III. DES DÉPENSES DE SANTÉ AUX PROPRIÉTÉS REDISTRIBUTIVES JUSTICIABLES DE JUGEMENTS CONTRADICTOIRES SELON LE POINT DE VUE

L'appréciation des propriétés redistributives des dépenses publiques de santé illustre les difficultés conceptuelles que présente l'analyse de la redistributivité des dépenses publiques non monétaires (les dépenses publiques qui financent non des transferts mais des biens et services collectifs)

Les dépenses collectives de santé ont pour objectif principal d'assurer une solidarité entre les bien-portants et les malades, soit une redistribution horizontale. Elles n'ont pas pour objet de réduire la dispersion des revenus ce qui est l'objectif des mécanismes de redistribution verticale.

Il reste que, dans les faits, la poursuite d'un objectif de solidarité horizontale peut s'accompagner d'une redistribution des revenus si, après les prestations versées par le système public, l'échelle des revenus est plus étroite que celle des revenus avant prestations.

Lorsque la dépense publique ne consiste pas en un transfert financier mais qu'elle finance un service public, dont, toutefois, la consommation peut être individualisée, il est possible de traduire cette dernière en un équivalent monétaire.

On peut rapporter celui-ci au revenu de chaque consommateur pour mesurer un revenu augmenté de la consommation des dépenses publiques 109 ( * ) . On dit que les dépenses publiques sont redistributives quand la hiérarchie des revenus ainsi augmentés est moins forte que la hiérarchie des revenus primaires 110 ( * ) .

Dans une telle conception, la distribution des consommations de dépenses publiques peut être inégalitaire et croissante avec le revenu sans, pour autant, que le bilan redistributif des dépenses publiques apparaisse négatif. En effet, il suffit que la hiérarchie des consommations de dépenses publiques soit moins ouverte que celle des revenus primaires pour que les dépenses publiques aient un effet redistributif. Cependant, c'est de façon encore plus évidente, que des dépenses publiques qui croissent quand le revenu diminue sont à l'origine d'un phénomène de redistribution.

S'agissant des dépenses de santé, elles apparaissent indéniablement redistributives , du moins sur le strict plan monétaire, puisqu'elles participent de ce dernier processus.

En outre, d'autres modalités d'appréciation de la redistributivité du système renforcent cette appréciation.

Toutefois, plusieurs données, moins globales, conduisent à nuancer le constat d'une redistributivité du système public de santé :

- qualitativement, la redistributivité est loin d'être assurée ;

- quantitativement, les « restes à charge » des patients sont dégressifs et viennent atténuer le constat de la redistributivité du système.

A. UNE REDISTRIBUTIVITÉ VERTICALE APPAREMMENT TRÈS NETTE

1. Une redistributivité monétaire

Les dépenses de santé des ménages ainsi que les remboursements dont ils bénéficient de la part des organismes d'assurance-maladie 111 ( * ) décroissent à mesure que le revenu augmente (tableau ci-après). Cette propriété manifeste l'existence d'une redistributivité monétaire verticale.

MONTANTS ANNUELS MOYENS PAR MÉNAGE DE DÉPENSES DE SOINS
ET DES REMBOURSEMENTS PERÇUS EN 2003

Sources : « L'assurance-maladie contribue-t-elle à redistribuer les revenus ? », Laurent Caussat, Sylvie Le Minez et Denis Raynaud. DREES, « Les dossiers solidarité et santé », n° 1, janvier-mars 2005.

Le montant annuel moyen des remboursements de soins s'élève à 5.453 euros par ménage appartenant aux 10 % les moins favorisés ; il est de 4.593 euros pour les 10 % situés en haut de l'échelle.

Pour les seuls régimes obligatoires , les remboursements s'étagent entre 4.680 euros par ménage du premier décile et 3.647 euros pour le dernier , soit 28,3 % de plus pour les moins favorisés.

Le tableau ci-dessus montre aussi l'importance de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) sans laquelle la couverture complémentaire ressortirait comme nettement anti-redistributive.

Quelle que soit la méthode d'imputation des dépenses publiques de santé aux ménages 112 ( * ) , le gain de niveau de vie imputable aux dépenses de santé est dégressif selon le revenu.

GAIN DE NIVEAU DE VIE INDUIT PAR LES DÉPENSES DE SANTÉ,
SELON LE NIVEAU DE VIE

Lecture : un ménage faisant partie des 20 % des ménages les plus modestes en termes de niveau de vie (1 er quintile : Q1) a un gain de niveau de vie de 2.800 euros.
Note : les quintiles de niveau de vie sont calculés sur la base des revenus avant imputation des dépenses de santé.
Champ : France métropolitaine, ensemble des individus.

Source : « En quoi la prise en compte des transferts liés à la santé modifie-t-elle l'appréciation du niveau de vie ? », François Marical. France. Portrait social 2007. Insee.

Plus la méthode d'imputation des dépenses se rapproche de la consommation effective de soins, plus la redistributivité des dépenses publiques de santé ressort comme élevée.

Les ménages appartenant au premier quintile de revenu voient leur revenu disponible brut augmenté de 3.500 euros, contre environ 2.300 euros dans le dernier quintile. Pour les quintiles intermédiaires, l'apport est de 3.400 euros, 2.500 et 2.400 euros à mesure que le revenu progresse.

Ces deux premiers quintiles de revenus sont ceux qui bénéficient le plus de la redistributivité.

Mais, comme les « suppléments de revenu » mentionnés s'appliquent à des revenus primaires inégaux, on relève que l'effet du système d'assurance-maladie est fortement différencié sur les niveaux de vie de chaque quintile et sur les inégalités de niveau de vie.

EFFETS DES TRANSFERTS MONÉTAIRES ET DES TRANSFERTS INDUITS
PAR LA SANTÉ SUR LE NIVEAU DE VIE 113 ( * )

1. Prestations sociales et prélèvements à vocation redistributive.

2. La méthode 2 est utilisée pour l'imputation des dépenses de santé, selon une approche ménage.

Note : les personnes sont classées selon leur niveau de vie avant redistribution, chaque quintile regroupe 20 % de la population, ainsi le 1 er quintile (Q1) regroupe les 20 % des personnes les moins aisées. Pour calculer les effets des transferts sur les gains relatifs de niveau de vie en pourcentage du niveau de vie avant redistribution (graphique de droite), nous nous sommes limités aux personnes dont le niveau de vie avant redistribution est strictement positif.

Lecture : une personne dont le niveau de vie avant redistribution se situe dans les 20 % les moins élevés (1 er quintile : Q1), bénéficie en moyenne de 2.969 euros de gain de niveau de vie du fait des transferts monétaires. Les transferts monétaires ont pour effet d'augmenter de 46 % le niveau de vie moyen des personnes du 1 er quintile, par rapport au niveau de vie avant redistribution.

Champ : France métropolitaine, ménages ordinaires.

Source : « En quoi la prise en compte des transferts liés à la santé modifie-t-elle l'appréciation du niveau de vie ? », François Marical. France. Portrait social 2007. Insee.

La dispersion des prestations est influencée par celle des dépenses de soins , qui sont d'autant plus élevées que le revenu est faible - 5.899 euros pour les ménages du premier décile ; 5.301 euros pour ceux du décile supérieur -.

Mais elle est plus importante que celle des dépenses de soins ce qui rend compte de « taux de remboursement », qui jouent eux-mêmes inégalement dans un sens redistributif. Ils sont moins élevés quand on relève des classes de revenu les plus hautes pour des raisons institutionnelles diverses .

Ainsi, la redistributivité horizontale du système n'apparaît pas seule en cause dans les phénomènes de redistributivité verticale. Les arrangements institutionnels y contribuent aussi, sans qu'on puisse leur attribuer pour autant des vertus redistributives sans ambiguïtés ainsi qu'on l'indique.

* 109 La formule la plus exacte serait la suivante : « ... augmenté de la consommation des services ou des biens financés par des dépenses publiques ».

* 110 C'est-à-dire des revenus considérés hors les avantages liés à la consommation des services ou des biens publics.

* 111 Les remboursements ne proviennent pas uniquement des régimes obligatoires d'assurance-maladie. Ceux-ci couvrent en moyenne 76 % des dépenses de santé. Les remboursements assurances complémentaires (dont la couverture maladie universelle complémentaire - CMUC) couvrent quant à eux 13,5 % des dépenses.

* 112 Les quatre méthodes sont respectivement : méthode 1 : l'attribution à chaque ménage (ou individu) d'un même montant de dépense correspondant à la dépense publique moyenne de santé ; méthode 2 : l'attribution d'un montant de dépenses de santé variant avec l'âge et le sexe ; méthode 3 : l'attribution d'un montant de dépense de santé différencié selon l'âge, le sexe et le niveau de vie ; méthode 4 : l'attribution d'une dépense de santé variant avec la consommation effective de soin.

* 113 Les quatre méthodes sont respectivement : méthode 1 : l'attribution à chaque ménage (ou individu) d'un même montant de dépense correspondant à la dépense publique moyenne de santé ; méthode 2 : l'attribution d'un montant de dépenses de santé variant avec l'âge et le sexe ; méthode 3 : l'attribution d'un montant de dépense de santé différencié selon l'âge, le sexe et le niveau de vie ; méthode 4 : l'attribution d'une dépense de santé variant avec la consommation effective de soin.

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