AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Depuis l'entrée en vigueur du statut d'autonomie défini par la loi organique du 27 février 2004, la Polynésie française a connu une vie politique instable. En effet, entre février 2004 et septembre 2008, sept présidents se sont succédé à la tête de cette collectivité d'outre-mer. Au cours de la même période, cinq motions de censure ou de défiance 1 ( * ) ont été adoptées par l'assemblée de la Polynésie française.

Cette instabilité a d'ailleurs conduit le Parlement à modifier le statut de la Polynésie française en décembre 2007, dans l'espoir de créer les conditions d'une vie institutionnelle apaisée.

La succession de gouvernements qui n'ont pu engager leur action dans la durée s'est toutefois révélée préjudiciable au développement de la collectivité.

Par ailleurs, si le statut du 27 février 2004 donne à la Polynésie française de nouvelles compétences, il tend également à renforcer la place des communes dans l'organisation de la collectivité. Les communes sont cependant restées dans une situation de dépendance à l'égard de la collectivité depuis des décennies, ce qui ne fait qu'entretenir les risques d'instabilité politique. Elles n'ont pas les moyens de conduire une politique de proximité qui semblerait pourtant essentielle dans un territoire aussi vaste que l'Europe, mais composé de 118 îles, dont près de 70 sont habitées.

Aussi apparaît-il aujourd'hui que la place institutionnelle et les ressources des communes polynésiennes doivent être renforcées.

Le régime des communes fait actuellement l'objet d'une modernisation, engagée par l'ordonnance du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales.

Les communes polynésiennes connaissent en outre des évolutions très différenciées, dans l'environnement singulier et complexe d'une collectivité à une telle échelle. Leur situation appelle par conséquent une étude approfondie.

Ainsi, les mutations institutionnelles de la Polynésie française ont amené votre commission à constituer une mission d'information composée de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat, afin d'examiner la situation générale de la collectivité et d'étudier plus particulièrement les difficultés rencontrées par les communes .

Avant la discussion au Sénat de la loi du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, M. Christian Cointat, rapporteur, avait effectué un bref déplacement à Papeete, qui lui avait permis de rencontrer l'ensemble des forces politiques 2 ( * ) .

Votre commission avait en outre étudié de façon approfondie la situation de la Polynésie française après l'arrêt des essais nucléaires et avant l'examen du statut d'autonomie du 12 avril 1996, grâce à une mission de nos anciens collègues Lucien Lanier et Guy Allouche 3 ( * ) .

Au cours de son déplacement dans les cinq archipels de la Polynésie française , du 21 avril au 2 mai 2008, votre délégation a mesuré les atouts d'une collectivité dont le seul nom évoque, à raison, des paysages aussi variés qu'enchanteurs, et fait rêver nombre d'habitants de la métropole.

Parcourant Tahiti, Moorea, les Iles sous le Vent, les Tuamotu, les Iles australes et les Marquises, vos rapporteurs ont d'abord été frappés par les dimensions de la Polynésie française et par les disparités qui en résultent.

En effet, au-delà d'une histoire et d'éléments culturels partagés, tout distingue les communes urbanisées des Iles du Vent (Tahiti) d'une commune des Tuamotu comme Manihi, 1.379 habitants, qu'un avion relie fréquemment à Tahiti, ou de Rapa, commune des Iles australes, dont les 482 habitants sont reliés très épisodiquement à Tahiti par un bateau.

Vos rapporteurs ont par conséquent mesuré les défis que doit relever une collectivité grande comme l'Europe, dont de nombreuses îles sont isolées et faiblement peuplées .

Ils ont observé que l'instabilité politique nuisait incontestablement à la mise en oeuvre d'une politique de long terme qui engagerait des investissements nécessaires au développement, la succession des gouvernements suscitant même, au sein de la population, une certaine lassitude.

Vos rapporteurs ont néanmoins réalisé que cette vie institutionnelle agitée ne devait pas être considérée hâtivement, avec un regard qui chercherait les mêmes références qu'en métropole.

Aussi regrettable qu'elle puisse paraître pour le devenir de la Polynésie française, l'instabilité qui a marqué les quatre dernières années peut également être perçue comme l'expression d'une mutation profonde et d'une grande vitalité démocratique.

En effet, la Polynésie française construit, dans le cadre d'une autonomie étendue et encore récente, une nouvelle relation avec l'Etat . Elle a connu l'alternance politique , avec l'arrivée à l'Assemblée en 2004 d'une majorité indépendantiste.

Ses communes doivent en outre assumer progressivement un alignement sur le droit commun, sans disposer des moyens nécessaires à l'exercice de leurs compétences.

Il apparaît enfin que les niveaux de développement contrastés d'un archipel à l'autre, la dispersion et la jeunesse de la population rendent impératif un engagement de tous les acteurs pour assurer l'avenir de la collectivité.

Votre délégation a bénéficié au cours de son déplacement du précieux concours des services de l'Etat et particulièrement de Mme Anne Boquet, alors haut commissaire de la République, et de ses collaborateurs.

Vos rapporteurs tiennent à remercier MM. Gaston Tong Sang, président de la Polynésie française, maire de Bora Bora, Oscar Temaru, président de l'assemblée de la Polynésie française, maire de Faa'a, Michel Buillard, député-maire de Papeete, Bruno Sandras, député-maire de Papara, leur collègue Gaston Flosse, ainsi que l'ensemble des élus des communes visitées, pour la qualité de leur accueil et de leurs échanges avec la délégation.

Après un bilan de la situation institutionnelle et politique, le présent rapport évoque les défis économiques et sociaux que doit surmonter la Polynésie française. Il examine enfin les difficultés que rencontrent les communes polynésiennes dans leur nécessaire transition de la tutelle vers la libre administration.

*

Une collectivité à l'échelle de l'Europe

Comprenant environ 118 îles, d'origine volcanique ou corallienne, la Polynésie française correspond à une superficie émergée de 4.200 km² et à une zone économique exclusive de 4.804.000 km² (47,14 % de la surface totale des ZEE françaises).

Dispersé sur 2.500.000 km², soit un espace équivalent à la superficie de l'Europe, le territoire de la Polynésie française est composé de cinq archipels :

- l'archipel de la Société, qui comprend les Iles du Vent (Tahiti, Moorea, Tetiaroa) et les Iles sous le Vent (Raiatea, Tahaa, Huahine, Bora Bora et Maupiti) ;

- l'archipel des Marquises (une douzaine d'îles s'étirant sur 350 km) ;

- l'archipel des Australes ;

- l'archipel des Tuamotu ;

- l'archipel des Gambier.

Papeete, centre administratif et commercial de la Polynésie française, situé sur l'île de Tahiti, se trouve à 17.100 km de la métropole, à 8.800 km du Japon, à 6.200 km des Etats-Unis et à 5.700 km de l'Australie (décalage horaire avec la métropole : -11 heures en hiver et -12 heures en été).

Le peuplement initial de la Polynésie française serait originaire d'Asie du sud-est et remonterait à 6.000 ans. Au XVIème siècle, les premiers visiteurs européens des terres polynésiennes sont Magellan, qui fait une escale en 1521 sur l'atoll de Puka-Puka, aux Tuamotu, et Mendana qui découvre les îles Marquises en 1595 et les baptise du nom de l'épouse du vice-roi du Pérou. Les Hollandais Jacques Le Maire et Guillaume Schouten, à la recherche d'une nouvelle route maritime vers le Pacifique, traversent en 1616 l'archipel des Tuamotu.

Toutefois, c'est au cours du XVIIIème siècle que se multiplient les découvertes : Wallis débarque à Tahiti en 1767, suivi par Bougainville en 1768, qui donne à l'île le nom de Nouvelle Cythère, faisant ainsi rêver l'Europe sur les îles lointaines du Pacifique sud. Le capitaine James Cook visite Tahiti à trois reprises de 1769 à 1777, ainsi que les Iles sous le Vent, les Marquises et les Australes. Enfin, en 1791, dans la lutte coloniale qui oppose la France à l'Angleterre dans cette partie du monde, l'amiral Marchand s'empare des Marquises, au nom du Roi de France.

La lutte d'influence des missionnaires protestants pro-anglais et catholiques pro-français est plus serrée à Tahiti, où la dynastie locale des Pomare s'affirme en 1793, puis règne sur toutes les Iles du Vent à partir de 1797.

En 1815, les protestants convertissent le roi, tandis que les catholiques s'enracinent surtout aux Marquises. La France s'impose pourtant à Tahiti en 1842 par l'établissement d'un protectorat qui comprend les Iles du Vent et une partie des Tuamotu et des Australes. La Reine Pomare IV, aux sentiments plutôt anglophiles, signe sans grand enthousiasme ce traité. D'autres du même type sont signés avec les rois des Marquises et des Gambier.

La Reine Pomare IV s'éteint en 1877. Son successeur, Pomare V, mieux disposé à l'égard des Français, permet la ratification du traité d'annexion le 30 décembre 1880. Le dernier archipel incorporé à cet ensemble sera celui des Australes, en 1900-1901. La royauté tahitienne étant révolue, l'ensemble de ces archipels constitue les Etablissements français de l'Océanie.

Durant la Première Guerre mondiale, Papeete est bombardée par la marine allemande. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la Polynésie se rallie à la France Libre, avec l'envoi des volontaires du Bataillon du Pacifique.

Les Etablissements français de l'Océanie deviennent un territoire d'outre-mer en 1946 et sont alors dotés d'une assemblée représentative chargée de délibérer sur le budget du territoire.

Le décret du 22 juillet 1957, pris en application de la loi du 23 juin 1956 dite « loi cadre Defferre », donne au territoire le nom de Polynésie française et élargit les pouvoirs de l'assemblée territoriale, chargée de désigner un gouvernement. L'instabilité politique conduit cependant au gel de ce système institutionnel, l'ordonnance du 23 décembre 1958 restituant la maîtrise de l'exécutif local au représentant de l'État.

La Polynésie française acquiert véritablement une part d'autonomie au sein de la République avec la loi du 12 juillet 1977.

La Polynésie française en quelques chiffres

En 2003, le PIB par habitant s'élevait à 17.071 euros, contre 25.305 euros en métropole.

Taux de chômage : 11,7 % (2002). Le taux de chômage n'est évalué que lors des opérations de recensement de la population. Votre rapporteur regrette l'absence d'outil statistique de mesure du chômage qui permettrait d'orienter l'action des pouvoirs publics en matière d'emploi.

Inflation : 2,7 % (en 2006, contre 1 % en 2005).

Valeur du franc pacifique : 1 euro = 119,33 francs CFP

Entrées de touristes : 221.549 en 2006 (+6 % par rapport à 2005), 217.000 en 2007 (-1,8 %).

Taux d'occupation des chambres d'hôtel : 66,4 % en 2006 (62,5 % en 2005, 62,8 % en 2004).

La pêche et l'exploitation du coprah sont les deux activités traditionnelles. Outre le développement du commerce, de l'artisanat, de l'industrie, du bâtiment et des travaux publics, ce sont aujourd'hui le tourisme et la perliculture qui tiennent une place importante dans l'économie polynésienne.

Ainsi, le tourisme correspond à 20 % du PIB et la perliculture, qui emploie 12 à 13 % des actifs (7.000 personnes) constitue la première exportation en valeur.

I. LA SITUATION INSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE : UNE PÉRIODE DE TRANSITION

A. LE STATUT D'AUTONOMIE DE 2004, MODIFIÉ EN 2007

Après 1946, la Polynésie française fait l'objet de plusieurs statuts successifs qui organisent progressivement l'extension de son autonomie. La Polynésie française est ainsi dotée de « l'autonomie administrative et financière » en 1977, puis bénéficie de « l'autonomie interne dans le cadre de la République » en 1984 4 ( * ) .

La loi organique du 12 avril 1996 lui accorde un statut d'autonomie, sans satisfaire cependant à toutes les attentes des responsables locaux.

La loi organique du 27 février 2004 répondant aux demandes des responsables politiques locaux, a fait de la Polynésie française la première collectivité d'outre-mer dotée de l'autonomie en application de l'article 74 de la Constitution issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 5 ( * ) .

L'article premier du statut de 2004 donne à la Polynésie française le nom de « pays d'outre-mer au sein de la République », celle-ci devant favoriser l'évolution de son autonomie, « de manière à conduire durablement la Polynésie française au développement économique, social et culturel, dans le respect de ses intérêts propres, de ses spécificités géographiques et de l'identité de sa population ».

Reprenant les grands traits de l'organisation institutionnelle définie par les statuts précédents, la loi organique statutaire du 27 février 2004 a cependant affirmé le rôle de l'exécutif, étendu les compétences de la collectivité et modifié les conditions d'élection de l'assemblée de la Polynésie française.

Ce statut a été complété et modifié par la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, intervenue après trois années et demie d'instabilité chronique.

1. Une affirmation du rôle du président dans l'organisation institutionnelle de la Polynésie française

L'article 5 de la loi organique du 27 février 2004 dispose que « les institutions de la Polynésie française comprennent le président, le gouvernement, l'assemblée et le conseil économique, social et culturel ». Le président de la Polynésie française devient ainsi une institution de la collectivité . Cette nouvelle dénomination se substitue à celle de président du gouvernement qui figurait dans le statut de 1996.

Le président représente la Polynésie française et dirige l'action du gouvernement (article 64 du statut d'autonomie de 2004). Chargé de l'exécution des actes dénommés « lois du pays » et des délibérations de l'assemblée de la Polynésie française, il est, avec le gouvernement, responsable devant celle-ci de la politique conduite. Le président dirige l'administration de la Polynésie française. Il est élu par l'assemblée, parmi ses membres.

Il revient au président de la Polynésie française de nommer les membres du gouvernement, qui conduit la politique de la collectivité. Réuni en conseil des ministres, le gouvernement dispose de compétences propres , définies aux articles 90 et 91 de la loi organique statutaire. Il arrête les projets de « lois du pays », après avis du haut conseil de la Polynésie française 6 ( * ) et prend les règlements nécessaires à leur mise en oeuvre.

* L' assemblée de la Polynésie française , composée de 57 représentants élus au suffrage universel direct pour cinq ans, dispose, aux termes de l'article 102 du statut d'autonomie, de la compétence de principe pour régler, par ses délibérations, les affaires de la Polynésie française . Elle exerce en particulier les compétences de la collectivité qui relèvent du domaine de la loi, telles que l'adoption des « lois du pays ». Il lui revient par ailleurs de contrôler l'action du président et du gouvernement.

* Le Conseil économique, social et culturel est obligatoirement consulté sur les projets et propositions de « lois du pays » à caractère économique ou social et peut l'être sur les autres projets ou propositions de délibérations (article 151 du statut d'autonomie). Le nombre de ses membres est fixé par une délibération de l'assemblée de la Polynésie française. Il comprend actuellement 51 membres.

Enfin, cette organisation institutionnelle a été complétée par l'introduction de nouveaux dispositifs de démocratie participative et par une amélioration du statut des communes de Polynésie française .

En effet, conformément à l'article 72-1 de la Constitution, le statut d'autonomie de 2004 définit un droit de pétition , permettant à un dixième des électeurs inscrits en Polynésie française de saisir l'assemblée de toute question relevant de sa compétence (article 158).

L'assemblée de la Polynésie française peut par ailleurs soumettre à référendum local tout projet ou proposition d'acte dénommé « loi du pays » ou tout projet ou proposition de délibération tendant à régler une affaire relevant de sa compétence (article 159). Le conseil des ministres peut quant à lui soumettre à référendum, après autorisation de l'assemblée, les projets d'actes relevant de ses attributions.

* En outre la loi organique statutaire du 27 février 2004 a conforté la place des communes dans l'organisation des institutions polynésiennes . Créées pour la plupart en 1971, les 48 communes demeuraient entièrement dépendantes des transferts de l'Etat et de la Polynésie française.

L'article 52 du statut de 2004 prévoit que le fonds intercommunal de péréquation reçoit au moins 15 % des impôts, droits et taxes perçus au profit du budget général de la Polynésie française. Le comité des finances locales de la Polynésie française, coprésidé par le haut commissaire de la République et par le président de la Polynésie française, répartit les ressources du fonds entre les communes. La Polynésie française peut également instituer des impôts ou taxes spécifiques aux communes, celles-ci étant chargées d'en fixer les taux (article 53).

L'article 43 du statut garantit aux communes l'exercice de compétences telles que la police municipale, la voirie communale, la construction, l'entretien et le fonctionnement des écoles, la collecte et le traitement des ordures ménagères ou l'urbanisme.

Les institutions polynésiennes ont été fortement fragilisées par une instabilité politique durable, à compter de l'élection de l'assemblée de la Polynésie française le 23 mai 2004 et de l'élection partielle du 13 février 2005 dans la circonscription des Iles du Vent. En effet, quatre motions de censure ont été adoptées par l'assemblée et cinq présidents de la Polynésie française se sont succédé en quatre ans.

Aussi la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française a-t-elle apporté plusieurs modifications au mode de désignation et au fonctionnement des institutions polynésiennes, afin de créer les conditions d'une vie politique apaisée, indispensable au développement économique et social auquel aspirent les habitants de cette collectivité d'outre-mer.

Ainsi, ce texte organise l'élection du président de la Polynésie française à trois tours. Seuls les deux candidats ayant recueilli le plus grand nombre de voix lors du second tour de l'élection du président de la Polynésie française peuvent participer au troisième, l'élection étant alors acquise à la majorité des suffrages exprimés. La compétence de constater l'empêchement provisoire du président de la Polynésie française est attribuée au conseil des ministres polynésien et celle de constater son empêchement définitif au Conseil d'État statuant au contentieux.

En outre, le gouvernement de la Polynésie française doit comprendre au maximum quinze ministres, sur le modèle des dispositions régissant la composition du gouvernement de la Nouvelle-calédonie.

La durée pendant laquelle le président de la Polynésie française et les autres membres du gouvernement perçoivent leur indemnité après la cessation de leurs fonctions est réduite de six à trois mois.

Le président de l'assemblée de la Polynésie française est élu pour la durée de son mandat, tandis que le bureau de l'assemblée est renouvelé chaque année, l'assemblée pouvant procéder, lors de ce renouvellement annuel, au renouvellement intégral du bureau.

La loi organique du 7 décembre 2007 substitue par ailleurs à la motion de censure une motion de défiance constructive . Celle-ci doit être signée par au moins le quart des membres de l'assemblée de la Polynésie française, chaque représentant ne pouvant signer plus de deux motions de défiance par année civile (art. 156 du statut).

2. Un mode de scrutin proportionnel, modifié à deux reprises depuis 2004

Depuis 1952, les membres de l'assemblée de la Polynésie française sont élus pour cinq ans au scrutin de liste à un tour, à la représentation proportionnelle en suivant la règle de la plus forte moyenne.

Tout en augmentant le nombre de représentants à l'assemblée (dont le nombre a été fixé à 57) et en redécoupant les circonscriptions électorales 7 ( * ) , la loi organique du 27 février 2004 a modifié les règles du mode de scrutin de l'élection de l'assemblée afin de mieux assurer l'émergence d'une majorité en son sein en instituant une prime majoritaire, égale au tiers des sièges à pourvoir arrondi à l'entier supérieur, en faveur de la liste victorieuse.

Initialement fixé à 10 % des suffrages exprimés contre 5 % auparavant, le seuil de répartition des sièges a été abaissé à 3 % des suffrages exprimés pour assurer le pluralisme de la représentation au sein de l'assemblée.

Prenant acte de l'échec du mode de scrutin institué en 2004 pour garantir une majorité stable de gestion, conformément aux voeux de M. Gaston Tong Sang alors président de la Polynésie française, le législateur a supprimé la prime majoritaire et rétabli un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour l'accès à la répartition des sièges et la fusion des listes, dans le cadre de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions institutionnelles et statutaires relatives à l'outre-mer.

La loi organique du 7 décembre 2007 modifie à nouveau ce mode d'élection, en instituant un scrutin de liste à deux tours, toujours à la présentation proportionnelle en suivant la règle de la plus forte moyenne dans les six circonscriptions existantes.

Le Sénat a cherché à renforcer les garanties de constitution d'une majorité stable, en portant le seuil pour l'accès à la répartition des sièges et à la fusion des listes à 5 % des suffrages exprimés (contre 3 % dans le projet de loi organique initial) et le seuil pour l'accès des listes au second tour de l'élection de à 12,5 % des suffrages exprimés (contre 10 % dans le projet de loi organique initial).

3. Une autonomie confortée par l'extension du champ des compétences de la collectivité et l'instauration de « lois du pays »

Aux termes de l'article 13 de la loi organique statutaire du 27 février 2004, les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat, sous réserve des compétences attribuées aux communes.

L'affirmation de cette compétence de principe de la collectivité s'est accompagnée du transfert de plusieurs compétences de l'Etat vers la Polynésie française, notamment en matière de droit civil 8 ( * ) , de principes fondamentaux des obligations commerciales, de principes généraux du droit du travail, de réglementation des hydrocarbures ou de desserte aérienne.

L'Etat conserve les compétences relatives à la nationalité, aux droits civiques, au droit électoral, à l'état et à la capacité des personnes, à la garantie des libertés publiques, à la justice, à la politique étrangère, à l'entrée et au séjour des étrangers 9 ( * ) , à la sécurité et à l'ordre publics, à l'autorisation d'exploitation des liaisons aériennes, à l'administration, à l'organisation et aux compétences des communes, à la communication audiovisuelle et à l'enseignement universitaire et à la recherche.

Dans les matières relevant de la compétence de l'Etat sans constituer des compétences régaliennes ou de souveraineté 10 ( * ) , les lois et règlements ne s'appliquent à la Polynésie française que s'ils comportent une mention expresse à cette fin (article 7 du statut de 2004) .

La loi organique statutaire a en outre étendu les compétences du président de la Polynésie française dans le domaine des relations internationales, en lui permettant de négocier directement des accords dans les matières relevant des compétences de la collectivité.

Comme le permet l'article 74 de la Constitution aux collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie, la Polynésie française est habilitée à participer, sous le contrôle de l'Etat, à l'exercice des compétences qu'il conserve dans le domaine législatif et réglementaire (article 31). Cette participation fait l'objet d'un encadrement strict, prévoyant en particulier un contrôle préalable de l'Etat.

Le renforcement de l'autonomie de la Polynésie française s'est par ailleurs traduit par l'attribution d'une compétence pour prendre des mesures favorisant l'accès aux emplois salariés du secteur privé au bénéfice des personnes justifiant d'une durée de résidence suffisante sur le territoire de la collectivité et pour soumettre à une déclaration les transferts de propriétés foncières entre vifs 11 ( * ) . Cette déclaration permet ensuite à la Polynésie française d'exercer, le cas échéant, un droit de préemption .

Enfin, l'assemblée de la Polynésie française peut adopter des « lois du pays », qui demeurent des actes administratifs 12 ( * ) mais relèvent du domaine de la loi et soit ressortissent à la compétence de la Polynésie française, soit sont pris au titre de la participation de la collectivité aux compétences de l'Etat (article 140 du statut d'autonomie).

Les lois du pays peuvent intervenir dans dix-sept matières telles que le droit civil, les principes fondamentaux des obligations commerciales, l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature, le droit du travail, le droit syndical, le droit de la santé publique, le droit de l'action sociale et des familles, le droit de l'aménagement et de l'urbanisme ou le droit de l'environnement.

Si le gouvernement polynésien ou les représentants envisagent un projet ou une proposition de « loi du pays » dans un domaine de compétence partagé avec l'Etat, le texte doit être soumis au Premier ministre qui dispose de deux mois pour prendre un décret l'acceptant en tout ou partie, ou le rejetant. L'assemblée de la Polynésie française est alors tenue d'adopter un texte identique à celui soumis au Premier ministre.

Les « lois du pays » sont d'une nature réglementaire particulière, puisqu'elles peuvent déroger à deux principes généraux du droit : le principe de non-rétroactivité des actes administratifs et le principe d'égal accès à l'emploi. En outre, leur promulgation empêche tout recours par voie d'action devant la juridiction administrative.

Les « lois du pays » ne peuvent être contestées, devant le Conseil d'Etat, que dans le mois qui suit leur publication 13 ( * ) , après un délai de huit jours suivant l'adoption du texte (article 176).

Après sa promulgation, l'acte ne peut plus être contesté que par voie d'exception, à l'occasion d'un litige devant une juridiction qui doit alors transmettre la question au Conseil d'Etat, et au moyen de son déclassement par le Conseil d'Etat, si la loi est intervenue dans le domaine réglementaire ou dans le domaine de compétence exclusif de l'Etat 14 ( * ) .

Le Conseil d'Etat a par ailleurs admis un recours contre l'acte de promulgation d'une « loi du pays » et annulé celle-ci en raison de l'absence de contreseing par les ministres chargés de l'exécution 15 ( * ) . Cette décision a eu pour conséquence de priver d'effet la « loi du pays » dont l'acte de promulgation était entaché d'illégalité.

4. Le rééquilibrage des pouvoirs dans le cadre de la loi organique du 7 décembre 2007

Suivant les recommandations du rapport public de la Cour des comptes paru en février 2007, la loi organique du 7 décembre 2007 renforce le contrôle financier et budgétaire, en instaurant un débat d'orientation budgétaire annuel au sein de l'assemblée de la Polynésie française, en complétant les modalités de contrôle de la légalité des actes de la collectivité et en développant le rôle de la chambre territoriale des comptes.

Le Sénat a en outre souhaité développer les fonctions de contrôle de l'assemblée de la Polynésie française pour assurer une vie politique plus transparente.

Aussi la loi organique du 7 décembre 2007 donne-t-elle à l'assemblée la compétence pour définir les conditions et critères d'attribution des aides financières et des garanties d'emprunt de la collectivité aux personnes morales.

Par ailleurs, une commission de contrôle budgétaire et financier élue par l'assemblée de la Polynésie française en son sein sera chargée, à compter de juillet 2009 au plus tard, d'émettre un avis sur les projets de décision du conseil des ministres polynésien relatifs à l'attribution d'aides financières par la collectivité, à la participation de la Polynésie française au capital de certaines sociétés et aux opérations d'acquisition, de cession ou de transfert de biens immobiliers de la Polynésie française.

L'assemblée de la Polynésie française pourra, au vu de cet avis, saisir la chambre territoriale des comptes. L'avis de la commission sur les projets de décision relatifs à l'attribution d'aides financières, à des opérations d'acquisition ou de cession de biens immobiliers, ou à la nomination des directeurs d'établissements publics de la Polynésie française pourra faire l'objet d'un débat, à la demande d'un cinquième des membres de l'assemblée.

La commission devra remettre chaque année aux autorités de la collectivité un rapport dressant le bilan de son activité et devant faire l'objet d'un débat au sein de l'assemblée dans le mois suivant son dépôt.

En outre, afin de rééquilibrer l'exercice des pouvoirs et d'améliorer le fonctionnement des institutions de la Polynésie française, la loi organique du 7 décembre 2007 :

- permet au haut commissaire de la République d'exercer, sous des conditions strictement définies, des pouvoirs exceptionnels afin de rétablir le fonctionnement normal des institutions et des services publics, ou d'assurer la sécurité de la population, selon un dispositif reprenant celui défini par la loi organique du 21 février 2007 pour d'autres collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie ;

- réaffirme la position institutionnelle des communes ;

- précise les attributions du président de la Polynésie française et des ministres en matière d'actes individuels ;

- précise le domaine des « lois du pays ».

* 1 La motion de défiance a remplacé la motion de censure depuis la modification du statut de la Polynésie française par la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007.

* 2 Déplacement du 16 au 20 octobre 2007. Voir le rapport fait au nom de la commission des lois par M. Christian Cointat, n° 69 (2007-2008). http://www.senat.fr/rap/l07-069/l07-069.html

* 3 Rapport fait au nom de la commission des lois par MM. Lucien Lanier et Guy Allouche, La Polynésie après l'arrêt des essais nucléaires - L'autonomie institutionnelle au service du développement économique, n° 215 (1995-1996).

* 4 Loi du 6 septembre 1984.

* 5 Depuis, les collectivités d'outre-mer, Saint-Barthélemy et Saint-Martin ont également été dotées de l'autonomie par la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer.

* 6 Le haut conseil de la Polynésie française, prévu à l'article 163 de la loi organique du 27 février 2004, est chargé de conseiller le président de la Polynésie française et le gouvernement dans la confection des « lois du pays », des délibérations et des actes réglementaires. Son président et ses membres sont nommés par arrêté du conseil des ministres polynésien pour une durée de six ans non renouvelable, en considération de leur compétence en matière juridique, parmi les magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire n'exerçant pas leurs fonctions en Polynésie française et n'y ayant exercé aucune fonction au cours des deux années précédentes, les professeurs des universités dans les disciplines juridiques et les avocats inscrits au barreau, les fonctionnaires de catégorie A et les personnes ayant exercé ces fonctions (article 164 du statut).

* 7 Les cinquante-sept sièges de l'assemblée de la Polynésie française se répartissent comme suit : îles du Vent : 37 ; îles sous le Vent : 8 ; îles Tuamotu de l'Ouest : 3 ; îles Gambier et Tuamotu de l'Est : 3 ; îles Marquises : 3 ; îles australes : 3.

* 8 A l'exception de l'état et de la capacité des personnes, de l'autorité parentale, des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités qui demeurent de la compétence de l'Etat.

* 9 A l'exception de l'accès au travail des étrangers.

* 10 Organisation des pouvoirs publics, défense nationale, domaine public de l'Etat, nationalité, état et capacité des personnes, statut des agents publics de l'Etat.

* 11 Articles 18 et 19 du statut d'autonomie de 2004.

* 12 A la différence des lois du pays de Nouvelle-Calédonie. Dans sa décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, le Conseil constitutionnel a jugé que « la distinction formellement établie par la loi organique entre les actes prévus à l'article 140, dénommés « lois du pays » et les « délibérations », n'a pas pour effet de retirer aux « lois du pays » leur caractère d'actes administratifs » ; considérant n° 75.

* 13 Ce délai est de quinze jours pour le haut commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée ou six représentants.

* 14 Peuvent demander le déclassement d'une « loi du pays » le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française et le ministre chargé de l'outre-mer.

* 15 Ce contreseing est prévu par l'article 66 du statut d'autonomie de 2004. Cf. la décision du Conseil d'Etat du 22 mars 2006, Fritch et autres, et le dossier consacré aux « lois du pays » de Polynésie française dans la Revue française de droit administratif, novembre-décembre 2006, p. 1103.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page