DEUXIÈME QUESTION : EXISTE-T-IL DES LIENS NÉGATIFS ENTRE DÉPENSES PUBLIQUES, CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET BIEN-ÊTRE ?

Cette question est envisagée, d'une part, dans une perspective de court terme et, d'autre part, d'un point de vue structurel .

- A court terme , la question est de savoir si une baisse des dépenses publiques exerce des effets favorables sur le rythme de croissance économique. Plusieurs arguments théoriques sont avancés en ce sens, mais les études statistiques n'en confirment généralement pas la validité empirique .

Sans doute peut-on relever l'existence de situations où une baisse importante et structurelle des dépenses publiques n'a pas provoqué de chute immédiate de l'activité économique mais, hormis que ces cas sont peu nombreux, l'absence d'effets négatifs sur la croissance a la plupart du temps tenu à des facteurs particuliers d'environnement (baisse des taux d'intérêt, commerce extérieur, ...).

Enfin, dans tous les pays où des réductions des dépenses publiques très fortes sont intervenues, les inégalités ont aussi fortement augmenté.

- Dans une perspective structurelle , l'idée que les dépenses publiques exerceraient des effets négatifs sur la croissance économique et le bien-être passe par deux arguments théoriques principaux et l'utilisation d'une série d'indicateurs couramment employés pour rendre compte des dépenses publiques (dans leur nature ou leur apport économique) ou pour mesurer le pouvoir d'achat.

Les arguments théoriques sont :

- l' impact a priori défavorable des dépenses publiques sur l'épargne, donc sur l'investissement et in fine sur la croissance économique ;

- leurs effets de distorsion , notamment du fait des incidences désincitatives liées à leurs propriétés redistributives.

Les indicateurs sont relatifs à l'appréciation :

- de l' investissement et des administrations publiques (la formation brute de capital fixe - FBCF - des administrations publiques, ou les crédits d'investissements) ;

- du pouvoir d'achat des ménages (le revenu disponible brut ; le « coin fiscalo-social ») ;

- des richesses créées (le produit intérieur brut - PIB).

I. LES ARGUMENTS THÉORIQUES SELON LESQUELS LES DÉPENSES PUBLIQUES RÉDUIRAIENT STRUCTURELLEMENT LE RYTHME DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE SONT INVÉRIFIABLES CONCRÈTEMENT

- L'argument de l'impact défavorable des dépenses publiques sur l'épargne et l'investissement peut être réfuté à partir de considérations, les unes empiriques, les autres théoriques.

La relation négative entre dépenses publiques et niveau de l'épargne n'est pas confirmée par les données empiriques.

DÉPENSES PUBLIQUES ET ÉPARGNE
DANS LES PRINCIPAUX PAYS DE L'OCDE - EN 2004

Dépenses publiques
(en % du PIB)

Épargne nette
des ménages
(en % du revenu disponible brut)

Épargne nationale
(en % du PIB)

Corée

28,1

4,7

34,8

Irlande

33,7

Nd

23,7

Australie

35,1

-3,2

19,8

États-Unis

36,4

1,8

13,0

Suisse

36,6

9,3

32,9**

Japon

37,3

3,1

26,4**

Espagne

38,8

11,1*

22,4

Nouvelle-Zélande

39,2

Nd

16,9

Canada

39,9

1,4

23,1

Royaume-Uni

44,0

4,3

14,8

Norvège

45,9

9,6

33,5

Portugal

46,4

10,1*

15,1

Pays-Bas

46,6

8,4

25,7

Allemagne

47,0

10,5

20,9

Italie

47,8

10,1

20,3

Grèce

49,2

Nd

15,7

Belgique

49,6

11,0*

23,5

Autriche

50,1

9,0

19,8

Finlande

51,2

2,7

24,3

France

53,7

11,8

19,1

Danemark

54,8

3,0*

22,5

Suède

56,7

8,5

22,8

* Épargne brute
** en 2003

En 2004, les États-Unis sont le pays où le taux d'épargne nationale est le plus faible (13 points de PIB, soit 6,1 Point de moins qu'en France) alors qu'ils appartiennent au groupe des pays où les dépenses publiques sont parmi les moins développées. La Suède où le ratio dépenses publiques/PIB excède de 21,6 points le même ratio en Australie, dispose d'une épargne nationale supérieure de 3 points.

Au demeurant, les liens entre le taux d'épargne d'un pays et son investissement ou le rythme de sa croissance économique sont loin d'être invariants.

TAUX D'ÉPARGNE, DÉPENSES PUBLIQUES ET CROISSANCE

Dépenses publiques
(en 2005)

Taux d'épargne net des ménages
(en 2005)

Taux d'épargne 1995 - 2005

Croissance sur 10 ans
1995 - 2005

États-Unis

34,8

- 0,4

15,5

3,3

Espagne

38,2

2,2

22,4

3,7

Japon

39,5

2,9

28,0

1,6

Royaume-Uni

44,0

- 0,2

15,7

2,8

Pays-Bas

45,4

6,5

26,7

2,6

Allemagne

46,8

10,6

20,3

1,3

Italie

48,1

10,6

21,0

1,3

France

53,5

11,8

20,0

1,9

Danemark

52,5

- 4,1

23,9

2,1

Suède

56,0

7,9

21,8

2,7

Source : OFCE

Entre 1995 et 2005, les États-Unis et le Royaume-Uni ont connu une forte croissance malgré un très bas taux d'épargne. Au Japon, le fort taux d'épargne n'a pas empêché une croissance économique languissante.

L'épargne nationale n'est pas toujours un déterminant de la croissance. Par exemple, la croissance du Royaume-Uni est économe en capital, celle des États-Unis est favorisée par un financement extérieur abondant.

Sous un angle plus théorique , les approches de la croissance économique conduisent de plus en plus à lier le rythme de la productivité globale des facteurs (PGF), variable déterminante pour le rythme de la croissance, à plusieurs catégories de grandeurs économiques, qui ont pour particularité essentielle de relever le plus souvent de financements publics (la recherche, l'éducation, la santé...), donc d'être relativement « intenses » en dépenses publiques.

Les dépenses publiques intervenant dans ces domaines sont considérées, dans la théorie de la croissance endogène , comme contribuant à l'augmentation du capital humain, qui est un facteur de production.

Sans doute, faut-il reconnaître que les études empiriques conduites pour vérifier cette théorie donnent des résultats contradictoires. Mais, les performances de croissance économique réalisées par des pays où le niveau des dépenses publiques correspondant à la production non marchande sont supérieures à la moyenne (les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark, le Canada) tendant à donner un certain poids à cette approche.

Au demeurant, elle inspire directement la fameuse « Stratégie de Lisbonne ».

Cela n'exempte pas de chercher à optimiser l'efficacité des dépenses publiques, mais cela invite à se départir de l'idée que les dépenses publiques sont, en elles-mêmes, contreproductives.

Le deuxième canal théorique de transmission négative des dépenses publiques sur la croissance viendrait de leurs propriétés désincitatives propres (c'est-à-dire sans considération de celles des impôts qui les financent). Sont particulièrement visées les dépenses sociales.

Cette approche n'est pas confirmée dans sa généralité.

Il faut d'abord rappeler ici que le niveau des dépenses publiques sociales ne détermine pas celui des dépenses sociales totales si bien qu'à supposer que les premières soient désincitatives, leur réduction pourrait être sans efficacité.

Par ailleurs, les indicateurs pertinents ne viennent pas étayer cette relation négative . Par exemple, le graphique ci-dessous qui croise, d'un côté, le niveau de la protection sociale publique et, de l'autre, l'écart entre la croissance observée et la croissance prévisible ne confirme pas l'existence d'une relation univoque entre ces grandeurs.

PERFORMANCE ÉCONOMIQUE 1 ET DÉPENSES PUBLIQUES DE PROTECTION SOCIALE

1 Écart entre le taux de croissance observé et le taux de croissance potentiel

Source : Revue de l'OFCE n° 104. Février 2008.

De même, les taux d'activité - qui mesurent la participation au marché du travail - ne sont pas corrélés avec le niveau des dépenses publiques sociales.

Ces constats ne doivent pas empêcher (au contraire) d'évaluer, sous un angle microéconomique, la portée de chaque mesure permettant de disposer de revenus en dehors de toute contribution à l'activité économique, ce qui implique des considérations plus riches que celles relatives à une seule composante incitative.

Il est, par exemple, sans doute important de mieux « activer » les dépenses relatives à la politique du marché du travail et de veiller à ce que les systèmes de pension ne découragent pas la poursuite de l'activité.

Mais, au total, rien ne vient étayer le constat que le niveau des dépenses publiques sociales réduirait en soi les opportunités de croissance.

On peut même renverser cette opinion :

- plusieurs dépenses sociales , en plus de réduire les risques de pauvreté, contribuent à entretenir le capital humain... (les dépenses de santé, les dépenses contribuant à lutter contre l'exclusion sociale qui implique aussi exclusion du marché du travail...),

- ... ou à le libérer (les dépenses de garde des enfants) ;

- la corrélation entre le niveau global des dépenses sociales (publiques et privées) et niveau de richesse est positive.

Enfin, dans une économie de plus en plus soumise à des chocs, le niveau des dépenses publiques sociales peut être déterminant pour les absorber dans des conditions sociales mais aussi économiques favorables (par exemple, la « flexisécurité » se traduit par un niveau comparativement élevé de dépenses publiques dans le domaine de la politique du marché du travail mais réduit les coûts d'ajustement économique).

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