de la commission des affaires sociales, les documents communiqués au groupe de travail par le ministère de la justice et les informations que lui a fournies Frédérique Granet, professeur de droit privé à l'université Robert Schuman de Strasbourg, directrice du centre de droit privé fondamental, montrent que la législation française n'est pas isolée mais que la maternité pour autrui ne fait pas non plus l'objet d'une interdiction universelle.

Depuis le début des années 1980, deux mouvements contradictoires et équilibrés peuvent être observés : certains Etats ont également opté pour une prohibition stricte de la maternité pour autrui, à l'instar de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Italie ou de la Suisse ; d'autres la tolèrent ou ont décidé de l'encadrer, comme la Belgique, les Pays-Bas, la Grèce, le Royaume-Uni ou encore Israël. Aux Etats-Unis et au Canada, les règles varient suivant les Etats fédérés ou les provinces.

A. UNE PRATIQUE INTERDITE DANS UNE MAJORITÉ D'ÉTATS

S'il est impossible de présenter l'ensemble des législations prohibant la maternité pour autrui, il est intéressant de relever que certaines d'entre elles sont récentes.

1. Les règles édictées en Allemagne, en Espagne, en Italie et en Suisse

Selon Frédérique Granet, une nette majorité d'Etats de l'Union européenne interdisent les conventions de maternité pour autrui. Il en va notamment ainsi en Allemagne, en Espagne, en Italie et en Suisse.

* L'Allemagne

En Allemagne, la prohibition de la maternité pour autrui résulte à la fois d'une loi sur la médiation en matière d'adoption de 1989, d'une loi de 1990 sur la protection de l'embryon et du code civil.

La loi sur la médiation en matière d'adoption de 1989 définit et interdit la maternité de substitution. Elle prohibe également la mise en relation d'une mère de substitution avec un couple demandeur et le fait de favoriser un tel rapprochement. Les intermédiaires sont passibles de un à trois ans de prison ; aucune peine n'est en revanche prévue ni pour les membres du couple demandeur, ni pour la mère de substitution.

La loi de 1990 sur la protection de l'embryon prohibe toute insémination artificielle ainsi que tout transfert d'embryon sur une femme prête à remettre à des tiers l'enfant à naître. L'interdiction est assortie d'une peine pouvant atteindre trois ans d'emprisonnement.

Enfin, une convention de gestation pour autrui est nulle au regard du code civil , car contraire aux bonnes moeurs.

S'il n'existe aucune donnée chiffrée, il semblerait que des couples allemands désirant recourir à une mère de substitution se rendent à l'étranger, notamment dans des pays d'Europe de l'Est.

En 2000, lors des consultations préparatoires à la rédaction du projet de loi sur la reproduction médicalement assistée, les associations de médecins concernées s'étaient prononcées en faveur d'une légalisation de la gestation pour autrui dans certains cas exceptionnels , comme la gestation par une femme de l'enfant de sa fille en cas de malformation congénitale des organes génitaux de cette dernière.

Les débats actuels portent toutefois davantage sur le don d'ovules, également interdit, que sur la gestation pour autrui.

* L'Espagne

En Espagne, l' interdiction de la maternité pour autrui a été posée par une loi du 22 novembre 1988 relative aux techniques de procréation médicalement assistée, et confirmée par la loi n°14 du 26 mai 2006 , aux termes de laquelle :

« 1 . Sera nul de plein droit le contrat par lequel est convenue la gestation, à titre onéreux ou gratuit, d'une femme qui renoncera à la filiation maternelle en faveur du cocontractant ou d'un tiers .

« 2 . La filiation des enfants nés à l'issue d'une maternité de substitution sera déterminée par l'accouchement .

« 3 . Le père biologique conserve la possibilité de revendiquer la paternité, conformément aux règles de droit commun. »

La maternité pour autrui est sanctionnée par une peine d'amende de 10 000 à 1 million d'euros et peut entraîner la fermeture du centre médical ou des services de procréation médicalement assistée qui y ont concouru.

Plusieurs membres de la Commission nationale pour la reproduction médicalement assistée ont affiché leur désaccord avec cette interdiction et préconisent l'ouverture légale de la gestation pour autrui aux femmes qui ne pourraient porter d'enfants pour des raisons physiologiques.

Pour la contourner, certains couples espagnols se rendraient à l'étranger, notamment en Amérique latine.

Selon les informations fournies par Frédérique Granet, dans le cas où l'acte de naissance étranger désignerait pour mère la femme commanditaire de l'enfant et non celle qui en est accouchée, sa transcription sur les registres de l'état civil espagnols serait possible. Cependant, la désignation de la mère pourrait donner lieu à une décision judiciaire de rectification sur la preuve de l'identité de la mère de naissance, l'accouchement constituant l'unique fondement légal de la maternité en dehors de l'adoption.

* L'Italie

En Italie, la législation en matière de procréation médicalement assistée est particulièrement restrictive : elle prohibe en effet non seulement la maternité pour autrui mais également le don de gamètes.

La loi n° 40 du 19 février 2004 sur la procréation médicalement assistée prohibe ainsi la pratique et l'organisation de toute forme de maternité de substitution, ainsi que toute publicité à cet effet . Les sanctions encourues sont une peine de trois mois à deux ans de réclusion et une amende de 600 000 à un million d'euros. Les médecins encourent quant à eux une suspension professionnelle d'un à trois ans.

Toute maternité pour autrui pratiquée sans recourir à l'assistance médicale à la procréation est indirectement prohibée par la loi sur l'adoption qui prévoit en effet une peine de prison, comprise entre un et trois ans, pour toute personne qui remettrait à un tiers un enfant en dehors des procédures officielles d'adoption.

Si la prohibition du don de gamètes est actuellement critiquée, celle de la maternité pour autrui ne semble guère susciter de débats.

* La Suisse

En Suisse, le don d'ovules, le don d'embryon et la maternité pour autrui sont interdits.

La prohibition de la maternité pour autrui résulte à la fois de la Constitution fédérale et de la loi fédérale du 18 décembre 1998 sur la procréation médicalement assistée :

- la première interdit « toutes les formes de maternité de substitution » par un article intitulé « Procréation médicalement assistée et génie génétique dans le domaine humain » ;

- la seconde, entrée en vigueur en 2001, prévoit des sanctions pénales à l'encontre de toute personne qui « applique une méthode de procréation médicalement assistée à une mère de substitution » ou qui « sert d'intermédiaire à une maternité de substitution ».

Certains couples se rendraient à l'étranger pour recourir aux services d'une mère de substitution. Les tribunaux suisses n'ont pas encore eu à se prononcer sur la filiation maternelle des enfants.

Comme en Italie, si la prohibition du don de gamètes est actuellement critiquée, celle de la maternité pour autrui ne semble guère susciter de débats.

2. Les règles édictées dans quelques Etats des Etats-Unis et au Québec

Aux Etats-Unis, la maternité pour autrui ne fait l'objet d'aucune législation fédérale, si bien que chaque État applique ses propres règles. La situation juridique y est parfois incertaine.

Au Canada, la loi fédérale du 29 mars 2004 sur la procréation assistée interdit la gestation pour autrui à titre onéreux mais autorise implicitement les contrats de gestation pour autrui à titre gratuit. Elle ne se prononce ni sur la validité du contrat de gestation pour autrui, ni sur la filiation, ces deux questions relevant de la compétence des provinces et territoires.

* Les règles applicables dans certains Etats des Etats-Unis

La maternité pour autrui est formellement prohibée dans plusieurs Etats des Etats-Unis.

Ainsi, les contrats ayant pour objet de l'organiser sont tenus pour nuls au Kentucky, dans l'Indiana, en Louisiane et dans le Nebraska.

Des sanctions pénales sont prévues en Arizona, dans l'Etat de New York, au Nouveau Mexique, dans l'Utah et dans le Michigan.

Dans le district de Columbia, la loi prévoit que « les conventions de mère porteuse sont interdites et inapplicables sur le district. Toute personne ou institution qui s'engagerait, ou induirait, arrangerait ou prendrait part à une convention de mère porteuse pour une somme, une compensation, une rémunération et violerait [la loi] pourrait être sujette à une amende n'excédant pas 10 000 dollars, à une peine d'emprisonnement d'un an, ou aux deux ».

* Les règles applicables au Québec

Au Québec , l'article 541 du code civil dispose que « toute convention par laquelle une femme s'engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d'autrui est nulle de nullité absolue . »

Dans la plupart des provinces, la situation juridique est incertaine du fait de l'absence de loi visant expressément le contrat de maternité pour autrui.

* 33 La gestation pour autrui - Etude de législation comparée n° 182 - 30 janvier 2008. http://www.senat.fr/noticerap/2007/lc182-notice.html

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